HOMÉLIE XVIIIVOUS AVEZ APPRIS QUIL A ETE DIT : IL POUR IL, DENT POUR DENT.- ET MOI JE VOUS DIS DE NE POIT RESISTER AU MECHANT ; MAIS SI QUELQUUN VOUS DONNE UN SOUFFLET SUR LA JOUE DROITE, PRÉSENTEZ-LUI ENCORE LAUTRE.- SI QUELQUUN VEUT VOUS FAIRE UNE QUERELLE POUR VOUS PRENDRE VOTRE ROBE, LAISSEZ-LUI ENCORE EMPORTER VOTRE MANTEAU. » (CHAP. V, 38, 39, 40, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) ANALYSE 1. Pourquoi certains préceptes de lancienne Loi étaient si peu relevés. 2. Cest par la patience quil faut vaincre. 3. Les hommes parfaits sont plus fort que le malheur. 4. Comment lon doit se conduire envers les ennemis. On arrive au sommet de la perfection en cette matière par neuf différents degrés. - Le Christ modèle de patience et de charité. 5. et 6. Que nous devons nous prévenir les uns les autres par des déférences volontaires ; que rien nest plus glorieux que dêtre méprisé des hommes pour plaire à Dieu.
1. Vous voyez clairement, mes frères, que Jésus-Christ ne parlait point des yeux du corps, lorsquil nous commandait darracher lil qui nous scandalise, mais quil marquait par cette expression, que nous devons éloigner de nous les personnes dont lamitié nous nuit, et qui sont capables de nous perdre. Comment en effet, Celui qui ne nous permet pas même darracher (149) loeil à un autre qui nous laurait arraché, pourrait-il nous commander de nous larracher à nous-mêmes? Que si quelquun blâme lancienne loi, de ce quelle commande ainsi dexiger « oeil pour oeil, et dent pour dent; » il ne comprend guère, ni la sagesse que doit avoir un législateur, ni les différentes conjonctures des temps, ni lavantage que les hommes ont de cette divine condescendance. Car si vous considérez quel était ce peuple, dans quelle disposition il était, et en quel temps il a reçu cette loi, vous reconnaîtrez aisément que Dieu est le seul et le même auteur de lun et de lautre Testament, quil a établi très-utilement ces lois différentes, et quil les a proportionnées aux personnes et aux temps. Sil avait tout dabord imposé aux hommes la loi évangélique qui est si sublime, les hommes nauraient reçu ni lancienne ni la nouvelle: mais les publiant en divers temps, et chacune en celui qui lui était propre, il sest servi très utilement de lune et de lautre, pour renouveler la face de toute la terre. Au reste sil a donné ce commandement ce nétait pas pour porter les hommes à sarracher les yeux les uns aux autres, cétait au contraire pour les empêcher de se porter à des violences. Car la menace de cette peine était un frein pour la colère. Il commençait ainsi à établir insensiblement la vertu dans le monde, en voulant quon se contentât dune vengeance pareille au mal quon avait reçu, bien que cependant celui qui commence linjure mérite une peine plus grave, et que la peine du talion ne semble pas assez rigoureuse au jugement dune exacte justice. Cest parce quil voulait tempérer la justice par la miséricorde, quil ninfligeait au coupable quun châtiment au-dessous de son crime: cétait aussi pour nous enseigner à montrer beaucoup de patience dans les maux que nous souffrons. Après avoir rapporté lancienne loi tout au long, il montre que ce nest pas proprement votre frère qui vous offense, mais le démon par votre frère. Cest pourquoi il ajoute : « Et moi je vous dis de ne point résister au méchant (39). » Il ne dit pas de ne point résister à votre frère, mais «au méchant, » montrant que cest le démon qui lui inspire cette violence, et diminuant ainsi beaucoup notre colère contre celui qui nous aurait offensé, en rejetant toute sa faute sur un autre. Quoi donc! me direz-vous, ne faut-il point résister au méchant? Il faut lui résister, mais non de la manière que vous pensez, mais de celle que Jésus-Christ nous commande: cest-à-dire en voulant bien souffrir tout le mal quil nous veut faire. Cest ainsi que vous le surmonterez. Ce nest pas avec le feu quon éteint le feu, mais seulement avec leau. Et pour vous faire voir que dans lancienne loi même, celui qui souffrait linjure avait lavantage et quil remportait la couronne, considérez la chose en elle-même, et vous jugerez combien la patience de cet homme sélevait an-dessus de lautre. Car celui qui a commencé loutrage est lui seul cause de la perte des deux yeux, cest-à-dire, de celui de son frère et du sien propre, ce qui doit lexposer justement à la haine et à lexécration du monde. Celui au contraire qui a souffert la violence, lors même quil en tire une vengeance proportionnée à linjure quon lui a faite, ne passera point pour cruel, ni pour avoir fait aucun mal. Cest pourquoi il trouve beaucoup dhommes pour compatir à sa douleur parce quil est innocent, même après sêtre vengé de la sorte. Le mal est égal pour tous deux; mais la gloire nest pas égale ni devant Dieu ni devant les hommes; ce qui fait une grande inégalité dans légalité du mal quils souffrent. 2. Jésus-Christ sétait contenté de dire dabord: « Celui qui se met en colère sans sujet contre son frère; et qui lappelle fou, méritera d être condamné au feu de lenfer; » mais il exige ici de nous une plus grande vertu, ordonnant à celui qui a été outragé, non seulement de conserver la paix et la douceur, mais de témoigner même du respect à celui qui le frappe et de lui présenter lautre joue. Il nous prescrit cette loi de patience, non seulement dans loffense particulière quil nous marque, mais généralement dans toutes sortes dinjures. De même, en effet, quen disant: « Celui qui appelle son frère, fou, mérite dêtre condamné au feu de lenfer, » il ne restreint pas cette vérité à cette injure particulière, mais quil létend à toutes les autres; de même lorsquil nous commande de souffrir généreusement un soufflet, il nous ordonne en même temps de ne nous point troubler dans tous les autres outrages quon nous pourrait faire. Cest pourquoi il choisit cette injure comme la plus offensante, et il marque particulièrement loutrage dun soufflet, parce que cest le dernier mépris quon puisse témoigner à un homme. (150) Ce commandement il le donne dans lintérêt de celui qui est frappé, non moins quen faveur de celui qui frappe. En effet, formé par ces saintes instructions du Sauveur, celui qui sera frappé ne se croira point offensé, et il se regardera plutôt comme un homme qui reçoit un coup dans le combat, que comme une personne quon outrage. Et de son côté loffenseur, rougissant de honte en voyant la patience de lautre, bien loin de redoubler le coup, ce quil ne fera pas quand il serait plus cruel quune bête farouche, aura une douleur extrême du premier quil aura donné. Car rien ne calme tant les hommes violents que la patience de ceux quils outragent. Non-seulement cette douceur arrête le cours des violences, mais encore elle produit le repentir des injures déjà faites; à sa vue, les plus malintentionnés se retirent saisis dadmiration, et souvent ils deviennent amis sincères et dévoués dennemis déclarés quils étaient. Il arrive tout le contraire lorsquon se venge. On se couvre de confusion lun lautre, on devient pire quon nétait; on ne fait que sirriter encore davantage de part et dautre, et souvent on se porte jusquaux dernières extrémités et jusquà tuer son ennemi. Cest pourquoi non-seulement Jésus-Christ défend à celui qui a reçu le coup, de se mettre en colère, mais il lui commande même dêtre prêt à souffrir toute la violence de celui qui le frappe, pour lui témoigner quil na aucun ressentiment du premier outrage quil a reçu, En agissant de la sorte vous blesserez plus sensiblement celui qui vous offense, quelque insensible quil puisse être, que si vous le perciez de coups, et les plus impudents seront forcés de rougir, et de vous traiter avec respect. « Si quelquun vous veut faire une querelle pour vous prendre votre robe, laissez-lui encore emporter votre manteau (40). » Jésus-Christ veut que nous montrions cette patience, non-seulement dans les outrages, mais encore dans les pertes dargent cest le sens propre de lexpression figurée dont il se sert. De même que tout à lheure il commandait de surmonter linjure en la souffrant; il veut de même ici que celui que lon dépouille, donne plus même quon ne veut lui ôter. Il ne dit pas simplement: Donnez votre vêtement à celui qui le demande; mais, donnez-le à celui qui veut disputer contre vous, cest-à-dire, sil veut vous faire un |