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Saint Thomas d'Aquin (1225-1274)
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Date de mise en ligne :
mercredi 11 mars 2009
Description :
Voici un commentaire du Notre
Père par Saint Thomas d'Aquin. Il
s'agit en fait d'une homélie prononcée lors du Carême 1273.
Origine du document : Editions Docteur
angélique.
Traduction par un moine de
l'abbaye de Fontgombault.
Copyright © CathoWeb.org
Mise en page, illustrations, contrôle qualité et conversion Word : Jean-Manaus.com
Sommaire
Introduction
a l'édition Fontgombault, 1978
I. Le
notre pere possede excellemment les cinq qualites requises pour toute priere.
II. Les
heureux effets de la priere
Premiere
demande : que votre nom soit sanctifié (commentaire par Aldobrandini de Toscanelle)
Deuxieme
demande : que votre règne arrive (reprise du commentaire de saint Thomas d'Aquin)
Troisieme
demande : que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel
Quatrieme
demande : donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien
Cinquieme
demande : et remettez-nous nos dettes, comme nous-mêmes nous remettons a nos
débiteurs
Sixieme
demande : et ne nous laissez pas succomber a la tentation
Il entendit un jour JESUS-CHRIST
lui adresser, du fond du tabernacle, cette parole célèbre :
« Tu as bien écrit de moi, Thomas.
»
Le témoignage
de ses contemporains, au nombre desquels il faut compter plusieurs de ses
Frères en religion, nous apprend qu'un an avant sa mort, depuis le Dimanche de
la Sexagésime, 12 février 1273, jusqu’au jour de Pâques, 9 avril, saint Thomas
d'Aquin se consacra avec beaucoup de zèle à l'instruction des fidèles, dans
l'église conventuelle de saint Dominique, à Naples.
Il y donna
successivement en 1273 des sermons sur le Symbole des Apôtres, l'Oraison
dominicale, la Salutation angélique, sur les deux préceptes de la charité et
les dix commandements de la loi.
Le lien qui
unit ces différents sujets n'apparaît pas à première vue ; mais le saint
Docteur prit la peine de le montrer à ses auditeurs.
« Il y a, leur
dit-il, trois choses nécessaires à l'homme pour son salut. La première est la
connaissance de ce qu'il doit croire, la seconde la connaissance de ce qu'il
doit désirer, la troisième la connaissance de ce qu'il doit accomplir. L'homme
apprend la première de ces connaissances dans le « Symbole des Apôtres ».
Il est instruit sur ce qu'il doit désirer dans l'Oraison dominicale ; les deux
préceptes de la charité et les dix commandements de la loi le renseignent sur
cc qu'il doit accomplir. »
L'ensemble de
ces sermons constituent une véritable catéchèse prébaptismale.
Le Père Tocco,
dominicain, qui assistait aux prédications, rapporte qu'elles attiraient chaque
fois un grand concours de peuple ; la foule écoutait le Bienheureux avec vénération,
comme si la parole fût venue de Dieu même. La seule vue de son maintien
produisait une impression profonde. D'après Jean Blasio, juge de Naples, il
donna ses deux sermons, sur la salutation angélique, les yeux fermés ou levés
au ciel l'air extatique.
Les nombreux
auditeurs du saint, lors de ce Carême de 1273, appartenaient à toutes les
classes sociales. Aussi ne leur adressait-il pas la parole en latin, mais en
italien.
Le texte latin
qui nous est parvenu, des sermons de saint Thomas, n'est donc pas un texte
original, mais seulement un résumé. Et il n'est pas certain que le saint les
ait écrits lui-même de sa main, ni même qu'il les ait eus sous les yeux pour y
apporter précisions et corrections.
Pourtant tous
les auteurs, qui en ont parlé (Mandonnet, Michelitisch, Grabman..., Walz) affirment
unanimement leur authenticité. Tous assurent qu'ils expriment fidèlement la
pensée du saint Docteur.
L'origine du
texte explique que l'on y trouve parfois des obscurités dans l'expression et
que l'on ne discerne pas toujours parfaitement le lien qui unit les pensées.
Les citations
de l'Ecriture sainte sont fort nombreuses et il n'est pas rare que leur rapport
avec le contexte ne paraisse pas clairement.
Pour rendre la
lecture de la traduction plus aisée et plus coulante, nous n'avons pas hésité à
supprimer
quelques-unes de ces citations, toutes les fois que leur rapport avec le
contexte n'était pas assez perceptible.
Pour la même
raison, toutes les fois où cela nous a paru nécessaire, nous avons cherché à
exprimer plus explicitement le mouvement de la pensée de saint Thomas, soit en
développant ce que dans sa concision le texte latin ne faisait que suggérer,
soit même en modifiant l'ordre matériel des propositions.
Nous avons
adopté cette façon de procéder pour entrer dans l'esprit qui préside à cette
collection et atteindre le but particulier qui lui a été assigné (cf. le
premier volume de la « Collection Docteur commun », par M. Jean
Madiran, « Les principes de la réalité naturelle », pp. 15 et suivantes).
De toute
façon, les lecteurs qui entendent le latin pourront toujours s'y référer. Les
différentes éditions ont réuni les sermons en quatre opuscules, qui ont pour
titres :
·
«
Explication du Symbole des Apôtres ou Sermons sur le « Je crois en Dieu » ;
·
« Explication
de l'Oraison dominicale ou Sermons sur le « Notre Père
·
«
Explication de la Salutation angélique ou Sermons sur le « Je vous salue Marie
» ;
·
« Sermons
sur les deux préceptes de la charité et les dix commandements de la loi.
Il n'y a pas
de plus belles prières ni de plus familières aux chrétiens que la Salutation
angélique et la prière composée par le Seigneur lui-même et appelée du nom même
du Seigneur : « Oraison dominicale ». En latin, en effet, « Seigneur »
se dit « Dominus ».
D'ailleurs,
notre sainte Mère l'Eglise, elle-même, dans le chapelet et le Rosaire, unit
sans cesse le « Notre Père » et le « Je vous salue Marie ».
Il est bien
certain que l'homme ne peut rien faire de plus grand et que rien n'est plus
nécessaire à son salut, que d'élever son âme vers Dieu, pour l'attacher à sa
Majesté.
Or, c'est par
la prière que l'homme s'élève vers le Seigneur et s'unit à lui.
Et plus sa
prière est parfaite, plus son union avec Dieu est grande.
Mais quelle
est au monde la prière la plus parfaite et la plus sanctifiante, sinon celle
que le Fils de Dieu, Dieu lui-même, a composée et nous a donnée ?
Il importe
donc souverainement de bien comprendre cette sublime prière dans toutes ses
demandes pour la faire pleinement nôtre.
Puisse la lecture attentive des explications
de saint Thomas sur l'Oraison dominicale nous aider à mieux pénétrer le sens
profond des différentes parties de cette divine prière.
Commentaire du Notre Père - Saint Thomas d'Aquin
1. - Parmi toutes les prières, l'oraison dominicale occupe manifestement
la place principale.
Elle possède en effet les cinq qualités excellentes, requises pour la
prière.
Celle-ci doit être a) confiante, b) droite, c) ordonnée, d) dévote et e)
humble.
2. - a) La prière doit être confiante, comme saint Paul l'écrit aux
Hébreux (4, 16) : Approchons-nous donc avec assurance du tr6ne de la grâce,
dit-il, afin d'obtenir miséricorde et de trouver grâce pour un secours opportun.
L'oraison doit aussi procéder d'une foi sans défaillance, d'après saint
Jacques (1, 6) : L'un de vous, déclare-t-il, manque-t-il de sagesse, qu'il la
demande à Dieu..., mais qu'il la demande avec foi, sans hésitation aucune.
Pour plusieurs raisons, le Notre Père est la prière la plus sûre, la
plus confiante.
N'est-elle pas, en effet, l'oeuvre de notre avocat, du plus sage des
orants, du possesseur de tous les trésors de la sagesse (cf. Col 2, 3), de
celui dont saint Jean a dit (1 Jean 2, 1) : Nous avons près du Père un avocat,
Jésus-Christ le Juste ? Saint Cyprien écrit dans son traité de l'oraison
dominicale : « Comme nous avons le Christ comme avocat auprès du Père pour nos
péchés, dans nos demandes de pardon pour nos fautes, présentons en notre faveur
les paroles de notre avocat. »
L'oraison dominicale nous paraît aussi une prière plus assurée d'être
exaucée que tout autre pour le motif suivant : Celui qui, avec son Père, écoute
favorablement cette prière, est le même qui nous l'a enseignée ; comme il
l'affirme au Psaume 90 (Vers. 15) : Il criera vers moi et je l'exaucerai. «
C'est faire au Seigneur une prière amie, familière et dévote, dit saint
Cyprien, que de s'adresser à lui en reprenant ses propres paroles. »
Aussi en retire-t-on toujours quelque fruit, et, selon saint Augustin,
par elle Dieu permet les péchés véniels.
3. - b) Notre prière doit, en second lieu, être droite, c'est-à-dire
qu'elle doit nous faire demander à Dieu les biens qui nous conviennent. « La
prière, dit saint Jean Damascène, est la demande à Dieu des dons qu'il convient
de solliciter.»
Fort souvent, la prière n'est pas exaucée pour avoir imploré des biens
qui ne nous conviennent pas vraiment. Vous demandez et vous ne recevez pas, dit
saint Jacques (4, 3), parce que vous demandez mal.
Il est bien difficile de savoir avec certitude ce qu'il faut demander,
car il l'est tout autant de savoir ce qu'il faut désirer.
Et il n'est permis de demander dans la prière que ce qu'il est permis de
désirer. Aussi bien l'Apôtre le reconnaît, quand il écrit aux Romains (8, 26) :
Nous ne savons pas prier comme il faut, ajoutant d'ailleurs aussitôt : mais
l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables.
Mais n'est-ce pas le Christ qui est notre docteur ?
C'est bien à lui de nous enseigner ce que nous devons demander, puisque ses
disciples lui dirent (Luc 11, 1) : Seigneur, apprenez-nous à prier.
Les biens qu'il nous a appris à demander dans la prière, il est donc
très convenable et très sage de les demander. « Si nous prions d'une manière
juste et convenable, dit saint Augustin, quels que soient les termes dont nous
usons, nous ne disons rien d'autre que ce qui est contenu dans cette Oraison
dominicale. »
4. - c) En troisième lieu, la prière doit être ordonnée et réglée, comme
le désir lui-même, dont la prière est l'interprète.
L'ordre convenable consiste en ce que nous préférions dans nos désirs et
nos prières les biens spirituels aux biens corporels, les réalités célestes aux
réalités terrestres, conformément à la recommandation du Seigneur (Mt 6, 33) : Cherchez
premièrement le royaume de Dieu et sa justice ; et le reste - le manger, le
boire et le vivre - vous seront donnés par surcroît.
Dans l'oraison dominicale, le Seigneur nous a appris à observer cet
ordre. On y demande en effet d'abord les réalités célestes et ensuite les biens
terrestres.
5. - d) La prière, en quatrième lieu, doit être fervente.
L'excellence de la dévotion, en effet, rend le sacrifice de la prière
agréable à Dieu. En votre nom, Seigneur, j'élèverai mes mains, dit le Psalmiste
(Ps. 62, 5, 6), et mon âme se gorgera, comme de moelle et de graisse.
La prolixité de la prière, le plus souvent, affaiblit la dévotion ;
aussi le Seigneur nous enseigne à éviter cette prolixité superflue. Dans vos
prières, dit-il (Mt 6, 7), ne multipliez pas les paroles, comme font les
païens. Saint Augustin écrivant à Proba, dit aussi : « Bannissez de la prière
l'abondance des paroles ; cependant ne manquez pas, si votre attention demeure
fervente, de beaucoup supplier. »
Telle est la raison pour laquelle le Seigneur institua cette brève
prière du Notre Père.
6. - La dévotion vient de la charité, qui est inséparablement amour de
Dieu et du prochain.
Cette prière du Notre Père est une manifestation de ces deux amours.
Pour montrer en effet notre amour à Dieu, nous l'appelons « Père », et pour
signifier notre amour pour le prochain, nous prions pour tous les hommes ensemble,
en disant : notre Père, et poussés par le même amour, nous ajoutons :
remettez-nous nos offenses.
7. - e) Notre oraison doit, en cinquième lieu, être humble, suivant
cette parole du Psalmiste (Ps. 101, 18) : Dieu a regardé la prière des humbles.
Une prière humble est une prière sûrement exaucée. Le Seigneur nous le
montre dans l'évangile du Pharisien et du Publicain (Luc 18,9-15). Et Judith
(9, 16), priant le Seigneur, lui disait : Vous avez toujours eu pour agréable
la supplication des humbles et des doux.
Cette humilité est pratiquée dans l'Oraison dominicale, car la véritable
humilité existe, quand quelqu'un n'attend que de la puissance divine tout ce
qu'il en doit obtenir.
8. - Il faut remarquer que la prière produit trois sortes de biens.
Premièrement, elle constitue un remède utile et efficace contre les
maux. Elle nous délivre en effet des péchés commis. Vous avez remis, Seigneur,
l'iniquité de mon péché, dit le Psalmiste (Ps. 31, 5, 6) ; c'est pourquoi tout homme
saint vous adressera sa prière. Ainsi pria le larron sur la croix et il obtint
son pardon, car Jésus lui répondit :
En vérité je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le Paradis
(Luc 23, 43). De la même manière le publicain pria, et il revint à sa demeure
justifié (cf. Luc 18, 14).
La prière nous affranchit de la crainte des péchés à venir, des
tribulations et de la tristesse.
Quelqu'un d'entre vous est-il dans la tristesse dit saint Jacques (5,
13), qu'il prie avec une âme tranquille.
La prière nous délivre aussi des persécutions et de
nos ennemis. Il est écrit en effet au Psaume 108 (vers. 4) : Au lieu de
m'aimer, on me fait du tort, mais moi, je vous adresse ma prière.
9. - Deuxièmement, la prière est un moyen utile et efficace pour la
réalisation de tous nos désirs. Tout ce que vous demanderez dans la prière, dit
Jésus (Marc, 11, 24), croyez que vous le recevrez.
Et si nous ne sommes pas exaucés, c'est ou bien parce que nous ne
demandons pas avec insistance ; il faut en effet toujours prier et ne pas se
lasser, dit le Christ Jésus (Luc 18, 1) ou bien parce que nous ne demandons pas
ce qui est le plus utile à notre salut. « Le Seigneur est bon, dit en effet
saint Augustin, souvent il ne nous accorde pas ce que nous voulons, pour nous
donner les biens que nous préférerions posséder, si notre volonté était
davantage
accordée avec la sienne. » Saint Paul en est un exemple, car par trois
fois il demanda d'être délivré d'une douleur poignante dans sa chair et il ne
fut pas exaucé (cf. 2 Co. 12,8).
10. - Troisièmement, l'oraison est utile, parce qu'elle nous rend les
familiers de Dieu. Que ma prière, disait le Psalmiste (Ps. 140, 2), demeure
devant vous, comme un encens à l'odeur pénétrante et persistante.
NOTRE PÈRE
En latin, le premier mot de l'oraison dominicale est : Pater, Père.
11. - Demandons-nous : Comment Dieu est-il Père ? Et quelles sont nos
obligations à son égard, du fait de sa paternité ?
Nous l'appelons Père à cause de la manière particulière dont il nous a
créés. Il nous créa en effet à son image et à sa ressemblance, image et
ressemblance qu'il n'imprima pas dans les autres créatures inférieures à
l'homme. Il est lui-même notre Père, dit le Deutéronome (32, 6), lui qui nous a
faits et nous a créés.
Il mérite aussi le nom de Père, à cause de sa sollicitude particulière,
envers les hommes, dans le gouvernement de l'univers. Si rien, en effet,
n'échappe à son gouvernement, celui-ci s'exerce différemment envers nous et
envers les créatures inférieures à nous. Celles-ci, il les gouverne comme des
esclaves, mais nous, il nous gouverne comme des maîtres. Ô Père, dit le livre
de la Sagesse (14, 3), votre providence régit et conduit toutes choses ; et
(Sag. 12,18)
vous disposez de nous avec beaucoup d'égards.
Dieu enfin a droit au nom de Père, parce qu'il nous
a adoptés. Tandis qu'aux autres créatures il n'a fait que de petits présents,
il nous a fait, à nous, don de son héritage, et cela parce que nous sommes ses
fils. Parce que nous sommes ses fils, dit saint Paul (Rom 8, 17), nous sommes
ses héritiers, et (verset 15) : Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude
pour retomber dans la crainte, mais vous avez reçu un esprit d'adoption, qui
nous fait crier : Abba, Père.
12. - Parce que Dieu est notre Père, nous avons envers lui une dette
quadruple.
1) Nous lui devons, en premier lieu, l'honneur. Si je suis Père, dit-il
par Malachie (1, 6), où est l'honneur qui m'est dû ?
Cet honneur consiste en trois choses : la première regarde nos devoirs
envers Dieu, la deuxième nos devoirs envers nous-mêmes, la troisième nos
devoirs envers le prochain.
L'honneur dû au Seigneur consiste, d'abord, à offrir à Dieu le don de la
louange, suivant ce qui est écrit (Ps. 49, 23) : Le sacrifice de la louange
m'honorera. Cette louange doit se trouver non seulement sur les lèvres, mais
aussi dans le coeur. Il est dit en effet dans Isaïe (29, 13) : Ce peuple
m'honore des lèvres, mais son coeur est loin de moi.
L'honneur dû à Dieu consiste, deuxièmement, dans la pureté de notre
corps, car l'Apôtre écrit (l Co 6, 20) : Glorifiez et portez Dieu dans votre
corps.
Il consiste, enfin, cet honneur, dans l'équité de nos jugements sur le
prochain. Le Psaume 98 (Vers. 4) dit en effet : L'honneur du roi aime la
justice.
13. - 2) Nous devons, en second lieu, imiter Dieu,
parce qu'il est notre Père. Vous m'appellerez. Père, dit le Seigneur en Jérémie
(3, 9), et vous ne cesserez de marcher après moi.
L'imitation de Dieu, pour être parfaite, requiert trois choses.
La première est l'amour. Soyez, dit saint Paul (Eph 5, 1-2), des
imitateurs de Dieu, tels des enfants bien-aimés, et marchez dans l'amour. Et
cet amour doit se trouver dans notre coeur.
La seconde, c'est la miséricorde. L'amour doit en effet s'accompagner de
miséricorde, suivant cette recommandation de Jésus (Luc 6, 36) : Soyez
miséricordieux. Et cette miséricorde doit se montrer par les oeuvres.
L'imitation de Dieu requiert troisièmement la perfection, parce que
dilection et perfection doivent être parfaites. C'est en effet après avoir
parlé des dispositions et des oeuvres serviles que le Seigneur a dit dans le
sermon sur la Montagne (Mt, 5, 48) : Soyez parfaits comme votre Père céleste
est parfait.
14. - 3) Nous devons, en troisième lieu, l'obéissance à notre Père. Nos
pères selon la chair, dit saint Paul (Hebr 12, 9), nous ont corrigés et nous
les respections ; à combien plus forte raison devons-nous nous soumettre au
Père des esprits.
L'obéissance est due au Père céleste à cause de son souverain domaine ;
il est en effet le Seigneur par excellence.
Aussi les Hébreux au pied du Sinaï déclarèrent-ils à Moïse (Ex 24, 7) :
Tout ce qu'à dit le Seigneur nous le mettrons en pratique et nous obéirons.
Notre obéissance est fondée ensuite sur l'exemple du Christ. Lui, le
vrai Fils de dieu, dit saint Paul (Phil 2, 8) s'est fait obéissant à son Père
jusqu'à la mort.
Le troisième motif de notre obéissance est enfin notre intérêt. David,
en effet, dit de Dieu (2 Rois 6, 21) : Je jouerai devant le Seigneur qui m'a
choisi.
15. - 4) En quatrième lieu, et toujours parce que Dieu est notre père,
nous lui devons d'être patients, quand il nous châtie. Mon fils, disent les
Proverbes (3, 11-12), ne rejette pas la correction du Seigneur ; ne faiblis
pas, quand il te corrige. Le Seigneur en effet châtie celui qu'il aime et il se
complait en lui, comme un Père en son fils.
16. - Le Seigneur nous prescrit de dire à son Père,
dans l'Oraison dominicale, non pas « Père », mais « Notre Père ». Ce faisant,
il nous montre quels sont nos devoirs envers nos proches.
A nos proches, nous devons, premièrement, l'amour, parce qu'ils sont nos
frères ; tous, en effet, sont fils de Dieu.
Qui n'aime pas son frère qu'il voit, dit saint Jean (1 Jean 4, 20),
comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voit pas ?
En second lieu, nous devons à nos semblables le respect. N'avons-nous
pas tous un Père unique, dit Malachie (2, 10). N'est-ce pas un seul Dieu qui
nous a créés ? Pourquoi donc chacun de vous méprise-t-il son frère ? Et saint Paul
écrit aux Romains (12,10) : Prévenez-vous d'honneur les uns les autres.
L'accomplissement de ce double devoir nous procure
un avantage très désirable, puisque le Christ, dit saint Paul (Heb 5, 9), est
devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel.
17. - Parmi les dispositions nécessaires à celui qui prie, la confiance
a une importance considérable. Que celui qui fait une demande à Dieu, dit en
effet saint Jacques (1, 6), la lui adresse avec foi, sans hésitation aucune.
Le Seigneur, au début de l'oraison qu'il nous à enseignée, expose les
motifs qui font naître la confiance.
C'est d'abord la bienveillance du Père. Aussi le Seigneur dit-il : Notre
Père. Si vous, dit le même Seigneur (Luc 11, 13), tout mauvais que vous êtes,
savez donner à vos fils de bonnes choses, combien plus votre Père céleste vous donnera
du haut du ciel, à vous qui le lui demandez, son bon Esprit.
Un autre motif de confiance, c'est la grandeur de
la puissance du Père ; ce qui fait dire au Seigneur, non pas simplement : Notre
Père, mais : Notre Père, qui êtes dans les cieux. Le psal-miste dit de même à
Dieu (Ps. 122, 1) : J'ai élevé mes yeux vers vous, qui habitez dans les cieux.
18. - Le Seigneur a employé l'expression « qui êtes dans les cieux »
pour trois raisons différentes.
En premier lieu, cette expression a pour objet de nous préparer à la
prière, comme nous le commande l'Ecclésiastique (18, 2-3) : Avant la prière,
prépare ton âme. Assurément la pensée que notre Père est dans les cieux,
c'est-à-dire dans la gloire céleste, nous prépare à lui adresse nos demandes.
Dans la promesse du Seigneur à ses Apôtres (Mt 5, 12) : votre récompense
sera grande dans les Cieux, l'expression « dans les cieux » a également le sens
de « dans la gloire céleste ».
La préparation à la prière se réalise par l'imitation des réalités
célestes car le, fils doit imiter son père. Aussi saint Paul écrit-il aux
Corinthiens (1 Co 15, 49) : Comme nous avons revêtu l'image de l'homme
terrestre, il nous faut aussi revêtir l'image de l'homme céleste.
La préparation à la prière requiert aussi la contemplation des choses
célestes. Les hommes en effet ont coutume de diriger leur pensée plus
fréquemment vers le lieu où est leur père et ou se trouvent les autres êtres,
objet de leur amour, suivant cette parole du Seigneur (Mt 6, 21) : Là où est
ton trésor, là est aussi ton coeur. C'est pourquoi l'Apôtre écrivait aux
Philippiens (l, 20) : Notre demeure à nous est dans les cieux.
La préparation à la prière réclame enfin que nous aspirions aux choses
célestes. A celui qui est dans les cieux en effet, nous ne devons demander que
les choses célestes, suivant ces paroles de saint Paul (Col 3, 1) : Cherchez
les choses d'en haut, là ou est le Christ.
19. - En second lieu, les paroles : Notre Père, qui êtes aux cieux
peuvent se rapporter à la facilité de Dieu à entendre notre prière, du fait de
sa proximité par rapport à nous. Ces paroles « Notre Père qui êtes aux cieux »
signifie alors : notre Père qui êtes dans les saints ; Dieu en effet habite en
eux. Jérémie le dit au Seigneur (14, 9) : Seigneur, vous êtes en nous. Les
saints sont effectivement appelés cieux, d'après ces paroles du Psaume 18
(Vers. 2) : Les cieux racontent la gloire de Dieu.
Or Dieu habite dans les saints par la foi. Saint Paul écrit en effet aux
Ephésiens (3, 17) : Que le Christ habite dans vos coeurs par la foi. Il habite
également dans les saints par la charité. Celui en effet qui demeure dans la
charité, dit saint Jean (1 Jean 4, 16), demeure en Dieu et Dieu en lui.
Dieu demeure aussi dans les saints, par l'accomplissement des
commandements. Si quelqu'un m'aime, déclare le Seigneur (Jn 14, 23), il gardera
ma parole, et nous viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure.
20. - En troisième lieu, les paroles : « qui êtes aux cieux » peuvent se
rapporter à la toute puissance du Père pour nous exaucer. Dans ce cas, le mot
cieux désigne les cieux matériels et visibles ; non que nous voulions signifier
que Dieu y soit renfermé, car il est écrit (2 Rois, 18, 27) : Voici que les
cieux et les cieux des cieux ne peuvent vous contenir ; mais ces paroles: « qui
êtes dans les cieux » montrent :
a) que Dieu, par son regard, est clairvoyant et pénétrant, parce qu'il
voit de très haut. Il a regardé de sa sainte hauteur, dit le Psaume 101 (Vers.
20) ;
b) qu'il est sublime dans son pouvoir, selon cette parole (Ps. 102, 19)
: Le Seigneur a disposé son trône dans les cieux ;
c) qu'il est stable dans son éternité, selon ces autres paroles (Ps.
101, 13 et 28) : Seigneur, vous demeurez éternellement et vos années n'ont pas
de fin. C'est pourquoi il est dit du Christ (Ps. 88, 30) : Son trône est comme
le jour du ciel, c'est-à-dire sans fin, comme la durée de ce qui est céleste.
Et le Philosophe vient confirmer de son autorité la justesse de cette
comparaison, lorsqu'il remarque dans son traité « Du ciel » : « C'est à cause
de son incorruptibilité que le ciel a été regardé par tous comme étant la
demeure des purs esprits ».
21. - Ces paroles, adressées à notre Père : Qui êtes dans les cieux nous
donnent, au moment de la prière, un triple motif de confiance, confiance qui
repose :
• a. sur sa puissance,
• b. sur l'amitié de ce Dieu, que nous invoquons et
• c. sur la convenance de notre demande.
a) La puissance du Père que nous implorons nous est suggérée par
l'expression : Qui êtes dans les cieux, si, par les cieux, nous entendons les
cieux matériels et visibles. Sans doute Dieu n'est pas renfermé dans ces cieux
matériels ; il le dit en Jérémie (23, 24) : Je remplis le ciel et la terre. On
dit toutefois : « il est dans les cieux », pour insinuer et la vertu de sa
puissance et la sublimité de sa nature.
22. - Contre ceux qui affirment : tout arrive nécessairement par
l'influence des corps célestes, si bien qu'il est inutile de demander quoi que
ce soit à Dieu par la prière, - quelle sottise ! - nous disons à Dieu : « qui
êtes dans les cieux » et vous y êtes, par la vertu de votre puissance, comme le
Maître de ces mêmes cieux et des étoiles, suivant cette parole (Ps. 102, 19) Le
Seigneur a préparé son trône dans le ciel.
23. - C'est également contre ceux qui dans leurs prières se construisent
et se composent des images corporelles de Dieu et à leur intention, que nous
disons : Qui êtes dans les cieux. De la sorte, 'par ce qu'il y a de plus élevé
dans les choses sensibles, nous leur montrons la sublimité de Dieu, surpassant
tellement toutes choses, y compris le désir et l'intelligence des hommes, que
tout ce que l'on peut penser et désirer est inférieur à Dieu. C'est pourquoi il
est dit dans Job (32, 26) : Dieu est grand et dépasse notre science, et le
Psalmiste écrit (Ps. 112, 4) : Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les
nations, et Isaïe déclare (40, 18) : A qui avez-vous égalé Dieu ?
24. - b) Plusieurs ont prétendu que Dieu, à cause de son élévation, ne
prend pas soin des choses humaines. Il faut au contraire penser qu'il est
proche de nous, bien plus, qu'il est présent intimement en nous. Cette
familiarité de Dieu avec l'homme nous est signifiée par ces paroles de l'Oraison
dominicale : vous, qui êtes dans.les cieux, à condition de l'entendre ainsi :
vous, qui êtes dans les saints. Les saints en effet sont des cieux, d'après
cette parole du Psaume 18 (Vers. 2) : Les cieux racontent la gloire de Dieu. Il
est dit aussi en Jérémie (14, 9) : Vous êtes en nous, Seigneur.
25. - Cette intimité de Dieu avec les hommes nous inspire deux motifs de
confiance quand nous prions le Seigneur.
Le premier s'appuie sur cette proximité divine, que le Psalmiste montre
par ces paroles (Ps. 144, 18) : Le Seigneur est proche de ceux qui l'invoquent.
C'est pourquoi le Seigneur nous donne cet avertissement (Mt 6, 6) : Pour vous, quand
vous priez, entrez dans votre chambre, c'est-à-dire, dans l'intérieur de voire
coeur.
Le deuxième motif de confiance repose sur le
patronage des saints, par l'intercession desquels nous pouvons obtenir ce que
nous demandons. Job (5, 1) dit en effet : adressez-vous à quelqu'un des saints,
et saint Jacques (5, 16) : Priez les uns pour les autres, afin d'être sauvés.
26. - c) Si, en disant au Père céleste : vous, qui
êtes dans les cieux, nous pensons que les cieux désignent les biens spirituels
et éternels, objet de la béatitude, alors notre désir des choses célestes
s'enflamme. Notre désir doit en effet tendre là où est notre Père, car là aussi
est notre héritage. Saint Paul dit aux fidèles : Cherchez les biens d'en haut
(Col 3, 1) et saint Pierre (1 Pierre 1, 4) nous parle de cet héritage
incorruptible qui nous est réservé dans les cieux.
La pensée que le Père est notre Bien spirituel éternel, l'objet de notre
béatitude, nous invite avec force à mener une vie céleste, afin que nous lui
devenions conformes. Tel est le céleste, tels aussi seront les célestes,
déclare en effet l'Apôtre (l Co 15, 48).
Ces deux choses, - le désir de la béatitude du ciel, et une vie céleste,
- nous disposent incontestablement à bien prier le Seigneur et à lui adresser
une oraison digne de sa Majesté.
27. - Telle est la première demande. Elle nous fait prier le Père
céleste que son nom soit en nous manifesté et par nous proclamé.
Or le nom de Dieu est, tout d'abord, admirable, parce qu'en toutes
créatures il opère des oeuvres merveilleuses.
C'est pourquoi le Seigneur déclare dans l'Evangile (Mc 16, 17) : En mon
nom, ils expulseront les démons, ils parleront des langues nouvelles, et s'ils
boivent quelque poison mortel, il ne leur fera aucun mal.
28. - En second lieu, le nom de Dieu est aimable. Il n'est sous le ciel,
dit saint Pierre (Act 4, 12), aucun autre nom, parmi ceux qui ont été donnés
aux hommes, qui puisse nous sauver. Or, tous se doivent d'aimer le salut ; et
saint Ignace nous offre un exemple de cet amour. Il aima si ardemment le nom du
Christ que, l'empereur Trajan l'ayant sommé de renier ce nom, il répondit : «
Vous ne pourrez pas l'ôter de ma bouche ». Le tyran le menaça alors de lui trancher
la tête et de retirer de la sorte le Christ de ses lèvres. « Si vous l'enlevez
de ma bouche, réplique le bienheureux, vous ne pourrez jamais l'arracher de mon
coeur ; j'ai en effet son nom gravé sur mon coeur ; c'est pourquoi je ne puis
pas cesser de l'invoquer ». Trajan entendit ces paroles et, désireux d'en
vérifier l'exactitude, il fit trancher la tête du serviteur de Dieu, puis il
ordonna d'extraire son coeur et sur ce coeur on trouva le nom du Christ gravé
en lettres d'or. Le Saint, en effet, avait placé ce nom sur son coeur, comme un
sceau.
29. - En troisième lieu, le nom de Dieu est vénérable. L'Apôtre affirme
en effet (Phil 2, 10) : Qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la
terre et dans les enfers : au ciel, dans le monde des Anges et des Bienheureux,
sur la terre, chez les hommes vivant ici-bas, soit qu'ils désirent acquérir la
gloire céleste, soit qu'ils craignent un châtiment et veuillent l'éviter, et
dans les enfers, dans le monde des damnés, qui, eux, se prosternent avec effroi
devant Jésus-Christ.
30. - En quatrième lieu, le nom de Dieu est inexprimable, en ce sens
qu'aucune langue n'est capable d'en exprimer toute la richesse.
On tente cependant de le faire à l'aide des créatures. Ainsi donne-t-on
à Dieu le nom de rocher, en raison de sa fermeté. Et notons que si le Seigneur
donna à Simon, futur fondement de l'Eglise, le nom de Pierre (Mc 3, 16), c'est précisément
parce que sa foi en la divinité de Jésus (cf. Mt 16, 18) devait le faire
participer à sa divine fermeté.
On désigne Dieu par le nom de feu, en raison de sa vertu purificatrice ;
de même en effet que le feu purifie les métaux, Dieu purifie le coeur des
pécheurs. C'est pourquoi il est dit dans le Deutéronome (4, 24) : Votre Dieu
est un feu consumant.
On appelle encore Dieu : lumière, à cause de la faculté qu'il possède
d'illuminer ; comme la lumière en effet éclaire les ténèbres, ainsi Dieu
illumine les ténèbres de l'esprit. Aussi le Psalmiste dans sa prière dit au
Seigneur (Ps. 17, 29) : Mon Dieu, illuminez mes ténèbres.
31. - Nous demandons donc que ce nom de Dieu soit
manifesté, qu'il soit connu et tenu pour saint.
Le mot Saint a trois significations.
Saint, d'abord, veut dire ferme, solide, inébranlable. Ainsi tous les
Bienheureux qui habitent le ciel sont appelés saints, parce qu'ils sont, par la
félicité éternelle, rendus inébranlables. En ce sens, il n'y a pas en ce monde
de saints ; les hommes en effet y sont continuellement mobiles. « Seigneur,
disait saint Augustin, je me suis éloigné de vous et j'ai beaucoup erré ; je me
suis éloigné de votre stabilité ».
32. - Saint, en deuxième lieu, signifie ce qui n'est pas terrestre.
C'est pourquoi les saints, qui vivent dans le ciel, n'ont aucune affection pour
les choses terrestres. Je ne vois en tout qu'immondices, disait saint Paul
(Phil 3, 8), afin de gagner le Christ.
Par le mot terre, on désigne les pécheurs. Premièrement, parce que la
terre fait germer. Si on ne la cultive pas, des épines et des chardons, comme
il est écrit dans la Genèse (3, 18) ; il en va de même de l'âme du pécheur ; si
elle n'est pas cultivée par la grâce, elle ne produit que les chardons et les
épines des péchés.
En second lieu, la terre désigne les pécheurs à cause de son obscurité
naturelle et de son opacité, symbole de l'âme ténébreuse et opaque des
pécheurs. Il est dit en effet dans la Genèse (1, 2) : Les ténèbres couvraient
la face de l'abîme.
En troisième lieu, la terre est l'image des pécheurs, parce que, si elle
n'est pas agglutinée par de l'eau, elle se divise et se désagrège, elle se
pulvérise et devient sèche ; car le Seigneur a établi la terre sur les eaux,
d'après les paroles du Psalmiste (Ps. 135, 6) : Dieu a affermi la terre sur
l'eau. Ainsi l'humidité de l'eau remédie à l'aridité et à la sécheresse de la
terre. De même le pécheur, privé de la grâce, n'a plus qu'une âme sèche et
aride, ainsi que le constatait l'auteur du Psaume 142 (Vers. 6) : Mon âme,
dit-il, est une terre sans eau.
33. - Enfin, troisièmement, saint signifie « teint de sang ». Aussi les
saints qui sont dans le ciel sont appelés saints, parce qu'ils sont teints de
sang, suivant ces paroles de l'Apocalypse (7, 14) : Ceux-là qui sont revêtus de
robes blanches sont ceux qui viennent de la grande tribulation et qui ont lavé
leurs vêtements dans le sang de ['Agneau.
De ces bienheureux il est dit également (Apoc 1, 5) : Jésus, qui nous a
aimés, nous a lavés de nos péchés par son sang.
34. - Comme il a été dit, l'Esprit-Saint nous fait droitement aimer,
désirer et demander ce qu'il convient d'aimer, de désirer, de demander (n° 3).
Cet Esprit produit en nous d'abord la crainte, qui nous porte à
rechercher la sanctification du nom de Dieu.
Il nous accorde ensuite un autre don : le don de piété. La piété est
proprement une affection tendre et dévouée pour un père et aussi pour tout
homme plongé dans la misère.
Comme Dieu est bien notre Père, nous devons donc non seulement le
vénérer et le craindre, mais aussi nourrir pour lui une affection tendre et
délicate. C'est cette affection qui nous fait demander l'avènement du règne de
Dieu. La grâce de Dieu est apparue…, déclare saint Paul (Tit 11,
11-13), nous enseignant à vivre avec modération, justice et piété dans le temps
présent, dans l'attente de la bienheureuse espérance et de l'apparition
glorieuse de notre grand Dieu.
35. - Mais on pourrait se poser la question : Le règne de Dieu a
toujours existé, pourquoi donc demandons-nous son avènement ?
Il faut répondre : cette demande : Que votre règne arrive peut
s'entendre de trois manières. a) En premier lieu, le règne de Dieu, sous sa
forme achevée, suppose la parfaite soumission de toutes choses à Dieu.
Il arrive parfois qu'un roi ne possède que le droit
de régner et de commander ; et cependant il ne semble pas encore être roi
effectivement, parce que ses sujets ne lui sont pas encore soumis. Il
n'apparaîtra vraiment roi et seigneur, que le jour où les sujets de son royaume
lui obéiront.
Sans aucun doute Dieu, par lui-même et par tout ce qu'il est, est Maître
de l'univers ; et le Christ, du fait qu'il est Dieu, et même en tant qu'homme,
tient de Dieu d'être, lui aussi, le Seigneur de toutes choses. L'Ancien des
jours, est-il dit dans Daniel (7, 14), lui a donné la puissance, l'honneur et
la royauté. Il faut donc que tout lui soit soumis.
Mais il n'en est pas encore ainsi ; cela se réalisera à la fin du monde.
Il est écrit en effet (l Co 15, 25) : Il faut qu'il déploie son règne, jusqu'à
ce qu'il ait placé tous ses ennemis sous ses pieds. Voilà pourquoi nous
demandons et nous disons : Que votre règne arrive.
36. - Et ce faisant, nous demandons trois choses, à savoir :
• Que les justes se convertissent,
• Que les pécheurs soient punis et
• Que la mort soit détruite.
Les hommes sont soumis au Christ de deux manières. Ils le sont, ou bien
volontairement, ou bien contre leur gré. La volonté de Dieu possède en effet
une efficacité telle, qu'elle ne peut pas ne pas s'accomplir totalement. Et
puisque Dieu veut que toutes choses soient soumises au Christ, il faudra
nécessairement, ou que l'homme accomplisse la volonté de Dieu, en se soumettant
à ses commandements - ce que font les justes - ou que Dieu réalise sa volonté sur
tous ceux qui lui désobéissent, c'est-à-dire sur les pécheurs et sur ses
ennemis, en les punissant. Et cela aura lieu à la fin du monde, quand il
placera tous ses ennemis sous ses pieds (cf. Ps. 109, 1). Et c'est pourquoi il
est donné aux saints de demander à Dieu la venue de son règne, c'est-à-dire
leur totale soumission à sa royauté. Mais pour les pécheurs, la demande de la
venue du règne de Dieu est propre à faire frémir, puisque c'est la demande de leur
soumission aux supplices, requis par le vouloir divin. Malheur à ceux (des
pécheurs) qui désirent le jour du Seigneur, dit Amos (5, 18).
L'arrivée du règne de Dieu, à la fin des temps, sera aussi la
destruction de la mort. Le Christ en effet est la vie ; aussi la mort - qui est
contraire à la vie - ne peut exister dans son royaume, conformément à cette
parole (1 Co 15, 26) : La mort, son ennemie, sera détruite en dernier lieu,
c'est-à-dire, lors de la résurrection, lorsque, suivant la parole de saint Paul
(Phil 3, 21), le Sauveur transformera notre corps de misère pour le rendre
semblable à son corps de gloire.
37. - b) En second lieu, le règne des cieux désigne la gloire du
paradis.
Il n'y a là rien d'étonnant ; car règne ne signifie rien d'autre que
gouvernement. Un gouvernement atteint son plus haut point d'excellence, lorsque
rien ne vient plus faire obstacle à la volonté de celui qui gouverne.
Or la volonté de Dieu est le salut des hommes, car
Dieu veut les sauver tous (cf. 1 Tim 2, 4). Cette volonté divine s'accomplira
surtout dans le paradis, où il n'y aura rien de contraire au salut des hommes ;
car, dit le Seigneur (Mt 13, 41), les Anges mettront hors de son royaume tous
les scandales. Dans ce monde, au contraire, abondent les obstacles au salut des
hommes.
Quand donc nous demandons à Dieu : Que votre règne
arrive, nous le prions de nous faire triompher de ces obstacles pour nous
donner part à son royaume céleste et à la gloire du paradis.
38. - Trois motifs rendent ce royaume extrêmement désirable.
Le premier est la souveraine justice qui y règne. Parlant du peuple qui
habite ce royaume, le Seigneur déclare en Isaïe (60, 21) qu'il ne sera composé
que de justes. Ici-bas les méchants sont mélangés aux bons, mais là-haut il n'y
aura aucun méchant et aucun pécheur.
39. - Le deuxième motif qui rend ce royaume désirable, est la très
parfaite liberté (lui y est le partage de tous les élus.
Ici-bas tous désirent la liberté sans la posséder pleinement ; mais au
ciel on jouit d'une liberté pleine et entière, sans la plus petite servitude.
La création elle-même, dit saint Paul (Rom 8, 21), sera (alors) affranchie de
l'esclavage de la corruption, pour connaître la glorieuse liberté des enfants
de Dieu.
Et non seulement tous les élus possèderont la liberté, mais ils seront
rois, selon cette parole de l'Apocalypse (5, 10), adressée à Jésus : De ceux
que vous avez rachetés, vous avez fait pour notre Dieu un royaume et des
prêtres, et ils règneront sur la terre.
Ils seront tous rois, parce qu'ils auront, avec Dieu, une seule volonté
; Dieu voudra tout ce que les saints voudront et les saints voudront tout ce
que Dieu aura voulu. Ils règneront donc tous, parce que la volonté de tous se
fera, et Dieu sera leur couronne à tous, selon cette parole d'Isaïe (28, 5) :
En ce jour le Seigneur des armées sera pour le reste de son peuple une couronne
de gloire et un diadème de joie.
40. - En troisième lieu, le royaume des cieux est on ne peut plus
désirable, à cause de la merveilleuse abondance de ses biens. L'oeil n'a pas
vu, dit Isaïe au Seigneur (64, 4), hormis vous seul, ce que vous avez préparé à
ceux qui vous attendent. Dieu, dit de son côté le Psalmiste (Ps. 102, 5), vous
comblera de biens selon votre désir.
Et il faut remarquer ceci : L'homme trouvera « en Dieu seul » tout,
beaucoup plus excellemment et plus parfaitement que tout ce qu'il cherche « en
ce monde ».
Si vous cherchez la délectation, vous trouverez, en Dieu, la délectation
suprême. Si vous cherchez les richesses, en Dieu, vous trouverez surabondamment
tout ce dont vous aurez besoin et tout ce qui est la raison d'être des richesses.
Et il en est de même pour les autres biens. « L'âme, qui commet cette
fornication de s'éloigner de vous pour rechercher hors de vous des biens, ne
trouve ces biens dans toute leur pureté et limpidité, que si elle revient à vous
», reconnaissait saint Augustin dans ses Confessions.
41. - c) Le troisième motif de demander à Dieu la venue de son règne,
c'est que parfois le péché règne et triomphe en ce monde.
Contre cette calamité, saint Paul s'élevait.
Que le péché, disait-il aux Romains (6, 12), ne règne pas dans votre
coeur.
Ce malheur arrive, lorsque l'homme est ainsi disposé qu'il suit aussitôt
sans résistance et jusqu'au bout son inclination au péché.
Dieu doit régner dans notre coeur et il y règne effectivement lorsque
nous sommes prêts à lui obéir et à observer tous ses commandements.
Quand donc nous demandons la venue du règne de Dieu, nous demandons que
ne règne plus en nous le péché, mais Dieu seul et pour toujours.
42. - Par cette demande de la venue du règne de Dieu, nous parviendrons
à la béatitude proclamée par le Seigneur (Mt 5, 4) : Bienheureux.les doux.
En effet, d'après la première explication du « Que votre règne arrive »
(n°
D'après la deuxième explication (n° 37), si vous attendez ce règne de
Dieu, c'est-à-dire la gloire du paradis, vous ne devez pas, perdant les biens
de ce monde, vous laisser aller à l'inquiétude.
De même, si dans la ligne de la troisième explication (n° 41), vous
demandez que règnent en vous Dieu et son Christ, comme Jésus fut très doux,
ainsi qu'il le dit lui-même (Mt 11, 29), vous devez, vous aussi, être doux et
imiter les Hébreux dont saint Paul a dit (He 10, 34) : Ils acceptèrent
joyeusement d'être dépouillés de leurs biens.
43. - L'Esprit-Saint produit en nous un troisième don, appelé le don de
science.
L'Esprit-Saint lui-même, en effet, ne produit pas seulement dans les
bons le don de crainte et de piété, qui est, comme nous l'avons vu précédemment
(n° 34), un amour délicat pour Dieu; il rend aussi l'homme sage.
David demandait le don de la science par ces paroles (Ps. 118, 66) :
Seigneur, enseignez-moi la bonté, la sagesse et la science. Et c'est effectivement
cette science du bien vivre que le Saint-Esprit nous a enseignée.
Parmi les dispositions qui contribuent à la science et à la sagesse de
l'homme, la plus importante est cette sagesse qui porte l'homme à ne pas
s'appuyer sur son propre sens. Ne /Jo us reposez pas sur votre prudence, est-il
recommandé dans les Proverbes (3, 5). Ceux en effet qui présument de leur
propre jugement, au point de ne se fier qu'à eux-mêmes, et non aux autres, sont
considérés comme des insensés, et ils le sont véritablement. Avez-vous vu un
homme sage à ses propres yeux, déclarent les Proverbes (26, 12), il faut plus
espérer d'un insensé que de lui.
Si un homme ne se fie pas à son propre jugement, il le doit à son
humilité, car les Proverbes (11, 2) enseignent que là où se trouve l'humilité,
se rencontre aussi la sagesse. Les orgueilleux, au contraire, ont en eux une
confiance exagérée.
44. - Le Saint-Esprit nous enseigne donc, par le don de science, à ne
pas faire notre volonté, mais la volonté de Dieu. Par ce don, en effet, nous
demandons à Dieu que sa volonté se fasse sur la terre comme au ciel. Et en ceci
se manifeste le don de science.
Quand nous disons à Dieu : Que votre volonté soit
faite, il en est de nous comme d'un malade, qui accepte quelque remède amer,
prescrit par son médecin ; il ne le veut pas absolument, mais dans la mesure où
le médecin le veut ; autrement, s'il le voulait de sa seule volonté, il serait
un insensé. Nous de même, nous ne devons rien demander à Dieu, si ce n'est la
réalisation de ses vouloirs sur nous, c'est-à-dire l'accomplissement de sa
volonté en nous.
Le coeur de l'homme, en effet, est droit, dès lors qu'il s'accorde avec
la volonté divine. Le Christ, lui, a réalisé cet accord entre sa volonté et la
volonté divine. Je suis descendu du ciel, dit-il (Jn 6, 38), non pour faire ma
volonté, mais pour accomplir la volonté de celui qui m'a envoyé. Le Christ, en
effet, n'a, en tant que Dieu, qu'une seule et même volonté avec son Père ; mais, en tant qu'homme, il a une volonté
distincte de celle de son Père. C'est en parlant de cette volonté-ci, qu'il
avait déclaré : Je ne fais pas ma volonté, mais celle de mon Père. Et c'est
aussi pourquoi il nous apprend à prier et à demander : Que votre volonté soit
faite.
45. - Mais quelle est la raison d'être de cette prière : Que votre
volonté soit faite ?
N'est-il pas dit de Dieu au Psaume 113 (Vers. 3) : Tout ce qu'il veut,
il l'accomplit ? Si Dieu fait tout ce qu'il veut, au ciel et sur la terre,
pourquoi Jésus dit-il : Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel
?
46. - Pour comprendre l'à-propos de cette demande, il faut savoir que
Dieu veut pour nous trois choses, dont notre prière demande la réalisation.
a) En premier lieu, Dieu veut pour nous la possession de la vie
éternelle.
Quiconque en effet accomplit quelque chose pour une fin déterminée, veut
que cette chose atteigne la fin pour laquelle il l'accomplit. Or Dieu fit
l'homme, mais non pas sans dessein. Il est écrit, en effet (Ps. 88, 48) :
Serait-ce pour rien, Seigneur, que vous avez créé tous les enfants des hommes ?
Dieu créa donc les hommes pour une fin.
Cette fin, ce ne sont pas les voluptés, car les animaux, eux aussi, en
jouissent, mais c'est la possession de la vie éternelle (cf. Jn 3, 16 ; 10,
10).
La volonté de Dieu pour l'homme est donc qu'il entre en possession de la
vie éternelle.
47. - Quand une chose atteint ce pourquoi elle a été faite, on dit
d'elle qu'elle est sauve ; lorsqu'elle ne l'atteint pas, on dit d'elle qu'elle
est perdue.
Or, l'homme a été fait par Dieu pour la vie éternelle. Lors donc qu'il y
parvient, il est sauvé ; et telle est la volonté du Seigneur sur lui. C'est la
volonté de mon Père qui m'a envoyé, dit Jésus (Jn 6, 40), que quiconque voit le
Fils et croit en lui, possède la vie éternelle.
Cette volonté est déjà accomplie dans les Anges et dans les Saints, qui
vivent dans la patrie céleste, car ils voient Dieu, le connaissent et jouissent
de lui.
Mais nous, nous désirons que, comme la volonté divine s'est accomplie
dans les Bienheureux qui sont au ciel, elle s'accomplisse aussi en nous, qui
sommes sur la terre. Et notre désir, nous en demandons la réalisation au Père céleste
par cette prière : Que votre volonté soit faite en nous, qui sommes sur la
terre, comme elle est faite dans les Saints, qui sont au ciel.
48. - b) En second lieu, la volonté de Dieu à notre égard est que nous
observions ses commandements.
Quelqu'un en effet désire-t-il un bien, non seulement il veut ce bien,
objet de son désir, mais il veut aussi tous les moyens nécessaires à son
obtention. Ainsi le médecin, pour obtenir au malade la santé, veut pour lui la
diète, les remèdes et autres choses de ce genre.
Or Dieu veut 'pour nous la possession de la vie éternelle.
Au jeune homme qui lui demande (Mt 19, 17) : Que dois-je faire de bon
pour avoir en héritage la vie éternelle ?
Jésus répond : Si tu veux entrer dans la vie éternelle, garde les
commandements.
Saint Paul écrit à ce propos (Rom 12, 1-2) : Que votre obéissance soit
spirituelle ; puissiez-vous expérimenter quelle est la volonté de Dieu, bonne,
agréable et parfaite.
Bonne, cette volonté de Dieu, elle l'est, puisqu'elle est utile. Moi, le
Seigneur, dit Dieu (Is 48, 17), je vous apprends des choses utiles.
Agréable, la volonté divine l'est à celui qui aime ; et si elle est
rebutante pour celui qui n'aime pas, pour ses amants, du moins, elle est
délectable. La lumière s'est levée pour le juste, dit le Psalmiste (Ps. 96,
11), la joie pour les coeurs droits.
La volonté de Dieu est aussi parfaite, parce qu'elle est d'une bonté
supérieure à tout. Soyez parfaits, prescrivait Jésus aux foules (Mt 5, 48),
comme votre Père céleste est parfait.
Ainsi donc quand nous disons : Que votre volonté soit faite, nous
demandons la grâce d'observer les commandements de Dieu.
Or, cette volonté de Dieu est accomplie dans les justes, mais elle ne
l'est pas encore dans les pécheurs. Les justes sont désignés par le ciel, les
pécheurs par la terre.
Nous demandons donc que la volonté de Dieu soit faite sur la terre,
c'est-à-dire dans les pécheurs, comme elle est accomplie au ciel, dans les
justes.
49. - Il faut remarquer ceci : Jésus, par la manière même dont il a
formulé la troisième demande du « Notre Père », nous donne un enseignement.
En effet, il ne nous fait pas dire à notre Père : « faites votre volonté
», ni non plus : « que nous fassions votre volonté » ; mais il nous fait dire :
Que votre volonté soit faite.
Deux choses en effet sont nécessaires pour parvenir à la vie éternelle ;
à savoir la grâce de Dieu et la volonté de l'homme.
Et, bien que Dieu ait fait l'homme sans l'appeler à coopérer avec lui,
cependant il ne le justifie pas sans sa coopération. « Celui qui t'a créé sans
toi, ne te justifiera pas sans toi », dit saint Augustin, dans son Commentaire
sur saint Jean. Dieu, en effet, veut cette coopération de l'homme. Il dit en
Zacharie (1, 3) : Convertissez-vous à moi et je me convertirai à vous. Et saint
Paul écrit (1 Co 15, 10) : C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je
suis, et sa grâce n'a pas été inactive en moi.
Ne présumez donc pas de vous-même, mais confiez-vous en la grâce de
Dieu, ne renoncez pas à votre effort, mais apportez votre collaboration.
C'est pourquoi Jésus ne nous fait pas dire : « Que nous fassions votre
volonté », autrement il semblerait que la grâce de Dieu n'a rien à faire. Et il
ne nous prescrit pas non plus de dire : « Faites votre volonté », sinon il
semblerait que notre volonté et notre effort ne servent à rien.
Mais Jésus nous fait dire : Que la volonté de Dieu soit faite, par la
grâce de Dieu, à laquelle nous joignons notre travail et notre effort.
50. - c) En troisième lieu, Dieu veut de nous que nous soyons rétablis
dans l'état et la dignité dans lesquels le premier homme fut créé, dignité et
état si élevés que son esprit et son âme ne ressentaient aucune opposition de
la part de la chair et de la sensualité.
Aussi longtemps que l'âme fut soumise à Dieu, la
chair fut soumise à l'esprit si parfaitement qu'elle n'éprouva ni la corruption
de la mort, ni l'altération de la maladie et des autres passions.
Mais à partir du moment où l'esprit et l'âme, qui tiennent le milieu
entre Dieu et la chair, se rebellèrent contre Dieu par le péché, aussitôt le
corps se rebella contre l'âme et il commença à éprouver les infirmités et la
mort, et continuellement sa sensibilité se révolta contre l'esprit. Ce qui fait
dire à saint Paul (Rom 7, 23) : Je vois dans mes membres une loi qui lutte
contre la loi de ma raison et (Gal 5, 17) : La chair convoite contre l'esprit
et l'esprit contre la chair. Ainsi il y a guerre incessante entre l'esprit et la
chair ; et l'homme est sans cesse rendu de plus en plus mauvais par le péché.
C'est donc la volonté de Dieu que l'homme soit rétabli dans son premier
état, c'est-à-dire qu'il n'y ait rien dans sa chair d'opposé à son esprit : ce
que saint Paul exprime ainsi (1 Thess 4, 3) : Ce que Dieu veut, c'est voire sanctification.
51. - Or, cette volonté de Dieu ne peut être accomplie en cette vie.
Elle sera réalisée à la résurrection des saints, quand leurs corps
ressusciteront glorieux, incorruptibles et splendides, suivant la parole de
l'Apôtre (1 Co 15, 43) : Semé dans l'ignominie, le corps ressuscitera dans la
gloire.
Cependant la volonté de Dieu est réalisée ici-bas dans l'esprit des
justes, par leur justice, leur science et leur vie.
Aussi, quand nous disons : Que votre volonté soit faite, nous prions le
Seigneur de réaliser également sa volonté dans notre chair.
Suivant cette explication, dans la demande : Que votre volonté soit
faite sur la terre comme au ciel, le mot ciel désigne notre esprit et le mot
terre désigne notre chair. Et le sens de cette demande est : Que votre volonté
soit faite sur la terre, c'est-à-dire dans notre chair, comme elle est faite au
ciel, c'est-à-dire, dans notre esprit, par la justice.
52. - Cette troisième demande de l'oraison dominicale nous fait parvenir
à la béatitude des larmes, que le Seigneur nous a fait connaître dans le sermon
sur la montagne (Mt 5, 5) : Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés.
Il est aisé de le montrer, en reprenant les trois points de notre exposition.
Premièrement, Dieu veut pour nous et nous fait
désirer la vie éternelle. Par cet amour de la vie éternelle, nous sommes amenés
à verser des larmes. Hélas, chantait le Psalmiste (Ps. 119, 5), qu'il est long
mon exil ! Et ce désir de la vie éternelle chez les saints est si véhément,
qu'il les fait aspirer à la mort, bien que celle-ci par elle-même soit un sujet
d'aversion. Nous préférons quitter ce corps, disait saint Paul (2 Co 5, 8), et
aller jouir de la présence du Seigneur.
En second lieu, ceux qui gardent les commandements
de Dieu, pour obéir à la volonté de Dieu, sont aussi dans l'affliction, car si
les préceptes sont doux pour l'âme, pour la chair ils sont amers, parce qu'ils
la mortifient. Parlant de leur chair, le Psalmiste dit des justes (Ps. 125, 5)
: Ils s'en vont tout en pleurs ; et, à propos de leur âme, il ajoute : Ils viennent
en exultant.
En troisième lieu, nous avons parlé de la lutte incessante de notre
chair et de notre esprit entre eux ; cette lutte est également un sujet de
larmes. Il est en effet impossible que l'âme, dans ce combat, ne reçoive pas
quelques blessures, de la part de la chair, au moins celles des péchés véniels.
L'obligation d'expier ces fautes lui est un sujet de larmes. Chaque nuit,
c'est-à-dire, aussi longtemps que durent les ténèbres de mes péchés, dit le
Psalmiste (Ps 6, 7), de mes pleurs j'arroserai mon lit, c'est-à-dire ma
conscience. Ceux qui pleurent ainsi parviennent à la patrie. Dieu daigne nous y
conduire.
53. - Il arrive fréquemment que la grandeur de sa science et de sa
sagesse rendent l'homme timide. Aussi la force est nécessaire à son coeur pour
ne pas perdre courage dans la considération de ses besoins.
Le Seigneur, dit Isaïe (40, 29), donne la force et aux êtres anéantis il
prodigue vigueur et courage. L'Esprit entra en moi, dit aussi Ezéchiel (2, 2),
et il me fit tenir fermement debout.
L'Esprit-Saint donne donc la force, et il la donne d'une part pour
empêcher le coeur rie l'homme de défaillir dans la crainte de manquer des
choses nécessaires, et d'autre part pour lui faire croire fermement que Dieu
lui accordera tout ce qui lui est nécessaire.
C'est pourquoi l'Esprit-Saint dispensateur de cette force, nous apprend
à dire à Dieu : Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. Et on l'appelle
Esprit de force.
54. - Il faut savoir que, dans les trois demandes précédentes du « Notre
Père », nous demandons des biens spirituels dont la possession, commencée en ce
monde, ne sera parfaite que dans la vie éternelle.
En effet, demander à Dieu la sanctification de son nom, c'est demander
la reconnaissance de sa sainteté ; demander l'avènement de son règne, c'est lui
demander de nous faire parvenir à la vie éternelle ; prier pour que la volonté
de Dieu se fasse, c'est prier Dieu d'accomplir en nous sa volonté. Tous ces
biens, partiellement réalisés dans ce monde, ne le seront pleinement que dans
la vie éternelle.
Aussi est-il nécessaire de demander à Dieu quelques biens
indispensables, dont la possession parfaite est possible en la vie présente.
C'est pourquoi l'Esprit-Saint nous a appris à demander ces biens nécessaires à
la vie présente et possédés ici-bas parfaitement.
Et c'est aussi pour montrer que Dieu pourvoit à nos nécessités temporelles
elles-mêmes, qu'il nous fait dire : Donnez-nous aujourd'hui notre pain
quotidien.
55. - Par ces paroles, Jésus nous a appris à éviter cinq péchés qui se
commettent habituellement par un désir immodéré \les choses temporelles.
Le premier de ces péchés est que l'homme, insatiable des choses qui
conviennent à son état et à sa condition, et poussé par un désir déréglé,
demande des biens qui sont au-dessus de sa condition. Il en est de lui comme
d'un soldat qui voudrait s'habiller comme un officier, ou d'un clerc, qui
voudrait porter des vêtements d'évêque.
Ce vice détourne les hommes des choses spirituelles, parce qu'il attache
avec excès leur désir aux choses temporelles.
Le Seigneur nous a enseigné à éviter un tel péché, en nous apprenant à
demander seulement du pain, c'est-à-dire les biens nécessaires à chacun, en
cette vie, suivant sa condition particulière. Ces biens nécessaires sont en
effet tous compris sous le nom de pain. Le Seigneur ne nous a donc pas appris à
demander des choses délicates, des choses variées, des choses exquises, mais du
pain, sans lequel l'homme ne peut vivre et qui est la nourriture commune à
tous. La première chose pour vivre, dit l'Ecclésiastique (29, 28), c'est l'eau
et le pain. Et l'Apôtre écrit à Timothée (l, 6, 8) : Lorsque nous avons
nourriture et vêtement, sachons nous contenter.
56. - Un deuxième vice consiste pour certain à commettre des injustices
et des fraudes dans l'acquisition des biens temporels.
C'est un vice très dangereux, parce qu'il est
difficile de restituer des biens volés, et que, d'après saint Augustin, « un tel
péché n'est pas pardonné, si on ne restitue pas ce qui a été dérobé ».
Le Seigneur nous a enseigné à éviter ce vice, en
nous apprenant à demander pour nous, non pas le pain d'autrui, mais le nôtre.
Les voleurs, en effet, mangent le pain d'autrui et non le leur.
57. - Le troisième vice consiste dans une sollicitude excessive pour les
biens terrestres.
Certains en effet ne sont jamais satisfaits de ce
qu'ils possèdent, ils veulent toujours davantage. Pareille disposition d'esprit
est un désordre, puisque le désir doit se régler sur le besoin.
Seigneur, ne me donnez ni la richesse, ni la pauvreté, disent les
Proverbes (30, 8), mais accordez-moi seulement ce qui est nécessaire à ma
subsistance.
Jésus nous enseigne à éviter ce péché par ces paroles : Donnez-nous
notre pain quotidien, c'est-à-dire le pain d'un seul jour ou d'une seule unité
de temps.
58. - Le quatrième vice, causé par l'appétit démesuré des choses
d'ici-bas, consiste en une insatiable avidité des biens terrestres, une
véritable voracité.
Elle est le fait de ceux qui veulent consommer en un seul jour ce qui
pourrait leur suffire pour plusieurs jours. Ceux-là ne demandent pas le pain
d'une journée, mais le pain de dix jours. Dépensant sans mesure, ils en
arrivent à dissiper tous leurs biens, selon cette parole des Proverbes (23, 21)
: Buveur et glouton se ruinent, et suivant cette autre parole (Ecclésiastique
19, 1) : L'ouvrier ivrogne ne s'enrichit pas.
59. - Le désir excessif des biens terrestres engendre un cinquième
péché, l'ingratitude.
Ce vice déplorable est le vice de l'homme qui s'enorgueillit de ses
richesses et ne reconnait pas qu'il les tient de Dieu, auteur de tous les biens
spirituels et temporels, selon cette parole de David (1 Chr 29, 14) : Tout
vient de vous, Seigneur, et ce que nous avons, nous le tenons de vos mains.
Pour écarter ce vice et nous apprendre que tous nos biens viennent de
Dieu, Jésus nous fait dire : Donnez-nous notre pain.
60. - (Mais recueillons donc la leçon de l'expérience et de l'Ecriture
au sujet du caractère dangereux et nuisible des richesses.)
On constate que, parfois, tel ou tel possède de grandes richesses sans
en retirer aucune utilité, mais bien plutôt un dommage spirituel et temporel.
Il y eut en effet des hommes qui périrent à cause de leurs richesses. Il
est un mal que j'ai constaté sous le soleil, dit l'Ecclésiaste (6, 1-2), mal
qui est fréquent parmi les hommes ; l'homme à qui Dieu donne richesses, biens,
honneurs ; il ne manque rien à son âme de ce qu'elle peut désirer ; mais Dieu
ne le laisse pas maitre d'en jouir ; c'est un étranger qui dévorera ses
richesse : - Il est un autre tort criant, dit encore l'Ecclésiaste (5, 12), que
je vois sous le soleil ; les richesses accumulées par leur maître à son
détriment.
Nous devons donc demander à Dieu que nos richesses nous soient utiles.
Lorsque nous disons : Donnez-nous notre pain, c'est cela même que nous
demandons, à savoir que nos biens nous soient avantageux, et que ne se vérifie
pas pour nous ce qui est écrit du méchant (Job, 20, 14-15) : Sa nourriture
deviendra dans son sein un venin d'aspic. Il a englouti des richesses, il les
vomira ; Dieu les arrachera de son ventre.
61. - Si nous revenons à ce vice d'une sollicitude excessive à l'endroit
des biens terrestres (n° 57), nous voyons des hommes qui s'inquiètent
aujourd'hui pour le pain d'une année entière, et, s'ils viennent à le posséder,
ils ne cessent pas pour autant de se tourmenter. Mais le Seigneur leur dit (Mt
6, 31) : N'allez donc pas vous inquiéter et n'allez pas dire : que
mangerons-nous ? Ou que boirons-nous ? Ou de quoi nous vêtirons-nous ? Aussi
nous enseigne-t-il à demander pour aujourd'hui notre pain, c'est-à-dire à
demander le nécessaire pour le moment présent.
62. - Il existe, en plus du pain, nourriture du corps, deux autres
sortes de pain, le pain sacramentel et le pain de la parole de Dieu.
Dans l'oraison dominicale, nous demandons également notre pain
sacramentel ; il est chaque jour préparé dans l'Eglise et nous le recevons dans
un sacrement, en gage de notre salut futur.
Je suis, déclarait Jésus aux Juifs (Jn 6, 51), je
suis le pain vivant descendu du ciel. - Celui, qui mange ce pain et boit le
Seigneur de façon indigne, mange el boit sa condamnation (l Co II, 29).
Nous demandons également, dans l'oraison dominicale, cet autre pain
qu'est la parole de Dieu ; c'est de ce pain que Jésus a dit (Mt 4, 4) : L'homme
ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de
Dieu.
De cette parole, de ce verbe de Dieu provient, pour l'homme, la
béatitude, qui consiste dans la faim et la soif de la justice.
En effet, lorsqu'on possède les biens spirituels, on les désire
davantage et ce désir aiguise l'appétit et la faim, qu'assouvira le
rassasiement de la vie éternelle.
63. - On rencontre des hommes, grands par la sagesse et par le courage,
qui cependant, à cause de leur excessive confiance dans leur force,
n'effectuent pas leurs ouvrages avec sagesse et ne conduisent pas jusqu'à leur achèvement
ce qu'ils s'étaient proposé. Ils semblent ignorer que les conseils donnent de
la force aux réflexions, comme l'enseignent les Proverbes (20, 18).
Mais remarquons-le, l'Esprit-Saint, s'il donne la force, donne aussi le
conseil. Car un bon conseil relatif au salut de l'homme ne peut venir que du
Saint-Esprit. C'est le cas de cette cinquième demande.
Le conseil est nécessaire à l'homme, quand il est soumis à la
tribulation, tout comme le conseil des médecins lui est utile, lorsqu'il est
malade. C'est pourquoi, un homme est-il spirituellement malade par le péché, il
doit, pour guérir, demander conseil. Et Daniel montre que le conseil est
nécessaire au pécheur, lorsqu'il dit au roi Nabuchodonosor (Dan 4, 24) : Ô roi,
agrée mon conseil : rachète tes péchés par des aumônes.
Le conseil de faire l'aumône et d'exercer la miséricorde est un
excellent conseil pour effacer les péchés. Aussi est-ce bien l'Esprit-Saint qui
apprend à des pécheurs cette prière de demande : Remettez-nous nos dettes, en y
ajoutant : comme nous-mêmes nous remettons à nos débiteurs.
64. - Par ailleurs nous devons à Dieu, d'une dette véritable, ce à quoi
il a droit et que nous lui refusons. Or le droit dont Dieu exige le respect,
c'est l'accomplissement de sa volonté, préférée à notre volonté propre. Nous
portons atteinte au droit de Dieu, quand nous préférons notre volonté à la
sienne ; et c'est en cela que consiste le péché.
Ainsi nos péchés sont des dettes à l'égard de Dieu. Et c'est du
Saint-Esprit que nous vient le conseil de demander à Dieu le pardon de nos
péchés et de dire très justement ; Remettez-nous nos dettes.
65. - Au sujet de ces paroles : Remettez-nous nos dettes, nous pouvons
nous poser trois questions :
• a. Premièrement, pourquoi faisons-nous cette demande ?
• b. Deuxièmement, quand est-elle exaucée ?
• c. Troisièmement, que devons-nous accomplir pour que Dieu l'exauce ?
a) Pourquoi adressons-nous au Père cette demande : Remettez-nous nos
dettes ?
La considération de son contenu nous permet de recueillir deux
enseignements nécessaires aux hommes pendant cette vie.
Le premier enseignement, c'est que l'homme doit toujours se tenir dans
la crainte et l'humilité.
Il y eut des hommes assez présomptueux pour oser affirmer que nous
pouvions vivre en ce monde de manière à éviter le péché. Ce privilège ne fut
accordé à personne, si ce n'est au Christ seul, qui posséda l'Esprit en
plénitude, et à la Bienheureuse Vierge, pleine de grâce et immaculée, dont
saint Augustin a dit : « De cette Vierge, je ne veux pas faire la moindre
mention, lorsqu'il s'agit des péchés ». Mais à aucun autre des saints il ne fut
accordé de ne pas tomber, au moins dans quelque faute vénielle. Si nous disons
: nous sommes sans péché, affirme en effet saint Jean (1 Jean 1, 8), nous nous
trompons nous-mêmes, et la vérité n'est pas en nous.
Et que les hommes soient pécheurs, cela est prouvé également par le
contenu de cette demande : Remettez-nous nos dettes. Il convient, en effet,
indubitablement, à tous les saints eux-mêmes de réciter ces paroles de
l'oraison dominicale. Tous les hommes sans exception se reconnaissent donc et
s'avouent pécheurs et débiteurs.
Par conséquent, si vous êtes pécheur, vous devez craindre et vous
humilier.
66. - L'autre enseignement qui ressort de cette demande : Remettez-nous
nos dettes, est que nous devons vivre toujours dans l'espérance. En effet, bien
que pécheurs, nous ne devons pas perdre l'espérance ; le désespoir pourrait
nous conduire à d'autres péchés plus graves, comme l'enseigne l'Apôtre (Eph 4,
19) : Ayant perdu l'espérance, dit-il, les païens se sont livrés à l'impudicité
et à toute espèce d'impureté, avec frénésie.
Il nous est donc extrêmement utile de toujours espérer.
Quelque grand pécheur qu'il soit, l'homme en effet doit espérer toujours
de Dieu son pardon, s'il se repent et se convertit parfaitement.
Or cette espérance se fortifie en nous, quand nous disons : Notre Père,
remettez-nous nos dettes.
67. - Des hérétiques, qu'on nomme Novatiens, ont voulu enlever cette
espérance du pardon divin. Ils déclarèrent : Si vous commettez un seul péché
après le baptême, vous n'obtiendrez jamais miséricorde.
Une telle assertion est fausse, si la parole du Christ est vraie (Mt 18,
32) : Je t'ai remis, dit-il, toute ta dette, parce que tu m'avais supplié.
Donc, quel que soit le jour où vous implorez miséricorde, vous pourrez
l'obtenir, si vous y joignez le repentir de vos péchés.
Ainsi donc, la considération du contenu de cette cinquième demande de
l'oraison dominicale: Remettez-nous nos dettes, fait naître en nous la crainte
et l'espérance ; elle nous montre que tous les pécheurs contrits, qui avouent leurs
fautes, obtiennent miséricorde. Et elle nous fait conclure que cette demande
avait sa place obligée dans le «Notre Père ».
68. - b) Quand cette demande : Remettez-nous nos dettes, est-elle
exaucée ?
Pour répondre à cette question, il faut avoir présent à l'esprit les
deux éléments contenus en tout péché, à savoir la faute ou l'offense faite à
Dieu, et le châtiment mérité par la faute.
Or la faute est remise par la contrition, si la contrition est
accompagnée du propos de se confesser et de satisfaire.
J'ai dit, déclare le Psalmiste (Ps 31, 5), je confesserai contre
moi-même mon injustice au Seigneur, et vous nous avez pardonné l'impiété de mon
péché.
Si donc, comme nous venons de le dire, la contrition des péchés, avec
le' propos de les confesser, suffit à en obtenir la remise, le pécheur ne doit
pas désespérer.
69. - Mais peut-être quelqu'un objectera-t-il : Puisque le péché est
remis par la contrition, à quoi sert le prêtre ?
A cette question, il faut répondre : Dieu, par la contrition, remet la
faute et change la peine éternelle en peine temporelle ; le pécheur contrit
reste donc soumis à une peine temporelle. C'est pourquoi, s'il mourrait sans
s'être confessé, non parce qu'il aurait méprisé la confession, mais parce que
la mort l'aurait surpris, avant qu'il eût pu se confesser, il irait au
purgatoire y souffrir, et, d'après saint Augustin, y souffrir extrêmement.
Mais si vous vous confessez, vous vous soumettez au pouvoir des clefs
et, en vertu de ce pouvoir, le prêtre vous absout de la peine temporelle due à
vos fautes ; car le Christ a dit aux Apôtres (Jn 20, 22-23) : Recevez le Saint-Esprit
; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, ils sont retenus à
ceux à qui vous les retiendrez. C'est pourquoi si quelqu'un se confesse une
seule fois, il lui est remis une partie de la peine de ses péchés, et il en est
de même, s'il se confesse à nouveau ; et s'il se confesse un nombre de fois
suffisant, il pourra obtenir la remise entière de sa peine.
70. - Les successeurs des Apôtres trouvèrent un autre moyen de remettre
la peine temporelle, à savoir le bienfait des indulgences.
Pour celui qui vit dans la charité, les indulgences possèdent la valeur
que le Pape a, sans aucun doute, le pouvoir de leur donner.
Beaucoup de saints firent un grand nombre de bonnes oeuvres, sans pécher
du moins mortellement ; ils firent ces oeuvres pour l'utilité de l'Eglise. De
même, les mérites du Christ et de la bienheureuse Vierge sont réunis comme en un
trésor. Le Souverain Pontife et ceux à qui il en a confié le soin, peuvent
dispenser ces mérites, là où il y a nécessité.
Ainsi donc, les péchés sont remis, quant à la faute, par la contrition,
et, quant à la peine, par la confession et par les indulgences.
71. - c) A la question : Que devons-nous accomplir pour que le Seigneur
exauce cette demande : Remettez-nous nos dettes ? Il faut répondre : Dieu
requiert de notre part, que nous pardonnions à notre prochain les offenses
qu'il nous fait. C'est pourquoi il nous demande de dire : comme nous, nous
remettons leurs dettes à nos débiteurs. Si nous agissions autrement, Dieu ne
nous pardonnerait pas.
Il est dit de même dans l'Ecclésiastique (28, 2-5) : Pardonne au
prochain son injustice, et alors, à ta prière, tes péchés seront remis. L'homme
conserve de la colère contre un autre homme, et il demande à Dieu sa guérison !
Il n'a pas pitié de son semblable, et il supplie pour ses propres fautes ! Lui,
qui n'est que chair, garde rancune ; qui donc lui obtiendra le pardon de ses
péchés ? - Pardonnez donc, dit Jésus (Luc 6, 37), et il vous sera pardonné.
Et c'est pourquoi dans cette cinquième demande du « Notre Père » le
Seigneur pose cette seule condition : pardonner à autrui. Si nous ne la
réalisons pas, à nous non plus, il ne nous sera pas pardonné.
72. - Mais vous pourriez dire : Moi, je prononcerai les premiers mots de
la demande, à savoir: Remettez-nous nos dettes, mais je ne réciterai pas les
derniers : comme nous remettons à nos débiteurs.
Chercheriez-vous donc à tromper le Christ ?
Assurément vous ne le tromperiez pas. Le Christ a composé cette oraison,
il se la rappelle parfaitement ; comment dès lors le tromper ? Votre coeur doit
donc ratifier cette demande, quand vos lèvres la prononcent.
73. - Demandons-nous alors si celui qui n'a pas le propos intérieur de
pardonner son prochain doit dire encore : comme nous, nous remettons à nos
débiteurs.
Il semble que non, car alors il mentirait. Mais il faut répondre qu'il
n'est pas pour autant dispensé de dire : comme nous, nous remettons à nos
débiteurs. En fait, il ne ment pas, parce qu'il ne prie pas en son nom, mais au
nom de l'Eglise qui, elle, ne s'y trompe pas ; c'est pourquoi d'ailleurs cette
demande est exprimée au pluriel.
74. - Il importe de le savoir ; il Y a deux manières de pardonner au
prochain.
La première est la manière des parfaits ; elle pousse l'offensé à aller
au-devant de l'offenseur, pour lui pardonner, conformément à l'injonction du
Psalmiste (Ps 33, 15) : Recherche.la paix.
La deuxième manière de pardonner est commune à tous et obligatoire pour
tous ; elle consiste à accorder le pardon à qui le sollicite. Pardonne au
prochain son injustice, dit l'Ecclésiastique (28, 2), alors à ta prière, tes
péchés te seront remis.
75. - A cette cinquième demande de l'oraison
dominicale se rattache la béatitude : Bienheureux les miséricordieux. La
miséricorde, en effet, nous porte à avoir pitié de notre prochain.
76. - Il existe des pécheurs désireux d'obtenir le pardon de leurs
fautes ; ils se confessent et font pénitence ; mais ils n'apportent pas toute
l'application nécessaire pour ne pas retomber dans le péché. Ils sont vraiment
inconséquents avec eux-mêmes. En effet, à certaines heures, ils pleurent leurs
péchés et s'en repentent, et à d'autres heures ils retombent dans leurs fautes,
et accumulent ainsi la matière de larmes futures. C'est la raison pour laquelle
le
Seigneur leur dit en Isaïe (1, 16) : Lavez-vous, purifiez-vous, retirez
de ma vue vos pensées mauvaises, cessez de mal faire.
Et c'est aussi pourquoi le Christ, comme nous l'avons dit, nous enseigne
dans la demande précédente, à implorer le pardon de nos péchés et, dans
celle-ci, nous apprend à demander la grâce de pouvoir éviter le péché, par ces paroles
: Ne nous laissez pas succomber à la tentation, car à la tentation il
appartient précisément de nous faire tomber dans le péché.
77. - Le contenu de cette sixième demande de l'oraison dominicale nous
invite à examiner :
• a. Ce qu'est la tentation,
• b. Comment et par qui l'homme est tenté,
• c. Comment il est délivré de la tentation.
78. - a) Qu'est-ce que la tentation ?
Tenter ne signifie rien d'autre que mettre à l'essai ou éprouver. Ainsi,
tenter un homme, c'est éprouver sa vertu.
Sa vertu peut être mise à l'essai ou éprouvée de deux manières, dans la
ligne des exigences de la vertu humaine. Il est requis d'une part que l'oeuvre
bonne soit accomplie d'une manière excellente et d'autre part que l'on se garde
du mal. Ce qui est indiqué par le Psalmiste (Ps 33, 15) : Evite le mal et fais
le bien.
La vertu de l'homme sera donc mise à l'épreuve tantôt au point de vue de
l'excellence de son agir, tantôt au point de vue de son éloignement du mal.
79. - Si, en premier lieu, on vous éprouve pour savoir si vous êtes
prompt à vous porter au bien, comme par exemple à jeûner, et si on vous trouve
effectivement prompt au bien, ce sera le signe que votre vertu est grande.
C'est de cette façon que Dieu éprouve parfois l'homme ; ce n'est pas
qu'il ignore sa vertu, mais il veut la faire connaitre à tous et à tous la
donner en exemple. Dieu éprouva de cette manière Abraham (cf. Gn 2) et Job.
Souvent en effet le Seigneur envoie des tribulations aux justes ; s'ils les
supportent patiemment, leur vertu est manifestée et ils progressent dans la
vertu. Le Seigneur vous tente, disait Moïse aux Hébreux (Deut 13, 3) afin de
faire apparaître au grand jour si oui ou non vous l'aimez. C'est donc de cette
manière seulement que Dieu tente l'homme, à savoir, en l'excitant à bien faire.
80. - En second lieu, pour éprouver la vertu de l'homme, on l'incitera
au mal. S'il résiste fortement et ne consent pas, c'est l'indice de la grandeur
de sa vertu ; mais s'il succombe à la tentation, sa vertu est manifestement
inexistante.
Jamais Dieu ne tente qui que ce soit de cette manière ; car Dieu est
incapable de tenter et de pousser personne au mal.
Sa propre chair, le diable et l'homme, voilà les tentateurs de l'homme.
81. - b) Comment et par qui l'homme est-il tenté ?
1° La chair tente l'homme de deux manières. D'abord elle l'aiguillonne
et le pousse au mal par la recherche incessante de ses délectations charnelles,
occasions fréquentes de péché. Le fait de s'arrêter dans les délectations charnelles
entraîne la négligence des choses spirituelles. Chacun, dit saint Jacques (1,
14), est tenté par sa propre convoitise, qui l'entraîne et le séduit.
En second lieu, la chair nous tente en nous détournant du bien.
L'esprit, de lui-même, se délecterait toujours dans les biens spirituels, mais
la chair rend l'esprit lourd et l'entrave. Le corps, sujet à la corruption, dit
la Sagesse (9, 15), appesantit l'âme ; et saint Paul écrivait aux Romains (7,
22) : L'homme intérieur en moi se délecte dans la loi de Dieu ; mais je vois
dans mes membres une autre loi ; cette loi-là lutte contre la loi de ma raison
; elle me tient captif sous la loi du péché, qui est dans mes membres.
Cette tentation de la chair est extrêmement forte, à cause de notre
union intime à notre ennemie, la chair. « Aucune peste, dit Boèce, n'est plus
nuisible qu'un ennemi familier ». Il faut donc veiller sur les assauts de notre
chair. Veillez et priez, dit Jésus, (Mt 26, 41), pour ne pas entrer en
tentation.
82. - 2° La chair, une fois domptée, un autre ennemi surgit, le diable.
Il nous tente très fortement et il nous faut lutter contre lui avec vigueur.
Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, dit saint Paul (Eph 6,
12), mais contre les Principautés et contre les Puissances, contre les Maîtres
de ce monde de ténèbres, contre les Esprits répandus dans les airs. Aussi le
diable est-il expressément appelé le tentateur, comme le montrent ces paroles
de saint Paul (l Thess 3, 5) : Pourvu que le tentateur ne vous ait pas tentés.
Dans ses tentations, le diable se montre consommé en ruse. Semblable à
un habile chef d'armée, occupé à assiéger une forteresse, il considère les
points faibles de l'homme qu'il veut attaquer et fait alors porter l'effort de
la tentation là où il constate que son adversaire est plus désarmé. Ainsi il
tente les hommes, vainqueurs de leur chair, du côté des vices auxquels ils sont
le plus enclins, comme la colère, l'orgueil et les autres maladies de l'esprit.
Votre adversaire, le diable, dit saint Pierre (1 Pierre 5, 8), comme un lion
rugissant, rôde autour de vous ; il cherche qui dévorer.
83. - Le démon, dans ses tentations, emploie une double tactique.
D'abord, il ne propose pas aussitôt à l'homme, au moment de la tentation,
un mal manifeste, mais un bien apparent.
Ainsi, au début, il ne détourne que légèrement l'homme de son
orientation générale antérieure, mais suffisamment pour ensuite l'amener plus
facilement à pécher. A ce sujet, l'Apôtre écrit aux Corinthiens (2 Jean 11, 14)
; Rien d'étonnant (si de faux apôtres se camouflent en apôtres du Christ),
Satan lui-même se déguise bien, lui, en ange de lumière.
Après avoir amené l'homme à pécher, Satan l'enchaîne ensuite pour
l'empêcher de se relever de ses fautes.
Ainsi donc le démon fait deux choses : il trompe l'homme et il maintient
l'homme trompé dans son péché.
84. - 3° Le monde, de son côté, nous tente de deux manières.
Il nous tente, en premier lieu, par un désir excessif et immodéré des
choses temporelles. La cupidité, dit l'Apôtre (1 Tim 6, 10), est la racine de
tous les maux.
En second lieu, le monde nous incite au mal par les frayeurs que nous
inspirent les persécuteurs et les tyrans. De ce fait, nous sommes enveloppés de
ténèbres, dit Jacob (37, 19), Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le
Christ Jésus, écrit saint Paul (2 Tim 3, 12) souffriront persécution. Et à ce
propos, le Seigneur a fait cette recommandation à ses disciples (Mt 10, 20) :
Ne craignez pas ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme.
85. - c) Nous avons montré ce qu'est la tentation, comment et par quoi
l'homme est tenté. Examinons maintenant de quelle manière l'homme est délivré
de la tentation.
A ce sujet, il faut remarquer ceci : le Christ nous enseigne à demander
au Père non pas la grâce de ne pas être tentés, mais bien celle d'éviter de
nous établir passivement dans l'état où nous met la tentation. C'est en effet
en surmontant et en dominant la tentation que l'homme mérite la couronne de
gloire incorruptible (cf. 1 Co 9, 25 ; 1 Pierre 5, 4). C'est pourquoi saint
Jacques (1, 2) déclare : Tenez pour une joie parfaite, mes frères, d'être en
butte à toutes sortes d'épreuves. Et l'Ecclésiastique nous avertit (2, 1) : Mon
fils, en entrant au service du Seigneur, préparez votre âme à l'épreuve. Saint
Jacques déclare encore (1, 12) : Heureux l'homme qui supporte la tentation : sa
valeur une fois reconnue, il recevra la couronne de vie. Ainsi donc, Jésus nous
enseigne à demander au Père de ne pas nous laisser succomber à la tentation, en
lui donnant notre consentement. Aucune tentation, dit saint Paul (1 Co 10, 13),
ne nous est survenue, qui passât la mesure humaine. Que l'homme soit tenté en
effet est chose normale, mais qu'il consente à la tentation et s'y abandonne,
cela ne l'est pas, mais lui vient du diable.
86. - Mais objectera-t-on, puisque le Christ dit très précisément : Ne
nous induisez pas en tentation, c'est-à-dire, ne soyez pas cause d'un
entraînement et d'une entrée fatale dans la tentation, ne faut-il pas
comprendre que c'est Dieu lui-même, plutôt que le diable, qui nous entraîne
activement au mal ?
Je réponds ceci : C'est uniquement en permettant le mal et en n'y
mettant pas d'obstacle que Dieu, si on peut dire, achemine l'homme au mal.
Ainsi Dieu sera dit induire un homme en tentation, lorsqu'il retirera sa grâce,
à cause des nombreux péchés de cet homme ; ce qui aura pour effet de faire
tomber celui-ci dans le péché. C'est pour être préservé d'un tel malheur, que
le Psalmiste demande à Dieu dans sa prière (Ps. 70, 9) : Lorsque mes forces déclineront,
Seigneur, ne m'abandonnez pas.
Par contre, grâce à la ferveur de la charité qu'il lui donne, Dieu
conduit l'homme de telle manière qu'il ne soit pas induit en tentation, au sens
que nous avons expliqué plus haut (n° 82, 83). La charité en effet, si minime
soit-elle, peut résister à n'importe quel péché. Car les grandes eaux (de la
tentation) n'ont pu éteindre l'amour, dit le Cantique des Cantiques (8, 7).
De même le Seigneur nous dirige par la lumière de l'intelligence ; par
elle, il nous montre les oeuvres que nous devons accomplir. D'après le
Philosophe Aristote, en effet, tout pécheur est un ignorant. - Cette lumière
pour bien agir, David la demandait par ces paroles (Ps. 31, 8): Seigneur,
illuminez mes yeux, que je ne m'endorme pas dans la mort. Que mon ennemi ne
dise pas : j'ai triomphé de lui.
87. - Cette lumière nous vient par le don d'intelligence.
Si nous refusons notre consentement à la tentation, nous gardons cette
pureté du coeur, béatifiée par Jésus, en ces termes (Mt 5, 8) : Bienheureux les
coeurs purs, car ils verront Dieu; et nous parviendrons à la vision de Dieu.
Que Dieu nous y conduise effectivement !
88. - Dans les deux demandes précédentes, le Seigneur nous apprend à
implorer le pardon de nos péchés, et il nous montre comment échapper aux
tentations. Ici, il nous enseigne à demander d'être préservés du mal.
Cette demande est générale. D'après saint Augustin, elle vise les
différentes espèces de maux, à savoir les péchés, les maladies, les
afflictions. Nous avons déjà parlé du péché et de la tentation ; il nous reste
à traiter des autres catégories de maux, c'est-à-dire de toutes les adversités
et afflictions de ce monde.
De ces adversités et de ces afflictions, Dieu nous délivre de quatre
manières.
89. - En premier lieu, Dieu délivre l'homme de l'affliction, quand il
écarte celle-ci de lui ; cela, il le fait rarement. Dans ce monde, en effet,
les saints sont affligés. Tous ceux, dit saint Paul (2 Tim 3, 12), qui veulent
vivre pieusement dans le Christ Jésus connaîtront la persécution.
Cependant, Dieu accorde parfois à tel ou tel de n'être pas affligé par
le mal. Quand, en effet, il le sait incapable de supporter l'épreuve, il agit
comme un médecin, qui évite de donner à un grand malade des médecines
violentes.
Voici, dit le Seigneur (Ap 3, 8), que j'ai mis devant toi une porte
ouverte, que nul ne peut fermer, et ce, à cause de ton défaut de vigueur.
Dans la patrie céleste, il en va tout autrement. Nul n'y est affligé.
C'est la loi générale pour tous les élus. Ils n'auront plus faim, ils n'auront
plus soif, est-il dit dans l'Apocalypse (7, 16-17), et jamais ne les accablera
le soleil ni aucun vent brûlant. Car l'Agneau qui est au milieu du trône.les
fera paître et les conduira aux sources des eaux de la vie. Et Dieu essuiera
toute larme de leurs yeux.
90. - En second lieu, Dieu nous délivre du mal par l'octroi des
consolations, au temps de l'affliction. Privé de ces divines consolations,
l'homme ne pourrait subsister au milieu des épreuves. Nous sommes, disait saint
Paul (2 Co 1, 8), accablés au delà de toute mesure, au delà de nos forces, et
il ajoutait (2 Co 7, 6) : mais Dieu nous a consolés, lui qui réconforte les
humbles. Vos consolations ré jouissent mon âme, chantait aussi le Psalmiste
(Ps. 93, 19), à proportion des douleurs surabondantes de mon coeur.
91. - En troisième lieu, Dieu comble les affligés de tant de bienfaits
qu'ils en viennent à oublier leurs maux. Après la tempête, disait Tobie (3,
22), vous ramenez le calme. Ainsi nous ne devons pas craindre les afflictions
et les tribulations du monde ; elles sont en effet facilement supportables, à
cause des consolations que Dieu y mêle et à cause de leur brève durée. La
légère tribulation d'un moment, dit en effet saint Paul (2 Co 4, 17), nous
prépare, au delà de toute mesure, un poids éternel de gloire ; car elle nous
fait effectivement parvenir à la vie éternelle.
92. - En quatrième lieu, - et pour étendre l'idée du mal à tous les maux
(n° 88) -, Dieu tire du bien de tous les maux, tentations et tribulations.
Aussi Jésus ne nous fait pas dire : Délivrez-nous de la tribulation,
mais : Délivrez-nous du risque de mal véritable qu'elle porte avec elle.
Les tribulations sont en effet données aux saints pour leur bien, pour
leur faire mériter la couronne de gloire ; et c'est pourquoi, loin de demander
d'être délivrés des tribulations, les saints font leurs les paroles de l'Apôtre
(Rom 5, 3) : Non seulement nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire
de Dieu, mais nous nous glorifions encore dans les tribulations, sachant que la
tribulation produit la constance. Et ils répètent la prière du livre de Tobie
(3, 12) : Au temps de la tribulation, Dieu de nos Pères, vous pardonnez les
péchés de ceux qui vous invoquent.
Dieu donc délivre l'homme du mal et de la tribulation, en transformant
tribulation et mal en bien ; et c'est là le signe d'une sagesse consommée,
puisqu'en effet il appartient au sage d'ordonner le mal au bien. Dieu y
parvient, en donnant à l'homme la grâce d'être patient dans ses tribulations.
Les autres vertus se servent des biens, mais la patience est seule à tirer
profit des maux ; eux seuls donc la rendent nécessaire. C'est pourquoi sa
nécessité apparaît seulement au milieu des maux, c'est-à-dire dans les
adversités. Nous lisons en effet dans les Proverbes (19, 11) : La sagesse d'un
homme, vous la reconnaîtrez à sa patience, qui lui fait ordonner le mal au
bien.
93. - C'est pourquoi l'Esprit-Saint nous fait adresser cette demande au
Père, par le don de la sagesse. Grâce à ce don, nous parvenons à la béatitude,
à laquelle nous ordonne la paix. La patience, en effet, nous assure la paix
dans l'adversité comme dans la prospérité. C'est pourquoi les pacifiques sont
appelés fils de Dieu. Ils sont, en effet, semblables à Dieu. A eux, comme à
Dieu, rien ne peut nuire, ni la prospérité, ni l'adversité. Bienheureux donc
les pacifiques, ils seront appelés fils de Dieu (Mt 5, 9).
94. - Le mot Amen est la réaffirmation générale des sept demandes de
l'Oraison dominicale.
95. - Pour avoir un aperçu général sur l'Oraison dominicale, il suffit
de savoir qu'elle contient tout ce que nous devons désirer, et tout ce qu'il
nous faut fuir et éviter.
Or, parmi tous les biens désirables, le plus désiré est aussi le plus
aimé, et c'est Dieu. C'est pourquoi notre première demande : Que votre nom soit
sanctifié est une demande de la gloire de Dieu.
De Dieu, vous attendez pour vous-même trois biens.
Le premier est l'obtention de la vie éternelle ; cette vie éternelle,
vous la sollicitez par la demande : Que votre règne arrive.
Accomplir la volonté de Dieu et sa justice est le deuxième des biens,
que vous désirez pour vous-même ; la prière : Que votre volonté soit faite sur
la terre comme au ciel est la demande de ce deuxième bien.
Le troisième bien que vous voulez pour vous-même consiste en la
possession des choses nécessaires à votre vie ; la possession de ces choses,
vous la sollicitez par cette prière : Donnez-nous aujourd'hui notre pain
quotidien.
Une parole du Seigneur citée par saint Matthieu (6, 33), se rapporte à
ces trois objets de nos désirs, qui sont : le royaume de Dieu ou la vie
éternelle, la volonté de Dieu et sa justice, les biens nécessaires à la vie
d'ici-bas.
96. - Nous avons dit que le « Notre Père » contient également tout ce
que nous devons fuir et éviter. Il nous faut fuir et éviter ce qui est
contraire au bien. Le bien est ce qu'en toute chose nous désirons d'abord. Nous
venons d'énumérer les quatre biens, que nous désirons.
Le premier est la gloire de Dieu. A ce bien, aucun mal ne s'oppose. Si
tu pèches, dit le Livre de Job (35, 6), en quoi nuis-tu à Dieu ? Si tu
multiplies les offenses, lui fais-tu quelque mal ? Si tu es juste, que lui
donnes-tu ou que reçoit-il de ta main ? En effet, la gloire de Dieu résulte et
du mal, en tant que Dieu le punit, et du bien, en tant qu'il le récompense.
Le deuxième bien, objet de nos désirs, est la vie éternelle. A elle s'oppose
le péché ; par le péché, en effet, nous perdons la vie éternelle. Aussi pour
repousser le péché, nous disons :
Remettez-nous nos dettes, comme nous-mêmes, nous remettons à nos
débiteurs.
Le troisième bien consiste dans la justice et les bonnes oeuvres. La
tentation s'oppose à rune et aux autres. En effet, les tentations nous
empêchent d'accomplir le bien et pour les repousser, nous disons : Et ne nous
laissez pas succomber à la tentation.
Le quatrième bien désiré de nous comprend les choses nécessaires à notre
vie terrestre. A elles sont contraires les adversités et les tribulations.
C'est pourquoi, nous en demandons l'éloignement par cette prière : Mais
délivrez-nous du mal.
Amen
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