HOMÉLIE XVII« VOUS SAVEZ QUIL A ÉTÉ DIT AUX ANCIENS: VOUS NE COMMETTREZ POINT DADULTÈRE .- MAIS MOI JE VOUS DIS QUEQUICONQUE REGARDERA UNE FEMME, AVEC UN MAUVAIS DÉSIR POUR ELLE, A DEJA COMMIS LADULTÈRE DANS SON COEUR. » (CHAP. V, 27 JUSQUAU VERSET 38 ) ANALYSE 1. et 2. Des regards impudiques. 3. Contre le luxe des femmes et les femmes et les spectacles. 4. Pourquoi lancienne loi permettait lacte de répudiation. 5. Sur les jurements. 6. Pourquoi la Loi nouvelle les défend? - Les mêmes choses permises ou défendues selon les temps.- La Loi nouvelle plus exigeante que lancienne.- 7. Moyen de se défaire dune mauvaise habitude. Saint Chrysostome repousse les applaudissements.
1. Après que Jésus-Christ a pleinement éclairci ce premier commandement, et quil la porté jusquà sa plus haute perfection, il suit lordre marqué dans la loi, et il parle ensuite du second. Mais vous me direz peut-être que ce nest pas ici le second commandement mais le troisième, puisque le premier nest pas : « Vous ne tuerez point; » mais celui-ci: « Ecoutez Israël, le Seigneur votre Dieu est le « seul Seigneur. » (Exod. XX, 43.) Il faut donc voir pourquoi il ne commence pas par celui-là. Il ne la pas fait parce quil aurait été obligé détendre ce commandement jusquà sa propre personne, et de se faire connaître aux hommes en leur révélant des choses dont le temps nétait pas encore venu. Il se contentait alors de former les moeurs, voulant persuader aux hommes, dabord par la sainteté de sa vie et par ses miracles, quil était le Fils de Dieu. Si donc avant davoir jamais rien enseigné ou rien fait, il fût venu dabord dire aux hommes : Vous savez quil a été dit aux anciens: Je suis le Seigneur votre Dieu, et il nyen a point dautre que moi: mais moi je vous dis, que vous madoriez de même que mon Père; il nest pas douteux quils leussent traité comme un extravagant et un insensé. Car si après leur avoir enseigné une doctrine si pure, et avoir fait tant de miracles, ils ne laissaient pas de dire quil était possédé du démon, lorsquil ne déclarait pas même ouvertement ce quil était; .à quoi ne se fussent-ils point portés, sil leur eût parlé de la sorte, avant que de leur avoir donné des preuves de ce quil était ? Mais en réservant cette vérité pour un temps plus opportun, il disposait peu à peu les hommes à la recevoir. Cest pourquoi il la passe ici sous silence, en y préparant le monde par ses prodiges, et par la pureté de sa doctrine. Il la dite clairement dans la suite, mais il se contente ici de la découvrir peu à peu par une longue suite de merveilles, et par la manière dont il instruisait les hommes. Lautorité même avec laquelle il établissait de nouvelles lois, et réformait les anciennes, était capable de faire juger à un esprit réfléchi que celui qui parlait de la sorte, nétait autre que Dieu. « Ils étaient surpris, » dit lEvangile, « parce quil ne les enseignait pas comme les docteurs de la loi. » (Matth. VII, 29.) En effet commençant par les vices les plus naturels à lhomme, savoir la colère et limpureté, les deux passions qui le tyrannisent le plus, et qui sont la source de toutes les autres, il les combat avec lautorité, dun législateur, et il leur oppose la vertu la plus pure et la plus parfaite. Il ne dit pas quon punira seulement les adultères qui auront effectivement commis ce crime. Mais de même quil a condamné jusquà la pensée de lhomicide, de même ici il punit jusquà un regard impudique, afin de nous apprendre en quoi consiste cette surabondance de justice quil demande de nous et que navait pas la vertu des pharisiens. « Celui, dit-il, qui aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle, a déjà commis ladultère dans son coeur: » cest-à-dire celui qui se plaît à regarder des personnes agréables, qui recherche même avec curiosité et avec passion la vue dun gracieux visage, et qui en repaît ses yeux et son coeur. Car Jésus-Christ nest pas venu seulement pour empêcher quon ne déshonore son corps par des actions criminelles, mais encore pour établir la pureté de lâme, en lui interdisant les mauvais désirs. Comme cest dans le coeur que nous recevons la grâce du Saint-Esprit, cest le coeur aussi quil purifie le premier. Mais comment est-il possible, me direz-vous, dêtre délivré de ces désirs? II nous sera facile, si nous le voulons, de les réprimer de telle façon, que sils commencent à sélever, ils demeurent néanmoins sans aucun effet. Dailleurs Jésus-Christ ne parle pas ici généralement de toute sorte de désirs; mais de ceux qui sexcitent par les yeux et par les regards. Car celui qui se plaît à regarder de beaux visages, allume en lui-même une flamme impure, met son âme sous le joug de la passion, et ne tarde pas à commettre le crime même. Cest pour ce sujet que Jésus-Christ ne dit pas : Celui qui aura désiré de commettre un adultère, mais « celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir. » Il ne dit pas même ici ce mot, « sans sujet, » quil met expressément en parlant de colère, non, il condamne sans exception toute convoitise. Et cependant ces deux passions, la colère et la concupiscence, sont toutes les deux inhérentes à notre nature, et lon peut se servir utilement de lune et de lautre, de la première, en lemployant à réprimer les méchants, et à corriger les gens déréglés; et de lautre en en usant seulement pour la génération des enfants, et pour conserver la succession des hommes. 2. Doù vient donc que Jésus-Christ ne met point ici dexception ? Je vous réponds que si vous considérez bien ses paroles, vous y en trouverez une grande. Car il ne dit pas, Celui qui aura eu un mauvais désir, ce qui peut arriver aux solitaires dans les déserts les plus retirés, mais: « Celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir pour elle; »comme sil disait: Celui qui aura excité ce mauvais désir en lui-même et qui aura volontairement déchaîné sur son âme cette espèce de bête féroce. Car cela nest plus leffet de la nature, mais de votre négligence et de votre (141) paresse. Lancienne loi même nous faisait déjà la même défense : « Ne vous arrêtez point,» dit-elle, «à considérer une beauté étrangère. » (Prov. VI, 25.) Et afin que personne ne pût dire : mais si je la regarde sans quil en résulte aucun mal? lEcriture défend généralement tous ces regards, de peur quen sassurant trop de soi-même, on ne tombe dans le péché. Mais si je la regarde, dites-vous, et que jaie même un mauvais désir, quel mal fais-je pourvu que je naille pas plus loin? Cela seul vous range parmi les adultères. Jésus-Christ déclare quil vous met de ce nombre. Il est le législateur, il a fait la loi, il ne faut point disputer davantage. Vous pourrez peut-être voir une ou deux ou trois fois une femme sans en ressentir de mauvais effets. Mais si vous vous abandonnez souvent à ces regards, vous allumerez un feu dans votre coeur, dont vous serez enfin consumé. Car vous nêtes pas dune autre nature que les autres hommes. Comme donc lorsque nous voyons un enfant prendre un couteau, quoiquil ne sen soit pas blessé, nous ne laissons pas de le châtier et de lui défendre dy toucher à lavenir; Dieu de même nous défend les mauvais regards avant même que nous péchions, afin que nous ne péchions pas. Car celui qui allume dans son coeur cette passion honteuse, lors même que les objets sont absents, se trouve environné de fantômes et dimages détestables, qui le font enfin tomber dans le crime. Cest pour cette raison que Jésus-Christ condamne même Lette sorte dadultère, qui ne se passe que dans le coeur. Que répondront à ceci ceux qui ont avec eux des jeunes filles demeurant sous le même toit, puisque par cette loi de Jésus-Christ, ils peuvent devenir coupables dune infinité dadultères, en les regardant tous les jours avec de mauvais désirs? Aussi le bienheureux Job sétait dabord imposé cette loi lui-même, en sinterdisant absolument cette sorte de regards. Car le combat devient plus grand après avoir vu ce que lon aime, et cette vue ne nous cause pas tant de satisfaction, que la nouvelle violence de notre passion ne nous fait ressentir de douleur. Nous rendons ainsi le démon bien plus puissant contre nous et nous ouvrons la porte à cet ennemi, sans quil soit plus en notre pouvoir de le chasser de chez nous, après lavoir introduit dans le fond de notre coeur et dans le plus secret de nos pensées. Cest pourquoi Jésus-Christ nous dit : Ne soyez point adultère des yeux et vous ne le serez point du coeur. Il est certain quon peut regarder une femme innocemment et comme les personnes chastes la regardent. Cest pourquoi Jésus-Christ ne condamne pas en général toutes sortes de regards, mais seulement ceux qui sont accompagnés dun mauvais désir. Sil neût voulu faire cette distinction, il eût dit simplement: « Celui qui regarde une femme, » mais il ne parle pas ainsi, et il dit : « Celui qui regarde une femme avec un mauvais désir; » cest-à-dire, celui qui la regarde afin de contenter ses yeux. Dieu ne vous a pas donné des yeux pour que vous introduisiez par là ladultère dans votre âme, mais afin que, contemplant ses créatures, vous en admiriez le Créateur. Comme donc on se met en colère « sans sujet , » on regarde aussi « sans sujet, » lorsquon le fait avec un mauvais désir. Si vous voulez prendre plaisir à voir une femme, regardez la vôtre et aimez-la toujours. Il ny a point de loi qui vous le défende. Que si vous en regardez curieusement une autre, vous faites tort à celle que Dieu vous a donnée, en détournant vos yeux delle pour en regarder une autre, et vous faites encore une injure à celle que vous regardez. Car quoique vous ne la touchiez pas de la main, on peut dire néanmoins que vous la touchez des yeux et du désir. Dieu regarde cela comme un véritable adultère, et avant que de le punir par les peines de lenfer, il le punit ici par avance par des supplices rigoureux. Car lesprit est rempli aussitôt de nuages et de troubles. Il entre dans lagitation et linquiétude, et il est percé des pointes de la douleur. Un homme en cet état est aussi misérable que les captifs qui gémissent sous leurs chaînes. Cette femme qui vous a blessé dun de ses regards, sest retirée de vous, mais la plaie quelle vous a faite demeure toujours; ou plutôt ce nest pas celle femme qui vous a fait cette plaie, cest vous-même qui vous êtes blessé en la regardant dune manière déshonnête. Je dis ceci afin quon naccuse point celles dentre les femmes qui sont sages et modestes, Que si quelquune prend plaisir à se parer et à se rendre agréable et quelle attire ainsi sur elle les regards de tous les hommes, quoique peut-être elle ne fasse aucun mal à ceux qui la (142) voient, elle ne laissera pas dêtre punie dun supplice extrême. Car elle a mêlé le poison, elle la préparé, elle navait plus quà le présenter à boire, ou plutôt elle la même présenté; mais il ne sest trouvé personne pour boire ce breuvage de mort. 3. Quoi donc! direz-vous, Jésus-Christ parle-t-il aussi aux femmes en cet endroit? Les lois quil établit ici sont communes aux hommes et aux femmes, quoiquil adresse son discours particulièrement aux hommes. Quand il parle au chef, il parle à tout le corps. Il sait que lhomme et la femme ne sont quun, et il ne les divise point. Que si vous voulez entendre un avis particulier pour les femmes, voyez ce que dit Isaïe, qui jette tant de ridicule sur leur vanité dans leurs habits, dans leurs regards, dans leur marcher, dans leurs robes traînantes, dans leurs démarches affectées, et dans tout le port de leur corps. Ecoutez après Isaïe saint Paul, qui leur donne beaucoup davis touchant leurs habits, leurs ornements dor, leurs cheveux frisés, leur luxe, et autres choses semblables quil leur défend très sévèrement. Et Jésus-Christ exprime la même pensée, quoique obscurément. Car en disant : Arrachez et coupez ce qui vous scandalise, il montre avec quelle colère on doit traiter ces sortes de personnes. Cest pourquoi il ajoute : « Que si votre oeil droit vous est tin sujet de scandale, arrachez-le, et jetez-le loin de vous (29).» Et ne dites pas : mais quoi! si cest ma parente, si cest mon alliée ? Lobjection est prévenue par ces paroles, ce sont ces personnes-là précisément que Jésus-Christ nous ordonne de retrancher et non pas les membres mêmes de notre corps. Dieu nous garde de cette pensée! il naccuse point notre chair, mais il condamne la corruption de la volonté. Ce nest point loeil qui regarde, mais lesprit et la pensée. Il arrive, tous les jours que lorsque notre esprit est appliqué ailleurs, notre oeil ne voit pas ceux qui sont présents parce q |