Claude Tresmontant
Les premiers éléments
de la théologie
A l'usage des élèves
des classes terminales des Lycées
et des classes préparatoires
aux Grandes Écoles
O.E.I.L.
LES PREMIERS ÉLÉMENTS DE LA
THÉOLOGIE
Ces premiers éléments de la théologie
sont destinés à des garçons
et des filles de 16 ans qui ont étudié les éléments des mathématiques modernes, les éléments de la
physique moderne, les éléments de la chimie et ceux de
La théologie est une science, bien fondée, fondée dans l'expérience,
fondée sur des faits :
-
le fait de la création, qui est discernable pour
l'intelligence à partir de ce que nous connaissons aujourd'hui
de l'histoire de l'Univers et de la nature ;
-
le fait de la révélation discernable par
l'intelligence à partir de ce que nous connaissons de l'histoire du peuple
hébreu depuis Abraham l'émigrant ;
-
le fait de l'incarnation, discernable par l'intelligence
à partir de ce que nous savons du rabbi galiléen et judéen par sa mère,
Ieschoua ha-nôtzeri ;
-
le fait de l'Église,
Les sciences de l'Univers et de la Nature portent sur le passé et sur le
présent de l'Univers et de
Aux mêmes éditions O.E.I.L.
Le Christ hébreu
L'Évangile de Jean, traduction et notes
L'Évangile de Matthieu, traduction et notes
L'Évangile de Luc, traduction et notes
L'Apocalypse de Jean, traduction et notes
Schaoul qui est appelé aussi Paulus, et la théorie de la Métamorphose
(Saint Paul, sa vie et sa pensée)
L'Histoire de l'Univers et le sens de la création
Aux éditions Gabalda
Le
Prophétisme hébreu
Aux
éditions du Seuil
La Métaphysique du
Christianisme et la naissance de la Philosophie chrétienne,
- Prix Emmanuel Mounier, 1962 Introduction à la Métaphysique de
Maurice Blondel, 1963 La Métaphysique du Christianisme et la Crise du XIIIe
siècle, 1964
Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de Dieu, 1966
Le Problème de la Révélation, 1969
L'Enseignement de Ieschoua de Nazareth, 1970
Les Problèmes de l'Athéisme, 1972
Couronné par l'Institut. - Prix Maximilien Kolbe 1973
Introduction à la Théologie chrétienne, 1974
Couronné par l'Académie française
Sciences de l'Univers et Problèmes métaphysiques, 1976
La Mystique chrétienne et l'Avenir de l'Homme, 1977
La Crise moderniste, 1979
© O.E.I.L.
Paris 1987 I.S.B.N. 2.86839.099.4
Ces Éléments de
théologie nous ont été commandés par un éditeur parisien en
automne de l'année 1979. - Nous avons remis notre manuscrit au
printemps de l'année 1980. Ils paraissent chez un autre
éditeur, sept ans plus tard. - Le philosophe Epictète, - Epiktètos, c'est un
surnom, et personne ne sait ce qu'il signifie, - né vers l'an 50 à Hiérapolis,
en Asie mineure, - distinguait dans la réalité, dans les événements, dans les
faits, - ta eph'hèmin, ce qui dépend de nous, - et ta ouk eph'
hèmin, ce qui ne dépend pas de nous. Il dépendait de nous de rédiger
ces Éléments, qui nous avaient été commandés, mais il ne
dépendait pas de nous de les publier.
Les peintres savent que
lorsqu'une toile est finie, terminée, achevée, il ne faut pas,
plusieurs années plus tard, y apporter des retouches. Un
livre est dans le même cas. Il est ce qu'il est lorsqu'il sort du
four. On peut, si l'on veut, en faire un autre. Mais on ne peut pas
le retoucher plusieurs années plus tard sans l'abîmer.
Nous avons donc laissé ces Éléments tels que nous
les avons rédigés. Nous nous sommes contenté de retouches mineures portant sur
des points de détail, et d'ajouter en notes quelques indications
supplémentaires.
Ces Cléments ont été conçus
et rédigés pour des garçons et des filles de seize ans, qui ont étudié les Éléments
de la Physique, les Éléments de la Chimie, les Éléments de la Biologie, et les
Éléments des mathématiques modernes. Ils sont donc habitués à raisonner.
Les personnes
d'un âge ultérieur, qui n'auraient pas envie de raisonner, et donc de
se fatiguer, sont priées de ne pas toucher à ces
premiers Éléments de la théologie, qui ne leur sont pas destinés.
Il est évident
que lorsqu'on entreprend d'exposer les fondements d'une science quelconque, -
les mathématiques, la physique, la biologie, ou, ce qui est ici le cas, la
théologie, - on est conduit parfois à modifier certaines
représentations, certaines habitudes intellectuelles, certaines
notions que l'on croyait claires à cause de l'habitude et qui en
réalité étaient confuses, - par exemple en physique les notions de temps, de
matière, d'espace, de causalité, et bien d'autres.
La théologie
chrétienne a maintenant bientôt vingt siècles. Durant ces
vingt siècles, les mots ont changé de sens. Dans le passage de
l'hébreu au grec, du grec au latin, du latin aux langues des
nations païennes, des notions qui avaient un sens en hébreu, ont
pris un tout autre sens.
Tout cela est
très fatigant. Chacun sait qu'à partir d'un certain âge, - et cet âge vient
pour certains très vite - les intelligences ont horreur de changer leurs
habitudes, c'est-à-dire ce qu'elles ont appris à l'école.
Dans ce bref
exposé des Cléments de la théologie, nous aurons l'occasion
d'expliquer le sens de certains termes, qui s'est modifié au cours du
temps et de dissiper par là même un certain nombre de malentendus.
Nous avons donc
préféré nous adresser à des intelligences qui, en ce domaine, n'ont
pas encore pris des habitudes. L'illustre physicien Marx Planck, dans son Autobiographie scientifique, fait observer
que la révolution survenue au début de ce siècle en physique,
dans les représentations principales, était si profonde, que seuls les
étudiants, qui n'avaient pas encore pris d'habitudes intellectuelles, ont pu
aisément comprendre le sens de cette révolution. « Une vérité nouvelle en science
n'arrive jamais à triompher en convainquant les adversaires et en les amenant à
voir la lumière, mais plutôt parce que finalement ces adversaires meurent et
qu'une nouvelle génération grandit, à qui cette vérité est
familière ».
La théologie est une science, la science qui porte sur la finalité ultime
de la création et de l'Univers. Elle a besoin de temps en temps, tout
comme les autres sciences, de faire sa toilette, de se rafraîchir les idées, de revoir son vocabulaire et de repenser
ses notions fondamentales.
A Paris le 25 mars 1987, fête de
l'Annonciation.
Le mot français catéchisme
vient d'un verbe grec : katêcheô, qui signifie : retentir,
résonner, faire retentir aux oreilles,
d'où : instruire de vive voix. La katêchèsis, c'était l'action d'instruire
de vive voix.
Un catéchisme est donc un livre qui contient
sous forme écrite une instruction que l'on pourrait, ou que l'on devrait donner
de vive voix. Un manuel de physique, un traité de biologie, sont des catéchismes
de physique ou de biologie.
Le christianisme est une doctrine, c'est-à-dire
un ensemble de connaissances, qui peuvent s'apprendre, et qui peuvent donc
aussi s'enseigner. En règle générale - et jusqu'à présent nous ne connaissons
pas d'exception à cette règle - les connaissances vont de celui qui les possède
à celui qui ne les possède pas. Ainsi celui qui a joué toute sa vie d'un instrument
de musique, par exemple le piano, le clavecin ou le violon, l'enseigne à
l'enfant qui n'a encore jamais joué. Jusqu'à présent, nous n'avons pas encore
vu d'enfant donner des leçons de piano à Arthur Rubinstein. De même, celui qui a étudié
longuement la physique moderne, la biologie moderne, ou la biochimie, peut-il
tenter d'enseigner la physique, la biologie ou la biochimie à ceux qui
l'ignorent.
En général donc la science va de celui qui l'a, à celui qui ne l'a pas,
mais lorsque Louis de Broglie enseigne la physique quantique et la mécanique
ondulatoire à l'Institut Henri Poincaré, à
Paris, rue Pierre Curie, devant une centaine d'étudiants, les uns
écoutent plus ou moins attentivement ; d'autres
s'appliquent mais ne sont pas doués, ou ne sont pas préparés pour comprendre ce que dit l'illustre
physicien ; certains comprennent intégralement ce que dit l'inventeur de
la mécanique ondulatoire : ils reçoivent, ils assimilent toute l'information
qui vient de la source, en l'occurrence Louis de Broglie. Mais dans tous les
cas, lorsque Louis de Broglie communique la science qu'il a acquise, par un
long travail, durant des années de recherche, la science qu'il communique ne
le quitte pas. Il ne perd pas la science qu'il donne. Sa science reste auprès de lui, en lui. Il peut même se trouver
qu'en enseignant tel problème de physique, il fasse un progrès dans la
connaissance qu'il en a lui-même.
Nous connaissons aujourd'hui l'Univers et son
histoire sur une période d'environ vingt milliards d'années, grâce aux sciences qui
étudient l'Univers, la nature et tout ce qu'ils contiennent : l'astrophysique,
la physique, la chimie, la biochimie, la biologie, la zoologie, la
paléontologie, la neurophysiologie, la psychologie expérimentale, animale et
humaine, etc.
Lorsqu'un savant étudie l'Univers, ou un
sous-ensemble de l'Univers, c'est-à-dire une galaxie ; ou la matière, ou une
molécule composée complexe ; ou un système biologique, - ce qu'il atteint, ce
qu'il découvre, ce qu'il connaît, finalement, c'est de l'information. Tout est
information dans l'Univers et dans
Dans l'Univers, dans la nature, dans notre minuscule système solaire, dans l'histoire humaine, il
existe un fait entre les faits, un fait incontestable et incontesté, un
fait objectif qui peut être objet de science comme tous les faits d'expérience
: le fait hébreu.
C'est un fait en apparence minuscule à son tour.
Mais il ne faut pas se fier aux apparences spatiales : le noyau qui se trouve dans la
tête du spermatozoïde aussi est une réalité minuscule : il contient pourtant
toute une bibliothèque, et toutes les informations requises pour construire un
enfant de lion, d'éléphant ou d'homme.
Le fait hébreu, si on l'examine de près,
minutieusement, à la loupe, contient une information, et même une série
d'informations créatrices, que nous allons examiner.
La théologie, c'est-à-dire la science
qui a Dieu pour objet, est fondée sur trois faits :
1. Le fait de la création.
2. Le fait de la révélation.
3. Le fait de l'incarnation.
On peut et on doit même ajouter un
quatrième fait, le fait de l'Église.
Bien entendu, pour que la théologie commence, et
avant qu'elle ne commence, il faut avoir établi ces trois faits, et aussi le quatrième
qui en résulte, c'est-à-dire qu'aucun de ces faits ne doit être admis à
l'aveuglette, les yeux fermés, ou par un « acte de foi ». Tous ces faits doivent
être examinés les yeux grands ouverts, avec toute notre intelligence, tout
notre esprit critique. Il n'est pas question de recevoir aucun de ces faits d'une manière
passive, et par simple obéissance. Obéissance à qui, et au nom de quoi ?
Nous devons aller voir nous-même si ces faits sont bien des faits réels.
Ces trois faits, auxquels s'ajoute
celui de l'Église, nous fourniront le plan de notre catéchisme,
c'est-à-dire de notre manuel
d'instruction, ou encore
de notre initiation à cette science qui s'appelle
Comme je l'ai déjà dit, nous connaissons
aujourd'hui l'Univers sur une durée d'environ vingt milliards d'années.
Nous avons une idée de ce qu'il était dans ses premiers instants : matière et rayonnement
; des électrons et leurs antiparticules, les positrons, des photons, des neutrinos
et des antineutrinos. Les astrophysiciens évaluent la température de l'Univers dans les
tout premiers instants, dans les premiers centièmes de secondes, à environ
cent milliards de degrés Kelvin[1].
Très vite, l'Univers se détend et donc
se refroidit.
Ce qui est d'ores et déjà certain, c'est qu'au
cours du temps la
matière, qui constitue ce que nous appelons aujourd'hui l'Univers, se trouve
emportée dans un processus de composition
croissante : en physique, les atomes les plus complexes sont aussi les
plus récents. L'Univers est en régime de composition depuis environ vingt
milliards d'années. Les étoiles, les galaxies, se sont formées progressivement,
certaines étoiles sont encore aujourd'hui en régime de formation. Nous savons aujourd'hui que l'Univers est un gaz de
galaxies, c'est-à-dire un gaz dont chaque molécule est une galaxie. Or
une galaxie comme la nôtre, celle dans laquelle nous sommes, comporte environ
cent milliards d'étoiles.
Notre étoile, c'est-à-dire celle que nous
appelons le soleil, s'est formée sans doute il y a un peu plus de cinq
milliards d'années. Notre système solaire a donc à peu près cet âge. Notre
vieille planète est de formation un peu plus récente : environ quatre milliards
six cents millions d'années. Mais tous ces chiffres sont susceptibles de révision.
Sur notre obscure planète, la Terre, dès qu'elle
a été physiquement prête, la matière a continué son processus de composition.
Des atomes arrangés avec d'autres atomes, cela donne des molécules. Des
molécules arrangées avec d'autres molécules, cela donne des molécules géantes.
Des molécules géantes arrangées avec des molécules géantes, cela donne des molécules qui
sont des télégrammes, des bibliothèques, qui contiennent toutes les
instructions ou informations nécessaires pour commander à la construction d'un être
vivant, d'abord monocellulaire, puis plus complexe, composé ou constitué de
millions puis de milliards de cellules différenciées, spécialisées.
C'est donc une loi générale de l'histoire de
l'Univers et de la matière qui se découvre à nous en cette fin du XXe siècle.
Au cours du temps, la matière se trouve prise et
emportée dans un processus de composition qui la porte vers des structures de plus
en plus complexes et donc de plus en plus improbables, du point de vue
statistique.
En un langage plus simple : Dans l'Univers,
l'information augmente constamment au cours du temps. L'Univers est un système
historique, évolutif, génétique, dans lequel l'information augmente d'une
manière irréversible.
On trouve, dans tous les bons ouvrages de physique et de biochimie, des
exposés sur la genèse et la complexification de la matière, la formation des
noyaux lourds, etc. [2]
; sur l'étude de la
formation des molécules à partir des atomes, et des molécules géantes à partir
des molécules antérieures qui sont plus simples[3].
En somme, aujourd'hui, nous pouvons
étudier l'histoire de l'Univers et l'histoire de la matière.
Nous savons
aujourd'hui que les premiers êtres vivants, les plus simples, sont apparus sur
notre planète Terre il y a environ trois milliards et cinq cents, ou six cents
millions d'années. Là encore, les chiffres peuvent être révisés.
Ce qui est
certain, c'est que les premiers êtres vivants parus, j'allais dire publiés, -
ont été les plus simples : des systèmes biologiques constitués d'une seule
cellule. Le message génétique. nécessaire pour commander à la construction
d'un
tel
système biologique est cependant déjà extrêmement riche en information, car il doit
contenir toutes les instructions ou informations requises pour commander non
seulement à la construction d'un système biologique déjà très complexe, capable de
subsister en renouvelant tous les atomes qu'il intègre, mais, de plus,
capable de se reproduire, de communiquer à d'autres l'information génétique
qu'il contient, capable aussi de s'adapter au milieu, et capable, enfin,
d'évoluer, de se transformer. Car, de fait, ces systèmes biologiques monocellulaires
ont évolué et se sont transformés. Voir dans un bon ouvrage de biologie
fondamentale la description de ces systèmes biologiques élémentaires, les
premiers vivants, les plus simples[4].
Après les
systèmes biologiques les plus simples, sont venus des systèmes biologiques
de plus en plus complexes : c'est l'histoire naturelle des êtres vivants.
Les traités de
zoologie[5]
nous présentent cette histoire de l'invention progressive, depuis plus de trois
milliards et demi d'années, de tous les
êtres vivants qui ont peuplé notre planète. Certains de ces êtres sont encore
autour de nous. La plupart sont
disparus. Nous les connaissons par les fossiles.
Ce qui apparaît certain, lorsqu'on étudie cette
longue histoire, c'est qu'au cours du temps des systèmes biologiques de plus
en plus complexes apparaissent, constitués de cellules différenciées,
d'organes spécialisés. Et donc, pour commander à la genèse ou à la formation
de ces systèmes biologiques de plus en plus complexes, de plus en plus
différenciés et spécialisés, il a bien fallu des messages génétiques de plus en plus
riches en information et contenant toutes les instructions requises pour
commander à la genèse de ces systèmes. C'est ce que les biologistes et les
biochimistes nous disent en effet aujourd'hui : les messages génétiques, au
cours du temps, augmentent en taille et en richesse, du point de vue de
l'information.
Au cours du temps, la vie s'oriente vers la
composition d'organismes de plus en plus mobiles, autonomes et pourvus d'un
système nerveux de plus en plus développé. L'encéphale augmente
continuellement en taille et en complexité au cours de l'histoire
naturelle. L'histoire naturelle de la vie se présente à nous comme une montée
irréversible vers des psychismes de plus en plus développés.
Les premiers êtres vivants parus sont des
psychismes, élémentaires, rudimentaires, mais des psychismes quand même. Il n'existe
pas d'être vivant qui ne soit un psychisme. Tout ce qui est biologique est
aussi psychique.
La biologie et la psychologie, - la psychologie
expérimentale s'entend, animale et humaine, - portent sur la même réalité :
les êtres vivants, qui sont des systèmes biologiques, et qui sont des
psychismes, d'une manière, indissociables.
Descartes s'est donc lourdement trompé sur ce
point, lui qui pensait que les animaux sont des machines et ne sont pas des
psychismes. Le même s'est d'ailleurs aussi lourdement trompé en croyant que
notre organisme est une machine. Une machine ne se répare pas elle-même, ne se
régénère pas, ne se développe pas, ne grandit pas, et ne renouvelle pas constamment
et sans cesse tous les atomes qu'elle intègre.
Au cours du temps, avec le développement
neurophysiologique, corrélativement au développement neurophysiologique, le
psychisme se développe. Et avec l'Homme, un animal pourvu d'environ cent
milliards de neurones (ce chiffre peut se modifier avec des découvertes à
venir), apparaît un être pourvu non seulement de psychisme, mais de
psychisme capable de réflexion, de connaissance, de prévision, de mémoire, de
nostalgie, de regrets, de désirs conscients, de souvenirs charmants et de
remords.
Au cours du temps, dans l'histoire naturelle des
êtres vivants, le psychisme augmente d'une manière continuée et irréversible.
Pour faire un être pourvu d'un cerveau constitué de plusieurs milliards de
cellules nerveuses avec leurs connexions, il faut un message génétique d'une
extraordinaire richesse du point de vue de la quantité et de la qualité d'information.
Les généticiens nous le disent, en effet : le
message génétique de l'homme, celui qui est contenu dans le noyau du spermatozoïde et
dans le noyau de l'ovule, c'est une immense bibliothèque, contenue
dans une masse de matière infime, de quelques millionièmes de milligramme : de
l'information presque sans masse.
Lorsqu'un homme et une femme qui s'aiment sont
unis, l'homme communique à la femme des messages. L'un de ces messages va se
combiner avec le message qui est contenu dans l'un des ovules que la
femme garde en elle, et de la combinaison de ces deux messages, va résulter un
nouveau message, un message original, tellement original et tellement nouveau que, -
tous les biologistes sont d'accord sur ce point,
- l'enfant
qui est ainsi conçu sera totalement et absolument original,
unique dans toute l'histoire de la nature et de
- C'est vrai, mais nous,
en cette fin du XXe siècle, nous avons besoin de voir, de comprendre
et de savoir comment le christianisme s'insère dans l'histoire de l'Univers et
de la nature, quelle est la place et la
fonction du christianisme dans l'histoire
de la création que nous découvrons par les sciences expérimentales. Car
unique est l'auteur de la nature et de
De tout ce que les sciences expérimentales ont
découvert depuis un siècle et plus, il apparaît que l'Univers est un système évolutif,
historique, génétique, dans lequel l'information augmente d'une manière
continue et irréversible, depuis les débuts jusqu'aujourd'hui.
Or, il est tout à fait évident que l'Univers, à
un moment donné quelconque de son histoire, ne peut pas se donner à lui-même
une information nouvelle qu'il ne possédait pas, précisément parce qu'il ne la
possédait pas. Il faut donc bien reconnaître objectivement que l'Univers est un
système historique, évolutif, génétique, qui reçoit constamment, au cours du temps, de
l'information, de l'information créatrice, qui constitue des systèmes physiques
et biologiques nouveaux.
Or l'athéisme est une philosophie qui prétend
que l'Univers est seul : Il est le seul être, ou encore l'Être purement et
simplement, ou encore l'Être absolu.
Si l'Univers est seul, le seul être, comme le
prétend l'athéisme, alors il ne peut pas se donner à lui-même ce qu'il n'a pas,
et il ne peut pas non plus le recevoir d'ailleurs ou d'un autre, puisqu'il est
seul. L'Univers devrait donc rester ce qu'il est, ce qu'il était de toute
éternité, et ne pas évoluer, ne pas s'enrichir en information.
Or l'Univers n'est pas aujourd'hui ce qu'il était il y a dix ou douze
milliards d'années. Il y a dix ou douze milliards d'années, l'Univers était
matière relativement simple. La vie n'était pas encore apparue, dans notre
système solaire du moins. Et si d'ailleurs elle est apparue un peu plus tôt, ou
peu plus tard, il reste certain qu'elle est apparue il y a quelque temps et
flue l'Univers d'il y a dix ou douze milliards d'années ne pouvait comporter de
systèmes solaires prêts avons besoin de voir, de comprendre et de savoir
comment le christianisme s'insère dans l'histoire de l'Univers et de la nature, quelle est la place et la fonction du
christianisme dans l'histoire de la
création que nous découvrons par les sciences expérimentales. Car unique
est l'auteur de la nature et de
De tout ce que les sciences expérimentales ont
découvert depuis un siècle et plus, il apparaît que l'Univers est un système évolutif,
historique, génétique, dans lequel l'information augmente d'une manière
continue et irréversible, depuis les débuts jusqu'aujourd'hui.
Or, il est tout à fait évident que l'Univers, à
un moment donné quelconque de son histoire, ne peut pas se donner à lui-même
une information nouvelle qu'il ne possédait pas, précisément parce qu'il ne la
possédait pas. Il faut donc bien reconnaître objectivement que l'Univers est un
système historique, évolutif, génétique, qui reçoit constamment, au cours du temps, de
l'information, de l'information créatrice, qui constitue des systèmes physiques
et biologiques nouveaux.
Or l'athéisme est une philosophie qui prétend
que l'Univers est seul : Il est le seul être, ou encore l'Être purement et
simplement, ou encore l'Être absolu.
Si l'Univers est seul, le seul être, comme le
prétend l'athéisme, alors il ne peut pas se donner à lui-même ce qu'il n'a pas,
et il ne peut pas non plus le recevoir d'ailleurs ou d'un autre, puisqu'il est
seul. L'Univers devrait donc rester ce qu'il est, ce qu'il était de toute
éternité, et ne pas évoluer, ne pas s'enrichir en information.
Or l'Univers n'est pas aujourd'hui ce qu'il était il y a dix ou douze
milliards d'années. Il y a dix ou douze milliards d'années, l'Univers était
matière relativement simple. La vie n'était pas encore apparue, dans notre
système solaire du moins. Et si d'ailleurs elle est apparue un peu plus tôt, ou
peu plus tard, il reste certain qu'elle est apparue il y a quelque temps et
flue l'Univers d'il y a dix ou douze milliards d'années ne pouvait comporter de
systèmes solaires prêts physiquement à
recevoir ces systèmes biologiques complexes que sont les êtres vivants.
Il faut donc bien
reconnaître que l'Univers évolue au cours du temps et dans une
direction très précise : vers la constitution de systèmes
physiques et biologiques de plus en plus complexes. C'est-à-dire
que l'information augmente au cours du temps.
L'athéisme est une
philosophie qui assure que l'Univers est seul. Il ne peut donc pas
recevoir d'information nouvelle. Et il ne peut pas non plus se la donner,
puisqu'il ne l'a pas. Il devrait donc rester ce qu'il est, stagnant, fixé à ses
formes initiales. Or de fait il évolue et il s'enrichit. C'est donc que
l'athéisme est une philosophie fausse.
Si l'athéisme est vrai,
alors l'Univers est seul, et il ne saurait donc s'enrichir en être nouveau, en
êtres nouveaux. Or l'Univers est un système qui s'enrichit constamment en réalités
nouvelles, originales, au cours du temps. Donc l'athéisme est faux.
L'athéisme, aujourd'hui,
et compte tenu de ce que nous savons de l'histoire de l'Univers, est
absolument impensable. On peut bien entendu continuer à l'enseigner, dans
les universités, dans les lycées et même dans les écoles communales, mais on
ne peut plus le penser, si toutefois on appelle penser : intégrer dans l'unité
d'une synthèse qui n'implique pas de contradictions, l'ensemble des
informations que nous recevons de l'Univers et de la nature par les
sciences expérimentales.
Au fond, l'athéisme sera
de plus en plus une philosophie pour les littéraires, pour ceux qui ignorent
quelle a été l'histoire, l'aventure de l'Univers, de la matière, de la vie et
de l'Homme.
La découverte de la création, du fait de la
création, s'effectue parce que nous
connaissons de mieux en mieux l'histoire de l'Univers, de la matière et
de
C'est parce que nous connaissons de mieux en
mieux l'histoire de la création que nous découvrons de mieux en mieux le fait de
la création, le fait de la création continuée, depuis environ vingt milliards
d'années. Nous assistons, si j'ose dire, - et je l'ose, - à la
création en train de se faire. Nous la voyons surgir. Nous assistons à la
composition, à l'improvisation géniale qui suscite les nouveaux systèmes
physiques, les nouveaux systèmes biochimiques, les nouveaux messages génétiques et
donc les nouveaux systèmes biologiques.
L'Univers est comparable à une
symphonie inachevée, en train d'être composée.
Dire qu'une symphonie se compose elle-même, cela
n'a aucun sens. C'est parler pour ne rien dire. C'est bruiter une apparence de
parole. Or l'Univers est une symphonie inachevée dans laquelle les
compositions sont des êtres et même parfois des êtres vivants et
pensants.
Dire que cette composition se fait seule, c'est
énoncer une proposition dépourvue de signification. Car la multiplicité des notes de la
symphonie ne se compose pas elle-même. Elles sont composées, intégrées
dans des ensembles qui sont des formes. Aucune multiplicité, quelle qu'elle soit,
ne peut se donner à elle-même une information qu'elle n'a pas.
L'athéisme est une philosophie impensable, si
toutefois l'on veut rester rationaliste. On peut, bien entendu, continuer à professer
l'athéisme, mais à la condition de renoncer à l'usage de l'analyse rationnelle
et aux informations fournies par les sciences expérimentales.
Une philosophie irrationnelle et littéraire, tel
est bien en effet l'athéisme contemporain, qui se détourne avec horreur des sciences de
l'Univers, des sciences de
Dans le cas de Marx et de ses disciples, la
situation est plus compliquée. Marx et Engels, son ami, ont bien élaboré
une philosophie de
Toutes ces thèses métaphysiques, les sciences
expérimentales, depuis un siècle, nous ont montré qu'elles sont fausses. Il faut donc
fuir l'enseignement des sciences expérimentales pour pouvoir continuer à
professer l'athéisme.
Dans cette analyse, et pour cette analyse, nous ne nous sommes pas appuyé sur les découvertes les plus
récentes qui conduisent les astrophysiciens à nous décrire, fraction de seconde par fraction de seconde, les premiers
instants de l'Univers. Nous avons laissé de côté le premier ou les tout
premiers commencements de l'Univers. C'était trop facile : si l'Univers a
commencé, comme nous le disent les astrophysiciens,
alors il ne peut pas être le seul être, ou l'Être purement et simplement. Car l'Être, ou la totalité de
l'être, ne peut pas surgir du néant absolu, ou négation de tout être. Le
néant absolu est stérile. Cela, les philosophes athées le concèdent depuis
vingt-cinq siècles. Du néant absolu, ou négation de tout être quel qu'il soit,
rien ne peut surgir ou venir à l'être. Si donc l'Univers est seul, ou le seul
Être, comme le prétendent les philosophes athées, alors il ne peut pas avoir
commencé. Il doit être éternel dans le passé, comme il doit être éternel dans l'avenir, puisqu'il est l'Être, le
seul Être ou encore l'Être absolu.
- Si
l'athéisme est vrai, alors l'Univers ne peut pas avoir commencé.
- Si
l'astrophysique établit, ce qu'elle est en train de faire, que l'Univers a
commencé, alors l'athéisme n'est pas vrai.
La question de l'âge de l'Univers est
aujourd'hui un problème qui relève de la compétence de la physique cosmique. Les analyses,
les calculs et les évaluations se font à partir de trois domaines distincts.
1. L'âge
des étoiles a été déterminé : dans notre galaxie on parvient à des chiffres qui
se situent entre dix et quinze milliards d'années.
2. La
formation des noyaux lourds comme les différents Uraniums, formés à
l'intérieur des étoiles au dernier stade de leur évolution, par exemple
lors de l'explosion des supernovae, est aujourd'hui datée : il y a environ sept
ou huit milliards d'années. Les éléments radioactifs nous permettent de supposer que les
premières fusions chimiques, dans notre galaxie, remontent à environ huit
milliards d'années ou plus.
3. Les
théories de l'expansion de l'Univers, qui sont toujours en discussion,
fournissent un âge probable assigné au commencement de l'expansion qui est du
même ordre : environ vingt milliards d'années. Comme le souligne justement Paul
Couderc, ces trois résultats précédents conduisent à des chiffres du même
ordre pour l'âge des plus vieilles étoiles, pour le début des activités
chimiques et pour le début de l'expansion. Or ces trois évaluations sont
fondées sur des données tout à fait distinctes les unes des autres[7].
Notre bon vieux soleil est une étoile qui
transforme son stock d'hydrogène en hélium d'une manière irréversible. Si le
soleil était éternel, alors il aurait transformé son stock d'hydrogène en
hélium depuis une éternité ; et donc, depuis une éternité, il n'y aurait plus
de soleil. La proposition : le soleil est éternel, - est une proposition qui
est physiquement dépourvue de sens.
Même raisonnement pour chacune des cent
milliards d'étoiles de notre galaxie, et pour chacune des étoiles des milliards de galaxies
qui constituent l'Univers.
Si notre galaxie était éternelle, alors les
étoiles qui la constituent auraient transformé chacune son stock d'hydrogène
depuis une éternité et donc, depuis une éternité, il n'y aurait plus de
galaxie.
La proposition : notre galaxie est éternelle, -
est une proposition qui est physiquement dépourvue de sens.
Même raisonnement pour l'ensemble des galaxies,
c'est-à-dire l'Univers. Dans l'Univers, les éléments, à savoir les étoiles, ont un âge
; les sous-ensembles, à savoir les galaxies, ont un âge ; - comment
l'ensemble, à savoir l'Univers, n'aurait-il pas d'âge ?
La question de l'âge de l'Univers est distincte
de la question de l'expansion de l'Univers. Même si l'expansion de l'Univers
se trouvait critiquée, il reste que l'Univers est un système historique,
évolutif, génétique, dans lequel tout a un âge.
Nous avons donc constaté que l'histoire de
l'Univers, c'est l'histoire d'une série de commencements, autant de
commencements que de degrés de réalité, ou de degrés d'être nouveau. La
création s'effectue aussi bien il y a trois milliards d'années et un peu plus,
avec l'invention des premiers systèmes biologiques, ou il y a trois cents
millions d'années, avec l'invention de nouveaux groupes zoologiques, ou il y a
quelques dizaines de milliers d'années, avec l'invention, la composition du
cerveau de l'Homme nouveau, qu'avec les premières compositions physiques, il y
a quinze ou vingt milliards d'années. Chaque instant est commencement dans
l'histoire de l'Univers.
L'existence de Dieu est connue, à partir de la création, à partir de
l'histoire de la création, exactement comme l'existence de Jean-Sébastien Bach
est connue par ses Cantates. La
différence, c'est que les Cantates de
Bach sont des compositions, ce ne sont pas
des êtres, ce ne sont pas des substances.
Et puis, les Cantates de Bach ont été
composées, au XVIII° siècle. Elles prouvent, aujourd'hui, l'existence de leur compositeur, car
une cantate ne saurait se composer toute seule. Mais elles ne sont pas
actuellement en régime de composition. Tandis que l'Univers, lui, est une
composition qui est actuellement et toujours, et encore, en régime de composition, et les
compositions les plus récentes sont des êtres, des substances, ce sont même
des psychismes, et parmi les plus récentes, des personnes, vous et moi.
La démonstration de l'existence de Dieu à partir
du monde est donc beaucoup plus forte que la démonstration de l'existence de
Jean-Sébastien Bach à partir de ses Cantates, et pourtant cette
dernière démonstration était parfaitement valide et irréfutable. D'ailleurs,
personne ne s'est encore risqué à prétendre que les Cantates de Bach
s'étaient composées toutes seules et que Jean-Sébastien Bach n'a jamais
existé.
Par contre, pour cette composition actuelle qui
est l'Univers, il y a des gens, qui se font appeler eux-mêmes philosophes et
qui le prétendent. Mais, comme disait un très vieux philosophe d'autrefois,
tout ce qu'on dit, il n'est pas nécessaire qu'on le pense. On peut même dire ce qui
est impensable.
L'existence de Dieu n'est pas une question de
croyance, ni de foi au sens où l'on entend aujourd'hui le terme de foi,
c'est-à-dire dissociée de la raison et de l'intelligence. L'existence de Dieu
relève de la compétence de l'intelligence humaine, de la raison humaine, de
l'analyse rationnelle fondée sur et dans l'expérience universelle. Elle est
objet de connaissance, et de connaissance certaine. Cette connaissance est fondée sur
le fait de la création, sur le fait de la révélation, et sur le fait de
l'incarnation. Et aussi sur le fait de l'Église. Nous examinerons ces faits
l'un après l'autre.
L'existence de Dieu ne saurait être une
question de croyance ou de foi, au sens contemporain de ce terme, pour une
raison simple : c'est que, faire porter la foi sur l'existence d'un être, quel
qu'il soit, n'a aucun sens.
Je prends un exemple simple. Supposons que je veuille apprendre à nager à un enfant. Je lui explique
tranquillement que l'eau étant ce
qu'elle est, et la densité de son corps étant ce qu'elle est, l'eau va
le porter et qu'il ne peut pas couler. Il est très difficile d'aller au fond de
l'eau ; il y faut faire de gros efforts.
L'enfant peut me croire ou ne pas me croire. Il
peut avoir confiance ou non. S'il se fie à ma parole, il va s'allonger sur
l'eau, calmement, la tête dans le prolongement du corps, et il va constater
que, sans faire aucun mouvement, il flotte. Il va donc vérifier que ce que je
lui ai dit était vrai. S'il ne me croit pas, il va se raidir, se contracter,
s'agiter, boire de l'eau, crier : l'expérience est manquée.
Mais, qu'il me croie ou qu'il ne me croie pas,
qu'il ait confiance ou non, dans tous les cas sa foi en moi, ou sa défiance, ne
porte pas sur mon existence. Celle-ci est présupposée connue et d'une
manière certaine. Je lui demande de croire à la vérité de ce que je lui dis, en
ajoutant qu'il va vérifier par lui-même la vérité de ce que je lui ai dit.
Demander à quelqu'un de croire en l'existence
d'un être n'a aucun sens. Vous pouvez vous fier en l'un de vos amis, ou ne pas
vous y fier. Mais, dans tous les cas, votre foi ou votre défiance ne portent
pas sur son existence.
Il en va de même dans la Sainte
Écriture, comme nous le verrons plus loin.
La foi en Dieu ne porte pas sur l'existence de
Dieu, laquelle est connue d'une manière certaine à partir de la création, de toutes les
créations de Dieu et à partir des oeuvres de Dieu dans l'histoire, de même que
l'existence de Jean-Sébastien Bach est connue par ses Cantates. La foi, dans
la Bible hébraïque et dans les livres de
Autrement dit, la manière dont
aujourd'hui les chrétiens utilisent le terme de foi, en l'appliquant à tout et
n'importe comment, en
l'appliquant en particulier à l'existence de Dieu, cette manière de faire est absolument aberrante et
incohérente. D'abord la
foi est un acte de la pensée, de la pensée intelligente. C'est un assentiment de l'intelligence et
non pas de l'affectivité. C'est un jugement de vérité. Et de plus la foi en la
parole de Dieu présuppose la connaissance certaine de l'existence de Dieu,
connaissance possible et réelle à partir de la création.
L'existence de Dieu n'est
donc pas l'objet d'une foi irrationnelle ou dissociée de l'intelligence, comme
un grand nombre de chrétiens le répètent aujourd'hui. L'existence de Dieu est l'objet
d'une connaissance, et d'une connaissance certaine, par l'intelligence humaine
qui réfléchit sur l'oeuvre de la création. La création est la première manifestation
de Dieu.
C'est la doctrine de l'Église
depuis toujours. C'est la doctrine de l'Écriture sainte, c'est-à-dire du
peuple hébreu qui a légué l'expression de sa pensée dans cette
bibliothèque que nous appelons
Texte de saint Paul,
Lettre aux chrétiens de Rome, écrite sans doute pendant l'hiver 56-57, à
Corinthe.
Romains 1, 18: Car elle se manifeste, la colère de
Dieu, du ciel, sur toute
impiété et injustice des hommes qui retiennent la vérité prisonnière dans
l'injustice. Car ce qui est connaissable de Dieu est manifeste parmi eux. Car
Dieu le leur a manifesté. Car ses propriétés invisibles, à partir de la création de l'Univers, par
ses oeuvres, sont
discernées par l'intelligence, et sa puissance éternelle, et sa divinité, en sorte qu'ils sont
inexcusables. Car ayant
connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ni ne lui ont rendu grâces,
mais ils sont devenus vains dans leurs raisonnements, et leur coeur sans
intelligence s'est enténébré. Se vantant d'être intelligents ils sont devenus stupides, et ils ont changé la
gloire du Dieu incorruptible
pour la ressemblance d'une image d'homme corruptible et d'oiseaux et de quadrupèdes et de
reptiles.
C'est pourquoi Dieu les a
livrés aux passions de leurs coeurs en eux-mêmes, eux qui ont changé la
vérité de Dieu pour le mensonge, et qui ont adoré et servi l'être créé au lieu du
créateur, lui qui est béni pour les durées éternelles. Amen.
Cette doctrine - à savoir la
possibilité de connaître Dieu à partir de la création - est constante chez les
Pères grecs et les Pères latins, chez les grands Docteurs du Moyen Age. Elle a
été solennellement définie par l'Église au premier Concile du Vatican, en 1870
:
La même sainte mère
l'Église tient et enseigne que Dieu, qui est le principe et la fin de tous les
êtres, peut être connu d'une manière certaine à la lumière naturelle de la raison
humaine à partir des réalités créées.
Canon : Si quelqu'un disait que
Dieu unique et véritable, le créateur et notre seigneur, ne peut pas être
connu d'une manière certaine à la lumière naturelle de la raison humaine, - qu'il soit anathème.
Dans ce chapitre, nous n'avons donné
que quelques brèves
indications concernant la démarche de l'intelligence qui, à partir du monde réel, physique, va jusqu'à
découvrir l'existence de Celui sans lequel ce monde
serait impensable. Nous
avons développé ces analyses dans quelques livres[8].
Ici nous nous arrêtons un
instant pour aborder un problème qui a beaucoup embarrassé nos grands-parents et qui, pourtant, n'existe
pas.
La théorie de l'évolution est une théorie
scientifique. Ce n'est pas, en principe du moins, une théorie métaphysique. La théorie
scientifique de l'évolution, proposée depuis le début du 'axe siècle par
Lamarck (Philosophie zoologique, 1809), prétend que les groupes zoologiques et
les espèces apparaissent dans l'histoire naturelle de la vie, selon un certain
ordre, qui va du simple au complexe, des êtres vivants les plus simples aux plus
composés. Cette assertion a été amplement vérifiée depuis deux siècles.
D'autre part, la théorie scientifique de
l'évolution prétend que les groupes zoologiques et les espèces se
rattachent physiquement, ou mieux, génétiquement, les uns aux autres. Ce qui signifie qu'un
nouveau groupe zoologique, une nouvelle espèce de vivant, n'apparaît pas à
partir de la matière telle que l'étudie le physicien, de la matière telle
qu'elle était sur notre planète il y a quatre milliards d'années, mais à partir
d'un autre groupe zoologique, à partir d'une autre espèce, autrement dit par
une sorte de filiation.
Prenons une analogie et reportons-nous à un
domaine qui n'est pas celui de la biologie : celui de
Si nous considérons maintenant le sanscrit, le
zend, le grec, le latin, etc., nous découvrons aussi des analogies, des ressemblances,
dans le vocabulaire, les conjugaisons, la syntaxe, etc., et nous en inférons
l'existence d'une langue dont le sanscrit, le zend, le latin et le grec sont
issus, par dérivations, par évolution.
La différence, c'est que nous connaissons le latin directement, par
les textes qui nous en restent, par les inscriptions. Tandis que l'existence de
cette langue originelle qui est la souche dont sont issus le sanscrit, le
zend, le grec, le latin, cette existence est postulée ou inférée, mais il ne
nous reste pas de documents directs qui en attestent l'existence. C'est donc
une inférence, et une inférence nécessaire, car sans cette inférence nous ne
comprenons pas les parentés entre le sanscrit, le zend, le grec et le latin. Si
l'on n'admet pas une origine commune à ces diverses langues, les ressemblances
linguistiques nombreuses qui existent entre elles devraient être attribuées à un prodigieux hasard. Or ces ressemblances
sont trop nombreuses pour que l'on songe à faire appel à des coïncidences
pour les expliquer. On émet donc l'hypothèse qu'il a dû exister une langue
originelle que l'on appelle l'indo-européen. Chacune des populations de langue
indo-européenne a modelé et transformé à sa manière la langue héritée des
ancêtres. Les Hellènes, groupe indo-européen fixé en Grèce, en ont fait ce que
nous appelons le grec ; les Indo-Européens d'Italie ont transformé la langue
qu'ils avaient reçue, en cette langue qui est le latin. A partir des langues
connues dont nous disposons, il est possible de reconstruire en partie la langue primitive dont sont issues les
langues dites indo-européennes. La langue-mère ne nous est connue que
dans la mesure où les correspondances permettent de la reconstituer[9].
Pour tous les
groupes de langues actuellement étudiés, on procède à la recherche d'une langue
commune initiale, que les Allemands appellent Ursprache. La restitution
hypothétique de cette langue originelle peut être vérifiée dans le cas des
langues romanes, puisque nous connaissons par ailleurs la langue latine. Or,
observent les savants linguistes, la langue commune, la langue originelle à
laquelle on est conduit et que l'on pourrait reconstituer à partir des langues
romanes que nous connaissons, ne fournirait pas et ne permettrait pas de
reconstituer tout ce qu'était le latin au moment où ces langues se sont séparées les unes des autres. De plus, entre la langue
commune initiale, restituée par la méthode de la comparaison entre des
langues connues, et la langue attestée en fait par les documents, il peut s'intercaler
une ou plusieurs langues communes
intermédiaires. C'est ainsi que, entre l'indo-européen, d'une part, et
les langues romanes de l'autre, s'insère une
grande langue commune, le « roman commun » que l'on appelle aussi le « latin
vulgaire ». De même, entre l'indo-européen, d'une part, le
gothique, le vieux haut allemand et le vieil anglais, de l'autre, il y a eu
une langue commune, que l'on appelle le « germanique commun »,
langue non attestée en fait, mais dont l'existence est supposée, d'une manière nécessaire, par l'existence d'un
ensemble de données linguistiques[10].
Il en va exactement de même pour les langues
sémitiques. L'hébreu, l'arabe, ont tellement de points de ressemblance que déjà
les savants juifs du Xe siècle avaient reconnu leur parenté, leur
communauté d'origine. Les ressemblances entre l'hébreu et l'araméen
sont encore plus visibles. C'est pourquoi les grands orientalistes du XVIII siècle avaient
déjà acquis une conception de l'unité du groupe des langues sémitiques[11].
Eh bien, les biologistes raisonnent de la même
manière que les
linguistes. A partir d'analogies morphologiques, physiologiques, biochimiques
et autres, ils sont conduits à penser que
les grands groupes zoologiques et les espèces dérivent les uns des
autres, de même que les langues modernes dérivent d'une souche originelle, qui
dérive elle-même, avec d'autres, d'une souche commune. Cela ne signifie pas,
bien entendu, que le français actuel dérive de l'espagnol actuel ou de l'italien
actuel. Mais cela signifie que le français actuel, l'espagnol actuel, l'italien actuel, etc., dérivent
d'une souche commune, que nous connaissons par chance et qui est le latin. Il
en va de même des groupes zoologiques. Il n'est pas question de supposer que
l'Homme actuel dérive du singe actuel ou d'un type contemporain de singe. Par
contre, des analogies anatomiques, physiologiques et biochimiques précises
conduisent à penser qu'il doit y avoir, en reculant suffisamment dans le
temps, une souche commune dont dérivent les singes anthropomorphes actuels et
les Hommes modernes.
Il n'est pas question d'entrer ici dans un
exposé des preuves de la théorie de l'évolution. Cela se trouve dans tous les
traités modernes de biologie[12].
Rappelons simplement que ces preuves sont
fondées sur l'unité de composition chimique des êtres vivants, l'uniformité du
plan cellulaire, l'uniformité des organites cellulaires. Il existe des preuves
paléontologiques, des preuves embryologiques, des preuves anatomiques, etc.
Nous n'avons pas ici à défendre ni à accuser la
théorie scientifique de l'évolution. Il nous suffit de constater qu'en tant que
telle elle ne présente aucun inconvénient pour nous, du point de vue
théologique. Car la théorie scientifique de l'évolution, en tant que telle, ne
se prononce ni par oui ni par non sur la question de savoir si les groupes
zoologiques nouveaux qui apparaissent, les nouveaux types de vivants qui apparaissent
au cours du temps, sont l'oeuvre d'une création, ou non.
La théorie de l'évolution, en tant que telle, ne le dit pas, parce
qu'elle ne peut pas le dire. Et elle ne peut pas le dire, parce qu'elle n'est
pas une théorie métaphysique, mais une théorie scientifique. En tant que
théorie scientifique, elle n'a pas à traiter le problème posé par l'existence
des êtres. La théorie scientifique de l'évolution nous dit simplement de quelle
manière les êtres vivants sont apparus dans l'histoire naturelle, dans quel ordre, et selon quelles parentés. Dire qu'il
y a parenté, ce n'est pas dire que le groupe zoologique ultérieur est produit par le groupe zoologique
antérieur dont il est issu. Ce n'est pas du tout dire que le plus s'explique
par le moins. C'est dire qu'un groupe zoologique nouveau, plus riche en
information génétique, a été créé après et à partir d'un groupe zoologique
antérieur, plus pauvre en information.
Non seulement la théorie scientifique de
l'évolution, en tant que telle, ne prend pas parti contre la théorie
métaphysique et théologique de la création - sur laquelle nous allons revenir - mais elle
nous fournit les éléments, les données empiriques, pour découvrir le fait de
Spontanément, et comme contrainte par la réalité
elle-même, la biologie parle le langage de la création : la genèse d'un nouveau
groupe zoologique, c'est une création, et cette création n'est possible
que par la création de nouveaux gènes. Par conséquent, non seulement la théorie de
l'évolution n'entre pas en conflit avec la théorie de la création, mais elle
nous conduit par la main à voir, à discerner la création en train de se faire.
C'est cela en réalité l'évolution : la création en train de se faire.
Nos grands-parents ont été gênés parce qu'ils se représentaient plus ou
moins la création comme quelque chose d'instantané et sur le modèle de la
fabrication humaine : le Dieu potier qui prend de la terre glaise et qui
façonne chaque animal nouveau et puis enfin l'Homme. - Dieu ne procède pas ainsi, il ne recommence pas à chaque fois à
partir de la matière non informée du début. Lorsqu'il a créé un message
génétique, il s'en sert, il l'utilise pour continuer sa création en ajoutant au premier message génétique un complément
qui est intégré, et ainsi de suite tout au long de l'histoire
naturelle. C'est ainsi que nous avons dans nos messages génétiques des chapitres entiers qui ont été composés il y a
plusieurs centaines de millions d'années.
La preuve de la théorie
scientifique de l'évolution, c'est que si on ne l'admet pas, on est obligé de penser
que chaque groupe zoologique nouveau apparu dans l'histoire naturelle des êtres
vivants est une création qui procède à partir de la matière non informée. On
est donc obligé de prêter à Dieu, dans cette hypothèse, les méthodes du potier.
Mais si les groupes zoologiques procèdent ainsi de créations discontinues, séparées les
unes des autres et à partir de la matière brute, alors on ne comprend plus
les analogies, les parentés anatomiques, physiologiques, biochimiques, etc., qui
existent chez les êtres vivants des diverses espèces.
Laissons maintenant cette
affaire de l'évolution. Il reste qu'il faut rendre compte de l'existence des
groupes zoologiques nouveaux qui apparaissent au cours du temps dans l'histoire naturelle
et qu'en effet un message génétique plus ancien, et plus pauvre en
information, ne suffit pas à expliquer la genèse d'un message
génétique nouveau, plus riche en information. Il faut donc bien reconnaître ici
l'effet d'une création et la communication d'une nouvelle information génétique,
qui n'existait pas auparavant.
Ce qui a fait difficulté
au siècle précédent, et même au début de celui-ci, c'est que certains savants,
certains biologistes, qui professaient la théorie de l'évolution, ont prétendu
remplacer la théorie métaphysique de la création par la théorie de
l'évolution. Et alors, la théorie de l'évolution n'était plus, entre leurs
mains du moins, une théorie scientifique, mais une théorie métaphysique.
Leurs adversaires monothéistes ont accepté ce champ de bataille et ont cru, à
tort, qu'il fallait choisir entre création ou évolution. Les uns, les
adversaires de la création et donc du monothéisme, étaient partisans de l'évolution.
Les autres, les partisans de la création, furent adversaires de l'évolution.
Mais les uns et les autres commettaient la même erreur d'analyse, car
ils partaient ensemble du même présupposé, à savoir qu'il faut choisir entre
création ou évolution. Or il n'y a pas à choisir entre création ou évolution.
Les faits de l'histoire naturelle nous montrent que la création s'est effectuée
ou réalisée d'une manière évolutive, par étapes, progressivement, du simple au
complexe, et que les êtres vivants se rattachent les uns aux autres par une histoire
génétique commune.
L'affaire de l'évolution a été particulièrement
chaude à propos de la genèse de l'Homme. Les théologiens, et plus généralement
les monothéistes, maintenaient que la création de l'Homme requiert une création
spéciale et toute particulière de Dieu. - Mais la théorie scientifique de
l'évolution, en tant que telle, n'y contredit pas. Elle nous dit simplement
que dans le processus de l'anthropogenèse, il faut reconnaître certaines étapes
et certaines filiations. Pour passer de l'Australopithèque à l'Homme
d'aujourd'hui, il a fallu communiquer de nouveaux chapitres génétiques : la voilà la
création qui est à l'oeuvre, à l'intérieur même du processus évolutif.
Ajoutons enfin, pour comprendre et excuser les
difficultés de nos grands-parents, que certains savants ont prétendu expliquer le
fait de l'évolution, par exemple par la théorie des mutations fortuites ou
encore celle des erreurs de copie dans le processus de l'auto duplication des
molécules géantes qui portent le message génétique. Mais alors, ce
n'est plus la théorie scientifique de l'évolution elle-même que l'on nous
présente : c'est une interprétation philosophique de la théorie de l'évolution
et du fait de l'évolution. On prétend que les erreurs de copie dans l'histoire
naturelle suffisent à expliquer toutes les inventions des systèmes biologiques
nouveaux depuis les micro-organismes jusqu'à l'Homme. C'est une thèse philosophique
qui relève de la critique philosophique. Nous ne l'examinerons pas ici puisque
nous l'avons tentée ailleurs[13].
La création est, pour nous, la première
manifestation de Dieu, celle dont nous devons partir pour le connaître. Mais, comme nous l'avons déjà noté, la
création est une oeuvre historique, qui procède par étapes.
Chacune de ces étapes, chaque
création nouvelle, est un nouveau point de départ pour connaître Dieu qui est
le créateur.
Avec l'apparition de l'Homme, la création et l'histoire de la création
changent de régime.
Jusqu'à l'Homme, la création s'effectue par communication de nouveaux
messages, de nouvelle information. Un nouveau groupe zoologique qui est créé,
c'est d'abord un nouveau message génétique qui est intégré à un message génétique
antérieur, plus simple. Mais le Créateur ne demande pas à l'être créé sa
permission pour, à partir de cet être, procéder à une nouvelle création. La
création, avant l'apparition de l'Homme, s’effectue - il semble du moins -
sans la coopération de l'être créé.
Avec l'apparition de l'Homme, la création change de régime, car
avec cet être nouveau qui est l'Homme, apparaît dans l'Univers et dans la
nature un être capable de penser, capable de réflexion et de connaissance.
Pour continuer sa création à partir de
cet être-là, Dieu continue
à communiquer des messages et des informations.
Mais désormais ces messages ne sont plus inscrits dans ce que les
biologistes appellent le patrimoine génétique de l'être vivant ; ils sont
communiqués à l'intelligence de cet être nouveau qui vient d'apparaître, à sa
pensée, à sa liberté. Il peut les recevoir et les assimiler. Il peut aussi les
rejeter. La création désormais s'effectue avec l'Homme, avec le consentement
de l'Homme, s'il le veut. Dieu a entrepris de créer un autre lui-même, un être
à son image et à sa ressemblance. Et cet être qui est en ce moment en
gestation, Dieu le traite comme un dieu :
Psaume 82,6: Moi j'ai dit : vous êtes des dieux,
vous, et des fils du Très-Haut, tous ! Et cependant, comme de l'homme vous
mourrez...
Les spécialistes de l'étude des
origines humaines distinguaient naguère quatre étapes principales dans
l'histoire de la genèse de l'Homme :
1.
Les Australopithèques, qui ont vécu pendant le
Pléistocène inférieur ; ils sont bipèdes et de petite taille ; le volume de
leur cerveau est de l'ordre de 500 cm3.
2.
Les Archanthropiens qui datent de la première
partie du Pléistocène moyen ; leur cerveau est déjà plus volumineux : environ
3.
Les Paléanthropiens qui apparaissent au Pleistocène moyen : leur cerveau
atteint
4.
Les Néanthropiens fossiles qui apparaissent dans
la seconde partie du Pléistocène supérieur ; leur cerveau est en général de
l'ordre de
Plus
récemment, certains savants éminents ont estimé que la théorie d'après laquelle
le processus de l'hominisation s'est réalisé
par la succession de types bien définis, à savoir les Australopithèques,
les Pithécanthropes, les Hommes de Néandertal et les Hommes modernes, est trop
simple. Ces savants estiment que la théorie en question oublie que l'évolution
animale est diversifiante et que les lignées ne cessent de buissonner[15].
Ce qui est
certain, c'est que l'on voit, depuis quelques millions d'années, des formes
humaines qui surgissent et dont il nous reste des témoins, fossiles ou non. Ces
formes successives d'êtres qui ne sont plus des Simiens et qui ne sont pas
encore des hommes modernes nous permettent de discerner au moins dans son
ensemble le film ou l'histoire de la genèse de l'Homme. Par les découvertes des
paléontologistes, nous assistons à la formation de l'Homme, de même que par l'astrophysique
nous assistons à la genèse de l'Univers.
L'histoire de la
genèse de l'Homme est orientée, dans son ensemble, vers la genèse d'un cerveau
de plus en plus complexe. Le cerveau de l'Homme moderne est le système le
plus
complexe que nous connaissions à ce jour dans l'Univers : environ cent
milliards de neurones ; chaque neurone donne naissance à un buisson touffu de
dendrites qui entrent en connexion les unes avec les autres. Pour l'ensemble
du cortex humain, cela donne à peu près seize billions de synapses...
Nous ne savons
pas très bien, en 1986, parmi ces êtres que la paléontologie nous découvre
depuis un siècle au moins, lequel nous pouvons et nous devons appeler « Homme
». Il nous faudrait un critère objectif. Les savants disposent de critères
empiriques : la capacité de faire du feu, de fabriquer des outils, etc.
Le théologien a une idée sur
Ce par quoi l'homme est capable d'entrer avec Dieu en relation de
dialogue, c'est ce que la Sainte Écriture appelle l'esprit ; en hébreu ruah[16]
: en grec pneuma ; en latin spiritus.
L'esprit, c'est ce par quoi l'homme peut entrer en relation avec Dieu,
recevoir de Dieu des messages, des informations, et répondre à Dieu. L'homme de
l'esprit, hébreu isch haruah, c'est le prophète (Osée 9, 7).
L'Homme, c'est un être capable de devenir prophète, invité, appelé à
devenir prophète. Un être capable, par nature, c'est-à-dire par création, de
recevoir de Dieu, par grâce, l'Esprit saint qui fera de lui un prophète.
Le point de vue du paléontologiste et du zoologiste, et le point de vue du
théologien sont donc distincts. Distincts, mais non opposés ni en
contradiction l'un avec l'autre. Complémentaires au contraire. Et
le théologien a beaucoup à apprendre de ce que lui dit le biologiste, le
neurophysiologiste, le zoologiste et le paléontologiste.
Le zoologiste nous apprend que l'Homme est un animal - le dernier animal
né sur notre planète - particulièrement fragile et démuni, en ce
sens u'il a perdu la plus grande partie des comportements
instinctifs qui régissent la vie de l'animal ou des animaux qui le précèdent.
L'Homme est un être parvenu, par son cerveau, à la conscience réfléchie ; la
sagesse innée, instinctive, génétiquement programmée de l'animal, doit être
remplacée par une sagesse acquise. L'Homme est un animal qui a absolument
besoin, pour survivre, d'une sagesse acquise, car celle de l'instinct lui fait
en grande partie défaut.
L'animal
obéit aux programmations inscrites dans son patrimoine génétique, en ce qui
concerne l'alimentation, la chasse, la
défense du territoire, les amours, la vie sociale, etc. L'Homme est un
animal qui, à cause de la conscience réfléchie
à laquelle il a accédé, est capable de faire à peu près n'importe quoi, en ce
qui concerne la nourriture, les amours, la vie sociale et politique, la guerre
et le reste, - et il le fait.
L'Homme est un
animal qui, à cause de la conscience réfléchie, est capable de devenir
méchant, et il le devient. Il est capable de massacrer inutilement, de torturer,
ce que ne font pas les fauves. Et lorsqu'on traite de fauves certains massacreurs, on
fait gravement injure aux lions et aux tigres, qui ne pratiquent pas les
horreurs que nous avons vues au XXe siècle. Les lionnes ne tuent pas
leurs propres enfants. Lorsqu'on parle, à propos de certaines sociétés
humaines, de retour à la jungle, on fait injure à la jungle, car dans la jungle
on ne torture pas et on ne massacre pas pour le plaisir. La loi de la jungle,
ce n'est pas du tout ce que nous avons vu au XXe siècle
: les camps de la mort et les chambres à gaz.
A cause de son accès à la connaissance réfléchie, l'Homme est un animal
qui est entré dans une phase redoutable. Et certains se demandent
aujourd'hui si l'Humanité ne va pas se détruire elle-même avec les armes dont
elle dispose et dont elle accroît constamment le nombre et la puissance
destructrice.
Un vieux théologien hébreu du IXe ou Xe
siècle avant notre ère avait dit cela à sa manière, dans son langage à lui. Il
utilisait sans doute des traditions antérieures, qu'il a remodelées, pour
dire ce qu'il avait à dire, tout comme Jean de la Fontaine utilisait des fables
et des histoires antérieures pour composer ses propres fables et nous dire ce
qu'il avait envie de nous dire.
Ce théologien hébreu ne disposait pas, comme nous, d'expressions telles
que : accès à la conscience réfléchie, ou seuil de
Genèse 2, 7. sq
: Et il façonna, YHWH
Dieu, l'Homme (en hébreu ha-adam) poussière prise de la terre (hébreu haadamah), et il insuffla dans
sa narine un souffle de vie et l'Homme (ha-adam) devint une âme vivante.
Et il planta, YHWH Dieu, un jardin en Eden, à l'Orient, et il plaça là l'Homme (ha-adam)
qu'il avait formé. Et il fit germer, YHWH Dieu, de la terre tout arbre
agréable à voir, et bon à
manger, et l'arbre de la vie au milieu du jardin et
l'arbre de la connaissance du bon et du mauvais. (...)
Et il prit, YHWH Dieu,
l'Homme (ha-adam) et il le conduisit dans le jardin d'Eden pour le
travailler et pour le garder. Et il donna cet ordre, YHWH Dieu, à l'Homme en
disant : de tout arbre du jardin, manger tu mangeras. Et de l'arbre de
la connaissance du bon et du mauvais, tu n'en mangeras pas, car le jour où tu en
mangeras,
mourir tu mourras.
Et il dit, YHWH Dieu : il n'est pas bon
que l'Homme soit seul en face de lui-même. Je lui ferai une aide semblable à
lui.
Et il façonna, YHWH Dieu,
à partir de la terre, tout être vivant du champ et tout oiseau des cieux et il
les conduisit vers l'Homme pour voir quoi il leur crierait. Et tout ce qu'il
leur criait, l'Homme, à tout âme vivante, c'est son nom !
Et il cria, l'Homme, des
noms à tout animal à quatre pattes et à l'oiseau des cieux et à tout vivant du
champ. Mais pour l'Homme il ne trouva pas d'aide comme à sa ressemblance.
Et il fit tomber, YHWH
Dieu, un profond sommeil sur l'Homme et il s'endormit. Et il prit l'une de ses
côtes et il referma de la chair à sa place. Et il construisit, YHWH Dieu, la
côte qu'il avait prise de l'Homme, en Femme et il la conduisit vers l'Homme.
Et il dit, l'Homme :
Celle-ci, cette fois, os de mes os et chair de ma chair. A celle-ci il sera
crié : Femme ! (hébreu ischah) car de l'Homme (hébreu isch) elle
a été prise, celle-ci !
C'est pourquoi il
abandonnera, l'Homme (isch),
son
père et sa mère et il s'attachera à sa femme (ischetô) et ils seront une seule
chair.
Et ils étaient tous deux
nus, l'Homme (ha-adam)
et
sa femme et ils ne s'en faisaient pas honte.
Nous lirons plus loin le texte dans lequel la signification du
tétragramme YHWH est donnée.
Pour quelles raisons n'ai-je pas mis de voyelles au nom propre de Dieu ?
D'abord par respect pour nos frères aînés du judaïsme, qui ne prononcent
pas le nom propre de Dieu. Lorsqu'ils le lisent dans la Bibliothèque hébraïque
inspirée, ils prononcent adonaï; c'est-à-dire : seigneur. Les savants judéens qui, vers
le Ive, IIIe ou IIe siècle avant notre
ère, ont traduit la Bible hébraïque en grec, ont rendu le tétragramme par le
mot grec kyrios, c'est-à-dire
qu'ils ont traduit l'hébreu adonaï, puisque kyrios signifie : seigneur. Les Latins qui ont traduit la
traduction grecque en latin ont rendu le grec kyrios par le latin dominus, et les Français ont traduit : le seigneur. En
sorte que, dans une liturgie en latin, lorsque l'on entend un psaume dans
lequel il est dit dominus, il y
a le tétragramme YHWH dans le texte
hébreu qui est sous le texte latin.
Les Judéens fidèles ne prononcent pas le tétragramme, ils lisent adonaï en sorte que, dans nos
éditions imprimées de la Bible hébraïque, sous les consonnes de YHWH, on peut lire les
voyelles d'adonaï. Les manuscrits hébreux anciens ne comportaient
aucune voyelle. Ce sont des savants judéens qui, aux VIIe et V1lle siècles
de notre ère, ont mis des voyelles sous les consonnes du texte sacré, afin
qu'on se souvienne de la manière dont il convient de prononcer l'hébreu. La
lecture absurde : Jéhovah résulte de la lecture des consonnes de YHWH avec les
voyelles d'adonaï. Aussi
absurde que si on lisait les consonnes de Félix avec les voyelles de Potin.
Une
deuxième raison pour laquelle nous ne mettons pas de voyelles au tétragramme,
c'est que nous ne sommes pas certains de la prononciation du nom propre de
Dieu. C'est objet de controverse. Plutôt que
de proposer une prononciation arbitraire, je préfère y renoncer.
Une troisième raison, c'est qu'au fond et à la réflexion, nos frères
aînés du judaïsme ont raison de ne pas vouloir qu'on prononce à tout bout
de champ le nom propre de l'Unique, de l'Absolu, du Premier. Nous ne sommes pas
sur le même plan que Dieu. Il est l'Incréé. Il vaut donc mieux éviter un usage
vulgaire du nom de Dieu et réserver la prononciation de son nom unique à des
circonstances exceptionnel-les. C'est ainsi que le comprend le judaïsme depuis
de longs siècles et dès avant l'ère chrétienne. Dans ce texte, comme dans Genèse 1 que nous lirons
plus loin, et comme dans toute la Bible hébraïque, le mot ha-adam n'est pas un
nom propre, désignant un individu singulier. C'est un nom commun qui signifie
: l'Homme, l'Humanité. L'hébreu a pour habitude d'utiliser un mot au singulier
pour désigner une collectivité ou une multitude ; par exemple : l'Oiseau des
cieux, - pour dire : les oiseaux multiples appartenant à de multiples espèces.
Le théologien qui a composé ce texte, sans doute à partir de traditions
orales antérieures, ne se propose donc pas de nous parler d'un individu
singulier appelé Adam. Il nous parle de l'Homme, de la création de l'Homme, du passé
de l'Homme, du destin de l'Homme, et aussi, nous le verrons, de l'avenir de
l'Homme.
L'idée de ce théologien hébreu, qui vivait sans doute au IX° siècle avant
notre ère, c'est que l'Homme, lorsqu'il fut créé, vivait de la cueillette,
qu'il vivait nu, et que la chasse, ainsi que l'habillement, sont venus plus
tard.
Lorsque
l'Homme est apparu, en Afrique du Sud ou en Afrique orientale, en tout cas dans
une région tropicale, lorsque s'est
effectuée la mutation hominisante, ou, disons mieux, lorsque se sont effectuées les premières
mutations qui devaient conduire aux formes humaines, les êtres qui ont
résulté de ces premières mutations vivaient bien entendu tout comme les grands
singes anthropoïdes, et, comme eux, se nourrissaient principalement de cueillette. D'ailleurs, du point de vue
anatomique, physiologique et biochimique – métabolisme des acides nucléiques -
les hommes actuels sont très proches des grands singes anthropomorphes.
Il se pourrait donc - c'est une pure hypothèse de travail que le vieux
théologien hébreu nous relate dans ce texte un souvenir très archaïque
d'une époque où l'humanité vivait de cueillette, et sans être astreinte à la
nécessité de se vêtir. S'il ne s'agit pas d'un très vieux souvenir, transmis
par la tradition orale, alors c'est une coïncidence.
Voyons maintenant la page suivante dans laquelle le théologien hébreu
nous raconte comment, à son avis, l'humanité
-
hébreu ha-adam - a perdu cette condition
initiale heureuse. Le genre littéraire du texte, c'est ce qu'en hébreu on
appelle un mâschâl, c'est-à-dire
une comparaison, une analogie, une fable qui s'appuie sur des données
concrètes pour communiquer un enseignement de sagesse. Le mot hébreu mâschâl a été traduit
en grec par parabolè.
Les
traducteurs français ont rendu le grec parabolè par le français parabole, ce qui ne les a
pas trop fatigués. Bien entendu, le théologien qui a composé ce mâschâl n'était pas
davantage dupe de son procédé que Jean de la Fontaine lorsqu'il fait parler
les loups, les renards et les agneaux.
Genèse 3,1-13 :
Et
le serpent était nu-et-rusé (en hébreu aroum signifie à la fois nu et rusé ; c'est donc un jeu de
mots) plus que tout vivant du champ qu'avait fait YHWH Dieu et il dit à la
femme :
- Serait-ce qu'il a dit,
Dieu : vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin ?
Elle dit, la femme, au
serpent : - Du fruit d'arbre du jardin, nous mangeons. Mais du fruit de l'arbre
qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : vous n'en mangerez pas, et
vous n'y toucherez pas, afin de ne pas mourir.
Et il dit, le serpent, à
la femme : - Non, de mort vous ne mourrez pas. Mais c'est qu'il sait, Dieu, que
le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des
dieux, connaissant le bon et le mauvais.
Et elle vit, la femme, qu'il était bon,
l'arbre, à manger, et qu'il était désirable, lui, pour les yeux, et qu'il était agréable, l'arbre pour
l'intelligence, et elle prit de son fruit et elle mangea et elle donna aussi à son homme avec elle et il mangea.
Alors s'ouvrirent les yeux
de l'un et de l'autre et ils connurent qu'ils étaient nus, eux, et ils
cousirent de la feuille de figuier et ils firent pour eux des pagnes.
Et ils entendirent la voix
de YHWH Dieu qui se promenait dans le jardin au souffle du jour, et ils se
cachèrent, l'homme et sa femme de devant la face de YHWH Dieu, au milieu de
l'arbre (sic) du jardin.
Et il cria, YHWH Dieu,
vers l'homme et il lui dit : - Où es-tu ?
Et il dit : - Ta voix, je
l'ai entendue dans le jardin, et j'ai eu peur, car je suis nu, moi, et je me
suis caché.
Et il dit : - Qui t'a
annoncé que tu es nu, toi ? Est-ce que de l'arbre au sujet duquel je t'ai
ordonné de n'en pas manger, est-ce que tu en as mangé ?
Et il dit, l'homme : - La
femme que tu as donnée avec moi, c'est elle qui m'a donné de l'arbre et j'ai
mangé.
Et il dit, YHWH Dieu, à la
femme : - Qu'est-ce cela que tu as fait ?
Et elle dit, la femme : -
Le serpent m'a trompée et j'ai mangé...
La pensée du théologien hébreu qui a
composé ce texte, ou qui a
transmis une vieille tradition qu'il a présentée à sa manière, est donc celle-ci : l'humanité a été
créée dans des conditions
heureuses. L'homme vivait de cueillette, il n'avait donc pas besoin de chasser ni de travailler la terre ; il vivait nu, il n'avait pas besoin de vêtement.
L'humanité a pris connaissance de la
distinction qui existe entre le bon et le mauvais. Elle est
entrée dans un régime nouveau. L'homme est désormais contraint
de travailler la terre
péniblement ; il est vêtu, il connaît la pudeur qu'il ignorait lorsqu'il était nu comme les animaux.
Avec la connaissance, la
peur a fait son entrée dans l'existence humaine.
Toutes ces données, que le théologien hébreu d'il y a trente siècles
nous communique, sous la forme d'une fable, sous la forme d'un mâschâl, correspondent à quelque chose pour celui qui étudie les origines
humaines : le passage de l'animalité à l'humanité, ou, pour parler comme les
anthropologues, l'émergence de l'humanité hors de l'animalité ; c'est bien en
effet, avec la formation d'un cerveau complexe, et plus précisément d'un
néocortex exceptionnellement développé, l'accès à la conscience réfléchie. Cet
accès à la conscience réfléchie
comporte des risques et même des risques mortels pour l'humanité ; notre génération sera peut-être en mesure de le
vérifier par elle-même. Il est vrai que l'homme a commencé par vivre de
cueillette et vivre nu ; la culture de la
terre et la chasse (les peaux de bêtes de Genèse 3, 21) sont venues plus tard. Il existe donc bien une
correspondance entre ce que nous dit
ce texte et ce que nous savons aujourd'hui, au XXe siècle, des origines humaines.
Ce texte peut être compris de deux manières, ou interprété dans deux
directions, qui ne sont d'ailleurs pas nécessairement exclusives l'une de
l'autre.
Une direction pessimiste, tout d'abord. C'est l'interprétation
catastrophique du texte. Il faut savoir que les Pères grecs et latins
étaient formés dans un milieu culturel, intellectuel, philosophique et
théologique, dans lequel dominaient les philosophies platoniciennes, le
néoplatonisme et les divers systèmes gnostiques.
Les
systèmes gnostiques sont des doctrines qui ont poussé et se sont développées
comme des champignons dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, et dès
l'époque de la formation des livres du Nouveau Testament. Sans entrer ici dans
un exposé de ce qu'ont été les systèmes gnostiques - exposé qui ne serait
vraiment pas à sa place ici - contentons-nous de
noter que ces systèmes ou doctrines présentent l'existence cosmique, physique, corporelle et humaine comme
une catastrophe, une chute, chute de l'âme divine et préexistante dans
une matière supposée mauvaise. Les gnostiques pensent que le principe de ce
monde physique, à savoir le créateur, est un principe ou un dieu mauvais.
L'existence humaine est le résultat d'une chute, et le salut ne peut
consister qu'à retourner à notre
condition antérieure, supposée divine[17].
D'autre part, les philosophies platoniciennes et néoplatoniciennes dans
lesquelles baignaient littéralement les intelligences des premiers
siècles de notre ère, dès lors qu'elles recevaient une formation
philosophique, ces philosophies concevaient aussi l'existence physique, cosmique
et corporelle comme le résultat d'une chute et d'une catastrophe.
Dès lors la tentation était très forte de comprendre ou d'interpréter
notre texte hébreu dans le système de référence de ces philosophies
gnostiques ou néoplatoniciennes. Et il faut bien reconnaître qu'aussi
bien chez les Pères de langue grecque (par exemple Origène d'Alexandrie ou
Grégoire de Nysse) que chez les Pères de langue latine, comme Augustin,
qui avait été neuf ans adepte de la secte manichéenne avant de venir au
christianisme, notre texte hébreu a été compris et interprété principalement
dans un sens catastrophique. Origène y voit une chute dans la matière, une
descente des âmes préexistantes dans des corps mauvais, qui sont comme des prisons[18]
; Grégoire de Nysse explique que sans cette « chute » la procréation ne se
ferait pas selon les méthodes connues aujourd'hui ; Augustin écrit que sans
cette « chute » l'amour physique, ou l'union physique de l'homme et de la femme, n'aurait
pas présenté les caractères qu'il présente. Une tendance générale chez
nombre de Pères grecs et latins est donc de comprendre ce texte d'une manière
quelque peu gnostique. Certains vont même jusqu'à penser que ce texte nous enseigne la
chute des substances spirituelles dans le monde multiple, et cette doctrine
d'Origène d'Alexandrie se retrouve en plein XIXe siècle dans les oeuvres
théosophiques du philosophe allemand Schelling et en plein XXe siècle chez des
chrétiens
que je préfère ne pas nommer pour ne pas leur faire de la peine.
Mais tous les Pères n'ont pas compris ce texte d'une manière
catastrophique. Certains ont proposé une interprétation inverse. L'un d'entre
eux, saint Irénée, évêque de Lyon (né entre 140 et 160 à Smyrne, sans doute), a
écrit un ouvrage monumental contre les hérésies de l'époque, qui étaient principalement des
hérésies de type gnostique. Irénée connaissait très bien ces doctrines
gnostiques, et les exposés qu'il nous en donne sont largement confirmés par les
découvertes d'ouvrages gnostiques originaux découverts en plein milieu du XXe siècle. Saint Irénée a
très bien vu que les doctrines gnostiques, les systèmes gnostiques, sont très
exactement et point par point l'inverse de la doctrine chrétienne. Comme nous
le verrons, la doctrine chrétienne orthodoxe professe, tout comme le judaïsme, l'excellence de la
création physique, cosmique,
biologique, l'excellence de l'existence humaine corporelle ; les systèmes
gnostiques professent que l'Univers, la matière et les corps sont mauvais. Le christianisme orthodoxe conçoit la création comme un don de l'unique
Créateur ; les systèmes gnostiques comprennent l'existence du monde comme le
résultat d'une chute et la conséquence d'une tragédie qui a ses racines au
sein même de la divinité.
Aussi bien
saint Irénée de Lyon, l'adversaire des gnostiques, propose-t-il une tout autre
interprétation de Genèse, chapitre
Quoi qu'il en soit de ce texte célèbre et de son interprétation, ce qui
est sûr et certain c'est qu'à partir du moment où l'humanité a émergé, comme
disent les paléontologistes, de l'animalité et accédé au seuil de la conscience
réfléchie, le régime de la création est modifié, et un risque d'échec est en effet possible.
La création, d'une certaine manière, est remise entre les mains d'un être
créé, l'Homme, qui peut la continuer, y coopérer activement et intelligemment,
ou la détruire.
Nous savons par l'histoire et par l'expérience que de fait l'humanité a
exploré ces deux directions : celle de la création et celle de la destruction.
Le texte de Genèse, chapitre 3 porte donc sur l'ensemble
du destin de l'humanité. C'est vraisemblablement un texte prophétique tout
autant qu'un texte portant sur le passé de l'humanité.
A partir du moment où l'Homme a accès à la conscience réfléchie, la
parole de Dieu peut lui être adressée. Et donc, lorsque apparaît l'Homme, le
temps de la révélation commence, et la création se continue dans ce nouveau
régime qui est celui de la révélation.
Qu'est-ce que la révélation ? C'est la communication par des risques, cela est dangereux, mais absolument
nécessaire pour que l'Homme quitte sa condition animale et parvienne à
la condition à laquelle Dieu veut le conduire. La puberté aussi comporte des risques. Mais elle est une
phase nécessaire de la croissance et
du développement. Il n'est donc pas question de regretter l'accès de l'Homme à la conscience, et il n'est
pas non plus question de retourner, ou de régresser à la condition du jardin d'Eden, à la vie arboricole.
Irénée conçoit donc l'accès à la
connaissance du bon et du mauvais comme un moment périlleux mais nécessaire du développement et de la
croissance de l'Homme ou de l'humanité. Cette interprétation est beaucoup plus
proche du texte hébreu que celle d'Origène d'Alexandrie qui va en sens inverse 6.
Quoi qu'il en soit de ce texte célèbre et de son interprétation, ce qui
est sûr et certain c'est qu'à partir du moment où l'humanité a émergé,
comme disent les paléontologistes, de l'animalité et accédé au seuil de la
conscience réfléchie, le régime de la création est modifié, et un risque
d'échec est en effet possible. La création, d'une certaine manière, est remise entre les
mains d'un être créé, l'Homme, qui peut la continuer, y coopérer
activement et intelligemment, ou la détruire.
Nous savons par l'histoire et par l'expérience que de fait l'humanité a
exploré ces deux directions : celle de la création et celle de la destruction.
Le texte de Genèse, chapitre 3 porte donc sur l'ensemble
du destin de l'humanité. C'est vraisemblablement un texte prophétique tout
autant qu'un texte portant sur le passé de l'humanité.
A partir du moment où l'Homme a accès à la conscience réfléchie, la
parole de Dieu peut lui être adressée. Et donc, lorsque apparaît l'Homme, le
temps de la révélation commence, et la création se continue dans ce nouveau
régime qui est celui de la révélation.
Qu'est-ce que la révélation ? C'est la
communication par Dieu
incréé d'une information créatrice à l'Homme créé. Nous l'avons vu précédemment à propos de la création :
toute création dans l'histoire de l'Univers et de la nature s'effectue, se
réalise par communication d'une information nouvelle. A partir du moment où
l'Homme apparaît, un être capable de connaissance, la création de l'Homme se
poursuit et se continue par communication d'information créatrice, mais cette information communiquée s'adresse
désormais à l'esprit de
l'homme, à sa pensée, à son intelligence et à sa liberté. Elle n'est plus inscrite génétiquement
dans le patrimoine génétique
de l'Homme. Elle est inscrite dans sa mémoire, dans sa tradition, orale
d'abord, écrite ensuite s'il y a lieu.
Psaume 78 : Prête
l'oreille, mon peuple, à mon enseignement (hébreu torah) et tendez votre oreille
aux paroles de ma bouche. Je vais ouvrir dans une comparaison (mâschâl) ma bouche, je
vais énoncer les énigmes d'autrefois.
Ce que nous avons appris
en l'entendant et ce que nous savons, et ce que nos pères nous ont raconté,
nous ne le cacherons pas à leurs fils, à la génération qui vient après nous le
raconterons, les louanges de YHWH et sa puissance et les merveilles qu'il a
faites.
Il a institué un
témoignage en Jacob, et une Instruction (torah) il a mise en Israël, qu'il a ordonné à nos pères de faire
connaître à leurs fils, afin que les connaissent ceux de la génération qui
vient après, les fils qui allaient naître, qu'ils se lèvent et qu'ils les
racontent à leurs fils, afin qu'ils mettent leur confiance en Dieu, qu'ils
n'oublient pas les oeuvres de Dieu...
Voilà ce qu'est dans ce peuple hébreu, comme dans d'autres peuples anciens, la transmission de
l'information. Elle va de la bouche à l'oreille et elle est conservée dans
Pour nous, les peuples qui avons perdu la mémoire, parce que nous nous
en remettons au texte écrit, cette méthode de transmission de
l'information nous paraît peu sûre. Mais l'histoire et l'expérience
montrent que cette méthode orale était au moins aussi sûre que
Pour que Dieu puisse parler à l'Homme, lui communiquer des
informations, des connaissances, il faut que l'Homme soit capable de
l'entendre, de le comprendre, d'assimiler ces informations qui lui sont
communiquées. Il faut donc que l'Homme ait atteint un certain développement
neurophysiologique. La révélation ne peut pas être communiquée à n'importe
quel être vivant, parce que n'importe quel être vivant n'a pas atteint un
développement neurophysiologique suffisant pour être en mesure de comprendre
l'enseignement qui vient de Dieu. Les théologiens, nous l'avons vu, appellent Homme
l'être qui est capable d'entendre ce que Dieu lui dit, et lui fait savoir.
C'est donc que l'Homme n'est plus un être en régime de pure nature,
puisqu'il est capable d'entendre ce que Dieu lui dit, de le comprendre, de
l'assimiler, et de répondre à Dieu. Il est donc un être en relation avec
l'Unique incréé et cette relation est déjà surnaturelle.
La communication des informations créatrices qui viennent de Dieu et qui sont adressées à
l'Homme, ne peut être que progressive ; elle ne peut procéder que par étapes,
pour une raison simple, c'est que l'Homme ne pouvait pas comprendre, recevoir,
porter, assimiler, au commencement, la plénitude
de
Il n'était pas possible, il y a trois milliards d'années, d'imposer aux
messages génétiques des micro-organismes monocellulaires la charge
ou le supplément d'information que constitue le message génétique des
anthropoïdes. Il a fallu procéder progressivement, par étapes, par
enrichissement progressif des messages génétiques, enrichissement qui implique
restructuration, assimilation. L'enrichissement des messages génétiques dans
l'histoire naturelle des êtres vivants ne peut être que progressif. Autrement dit, la
création ne pouvait pas être instantanée. La théorie de l'évolution non seulement est
prouvée de fait, mais elle représente une condition nécessaire à la réalisation
de la création.
De même, la communication de l'information créatrice qui est la
révélation ne pouvait pas être instantanée, complète ou intégrale depuis le
début, car l'Homme du début n'y aurait rien compris ; il n'aurait pas pu en
supporter le poids, il n'aurait pas pu assimiler le message complet. Il a donc
fallu procéder par étapes.
C'est d'ailleurs ce que dit saint Paul dans une de ses lettres à la
communauté chrétienne de Corinthe :
1 Corinthiens 3, 2 : Jusqu'à présent, je n'ai pu vous donner que du lait, comme à des bébés
dans le Christ ; je n'ai
pas pu vous donner de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter, c'est-à-dire
l'assimiler.
Ce texte de Paul est constamment cité par saint Irénée de Lyon et, plus
tard, au XVIe
siècle, par saint Jean de la Croix, qui
étudie la transformation de l'Homme ancien en Homme nouveau.
La révélation, c'est-à-dire la
communication par Dieu à l'homme de l'information créatrice, était
inévitablement et nécessairement
progressive, et c'est ce qu'a établi la critique biblique.
Qu'est-ce que la critique biblique ? C'est tout simplement l'étude
scientifique de cette bibliothèque que constitue l'ensemble des livres ou
documents que l'on appelle la Bible, du grec ta biblia, les livres[20].
L'étude scientifique de cette bibliothèque est relativement récente. En
gros et pour simplifier, disons que cette étude scientifique commence au
XVIIe siècle, avec le grand Richard Simon. Tout comme la
biologie.
L'étude
scientifique de la Bibliothèque hébraïque, à savoir la Bible du judaïsme, et de la Bibliothèque en langue grecque
que les chrétiens appellent le Nouveau Testament, a permis de découvrir que la
révélation s'était communiquée progressivement,
et par étapes, parce qu'on a analysé l'âge des
documents. Avant la naissance de la
critique, on pensait communément, -
juifs et chrétiens - que le Pentateuque,
par exemple, était
l'oeuvre de Moïse, XIIIe siècle avant notre ère. On
mettait donc cet ensemble de livres et de documents que constitue le Pentateuque sous la
responsabilité d'un seul homme, Moïse, en un seul moment, le XIIIe
siècle avant notre ère. Lorsqu'on a
découvert que cette bibliothèque est constituée
de documents divers dont la composition s'étale sur plusieurs siècles, on a découvert
un processus évolutif, un développement, non pas biologique, mais dans
la pensée théologique du peuple hébreu. C'est ainsi qu'un savant éminent en ce domaine, Édouard Dhorme, a pu publier
en 1937 un ouvrage intitulé : L'Évolution
religieuse d'Israël. Il y a
évolution au cours du temps, c'est-à-dire
transformation, mais transformation orientée, dans une certaine
direction, et s'il y a transformation
orientée dans une certaine direction, c'est parce que l'humanité, en
cette zone germinale, reçoit de l'information.
Ainsi, au XIXe siècle, on a découvert le fait de l'évolution
biologique, c'est-à-dire le fait que la création dans l'histoire naturelle des
espèces vivantes procède par étapes, du plus simple au plus complexe ; et
au XXe siècle on a découvert que cette évolution
biologique s'effectue par communication d'information génétique nouvelle.
- Et le fait que la révélation n'a pas
été communiquée d'un seul coup à Moïse sur le mont Sinaï, mais progressivement,
par étapes.
Et il ne peut pas en être autrement, parce que communiquer une
information à l'humanité, c'est
Dans les travaux modernes sur la théorie de l'information, on a étudié ce
qui se passe lors de la transmission de l'information : c'est
généralement un processus dans lequel l'entropie augmente,
c'est-à-dire que l'information diminue.
Le mot entropie est décalqué sur un mot grec, entropè, que les Grecs
d'aujourd'hui prononcent entropi, et qui signifie exactement l'inverse de
l'évolution : l'involution. Si Albert Einstein veut communiquer, de Princeton
aux U.S.A., à son confrère Louis de Broglie qui habite à Paris, un message
savant, par exemple une découverte dans le domaine de la physique ; s'il doit
remettre son message à une télégraphiste qui n'est pas physicienne ; si
celle-ci doit transmettre le message reçu à une seconde télégraphiste ; et s'il
y a cent télégraphistes intermédiaires entre Albert Einstein et Louis de
Broglie, - on sait à l'avance que le message ainsi transmis ne sera pas
amélioré dans
Remarquons en passant que dans le cas de l'évolution biologique ou
histoire naturelle des êtres vivants, l'information ne diminue pas au cours du
temps ; elle augmente au contraire, ce qui prouve précisément qu'il s'agit
d'une création qui s'effectue au cours du temps.
Dans le cas de la révélation, l'information augmente aussi au cours du
temps, depuis les origines jusqu'à sa plénitude, lorsque fut venue la plénitude
du temps, comme dit Paul.
Les spécialistes de la théorie de l'information, disions-nous, ont étudié ce
qui se passe lorsque les messages sont transmis. Mais ils n'ont pas
étudié, à ma connaissance du moins, la résistance à l'information. Pour
l'étudier, il est intéressant d'examiner ce qui s'est passé dans cette zone
germinale ou embryonnaire de l'humanité qu'est le peuple hébreu. Mais on peut aussi
étudier cette résistance dans l'histoire des sciences : toute découverte
nouvelle provoque ou suscite une résistance de la part de ceux qui enseignent,
et qui sont assis sur les chaires de Moïse de la physique, de l'astronomie,
de la biologie ou de la médecine, - résistance qui est proportionnelle à la
nouveauté de
Il existe
une résistance à l'information qui est normale, qui est saine, c'est celle que
l'on observe dans les systèmes vivants,
les organismes : si vous inoculez à un organisme sain un virus ou une
bactérie, et par conséquent de l'information, qui tend même à se multiplier
elle-même à l'intérieur de l'organisme, l'organisme réagit en suscitant contre
ces molécules étrangères des molécules qu'il compose lui-même pour éliminer
les molécules toxiques. C'est la résistance
de l'organisme à l'infection. On
peut considérer que la résistance à une doctrine toxique est saine,
nécessaire : c'est une résistance par l'intelligence. Toute résistance à une information nouvelle n'est donc
pas, en tant que telle, un processus négatif.
C'est donc au cours du XIXe siècle qu'on a commencé à
découvrir la réalité du temps, c'est-à-dire la réalité de ce fait : la création
ne s'est pas effectuée ou réalisée instantanément, d'un seul coup, mais
progressivement. La révélation ne s'est pas effectuée d'un seul coup, instantanément,
mais elle est progressive, elle aussi, pour les mêmes raisons, au fond, parce qu'il ne peut
pas en être autrement.
Ces deux découvertes - et celle sur laquelle nous reviendrons, du
développement du dogme, par John Henri Newman en 1845 - vont susciter, de la
part des chrétiens et d'autres, une résistance violente, acharnée, qui n'est
pas encore éteinte. Certains aujourd'hui même ne sont pas parvenus à comprendre
que création et évolution ne s'opposent pas, mais au contraire s'impliquent et s'appellent
mutuellement.
En ce qui concerne la théorie de la révélation, les difficultés ont été
bien entendu différentes de ce qu'elles furent autour de l'histoire naturelle
des espèces vivantes.
On était habitué, depuis dix-neuf siècles, à l'idée que Moïse a écrit tout
le Pentateuque, y compris le
récit de sa propre mort. Les travaux philologiques, historiques, critiques établissent
que ce n'est pas possible. Il fallait donc, et il suffisait, de reconnaître que
la question de l'auteur et la question de l'inspiration sont des
questions distinctes. Si tel document, par exemple celui que nous avons traduit, n'est
pas de Moïse, alors il est d'un autre. Cela ne change rien à l'inspiration du texte.
- On était habitué, depuis dix-neuf siècles, à l'idée que le livre d'Isaïe tel que nous le
lisons dans la Bible hébraïque et donc dans les traductions, est d'un prophète de
ce nom qui vivait au VIIIe siècle avant notre ère. Les travaux savants établissent que
ce livre est constitué de plusieurs documents, dont certains
appartiennent en effet au prophète Isaïe du VIIIe siècle avant
notre ère, mais dont d'autres, par exemple les chapitres 40 et suivants, ne
peuvent pas être de la main du prophète du ville siècle avant notre
ère, mais d'un prophète inconnu qui a pris part à la déportation de Babylone,
au
vie siècle avant notre ère, qui annonce le retour des Hébreux
déportés dans la mère patrie, et qui nomme Cyrus par son nom. Blaise Pascal
avait élaboré un argument sur le fait que le prophète du VIIIe
siècle avant notre ère connaît par son nom Cyrus qui devait vivre deux siècles
plus tard. L'argument s'effondre. - On était habitué à l'idée que le livre de Daniel avait été écrit par un
prophète de ce nom lors de la captivité de Babylone au VIe siècle
avant notre ère. Il fallut se rendre à l'évidence
: Daniel est l'oeuvre d'un inconnu qui vivait au temps d'Antiochus Épiphane, au IIe siècle avant notre ère. - On était
habitué à l'idée que les Psaumes dits de David sont l'oeuvre du roi d'Israël. La
critique remet les psaumes à leurs places, à leurs dates approximatives, dans
l'histoire du peuple hébreu.
Ce sont donc des habitudes intellectuelles qui ont causé la crise et la
résistance aux découvertes nouvelles, ici, à propos de la critique biblique,
comme dans d'autres domaines, astronomie, physique, biologie, médecine...
Les habitudes, c'est ce qu'on enseignait avant. La découverte, c'est ce
qui oblige à repenser tout ce qu'on enseignait avant. C'est fatigant, très
fatigant. Mieux vaut refouler la découverte que de s'astreindre à repenser
toute la physique sous le prétexte qu'un jeune homme de vingt-cinq ans vient d'établir que
l'éther, dont tout le monde enseignait l'existence dans toutes les chaires
de physique, n'existe pas. Le jeune homme en question s'appelait Albert Einstein. Il
n'était même pas professeur, ce qui aggravait son cas.
Il existe donc une inertie naturelle à l'intelligence humaine, inertie
comparable à certains égards à celle que la physique discerne dans
La crise fut terrible dans les séminaires à la fin du XIXe siècle et au
début du XXe siècle, lorsque des savants français tels que
Renan ou Loisy firent connaître aux Français les travaux des savants allemands.
Non seulement il fallait apprendre à distinguer soigneusement la
question de l'auteur et la question de l'inspiration, mais de plus il fallait
apprendre à voir, avec les yeux de l'intelligence, que l'Écriture
sainte, c'est-à-dire la Bibliothèque sainte des Hébreux et celle des
chrétiens, est pleinement inspirée, c'est-à-dire travaillée par l'Esprit saint,
c'est-à-dire l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire Dieu qui est Esprit ; - mais
qu'elle est aussi pleinement humaine, ce qu'on avait parfois oublié de souligner.
L'Écriture sainte, telle qu'elle se présente à nous, c'est la pâte
humaine travaillée, transformée progressivement par Dieu le créateur qui
communique son Esprit saint. Dans cette réalité totale qu'est l'Écriture
sainte, il faut donc distinguer l'humanité, ou la nature humaine, - la pâte
humaine, - et l'inspiration, que l'on pourrait appeler la nature divine de la
Sainte Écriture.
On avait dit, on avait enseigné dans les séminaires, que l'Écriture
sainte est parole de Dieu, et c'est vrai. Mais on avait parfois un peu négligé
d'enseigner et de faire apercevoir que l'Écriture sainte est aussi humaine,
pleinement humaine, ce qui ne signifie pas exclusivement humaine.
Lorsque les travaux savants de la critique biblique, en Allemagne
d'abord, puis dans le monde entier, ont mis en vive lumière l'humanité de la
Sainte Écriture, la crise a été redoutable, parce que les esprits n'étaient
pas préparés, les intelligences n'étaient pas prêtes à recevoir cette
découverte et à l'assimiler. Il s'est donc produit des réactions de rejet,
comme autour de l'affaire Galilée[22].
La
découverte de la distinction nécessaire à faire entre la question de l'auteur
et la question de l'inspiration, la découverte d'une révélation progressivement
communiquée, par étapes, et la découverte de la nature humaine de l'Écriture
sainte, qui est la pâte humaine
travaillée par l'Esprit de Dieu et progressivement transformée, - ces trois
découvertes étaient connexes. C'est par la critique biblique que nous y sommes
parvenus. Il n'y a donc pas lieu d'avoir peur de la critique biblique, pas plus
que d'aucune discipline scientifique. Bien au contraire, il nous faut
reconnaître maintenant, en cette fin du XXe siècle, tout le bénéfice
que nous retirons ou pouvons retirer de la critique du point de vue
théologique.
Si, feuilletant la Bible hébraïque nous lisons
Exode 22, 28 : Tu me
donneras le premier-né de tes fils. Tu feras de même du premier-né de ta vache et
de ta brebis...
texte qui réclame incontestablement un sacrifice humain, celui du premier-né
; - ou bien si nous lisons Deutéronome, chapitres 2, 3, 7, 20 et d'autres qui
non seulement racontent les massacres des populations du pays de Chanaan, mais
qui
les recommandent ; - si nous n'avons pas une préparation critique et
théologique suffisante, si nous avons une conception monophysite de l'Écriture
sainte, c'est-à-dire une conception selon laquelle l'Écriture sainte est Parole
de Dieu exclusivement, alors nous rencontrerons des difficultés, à vrai dire
insurmontables. Car, dans cette hypothèse, il nous faudra attribuer à Dieu
même des représentations ou des conduites qui sont celles de l'homme.
Si au
contraire nous avons une théorie correcte de l'inspiration et de la double
nature de l'Écriture sainte, nous ne serons
pas plus scandalisés de rencontrer dans ces vieux textes un document qui
prône le sacrifice du premier-né, que nous
ne le sommes dans un terrain fossilifère, de rencontrer des restes de quelque préhominien. Les Hébreux
nomades sont issus d'une
civilisation, d'un milieu ethnique, dans lequel on pratiquait les sacrifices humains. En Chanaan, on
pratiquait les sacrifices humains.
Les législateurs ont remplacé la pratique
des sacrifices humains par celle des sacrifices d'animaux, et les grands prophètes d'Israël, aux Xe,
IXe, VIII, VIIe et VIe siècles
avant notre ère, ont tonné contre cette pratique abominable des sacrifices
humains. Il reste dans la Sainte Écriture des textes, des documents fossiles,
qui attestent que la religion des Hébreux nomades est partie du fonds sémitique
commun, dans lequel les sacrifices humains se pratiquaient.
Il faut donc reconnaître et discerner la double nature de l'Écriture
sainte, sa nature humaine et sa nature divine, comme il faut reconnaître et
discerner, nous le verrons plus loin, la double nature du Christ, et, nous y
viendrons encore plus loin, la double nature de l'Église.
Une conception monophysite de l'Écriture sainte, du Christ et de l'Église
aboutissent inévitablement à des catastrophes.
L'Écriture sainte, disions-nous, c'est la pâte humaine progressivement
transformée par une information qui vient de Dieu même, par un travail du
Créateur dans la mentalité humaine, la pensée humaine, les moeurs de l'homme, ses
coutumes,
ses représentations. On trouve donc dans cet ensemble de documents qui
constituent la Bible hébraïque, pour ne parler que d'elle ici, des étapes très
archaïques de cette transformation de l'humanité, de ce développement théologique
et moral.
C'est le travail de la critique biblique qui nous a permis de voir ce
travail progressif de Dieu à l'oeuvre à l'intérieur de la pâte humaine. Et
ainsi la critique biblique retrouve et rejoint une doctrine qui a toujours, et
dès le début, été celle de l'Église : pour comprendre la révélation, il faut
s'orienter vers l'avenir, vers le terme de la révélation, et non vers son passé ou
ses commencements. L'Écriture sainte est intelligible en référence au
terme, à la plénitude de la révélation.
Il n'est donc pas possible de brandir n'importe quel texte, appartenant
à n'importe quel âge de la Sainte Écriture, à n'importe quelle couche
géologique, à n'importe quelle stratification. Par exemple :
Nombres 15, 32: Comme les fils d'Israël
étaient au désert, ils trouvèrent un homme
ramassant du bois le jour du sabbat... Alors YHWH dit à Moïse : L'homme
doit être mis à mort ; toute la communauté
doit le lapider avec des pierres en dehors du camp !
Deutéronome 22,
21 : ... On fera sortir la jeune fille à l'entrée de la maison de son père et les
gens de la ville la lapideront avec des pierres, elle mourra.
Deutéronome 22,
24 : ... Vous les ferez sortir tous deux à la porte de cette
ville, vous les lapiderez avec des pierres et ils mourront...
On ne peut pas brandir ces textes et s'écrier : Parole de Dieu !
Application, aujourd'hui même !
L'Australopithèque a été un être certainement très respectable, en son
temps, et sans doute une étape importante dans le processus de
l'anthropogenèse. Mais enfin, cette étape est dépassée. Le Créateur,
depuis, a fait mieux. - De même ces textes représentent une étape, ou des étapes,
qui ont sans doute été utiles ou nécessaires dans la transformation de
l'humanité. Mais nous ne pouvons pas sérieusement les considérer comme actuels.
Des législations très archaïques, qui nous reportent au XIVe
ou XVe siècle avant notre ère, peuvent avoir eu une signification et
une portée. Mais elles peuvent aussi être périmées aujourd'hui[23].
Il existe donc une lecture archaïque ou archaïsante de l'Écriture sainte
qui, de fait, est régressive, car elle nous reporte aux plus anciennes couches
ou stratifications de la Sainte Écriture. Les livres de la révélation doivent être
lus dans leur sens, dans leur direction historique, c'est-à-dire en
regardant vers l'avenir et non vers le passé. La plénitude de la révélation se trouve au
terme de la révélation et non dans ses commencements. Bien entendu,
ceux qui sont attachés ou fixés à une lecture archaïsante de l'Écriture sainte
refusent aussi la critique biblique.
Une bonne histoire scientifique du
peuple hébreu : Magistraie est l'Histoire ancienne
d'Israël publiée par
le P. R. de Vaux aux éditions Gabalda.
Pour que Dieu puisse se faire connaître à l'homme, pour qu'il puisse
lui communiquer une information, un message, une connaissance, il faut
que Dieu parle à l'homme dans la langue de l'homme, il faut qu'il s'adresse à
son intelligence de telle manière qu'il puisse être compris. Si Dieu
parlait dans sa propre langue à l'homme, l'homme ne le comprendrait pas. Donc, pour que
la parole de Dieu soit adressée à l'homme, il faut que celle-ci soit humanisée.
On discerne déjà, en réfléchissant sur ce qu'est la révélation, et les
conditions de possibilité de la révélation, la théorie de l'incarnation qui
vient, et dont nous parlerons plus loin.
Pour que Dieu puisse communiquer un enseignement à l'humanité, il faut
qu'un homme transmette l'information reçue de Dieu dans le langage des hommes. Cet
homme, qui est le médiateur entre Dieu et les hommes, c'est le prophète, en hébreu nabi, l'homme de l'Esprit, ha-nabi isch ha-ruah (Osée 9, 7).
« Car YHWH ne fait rien sans avoir
révélé son secret à son serviteur le prophète » (Amos 3, 7).
Le prophète est le médiateur entre Dieu et l'homme, celui qui reçoit de
Dieu l'information, la science, la connaissance, et qui la transmet dans
le langage des hommes, en l'occurrence l'hébreu ou l'araméen. Là encore,
c'est-à-dire chez les prophètes d'Israël, la théorie et la réalité de
l'incarnation sont déjà en formation.
Lorsque Louis de Broglie communique la science qu'il a acquise par son
travail de chercheur, en l'occurrence la physique théorique, il ne perd
pas la science qu'il communique. Les autres, à savoir ses étudiants, la
reçoivent plus ou moins bien, selon leurs aptitudes, leurs capacités, leur
attention, leur intérêt, mais lui, Louis de Broglie, ne perd rien de ce qu'il
communique.
Lorsque Dieu communique l'information
créatrice dans l'histoire de la création de l'Univers, depuis les origines jusqu'aujourd'hui,
il ne perd pas la science qu'il communique, sa science reste auprès de lui. C'est ce que
dit un savant théologien judéen, devenu disciple du
rabbi Ieschoua de Nazareth,
au début de son livre :
Jean 1, 1 : Au commencement
était le Parler [de Dieu]. Et le Parler était à Dieu. Et il était Dieu, le
Parler. Tout par lui a été créé, et sans lui rien n'a été créé...
Lorsque Dieu communique sa
pensée, sa sagesse, sa science, le secret de son dessein, à son serviteur le
prophète, pour que celui-ci les communique au peuple à qui cette
connaissance est adressée, Dieu ne perd pas la connaissance qu'il communique.
La parole de
Dieu est humanisée pour être communiquée et pour devenir
intelligible à l'homme, pour pouvoir être assimilée par lui, mais, en
elle-même, elle reste inaltérée, non modifiée.
La
communication par Dieu de sa science, de sa sagesse, de sa parole, n'est pas
un exil ou une aliénation de la parole de Dieu. Le Logos de Dieu reste auprès de
Dieu, le Logos de Dieu, c'est
Dieu lui-même qui se communique, ce n'est pas un être créé, et dans cette
communication le Logos
de
Dieu
n'est aucunement altéré. Nous retrouverons ce point lorsque nous
aborderons la christologie, c'est-à-dire la science qui a pour objet cet être
singulier concret qui est Jésus de Nazareth.
Lorsque le
prophète communique le message, la science, la connaissance qu'il a reçu de
Dieu, au peuple à qui il est chargé de communiquer cette connaissance, il
rencontre une résistance, plus ou moins acharnée, plus ou moins violente, et qui peut
aller jusqu'au meurtre du prophète.
Cette résistance est notée dans les
livres hébreux depuis les livres qui
racontent l'histoire de Moïse, prophète et médiateur entre Dieu et son
peuple. L'humanité résiste avec acharnement,
avec fureur parfois, à l'information
créatrice qui vient de Dieu et qui s'efforce
de
Le prophète, pour
consentir librement à cet office, à cette charge, à cette fonction, à cette
mission, qui consiste à communiquer à l'humanité, en son peuple, une
information qui vient de Dieu le Créateur, - le prophète est préparé, préadapté,
présanctifié même, par Dieu lui-même. Les prophètes hébreux sont des
saints. On trouve l'expression de ce fait par exemple tout au début
du livre du prophète Jérémie, qui vivait au vile siècle avant notre
ère, et qui a commencé de communiquer la parole de Dieu autour des années 626,
la treizième année du roi Josias. Voici ce que dit Jérémie :
Jérémie 1, 1 : Paroles de
Iremiahou, fils de Hilquiyahou, un des prêtres qui étaient à Anatot au pays de
Benjamin.
Que fut la parole de YHWH sur lui, aux jours de Ioschiiahou', fils d'Amon, roi
de Juda, en la treizième année de son règne...
Et elle fut, la parole de
YHWH sur moi, pour dire : Avant que je te forme dans le ventre, je t'ai connu,
et avant que tu sortes de la matrice, je t'ai sanctifié, prophète pour les
nations je t'ai donné d'être !
Et alors moi je dis : Ah !
Ah ! Seigneur YHWH, voici que moi je ne sais pas parler, car je suis un tout
jeune homme.
Et il dit, YHWH, à moi :
Ne dis pas : je suis un jeune homme, car pour tout ce pour quoi je t'enverrai,
tu iras, et tout ce que je t'ordonnerai, tu le diras. N'aies pas peur de devant leurs
faces (cela se traduirait très bien en langage populaire : tu vois comment
?), car je suis avec toi, moi, pour te sauver, oracle de YHWH !
Et il étendit, YHWH, sa
main, et il toucha sur ma bouche, et il dit, YHWH, à moi : Voici que j'ai
donné mes paroles dans ta bouche. Vois ! Je t'ai visité en ce jour pour que tu
sois sur les nations et les royaumes pour déraciner et pour renverser,
pour perdre et pour démolir, pour construire et pour planter.
Le vrai prophète, lorsque
la parole de Dieu lui est adressée, lorsque la mission lui est confiée,
résiste lui aussi, dans nombre de cas, à cette mission qui lui est confiée,
parce qu'il sait ce qui l'attend : il sait que l'information qui vient de Dieu, et qu'il va
communiquer à son peuple, va susciter une réaction et une résistance plus ou
moins violente. Le faux prophète, celui à qui Dieu n'a pas parlé, se met en
avant, il prend l'initiative. Le vrai prophète, celui à qui Dieu parle, baisse l'échine
sous la charge que Dieu met sur ses épaules. Nous retrouverons ce trait lorsque
nous lirons le texte qui raconte la vocation, c'est-à-dire l'appel, du prophète
Moïse, plus loin. C'est l'un des signes, l'un des critères auxquels on
reconnaît le vrai prophète et qui permet de le distinguer du faux prophète.
Le prophète authentique
est sanctifié, préparé, pré adapté, depuis sa conception, créé pour cette
fonction, par Dieu créateur. Il est créé pour être le médiateur entre Dieu et
les hommes. Son intelligence, son courage, son énergie, sa sainteté, lui sont
donnés depuis sa création pour être en mesure d'accomplir sa redoutable mission
de prophète.
Nous retrouverons cela
lorsque nous parlerons de Mariam la mère de Ieschoua, qui a été présanctifiée,
depuis sa propre conception à elle, pour recevoir, pour consentir librement à recevoir
l'Information plénière de Dieu, la parole de Dieu, et pour l'humaniser en elle
d'une manière éminente.
On voit donc que dans
l'étude du prophétisme, on aperçoit la formation ou la genèse de
Depuis un bon nombre de
pages nous parlons de la révélation, des modalités de
En effet, la théologie est une science.
Elle prétend être une science vraie, une science bien fondée, et pour parler un
peu en galimatias, une
science épistémologiquement saine et bien fondée. Comment est-ce possible ?
La théologie
est une science qui procède à partir de la révélation que Dieu
communique à l'humanité, pour l'humanité entière, par l'intermédiaire de ces
hommes qui sont les prophètes d'Israël et par l'intermédiaire de celui qui
est l'Homme nouveau uni à Dieu de telle sorte qu'il est en Dieu, que Dieu est en lui, et
qu'en lui habite corporellement la plénitude de la divinité.
Mais pour que
cette science soit bien fondée, il faut d'abord avoir établi deux faits :
1. Qu'il
existe un être, distinct du monde, créateur de l'Univers, et que l'on puisse
appeler Dieu.
2.
Que cet être, qui est l'Être absolu ou premier,
a parlé, c'est-à-dire qu'il a bien communiqué une information ou des
informations à l'humanité, par l'intermédiaire de ces hommes qui sont les
prophètes d'Israël.
Si ces deux
faits n’ont pas été établis, la théologie tout entière repose sur deux
pétitions de principe, sur deux postulats, sur deux « actes de foi », sur deux
hypothèses :
1. L'existence
de Dieu, et
2. Le fait de la
révélation.
Si la théologie
tout entière repose sur deux suppositions, deux « actes de foi » au sens
moderne et contemporain du terme, sur deux hypothèses, deux postulats, deux
pétitions de principe, alors elle n'est pas une science. Elle est une construction tout
entière hypothétique, puisqu'elle repose sur deux hypothèses non établies.
L'humanité, de
plus en plus formée par les sciences expérimentales, aura de plus
en plus de mal à accorder son assentiment, et même son attention, à une telle
construction qui, si les conditions préalables ne sont pas réalisées, ressemblerait plus à un
poème, à une oeuvre littéraire, qu'à une science, c'est-à-dire à une
connaissance certaine, par l'intelligence, et fondée dans la réalité
objective.
Le problème
philosophique qui est posé est celui de l'assentiment. Par la pratique
des sciences expérimentales, l'humanité apprend de mieux en mieux à discerner ce
qu'est un assentiment raisonnable, légitime, de l'intelligence, par exemple à une
théorie scientifique.
Le christianisme est une
théorie générale du Réel, qui porte sur l'origine radicale de tout ce qui existe,
et sur la finalité de l'univers entier, sur la finalité de
Si l'on continue à dire et
à répéter, comme cela se fait maintenant depuis plusieurs générations, mais
surtout depuis quelques années, que le christianisme n'est pas une
théorie générale du Réel, qu'il n'est pas une doctrine, qu'il n'a pas de
contenu intelligible, qu'il n'y a d'ailleurs rien à enseigner ni rien à
apprendre, qu'il n'a pas de fondement objectif ; que la raison humaine ne peut
pas décider de sa vérité, ni de sa fausseté éventuelle, que l'assentiment au
christianisme est une question de « foi », au sens
contemporain de ce terme, c'est-à-dire un assentiment dissocié de l'acte
d'intelligence, - alors nous pouvons être sûrs et certains d'une chose : c'est
que du christianisme, dans quelques générations, il ne restera que quelques
sectes de convulsionnaires.
L'humanité de plus en plus
formée par les sciences expérimentales n'accordera plus son assentiment ni
même son intérêt à une doctrine dont on nous répète de tous côtés que ce n'est même pas une
doctrine, qu'elle n'est pas fondée objectivement et que la question de sa
vérité n'est pas décidable par et pour l'intelligence humaine.
La question posée est
donc la question de la vérité du christianisme. La question posée est aussi celle de
l'assentiment de l'intelligence à cette vérité. Car c'est l'intelligence qui seule peut accorder
librement son assentiment.
Le problème est donc de savoir : à quelles
conditions l'intelligence humaine peut-elle accorder son attention, son intérêt et finalement son assentiment, à cette
doctrine qui est le christianisme ? Réponse : A la condition que cette
doctrine, ou théorie générale du Réel, soit bien fondée, dans la réalité
objective, et que l'intelligence humaine puisse discerner d'une manière
critique ces fondements.
Ce que je dis ici n'est
pas une innovation, n'est pas une improvisation ; c'est la doctrine constante
de l'Église depuis qu'elle existe. C'est une maladie toute récente de mettre en
doute cette évidence : on ne peut pas accorder son assentiment à la
doctrine chrétienne, si l'on n'a pas des raisons objectives, valables,
légitimes, communicables, de lui accorder son assentiment.
C'est-à-dire que la foi,
dans la pensée de l'Église, dans le langage de l'Église - qui n'est pas le
langage de nos contemporains - est un assentiment de l'intelligence (et non pas
de l'affectivité) à la vérité discernée, reconnue. Cet assentiment est
libre, comme tout assentiment à quelque vérité que ce soit, car la vérité ne
fait jamais violence. Cet assentiment qui est un acte de l'intelligence est donné par
Dieu, parce que l'être, la vie et l'intelligence sont des dons de Dieu. Mais il reste
que l'assentiment à la vérité est un acte d'intelligence, et non de
l'affectivité, et que lorsque Dieu nous a donné l'intelligence de ce qui
est, cette intelligence est bien en nous, à nous, par don, mais
réellement.
Aussi bien l'Église
a-t-elle toujours maintenu, pensé et professé que l'existence de Dieu peut être
connue d'une manière certaine à partir de la création, qui est pour nous la
première manifestation de Dieu, comme nous l'avons vu précédemment, et nous
avons cité les textes décisifs à cet égard.
Et l'Église pense aussi
que le fait de la révélation doit être établi aux yeux de l'intelligence
humaine, ou de la raison humaine, faute de quoi en effet la théologie
procéderait à partir d'une vaste pétition de principe. Ce n'est pas moi
qui le dis, c'est le pape Pie IX et le cardinal Deschamps, l'un des rédacteurs
de la Constitution de fide au premier Concile du Vatican, en 1870 :
Pie IX, Encyclique « Qui pluribus », 9 novembre 1846 :
La raison humaine, afin que dans une
affaire d'une telle
importance elle ne soit pas déçue et afin qu'elle n'erre pas, il faut qu'elle fasse une
enquête, d'une manière appliquée,
pour établir le fait de la révélation divine, afin qu'il soit certain pour elle, la raison humaine,
que c'est Dieu qui a parlé, et afin que à Dieu, comme l'enseigne très sagement l'Apôtre Paul, elle
puisse accorder un culte
raisonnable (= logique) Romains
12, 1.
Cardinal Deschamps, L'infaillibilité et le concile
général, 29 mai 1869, apud
E.
Cecconi, Histoire du
concile du Vatican, t. IV, trad. fr., 1887, p. 49 :
C'est la raison (...) qui appelle la
révélation et c'est à la raison que la révélation s'adresse. C'est à la raison
que Dieu parle, c'est à la raison qu'il demande la foi, et il ne la lui demande
qu'après lui avoir fait voir que c'est bien lui qui parle. La raison
qui demande le témoignage de Dieu sur les réalités de la vie future n'adhère
donc à ce témoignage avec la certitude surnaturelle de la foi, qu'après avoir
vu de ses propres yeux, c'est-à-dire vérifié par sa propre lumière et avec la
certitude naturelle qui lui est propre, le fait
divin de la
révélation.
Paul, dans la lettre aux
Corinthiens déjà mentionnée, dit aux chrétiens de Corinthe qu'il ne peut leur
donner que du lait, parce qu'ils sont encore des bébés dans le Christ, et qu'il ne peut pas
encore leur donner de la nourriture solide, le pain des forts, parce qu'ils
seraient incapables de le supporter, de l'assimiler. Mais dans la même lettre,
il donne déjà une nourriture forte, substantielle, riche en information ; et
dans d'autres lettres il expose sa connaissance du mystère du Christ, qui est la
théologie.
Aujourd'hui, semble-t-il,
certains ont décidé de donner aux chrétiens depuis leur enfance jusqu'à leur âge
terminal une nourriture pour édentés.
Il est évidemment absurde de partir de la « foi
», comme on le fait trop souvent
aujourd'hui, comme si la foi était un point de départ premier. La foi est
l'assentiment de l'intelligence à la vérité elle-même, elle doit donc être
fondée, elle doit être justifiée aux yeux de l'intelligence elle-même, faute de quoi ce n'est plus un assentiment logique, comme dit Paul dans le texte cité par Pie IX. Il est absurde de
partir de la parole de Dieu, comme le fait l'illustre théologien protestant
Karl Barth, sans avoir d'abord établi qu'il existe bien un être que l'on peut
appeler Dieu et que celui-ci a parlé. Le rocher sur lequel est fondée et
construite la théologie, c'est la connaissance certaine de l'existence de Dieu,
à partir de la création, et la connaissance certaine du fait de la révélation.
Mais comment fait-on pour
accéder à la connaissance certaine du fait de la révélation ?
Nous avons tenté d'aborder
et de traiter ce problème difficile, sur les bases modernes, dans deux essais
antérieurs[24] et il n'est
donc pas question de les reproduire ici. Contentons-nous d'indiquer la méthode.
Il faut partir bien
entendu du donné objectif, incontestable et incontesté, en l'occurrence le fait
hébreu, ou le fait constitué par l'existence de ce peuple qui prétend porter
en lui l'information créatrice qui vient de Dieu, ou, en son propre langage, la
parole de Dieu. La question est de savoir si cela est vrai. Il faut étudier ce
peuple en profitant de toutes les méthodes critiques, historiques, philologiques,
dont nous disposons au XXe siècle. Lorsqu'on entreprend cette étude, on constate que ce
minuscule peuple hébreu constitue ce que les naturalistes appellent un
phylum mutant. En réalité, c'est une nouvelle espèce d'humanité qui est en
formation, à partir de la mutation qui est mise par l'Écriture sainte sous le
nom d'Abraham :
Genèse 12, 1-4 : Et il dit, YHWH, à Abram (sic) : Va-t'en
quant à toi de ton pays et de ta famille et de la maison de ton père vers le
pays que je te montrerai. Et je ferai de toi une grande nation et je te bénirai
et je grandirai ton nom et tu seras une bénédiction... Et il s'en alla, Abram,
comme le lui avait dit YHWH...
La création d'une humanité nouvelle qui
commence avec Abraham s'effectue d'abord par une séparation, un arrachement :
Abraham quitte la prestigieuse civilisation d'Ur en Sumer, et il devient
nomade. Jusqu'à la fin des temps, tous les disciples d'Abraham, c'est-à-dire ceux qui
sont engendrés par l'acte
d'Abraham, seront des nomades eux aussi, des étrangers et des voyageurs sur la
terre.
Nous connaissons assez
bien maintenant, depuis les fouilles réalisées aux XIXe et XXe siècles,
l'antique civilisation d'Ur, et nous connaissons aussi la religion qui était celle
de Sumer. Nous avons une idée de ce qu'a connu Abram, né dans la grande ville
d'Ur, dans une civilisation très avancée. Il est devenu nomade ultérieurement.
C'est à partir de lui que nous discernons une véritable
mutation dans cette zone germinale de l'humanité qui est le peuple hébreu, issu
d'Abram, ou Abraham[25].
Sir Leonard Woolley estime que les deux
noms donnés par les textes hébreux, Abram et Abraham, s'expliquent par le fait que les très anciennes généalogies
dans lesquelles ont puisé les rédacteurs de nos textes hébreux
comportaient en effet ces
deux noms dont le premier nous fournit l'orthographe ouest-sémitique, la plus ancienne, et que plusieurs
hommes, d'une même famille
et de même nom, peut-être le grand-père et le petit-fils, ont été rassemblés par les derniers
rédacteurs sous un nom
unique, ce qui expliquerait les chiffres excessifs concernant la longévité.
Quoi qu'il en soit de ce point qui
est mineur pour notre propos, ce qui est incontestable c'est que l'humanité,
en ce point, en ce lieu, en ce temps, a subi une transformation concernant la
pensée, l'action et l'être. Cette transformation a été progressive, mais elle a
commencé par cet exil du père du peuple hébreu.
Transformation
du point de vue de la pensée, d'abord. Si nous comparons ce que nous
connaissons des doctrines, des religions de l'Orient ancien, avec la théorie
de l'Univers qui s'est développée à partir d'Abram-Abraham, le contraste est
saisissant.
Dans les plus
anciens textes que nous connaissions de l'Égypte ancienne, de Sumer, d'Akkad,
de Chanaan, puis de la Grèce antique, nous discernons une doctrine qui
comporte des ressemblances manifestes, une certaine vision du monde. Dans tous ces
textes, ce qui est premier, absolument premier, c'est le Chaos originel.
C'est donc lui l'Être absolu, l'Être premier, dont tout est issu. Les dieux sont
issus de ce Chaos originel. Il existe une genèse des dieux, une
théogonie. Les dieux se font la guerre les uns aux autres : c'est ce qu'on
appelle, d'un mot grec, une théomachie. C'est à partir d'un dieu massacré, à
partir du sang, ou du sperme, ou du crachat d'un dieu sacrifié,
que les hommes sont faits. Vision tragique du monde, donc : la tragédie est à
l'origine de tout, à l'origine de notre Univers visible, à l'origine de
l'existence humaine. La tragédie est au fond de l'être[26].
Dans toutes les religions antiques connues, chez tous les peuples qui ont précédé et entouré ce peuple hébreu
en train de se former depuis le XXe ou le XIXe
siècle avant notre ère (époque présumée de la sortie d'Abraham), c'est la
nature elle-même qui est divine : les astres sont des divinités. A Sumer, la divinité suprême est le dieu Lune, avec
son épouse. Mais toutes les religions de l'Orient ancien considèrent que
les astres sont des dieux, et toutes
divinisent les forces naturelles. On
trouvera une expression de cette théorie de l'Univers, en plein Ive
siècle avant notre ère, chez le plus grand des métaphysiciens grecs, Aristote, Traité
du Ciel. Les astres
sont des substances divines, l'Univers tout entier est divin, il échappe à la genèse et à la corruption, il n'a
pas d'origine, il n'a pas commencé,
il est inusable, il ne finira jamais. II est l'Être même. Cette doctrine, cette
théorie de l'Univers, qui était déjà celle de Platon, se perpétuera chez les
philosophes platoniciens,
aristotéliciens, et néoplatoniciens, jusqu'aux grands et derniers
philosophes grecs des premiers siècles de notre ère et l'on peut dire que, lors de ce qu'on a appelé la Renaissance, c'est encore cette doctrine de la
divinité de l'Univers qui va refleurir chez les philosophes. On la retrouve,
laïcisée mais substantiellement la même, dans le matérialisme moderne
qui professe que l'Univers ne peut comporter ni commencement, ni évolution irréversible, ni usure,
ni fin. C'est la doctrine par exemple des pères du marxisme : Marx lui-même,
Engels son ami, et Lénine son disciple[27].
Si l'on considère ces
faits de l'histoire de la pensée humaine, on est frappé par
l'extraordinaire audace de ce microscopique peuple hébreu, qui le
premier a osé enseigner, contre tous, que l'Univers n'est pas divin, que les astres
ne sont pas des substances divines, que rien de l'Univers n'est divin, que la nature n'est
pas divine, que les forces naturelles ne sont pas des divinités, et qui a
toujours refusé de diviniser les rois, de diviniser l'homme,
alors que les anciens Égyptiens, comme les Babyloniens, les Grecs et plus tard les
Romains, divinisaient leurs rois et leurs césars[28].
Le petit peuple hébreu, aussi haut que l'on
puisse remonter dans son histoire, dans
l'histoire de sa pensée, a dé-divinisé, désacralisé l'Univers et
Psaume 102, 26 : Jadis tu as fondé la Terre, et les cieux sont l'oeuvre de tes mains ;
eux, ils périront, mais toi, tu
subsistes,
eux tous, comme un habit, ils s'usent,
comme un vêtement tu les changes et ils
changent...
Le texte hébreu qui ouvre
aujourd'hui la Bible hébraïque, texte relativement récent, car sa rédaction
remonte sans doute au vie siècle avant notre ère, est l'oeuvre de
théologiens dont le nom ne nous est pas connu, peut-être d'un groupe auxquels appartenaient Ezéchiel le prophète déporté à
Babylone, et l'inconnu, déporté lui
aussi, qui a composé les oracles qui ont été joints à ceux du prophète Isaïe du
ville siècle avant notre ère, à savoir les chapitres 40 et suivants
du rouleau d'Isaïe - mais c'est là une hypothèse purement personnelle.
Ce texte
récapitule, met en forme, résume une doctrine bien plus ancienne et qui
pourrait remonter à Abraham lui-même, Abraham qui a connu les grand textes religieux
sumériens, ou du moins les grands thèmes religieux sumériens, comme nos
théologiens inconnus déportés à Babylone au VIe siècle avant notre
ère ont connu les grands textes religieux babyloniens.
Nous traduisons
le texte en serrant comme d'habitude au plus près le texte hébreu,
dût notre langue française souffrir de cet exercice, afin que le lecteur français
non hébraïsant puisse goûter quelque peu la saveur de ce document :
Genèse 1, 1-2, 3 : En un commencement, il créa, Dieu, les cieux et la
terre.
Et la terre était désert (sic) et vide, et une ténèbre sur la face de l'abîme et
l'esprit de Dieu planait sur la face des eaux.
Et il dit, Dieu : Soit
lumière ! Et fut lumière.
Et il vit, Dieu, la
lumière, qu'elle était belle, et il sépara, Dieu, entre la lumière et entre la ténèbre.
Et il cria, Dieu, à la lumière : Jour ! Et à la ténèbre il cria : Nuit !
- Fut un soir, fut un matin, jour un.
Et il dit, Dieu : Soit une étendue solide au milieu des eaux et qu'elle
soit une séparation entre les eaux et les eaux !
Et il fit, Dieu, l'étendue solide et il sépara entre les eaux qui sont
au-dessous de l'étendue et entre les eaux qui sont au-dessus de l'étendue. Et
ce fut ainsi.
Et il cria, Dieu, à l'étendue solide : Cieux ! - Fut un soir, fut un
matin, jour deuxième.
Et il dit, Dieu : Que se rassemblent les eaux de dessous les cieux en un
lieu unique et que se fasse voir la sèche ! Et ce fut ainsi.
Et il cria, Dieu, à la sèche : Terre ! Et au rassemblement des eaux il
cria : Mers ! Et il vit, Dieu, que c'était beau.
Et il dit, Dieu : Qu'elle verdoie, la Terre, de verdure, de l'herbe
parsemant semence, de l'arbre à fruit qui fait du fruit selon son espèce, avec
sa graine en lui, sur la terre ! Et ce fut ainsi.
Et elle fit sortir, la Terre, de la verdure, de l'herbe semant semence
selon son espèce et de l'arbre qui fait du fruit avec sa semence
en lui selon son espèce et il vit, Dieu, que c'était beau. Fut un soir, fut un
matin, jour troisième.
Et il dit, Dieu : Soient
des luminaires dans l'étendue solide des cieux pour séparer entre le jour et entre la nuit et qu'ils soient là pour signes, et
pour saisons, et pour jours et années ! Et qu'ils soient là comme luminaires
dans l'étendue solide des cieux pour illuminer sur la Terre ! Et ce fut ainsi.
Et il fit, Dieu, les deux luminaires, les grands, le luminaire le plus grand
pour régner sur le jour, et le luminaire le plus petit pour régner sur la nuit,
et les étoiles. Et il les donna, Dieu, dans l'étendue des cieux, pour illuminer sur la Terre et pour
régner sur le jour et sur la nuit et pour
séparer entre la lumière et
entre
Et il dit, Dieu : Qu'elles foisonnent, les eaux, d'une foison d'âme (sic, au
singulier) vivante et que de l'Oiseau vole au-dessus de la Terre et sur la face de
l'étendue des cieux ! Et il créa, Dieu, les grands Reptiles et toute âme vivante qui
rampe, dont foisonnent les eaux, selon leur espèce et tout Oiseau avec
ses ailes selon son espèce. Et il vit, Dieu, que c'était beau. Et il les bénit,
Dieu, en disant : Fructifiez, et devenez nombreux et remplissez les eaux dans
les mers et que l'Oiseau devienne nombreux sur la Terre ! Et fut un
soir, et fut un matin, jour cinquième.
Et il dit, /Dieu : Qu'elle fasse sortir, la Terre, de l'âme vivante selon
son espèce, du bétail et du reptile, et de l'animal sauvage de la Terre, selon
son espèce ! Et ce fut ainsi. Et il fit, Dieu, l'animal sauvage de la
Terre selon son espèce et le bétail selon son espèce et tout reptile de la terre selon
son espèce. Et il vit, Dieu, que c'était beau.
Et il dit, Dieu : Faisons de l'Homme à notre image, selon notre
ressemblance et qu'ils (sic) dominent sur le Poisson de la mer et sur l'Oiseau des cieux et sur le
bestiau et sur
toute la terre et sur tout reptile qui rampe sur la Terre !
Et il créa, Dieu, l'Homme à son image, à l'image de Dieu il le créa,
mâle et femelle il les créa.
Et il les bénit, Dieu, et il leur dit, Dieu : fructifiez et devenez
nombreux et remplissez la Terre et dominez-la, et régnez sur le Poisson
de la mer et sur l'Oiseau des cieux et sur tout vivant qui rampe sur la Terre !
Et il dit, Dieu : Voici, je vous ai donné toute plante verte semant semence qui est sur la
face de toute la Terre et tout arbre
qui a en lui du fruit d'arbre semant semence.
Pour vous ce sera pour nourriture ! Et à tout vivant de la Terre et à
tout Oiseau des cieux et à tout rampant sur
la Terre, qui a en lui âme vivante, toute herbe verte pour nourriture. Et ce
fut ainsi.
Et il vit, Dieu, tout ce
qu'il avait fait, et voici c'était très beau. - Fut un soir et fut un matin, jour; sixième.
Et furent terminés les
cieux et la Terre et toute leur armée. Et il termina, Dieu, au jour septième, son oeuvre qu'il avait
faite et il se reposa, au jour septième, de toute son oeuvre qu'il avait faite. Et il bénit, Dieu, le jour septième
et il le consacra car en lui il se reposa de toute son oeuvre qu'il a créée, Dieu, pour la faire.
En français, le mot terre a au moins deux sens :
1. La terre,
l'élément que travaille le laboureur, la motte de terre.
2.
Un troisième sens peut être annexé au
premier, c'est :
Le territoire.
En hébreu, le mot eretz désigne la Terre, ce que
nous appelons notre planète, et qui n'était pas connu comme Planète par les Hébreux, c'est-à-dire l'ensemble, et aussi le
territoire. Pour désigner la terre, l'élément
que l'on laboure et que l'on sème, l'hébreu a le mot adamah, qu'en français nous sommes bien obligés de traduire aussi par « terre ».
J'ai mis une majuscule quand le mot eretz
désigne la Terre, le tout.
Dans ce texte, le ou les théologiens qui l'ont composé ne désignent pas
Dieu par son nom propre, le tétragramme, YHWH, mais se servent du nom commun,
Dieu, en hébreu elohim, qui est un pluriel, comme d'ailleurs ha-schamaïm est aussi un pluriel. Pour quelle raison le mot dieu, en hébreu, est-il
un pluriel ? Les savants en discutent. Peut-être tout simplement parce que ce terme a été pris à un
vieux fonds sémitique dans lequel la
divinité était conçue comme plurale.
Le ou les
théologiens exposent l'oeuvre de la création dans un certain ordre : l'Univers
physique, puis les plantes, puis les animaux, enfin l'Homme. Ils se servent de
termes qui en hébreu sont au singulier, pour désigner une pluralité, par
exemple le Poisson, l'Oiseau, l'Homme. C'est une habitude, en hébreu,
d'utiliser des termes au singulier pour désigner une multitude. En somme, le ou
les théologiens visent l'espèce, et même le genre, le genre Oiseau par exemple,
ou le genre Reptile, ou le Quadrupède.
En gros, en très
gros, l'ordre qu'ils nous proposent est le bon, c'est celui que nous connaissons par les
sciences expérimentales. Il va de l'Univers
physique à l'Homme, et non pas l'inverse. D'autres doctrines ont proposé un
ordre inverse : d'abord création ou production de l'Homme, de l'Homme
primordial, puis de l'Univers physique : ce sont les systèmes théosophiques et gnostiques qui ont pullulé dans les
premiers siècles de notre ère.
La création de
la lumière est proposée avant la création du soleil. On a beaucoup ri, pendant
des siècles, de ces pauvres
Hébreux qui s'imaginaient que la lumière est créée avant le soleil. On a cessé de rire aujourd'hui puisque les scientifiques
ont démontré qu'en effet l'Univers a d'abord été lumière, dans ses tout premiers instants, avant d'être
matière composée, et bien avant la genèse des premières galaxies, à
plus forte raison bien avant la formation des
systèmes solaires tels que le nôtre.
Dans ce
document, comme dans celui que nous avons traduit précédemment, et qui est
plus ancien, l'idée du théologien est que dans son état initial la nourriture
de l'Homme, ce sont les graines et les fruits, la nourriture principale des
grands Singes anthropomorphes, les Gorilles, les Orangoutans et les Chimpanzés,
dont nous sommes les plus proches du point de vue anatomique, physiologique et
biochimique. Lorsque
l'Homme est apparu, nous l'avons déjà noté,
il vivait bien évidemment de cueillette. Il y a peut-être dans ce texte,
comme dans le précédent, la trace d'un souvenir du temps où l'Humanité vivait de cueillette, sans être astreinte ni à la
chasse ni au travail de la terre.
Il est vrai que l'auteur de notre
document semble considérer que les autres animaux aussi se nourrissent de
végétation, ce qui est en partie
erroné.
On s'écriera (j'entends la clameur...)
: Mais tout cela, c'est du concordisme ! Vous versez dans le concordisme
Arrêtons-nous un instant sur cette protestation.
On a appelé concordisme,
au siècle dernier, une tentative pour faire s'accorder ou concorder les textes
bibliques avec les découvertes de la géologie et de
Étant donné que ces
concordances ont été souvent forcées, étant donné que ces tentatives ont souvent été
vaines et parfois ridicules, les exégètes ont trouvé une issue qui leur épargnait ces
déboires. Ils ont déclaré : les textes bibliques ne sont pas chargés de
nous renseigner sur l'Univers, la nature et tout ce que les sciences
naturelles sont chargées de nous enseigner. L'objet des textes
bibliques est exclusivement religieux. Ne cherchons donc pas à faire
s'accorder l'enseignement des textes bibliques avec l'enseignement des sciences.
C'est depuis ce temps-là que le terme
de « concordisme » est devenu une injure redoutée de tous, - mais non de
l'auteur de ces lignes.
La solution paraissait
parfaite ; elle était simple : chacun de son côté, les exégètes dans
les textes bibliques, les savants dans leurs expériences, et surtout pas de
rencontre, pas de communication. Une muraille de Chine doit séparer les textes
bibliques des sciences de l'Univers et de
Malheureusement pour les tenants de
cette séparation sans communication,
elle comporte quelques inconvénients. D'abord le terme de « religieux » que
l'on utilise est si vague qu'il
peut désigner à peu près n'importe quoi. Contrairement à ce que tout le monde, ou presque, répète, le terme latin religio ne vient pas
du verbe latin religare, lier, attacher, mais du verbe relegere, qui
signifie recueillir de nouveau, rassembler, etc. Le mot latin religio signifie
au sens premier : une attention scrupuleuse, un scrupule, puis un scrupule «
religieux »... Nous voilà bien avancés. Il suffit de lire une Histoire des Religions pour constater que le terme de « religion » est si vague, si flou, qu'il recouvre à peu près
n'importe quoi. On ne peut
même pas soutenir que des termes de « religion » ou « religieux » impliquent
quelque rapport à une divinité, car il existe des religions athées ! Le terme
de « religion » désigne donc une doctrine qui porte sur le tout et l'Histoire des religions est une histoire des plus
anciennes doctrines de
l'Humanité.
Si le terme de
religion » est si vague, si flou, le terme de « religieux » l'est tout autant,
et lorsqu'on affirme, pour se protéger contre le spectre du concordisme, que la
Bible se cantonne dans le « religieux », ou que les textes bibliques n'ont pas
d'autre objet que de nous donner un enseignement « religieux », on ne dit pas
grand-chose.
Mais il y a
plus grave. La Bible nous dit quelque chose sur l'Univers, sur l'histoire
de la création, sur l'histoire humaine. La Bible nous dit par
exemple que l'Univers a commencé. Elle nous dit aussi qu'il s'use et qu'il
finira. Ce dont nous parle la Bible, c'est bien de cet Univers-ci, celui de
notre expérience, celui par conséquent qu'atteignent nos sciences expérimentales. Si
donc l'on se refuse à tout concordisme, il faut alors poser en principe
que la Bible ne nous dit rien de l'Univers réel, celui de notre expérience, ni -
pourquoi pas ? - de l'histoire réelle, celle qu'atteignent les historiens.
Et dans ce
cas-là, dans cette hypothèse, que resterait-il de la Bible ? Un ensemble de
contes, de légendes, sans aucun rapport avec la réalité objective ?
Lorsque des savants
éminents comme Sir Leonard Woolley, (Abraham, trad. cit.), André Parrot, (Abraham et son temps, éd. cit.), Roland de Vaux (Histoire ancienne
d'Israël, éd. cit.) et
avant eux Edouard Dhorme : Abraham dans le cadre de
l'histoire (Recueil Edouard Dhorme, Paris, Imprimerie Nationale, 1951) - se demandent
quel rapport, quelles relations existent entre les textes bibliques qui nous
relatent l'histoire des patriarches, et l'histoire telle que nous pouvons
l'atteindre par les voies scientifiques, ils font, eux aussi, du concordisme, puisqu'ils se demandent
quel rapport existe entre
ce que dit la Bible et la réalité !
Dès lors qu'on se demande quel rapport
existe entre ce que dit l'Écriture
sainte et la réalité, quelle qu'elle soit, on fait du concordisme.
En somme, pour éviter le concordisme,
il faudrait soutenir que l'Écriture sainte n'a aucun rapport avec aucune réalité
quelle qu'elle soit.
André Parrot, Abraham
et son temps, éd. cit.
La
documentation profane est (...) en parfaite concordance avec les données
bibliques. (p. 53).
Tout ce que
nous savons de l'époque et du milieu, grâce à la documentation historique et
archéologique, extrabiblique, s'accorde parfaitement avec la tradition biblique
consignée dans
La « geste » patriarcale s'insère
parfaitement dans ce que
nous connaissons par ailleurs de l'histoire politique du moment. (p. 87).
Il n'est donc pas si simple, pour
exorciser le spectre du concordisme, de se réfugier dans le « religieux » dont
personne ne sait trop ce
qu'il signifie ni ce qu'il contient. Il existe des relations entre ce qu'enseigne l'Écriture
sainte, et ce qu'enseignent les sciences de l'Univers, de la nature et de l'homme. Ces relations pourraient être
des relations de conflit,
d'opposition, d'exclusion mutuelle. Par exemple si la Bible enseignait que l'Univers est un système
éternel, inusable, sans
commencement et sans fin, et un système cyclique, que ferions-nous aujourd'hui,
en cette fin du XXe siècle, puisque nous avons
appris par les sciences de l'Univers et de la nature que l'Univers est un système historique,
évolutif, génétique, dans lequel les sous-ensembles, à savoir les galaxies, ont
un âge ; les éléments, à savoir les étoiles, ont un âge ; tout ce qui existe
dans l'Univers a un âge ; comment l'Univers lui-même n'aurait-il pas d'âge ?
Parler d'un système solaire qui n'a
pas commencé, d'une étoile qui n'a pas commencé, d'une galaxie qui n'a pas commencé ; imaginer une
étoile qui ne s'userait pas, qui ne transformerait pas son stock d'hydrogène
en hélium, c'est, du point de vue physique, une hypothèse dépourvue de
signification.
Si donc
l'Écriture sainte enseignait le contraire de ce qu'enseignent les sciences
expérimentales, en l'occurrence l'astrophysique et la physique, que
ferions-nous ? Nous devrions choisir entre l'enseignement certain des
sciences expérimentales et l'enseignement des livres hébreux qui nous relatent des
traditions qui remontent au XXe siècle avant notre ère. Le choix
serait évident, il n'y aurait pas d'hésitation.
Pendant des
siècles, les juifs et les chrétiens ont été justement dans cette situation,
puisque, sous l'influence des philosophies grecques, d'Aristote en
particulier, les savants, les philosophes, enseignaient comme un dogme que
l'Univers n'a pas commencé, qu'il ne s'use pas et qu'il ne finira pas.
Que faisaient
donc les juifs, les chrétiens et les musulmans dans ces conditions ? Ou
bien ils sacrifiaient la doctrine de la révélation aux philosophies, supposées
rationnelles. Ou bien ils sacrifiaient Aristote à
Nous ne sommes plus dans
cette situation pénible, parce que nous savons maintenant, en fin du XXe siècle, que la
cosmologie
d'Aristote, qui a passé pour l'expression de la science et de la raison pendant
des siècles, est en réalité une théologie, une mythologie. C'est parce que l'Univers
était divinisé qu'il était considéré comme incréé, éternel, sans commencement, sans
fin, sans usure ni vieillissement. Ce sont les sciences expérimentales, au XXe siècle, qui
nous ont délivrés de cette cosmologie mythique qui nous venait des Grecs.
Par conséquent les
sciences expérimentales sont venues à la rencontre de ce qu'enseignaient les anciens
Hébreux quelque quinze ou vingt siècles avant notre ère, et les savants qui nous racontent
aujourd'hui le premier quart d'heure de l'Univers et même les trois
premières minutes de l'Univers, fraction de seconde par fraction de seconde,
font du concordisme
Pour peu qu'ils
établissent une relation entre ce qu'ils disent et ce que disait la
vieille tradition hébraïque - et cela leur arrive - ils versent dans le
concordisme
La question est de savoir
comment les Hébreux ont fait pour savoir eux-mêmes, au XVe ou XXe siècle avant
notre ère, que l'Univers n'est pas divin, que les astres ne sont pas des substances
divines, que l'Univers n'est pas l'Être absolu, que l'Univers a commencé,
qu'il s'use comme un tapis, et qu'il finira. - Ce que nous venons de découvrir
depuis un siècle, par les moyens et les instruments des sciences
expérimentales.
Il faut
distinguer soigneusement deux concepts, deux notions, qui ne se recouvrent pas
: le concept de révélation et le concept d'inspiration.
Tous les livres
de la Sainte Écriture sont inspirés, mais tous ne contiennent pas une
révélation. Par exemple les livres historiques qui nous racontent les règnes de Saül,
de David et des rois d'Israël et de Juda, peuvent être inspirés et ils sont inspirés ; mais
ils ne contiennent pas une révélation proprement dite. De même tel
psaume, tel livre de sagesse, tel roman philosophique et
théologique, comme par exemple le livre de Ruth.
Le terme de
révélation doit être réservé précisément à la communication d'une
connaissance que l'intelligence humaine ne pouvait pas atteindre
à partir de l'expérience, par exemple et tout particulièrement la connaissance
de l'avenir. Ce qui relève du prophétisme relève très précisément de la révélation. La
connaissance du dessein de Dieu sur l'humanité dans l'avenir ne peut être
acquise par l'homme que s'il reçoit le don de cette connaissance : c'est une
révélation proprement dite.
Amos 3, 7 : Car il ne fait pas, le Seigneur YHWH, quelque
chose, sans avoir révélé son secret à ses serviteurs les prophètes.
Le lion a rugi : qui
n'aurait peur ? Le Seigneur YHWH a parlé : qui ne prophétiserait ?
La révélation proprement dite porte sur ce qui
est inaccessible à l'intelligence
humaine à partir du donné passé ou présent,
à partir de la création passée ou présente. La révélation proprement dite porte sur l'avenir de la création
et comme la création est libre, comme Dieu est absolument libre dans sa création, Dieu seul sait ce qu'il va
créer, ce qu'il va faire, et lui seul peut
communiquer à l'Homme, s'il le veut, la connaissance de son dessein, de son
secret comme le dit le prophète Amos.
Un texte peut
être inspiré sans que l'auteur de ce texte ait eu conscience d'être
inspiré. L'inspiration, c'est le travail secret de Dieu dans
l'esprit, l'intelligence de l'homme, travail par lequel Dieu guide, régénère,
libère l'intelligence humaine, pour lui faire voir ce qui est vrai.
Ainsi, dans le
chapitre 1 de la Genèse, Dieu a fait connaître à l'homme ce qui est
vrai, à savoir que les astres, le soleil, la lune, les étoiles, ne
sont pas des divinités ; que l'Univers n'est pas l'Être absolu ; que l'Univers
a commencé ; ce texte est donc certainement inspiré. Mais faut-il parler
exactement de révélation ? Ce texte porte sur le passé de la création, sur l'histoire
de la création, sur ce qui en droit et en fait relève de la compétence de
l'intelligence humaine qui s'instruit de la réalité objective par les sciences
expérimentales. Ce texte est donc certainement inspiré mais il n'est pas
évident qu'il faille parler à son propos de révélation.
L'inspiration
qui travaille du dedans et en secret l'intelligence du prophète hébreu,
du théologien, ne se substitue pas à l'intelligence humaine : au contraire elle la
suscite, elle l'éclaire, elle la libère, elle l'épanouit et la
conduit à la plénitude de ses puissances.
Lorsque les
théologiens hébreux ont pensé, dit et écrit que l'Univers n'est pas divin, que
les astres ne sont pas des divinités et que l'Univers a commencé, ce sont eux
qui ont été d'authentiques rationalistes, car ce sont eux qui ont commencé à libérer
l'intelligence humaine des mythologies dans lesquelles le grand Aristote est
resté prisonnier.
Reste à savoir pourquoi
et comment l'intelligence humaine a sombré dans ces
mythologies sanglantes, dont elle a besoin d'être libérée.
La question du
concordisme n'est donc pas réglée, et encore moins réglée par le mépris ou le sarcasme,
comme c'est la coutume aujourd'hui. Car les Hébreux nous ont bien donné un
enseignement concernant cet Univers-ci, celui de notre expérience, et ils ne
pouvaient pas dire n'importe quoi, concernant cet Univers-ci, car n'importe
quoi, dans l'ordre de l'expérience, et donc
des sciences, n'est pas compatible avec n'importe quoi en théologie.
Dès lors que
vous dites que l'Univers est divin, qu'il est l'Être absolu, vous êtes obligé
aussi de dire qu'il n'a pas commencé, qu'il ne s'use pas, qu'il ne vieillit
pas, et qu'il ne finira pas. Dès lors que vous dites que l'Univers est divin,
vous dites quelque chose qui va pouvoir être contrôlé par les sciences expérimentales.
Car si les sciences expérimentales établissent, ce qui est aujourd'hui le
cas, que tout dans l'Univers a commencé, que tout est en train de s'user et de
vieillir irréversiblement dans l'Univers, alors il en résulte que votre
proposition initiale était fausse.
N'importe quoi
en théologie n'est donc pas compatible avec n'importe quoi en
physique. N'importe quoi en métaphysique n'est pas compatible avec n'importe
quoi en physique.
Nos modernes,
qui ont horreur de voir établir des relations entre l'ordre des sciences
expérimentales et l'ordre de la théologie, ont non moins horreur de voir dégagées
des relations entre l'ordre des sciences expérimentales et l'ordre de l'analyse métaphysique.
Il est entendu,
aujourd'hui, dans l'enseignement de la philosophie qui est
communément dispensé, que la philosophie n'a pas et ne saurait
avoir de fondement expérimental. C'est quasiment un dogme, dans les universités
françaises tout au moins. La philosophie fait bande à part. Les sciences
font bande à part. L'exégèse fait bande à part, elle aussi. Tout le monde fait
bande à part.
Si la
philosophie ne peut avoir de fondement expérimental, si la philosophie ne
peut procéder à partir de l'expérience scientifiquement explorée, alors il ne reste
plus, comme base à la philosophie, que l'explication des textes des philosophes d'autrefois. C'est
ce qui arrive. Donc, dans cette affaire du concordisme, des
présupposés philosophiques sont entrés en jeu.
Les théologiens
hébreux, qui ont découvert que l'Univers n'est pas divin, que rien dans l'Univers et
dans la nature n'est divin, que l'Univers
n'est pas l'Être absolu, et que l'Être absolu est autre que l'Univers,
ont accédé à une authentique connaissance
métaphysique. Ils ont pris position, en métaphysique, contre les thèses fondamentales de Parménide, d'Héraclite, d'Aristote et généralement de toute la
philosophie grecque, même s'ils ne la connaissaient pas, car ils
connaissaient les thèses dont les
philosophies grecques dérivent, à savoir la divinisation de l'Univers,
de la nature, des forces naturelles.
Encore une affirmation qui
ne plaira pas, car il n'est pas de bon ton, aujourd'hui, de soutenir que les
théologiens hébreux ont accédé à une authentique connaissance métaphysique. Il est
entendu, chez nos modernes, qu'il n'y a de métaphysique que grecque.
D'ailleurs, c'est ce qu'enseigne le philosophe allemand Martin Heidegger.
N'est-ce pas une raison suffisante ?
Les théologiens hébreux ne
pouvaient pas dire ce qu'ils ont dit en théologie sans dire aussi quelque chose
concernant la cosmologie, c'est-à-dire la théorie de l'Univers. Et c'est ce
qu'ils ont fait. L'ordre des sciences expérimentales, l'ordre de l'analyse
métaphysique, l'ordre de la théologie sont des ordres distincts les uns
des autres, mais non pas séparés par des cloisons étanches. Il existe une
circulation entre ces ordres et des communications. C'est ce que la phobie du
concordisme semble méconnaître.
Remarquez l'extraordinaire
audace et la tranquillité avec laquelle les auteurs de Genèse,
chapitre 1 affirment que le soleil et la lune ne sont que des luminaires, des
lampes, pourquoi pas des lampions ! Si on se reporte à l'enseignement, au dogme de
la religion de Sumer, d'Akkad et de Babylone, on réalisera que cette
affirmation des auteurs de notre texte est un véritable sacrilège : le dieu
Lune réduit au rôle de lampadaire !
Comme on l'a remarqué
depuis longtemps, cette histoire de la création est présentée par les
théologiens hébreux, auteurs de ce texte, dans le cadre de la semaine juive,
qui se termine par le jour du schabbat. Il pourrait en résulter
l'idée que la création a été terminée le sixième jour.
C'est contre cette perspective que
plusieurs textes s'élèvent.
Dieu ne cesse pas de créer, il ne se fatigue pas. Une prière du matin dans le
livre de prières du juif fidèle s'exprime en ces termes :
Toi qui renouvelles chaque jour
continuellement l'oeuvre
du commencement.
Et notre Seigneur, dans
une discussion avec des théologiens judéens, précisément à propos du schabbat, dit ceci :
Jean 5, 17: Mon Père est à l'oeuvre, - il opère, -
jusqu'à maintenant, et moi aussi j'opère, - je suis à l'oeuvre.
Texte fulgurant, comme
tout ce qui est sorti de la bouche de notre Seigneur, et qui enseigne la
création continuée.
Il n'est donc
pas exclu, et nous verrons que le cas se présente souvent, que certains textes
bibliques se corrigent les uns les autres.
L'Écriture
sainte est pleinement inspirée, mais elle est aussi pleinement humaine.
L'humanité de l'Écriture sainte se manifeste dans les représentations
qui sont celles des auteurs inspirés, ici les représentations propres aux
théologiens qui ont composé ce texte.
A remarquer
aussi, dans ce texte, l'affirmation constante de l'excellence de la création,
cosmique, physique, biologique, humaine. C'est une thèse fondamentale du
monothéisme hébreu, juif, chrétien et musulman, s'il est orthodoxe, que cette
excellence de la création, excellence de tout ce qui existe, en tant que
cela existe, car tout ce qui existe a été créé par l'Unique, et rien de ce
qu'il a créé ne saurait être mauvais, par nature ou par constitution.
Les théologiens
hébreux qui ont composé ce texte de la Genèse connaissaient parfaitement les
mythes sumériens, akkadiens et babyloniens de la création des dieux et
du monde à partir du chaos originel. De toute la cosmogonie, théogonie et
théomachie qui caractérise ces religions de l'Orient ancien, il ne reste rien
dans notre texte.
L'Être premier, l'Être
absolu, et qui ne dépend d'aucun autre, ce n'est pas le Chaos originel ou primordial. C'est Dieu.
Du chaos
originel il ne reste aucune trace dans notre texte, car l'expression
hébraïque tohou wa-bohou ne signifie pas, ne désigne pas le chaos originel des
cosmogonies assyrobabyloniennes, mais très précisément : lorsque la
Terre a été créée, et avant qu'elle ne fut plantée, peuplée, elle était un désert et elle
était vide. Cela n'a donc rien à voir avec le Chaos originel préexistant à
l'Univers.
De la Genèse
des dieux, il ne reste rien. De la guerre, des batailles entre les dieux, il ne
reste rien. De l'idée d'une tragédie antérieure à l'origine du monde, il ne
reste rien. Tout a été repensé, nettoyé, délivré des mythologies
sanglantes. Il reste un texte de haute portée métaphysique, qui va commander à tout le
développement de la pensée juive, chrétienne et musulmane, les trois branches
du monothéisme hébreu.
Nous disions en
commençant ce développement qu'ici, en ce point, en ce temps, c'est-à-dire autour de
cette tribu nomade conduite par Abram ou Abraham, l'humanité a subi une
mutation dans sa pensée, son agir, son être.
Du point de vue
de la pensée, on commence à apercevoir en quoi consiste
La notion de
création, qui apparaît à notre connaissance dans l'histoire de la pensée
humaine avec les Hébreux, est une notion très difficile à penser pour nous les
hommes, peut-être la plus difficile de toutes, parce que, contrairement à ce qu'on répète
souvent, non seulement ce n'est pas une notion anthropomorphique, mais,
bien au contraire, nous n'avons pas en réalité l'expérience de
la création, en ce sens que nous les hommes nous ne sommes pas créateurs d'être
ou créateurs d'êtres.
Nous savons fabriquer des
objets, par exemple des statues à partir d'un bloc de marbre, ou des cruches avec de l'argile.
Nous fabriquons, mais
nous ne créons pas un être capable de subsister. Nous donnons une forme extérieure à un matériau.
Dieu seul est créateur d'être. C'est ce
qu'enseigne la Sainte
Écriture qui réserve le verbe hébreu bara, créer, à Dieu seul.
Lorsque nous procréons,
lorsque nous engendrons, nous ne créons pas non plus, à proprement parler. L'homme
communique à la femme qu'il aime un message génétique qu'il a reçu lui-même.
La femme communique aussi un message génétique. A partir de la combinaison des deux
messages génétiques commence un être nouveau qui va se développer. Mais ni le message génétique
fourni par l'homme, ni celui fourni par la femme, ni la combinaison des deux
messages génétiques ne suffisent à rendre compte de l'existence nouvelle de
cet être qui commence d'exister à
Nous n'avons donc pas
l'expérience directe, personnelle, de la création, car nous ne sommes pas
réellement créateurs d'être. Mais nous avons une connaissance du créé, ou
de la création si l'on entend par ce terme l'ensemble des êtres créés. Et c'est à
partir de cet ensemble des êtres créés que, par notre intelligence, par notre
analyse, nous pouvons découvrir que cet ensemble dépend de l'Unique qui donne
l'être. La connaissance que nous pouvons avoir de l'acte de création est donc une
connaissance par l'intelligence, procédant à partir de l'expérience du créé.
L'idée de création
signifie tout d'abord que l'Univers existe, objectivement,
réellement, indépendamment de notre intelligence qui le connaît et bien avant
l'apparition de l'Homme, bien avant l'apparition du Cogito pour parler
comme les philosophes cartésiens.
La pensée hébraïque se situe donc aux
antipodes de la grande
tradition idéaliste qui trouve son expression par exemple dans la vénérable tradition métaphysique de
l'Inde, selon laquelle l'univers
n'est qu'une apparence, une illusion, un songe, une duperie.
L'idée de création
signifie tout d'abord que l'Univers est un être, ou un ensemble
d'êtres, réel, objectivement réel. Mais l'idée de création
signifie aussi que cet ensemble d'êtres qui est l'Univers physique n'est pas
l'Être absolu ou la totalité de l'Être, n'est pas l'Être purement et
simplement.
En cela la pensée hébraïque s'oppose à
la grande tradition
matérialiste qui trouve son expression par exemple chez les plus anciens
philosophes grecs, lesquels enseignaient que l'Univers physique, c'est l'Être.
Marx, Engels et Lénine, à la fin du me siècle
et au début du XXe, ne
diront pas autre chose.
L'Univers est
un être ou un ensemble d'êtres, mais il n'est pas l'Être absolu. L'Être absolu
est autre que l'Univers, distinct de l'Univers et l'Univers
dépend de lui. C'est cela que signifie l'idée de création.
L'Univers n'est donc pas une fabrication à partir d'un chaos originel préexistant, ni à
partir d'une matière éternelle et incréée préexistante.
L'Univers n'est pas non
plus le résultat d'une génération, d'un épanchement de la substance
divine. L'Univers n'est pas consubstantiel à
Telle est la pensée des théologiens
hébreux et telle est la pensée des théologiens chrétiens.
Cette doctrine n'est pas
reçue passivement par les théologiens chrétiens. Elle est pensée, repensée,
vérifiée, retrouvée. C'est-à-dire que si l'intelligence humaine
donne finalement son assentiment à la doctrine de la création, c'est
parce qu'elle pense que cette doctrine est vraie.
Ainsi ont procédé les plus grands théologiens
et métaphysiciens chrétiens, par exemple
saint Thomas d'Aquin au XIII° siècle et le bienheureux Jean Duns Scot un peu
plus tard, une génération après saint Thomas.
La doctrine de la création ne doit pas être
reçue passivement, les yeux fermés, comme un
article de foi, si l'on entend par « foi » un assentiment aveugle. La
doctrine de la création doit être reçue parce qu'elle est vraie, parce qu'elle
correspond à la réalité objective et parce que l'intelligence peut s'assurer
de cette vérité.
Telle est la doctrine
constante de l'Église. La doctrine de la création n'est pas reçue seulement parce
qu'elle se trouve inscrite dans les Livres qui contiennent
Le fait que cette doctrine
de la création se trouve inscrite dans les Livres hébreux ne prouve rien, par
lui-même. La question est de savoir si ce que disent les Livres hébreux
est vrai.
D'ailleurs si l'on dit que
la doctrine de la création est reçue seulement parce qu'elle est inscrite dans les
Livres qui contiennent la révélation, il reste à se demander comment les théologiens hébreux
sont parvenus à la découvrir et à la penser ; et il reste à savoir si
elle est vraie. Si l'on dit qu'elle est vraie parce qu'elle est
inscrite dans les Livres de la révélation, il faut avoir établi le fait de la
révélation et l'autorité de ces Livres. Et si cette autorité est établie, il
reste toujours à savoir comment les théologiens hébreux en sont venus à penser
la
création.
Notre assentiment à la doctrine de la création
et donc au Dieu vivant doit être finalement un assentiment intelligent, un assentiment de l'intelligence qui sait pour
quelles raisons elle accorde
librement cet assentiment. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire :
nous professons la création du monde parce
que c'est écrit dans
C'est, nous
l'avons vu, la doctrine de l'Église qui est très exigeante pour notre
intelligence, plus exigeante que certains qui font aujourd'hui
l'opinion et qui renonceraient volontiers à cette activité nécessaire de notre
pensée rationnelle.
Le fait de la
création est connaissable par notre intelligence à partir de la réalité
objective, l'Univers et la nature, ce fait est inscrit dans les
Livres qui contiennent
Le fait de la
création doit être vérifié par notre intelligence, par l'analyse
rationnelle, à partir de l'expérience et indépendamment de
La doctrine de
la création enseignée par les Livres saints contient, de plus, que la création
est don. Elle est grâce, la première grâce, la grâce créatrice. Dieu, qui est l'Être
absolu, l'Être premier, Celui qui n'a pas de commencement, qui ne comporte pas
de genèse ni d'évolution, n'a pas besoin du monde pour se réaliser -
contre Hegel, contre les théosophes.
La création n'est pas une
procession nécessaire à partir de la substance divine - contre les néoplatoniciens, tels que Plotin et
ses disciples arabes. La création ne résulte pas d'une tragédie en Dieu -
contre les mythologies assyrobabyloniennes, contre les systèmes gnostiques, contre la théosophie hégélienne.
La création est
don. C'est un des enseignements les plus formidables de
L'intelligence
humaine, indépendamment de la révélation, pouvait-elle aller jusque-là
?
Des très grands
métaphysiciens chrétiens, comme par exemple saint Thomas d'Aquin,
XIIIe siècle, le bienheureux Jean Duns Scot, fin du XIIIe-début
du XIVe siècle, et, au XXe
siècle, Maurice Blondel, sont parvenus très
près par l'analyse métaphysique. Ils
établissent d'abord que l'Univers ne se suffit pas, qu'il dépend d'un autre : c'est la découverte de la création. Ils établissent ensuite par l'analyse que
cet autre est un être qui, lui, ne
dépend d'aucun autre, qu'il n'a besoin de rien, qu'il est pleinement réalisé,
qu'il n'est pas en genèse ni en évolution, - analyses qui portent à l'avance
contre Hegel. Et ils établissent enfin que l'existence des êtres multiples ne peut pas résulter d'une nécessité inhérente à
Dieu, d'une procession nécessaire,
d'un manque, d'un besoin.
Il ne reste
donc, pour expliquer l'existence des êtres, que le don libéral de l'existence.
Il ne faut
jamais refouler l'activité de l'intelligence, il faut au contraire la pousser
aussi loin qu'elle peut aller.
Il nous est très difficile de penser
la création, non seulement parce que nous ne sommes pas créateurs d'être ou d'êtres, mais seulement fabricateurs, - mais aussi
parce qu'il nous est difficile d'accéder à l'expérience du don, du don
de l'être. L'expérience la plus proche, celle qui nous permet d'entrevoir ce
qu'est le don de l'être par la création, c'est l'expérience de la paternité ou
de
Toute la philosophie
moderne, ou presque, rejette, repousse, élimine l'idée hébraïque, juive et
chrétienne de création. Spinoza, au XVIIe siècle, la rejette
parce qu'il pose en principe que l'Être est unique. On peut l'appeler Dieu ou
Après Spinoza, la
découverte hébraïque de la création est rejetée aussi bien du côté de la grande
tradition idéaliste que du côté de la grande tradition matérialiste. Du côté de
la tradition idéaliste, la création de l'Univers est rejetée puisqu'en réalité
l'Univers n'a pas d'existence objective, réelle, indépendante du sujet connaissant
humain. Le monde est ma représentation. D'autre part, l'une des thèses
fondamentales des maîtres de l'idéalisme allemand, thèse qu'ils doivent à l'un des
maître du néoplatonisme, Plotin, IIIe siècle de notre ère, c'est que
le sujet individuel, le moi singulier, est au fond identique au Moi absolu,
c'est-à-dire qu'au fond du fond je suis l'Absolu, je suis Dieu. Et par
conséquent je ne suis pas créé.
Du côté matérialiste, la doctrine hébraïque
juive et chrétienne de la création est
repoussée, puisque le principe même du matérialisme, c'est que
l'Univers, c'est l'Être ; il n'en existe pas d'autre. Puisque l'Univers est l'Être,
l'Être absolu, le seul Être, il n'est pas créé : nous sommes très proches des
doctrines de Spinoza, dont en fait le matérialisme français et allemand du XVIIIe et XIXe siècle est nourri. - Il faut donc supposer que l'Univers, qui est
l'Être même, ne comporte ni commencement, ni usure, ni évolution, ni
vieillissement, ni fin. Et c'est la raison pour laquelle, depuis un siècle, les
philosophes et les savants appartenant à cette école repoussent avec horreur
toutes les découvertes expérimentales qui nous montrent, qui nous démontrent,
que l'Univers a commencé, qu'il s'use d'une manière irréversible, qu'il évolue,
qu'il vieillit, et que les étoiles meurent comme les fleurs des champs.
L'idée de création est
l'apport fondamental du monothéisme hébreu. Découvrir le fait de la création,
découvrir l'existence du Dieu vivant, c'est le même acte de l'intelligence. C'est parce
que nous découvrons par notre intelligence que de fait l'Univers est en régime
de création continuée ; c'est à cause de cela, nous l'avons vu, que l'athéisme
est totalement impensable.
La découverte de la
création, c'est la découverte de la distinction entre Celui qui crée et ceux
qui sont créés, et par conséquent la découverte d'une possibilité de dialogue
entre Lui et nous.
Les Psaumes nous montrent
constamment l'homme qui prie, s'adressant à Dieu ; il crie vers Dieu, et, comme
le dit le Psalmiste, ou les Psalmistes, Dieu répond.
Cela aussi est un fait d'expérience.
Avec Abraham l'émigrant commence donc une
véritable transformation, une mutation, qui concerne la vision du monde. Cette mutation a des conséquences
concernant l'agir. En comparant par
exemple les grands prophètes hébreux des VIIIe, VIIe
et VIe siècles avant notre ère, aux plus grands des philosophes
grecs, Platon et Aristote qui vivaient aux Ve et IVe
siècles avant notre ère, on aperçoit
Toutes les religions sémitiques
anciennes, et les autres aussi, pratiquaient les sacrifices humains. Les Grecs
faisaient de même. Souvenons-nous du sacrifice d'Iphigénie. On pourra faire
observer qu'il n'y a pas de différence notable entre le paganisme
ancien, qui sacrifiait les enfants des hommes à leur naissance, et le
paganisme contemporain, qui sacrifie les enfants avant leur naissance, ou
après, dans des guerres de plus en plus meurtrières. Le paganisme ancien et le
paganisme moderne se ressemblent, ils sont au fond identiques. Les seules différences
appréciables portent sur les moyens techniques de massacre et de torture. Sur
ce point, il faut reconnaître que le paganisme contemporain, parmi les nations
qui se disent elles-mêmes civilisées, marque un progrès technique certain.
Le peuple hébreu, avec le
culte des astres, des forces naturelles divinisées, a rejeté, éliminé
progressivement la pratique des sacrifices humains. Les prophètes d'Israël
tonnent contre cette pratique qui était commune au pays de Chanaan dans lequel les
Hébreux se sont installés, d'abord au terme de la migration conduite par
Abraham l'Hébreu, puis après la sortie d'Égypte. Les Hébreux ont été fascinés
par ces religions qui dominaient dans les pays de la Palestine ancienne et
tout l'effort du prophétisme hébreu a consisté à arracher le peuple à cette
fascination pour les cultes païens.
Finalement c'est une
transformation progressive mais réelle de l'être même de l'homme qui est à l'oeuvre à
l'intérieur de cette zone embryonnaire ou germinale qu'est le peuple hébreu. Petit à petit,
progressivement, ici, dans cette zone, l'humanité est délivrée des
mythologies, des représentations, des rites païens. Elle est
sanctifiée progressivement, et par étapes. C'est une humanité nouvelle qui
est en train de se former dans ce peuple.
Les naturalistes savent que si un
groupe zoologique nouveau
apparaît dans l'histoire naturelle des espèces, si un nouveau système biologique apparaît qui
n'existait pas, c'est qu'un message génétique nouveau est apparu, a été créé, a
été communiqué, qui a commandé à la formation de ce nouveau type biologique, de ce nouveau
système biologique. C'est
au niveau des génotypes que la création s'effectue. Le phénotype ne fait
qu'exprimer, manifester l'invention, la création effectuée dans le secret du
noyau de la cellule qui contient
la molécule géante sur laquelle sont inscrites les informations qui commandent à la
construction de l'organisme nouveau.
Dans le cas de la genèse
de ce peuple nouveau, qui est en fait une nouvelle forme d'humanité, il en va
de même. C'est un message qui est à l'origine des transformations de l'humanité en ce
point, en ce lieu, en ce temps ; et ce message, communiqué progressivement,
c'est précisément ce que nous appelons la révélation, à savoir une information communiquée
par
Dieu le créateur à`l'humanité créée, pour la créer nouvelle.
Entre la théorie de la
création et la théorie de la révélation, il y a donc non seulement analogie,
parenté, mais sur certains points, identité. La création, dans l'Univers et dans
la nature, s'effectue par communication d'information. La création d'une
nouvelle espèce d'humanité autour du XXe siècle avant notre
ère s'effectue aussi par la communication d'un message, d'une
information, mais cette fois-ci la communication du message ou des messages
s'adresse à l'homme, à l'intelligence de l'homme, à sa pensée, à sa liberté. Il
peut y consentir ou ne pas y consentir. Nous l'avons noté déjà : la création
change de régime.
Quand on étudie scientifiquement,
minutieusement, avec tous les moyens techniques dont nous disposons, ce peuple
hébreu sur les vingt siècles environ qui vont de la migration d'Abraham au
rabbi Ieschoua de Nazareth, on ne peut manquer d'être frappé par la continuité
du processus et l'orientation du développement qui constitue ce peuple hébreu.
De siècle en siècle, d'âge en âge, par l'intermédiaire d'hommes différents par
leur caractère, leur milieu, leur tempérament, leurs idées personnelles, - le message de la révélation est communiqué
d'une manière constante et orientée. C'est vraiment un organisme qui se développe. Ce n'est pas une
série de messages incohérents qui partent dans tous les sens. C'est une
même doctrine, une même théologie fondamentale qui se développe, qui se
précise, qui s'éclaire et qui forme progressivement une humanité nouvelle dans
ce peuple.
Une telle
continuité, une telle constance dans le développement ne peuvent être un effet
du hasard.
De plus, ce qui
est enseigné, ce qui est communiqué au peuple hébreu, disons : à
l'humanité dont il est un spécimen, - l'information communiquée rencontre une
résistance d'autant plus violente qu'elle exige une transformation plus
profonde de la pensée, de l'agir et de l'être de l'homme. Le prophète hébreu, depuis
les origines jusqu'à Jean le baptiseur du Jourdain et jusqu'au rabbi
Ieschoua de Nazareth, rencontre une résistance qui va souvent jusqu'au meurtre
du prophète. L'information créatrice qui vient de Dieu rencontre de la part de l'humanité,
en ce point, en ce lieu, en ce temps, une résistance telle que celui qui
est chargé de communiquer l'information créatrice doit subir la violence de ceux
qui ne veulent pas l'entendre.
La Bible nous
donne maints exemples de cette résistance violente, chaque fois qu'un prophète
hébreu est chargé de communiquer un message nouveau, depuis Moïse jusqu'à Amos,
Isaïe, Jérémie, et les autres qui suivent.
Si l'information communiquée par le
prophète et adressée au peuple tout entier rencontre une telle résistance, si
violente et qui va jusqu'au meurtre du prophète, c'est bien évidemment que
l'information communiquée ne vient pas de l'humanité à qui elle est
communiquée. Elle n'est pas une sécrétion de l'humanité en ce point, en ce
lieu, en ce temps. Une analyse de type sociologique ou marxiste ne s'applique
donc pas. Le message prophétique vient toujours à contre-courant. Ce qui
distingue le faux prophète du vrai prophète, c'est précisément que le faux
prophète, le prophète de cour, dit au roi, aux princes, à ceux qui dirigent le
peuple et au peuple lui-même, ce que ceux-ci désirent entendre. Le faux prophète n'est pas persécuté puisqu'il exprime la
conscience collective, la conscience nationale.
L'authentique
prophète d'Israël n'exprime pas la conscience collective ou nationale :
il va à l'encontre des normes de l'égoïsme tribal ou national. Non seulement
l'information qu'il communique au roi, aux princes, aux chefs du peuple et au peuple
lui-même, rencontre une résistance violente, mais de plus le prophète
lui-même reconnaît et ressent en lui une résistance non pas au message
lui-même, mais à la fonction, à la charge de prophète.
Au début du
livre de l'Exode, Moïse fait tout son possible pour que Dieu ne le charge pas de la
mission prophétique, il fait tout son possible pour se débarrasser de ce
fardeau ; au début du rouleau du prophète Jérémie, celui-ci se
plaint de la charge que Dieu lui a confiée. L'authentique prophète a reçu une
mission, et il sait qu'elle ne vient pas de lui, parce qu'il sait ce qu'il va
lui en coûter d'accomplir cette mission.
La
démonstration de la réalité du prophétisme hébreu s'effectue de la manière
la plus simple qui soit et la plus incontestable. Les prophètes
hébreux eux-mêmes connaissaient fort bien ce critère et l'ont souvent formulé :
l'authentique prophète, celui qui vient de Dieu, qui est envoyé par Dieu, et qui communique
à son peuple un message qui vient de Dieu, et non de lui-même, c'est
celui dont les oracles sont vérifiés par l'expérience, par l'expérience
historique.
Le faux
prophète, c'est celui dont les oracles ne sont pas vérifiés par l'expérience
historique.
Pour vérifier
ce point, il faut se plonger dans la lecture des prophètes hébreux, muni de bons commentaires
savants et critiques. La question posée est la suivante : Est-il vrai que le
prophétisme hébreu était une réalité ? C'est-à-dire : Est-il vrai qu'en Israël
et en Juda des hommes, les prophètes, ont reçu de Dieu la capacité de connaître
l'avenir, ce qui n'est pas encore réalisé ?
La réponse à cette question s'obtient par l'étude et l'analyse des
livres des prophètes hébreux eux-mêmes, dans le contexte historique qui
fut le leur[29].
Un exemple de prophétisme
hébreu, un seul, mais massif, énorme, vérifiable immédiatement en quelques
heures de lecture. Dans quantité de passages du livre de la Genèse, il est dit à Abraham,
à Isaac, à Jacob : Je ferai de toi une grande nation ; tu deviendras le père
d'une multitude de peuples ; si tu peux compter les étoiles du ciel et les
grains de sable qui sont au bord de la mer, alors tu pourras compter aussi
ta postérité, ta semence, ta descendance. Je ferai de toi une assemblée de
peuples, qehal-ammim, une assemblée de nations, qehal-goiim ; toutes les nations de la
terre se béniront en toi.
Mettons les choses au
pire, admettons que tout cela n'ait pas été dit à Abraham, ni à Isaac, ni à Jacob.
Il reste en tout cas une chose certaine, c'est que les textes sont là, sous nos yeux ; ces
textes ont été mis par écrit à des dates diverses, XIe, VIIIe,
VIe siècles avant notre ère, mais ils ne font que fixer des traditions
orales beaucoup plus anciennes et utiliser même des documents écrits qui
peuvent remonter fort haut.
Il faut donc admettre que
fort tôt ce minuscule peuple hébreu a eu conscience d'être une zone
embryonnaire, ou une zone germinale, et de porter un message destiné à
l'humanité entière. Le mutant qu'est Abraham, ou le peuple issu d'Abraham, a
eu conscience très tôt d'être le germe d'une nouvelle humanité. Lisons
par exemple ce texte du prophète Isaïe, ville siècle avant notre ère
:
Isaïe 2, 1-3: La parole qu'a vue Ischayahou fils d'Amotz
au sujet de Juda et de Jérusalem.
Et sera, dans l'après des
jours, constituée la Montagne de la Maison de YHWH sur la tête des montagnes
et plus élevée que les collines. Et s'écouleront vers elle, comme des fleuves, toutes les nations.
Et viendront des peuples
nombreux et ils diront : Allons ! Et montons vers la Montagne et YHWH, vers la
maison du Dieu de Jacob.
Et qu'il nous enseigne ses voies et que nous allions dans ses sentiers. Car de Sion surgira l'Instruction
(Torah) et la parole de YHWH de Jérusalem...
Le même texte se trouve chez le
prophète Michée, chapitre 4, dont les premiers oracles
ont été prononcés avant la chute de Samarie, en 722. Peu nous importe ici la
question de la paternité de cet oracle que nous venons de lire. On retrouve la même idée chez les
prophètes d'Israël dont les oracles nous ont été
conservés. Ce qui est certain, c'est donc qu'au VIIIe siècle avant notre
ère (la philosophie grecque commence au VIe siècle avant notre ère...) le peuple hébreu avait en
lui la conscience qu'il
était un peuple germinal et que les nations païennes viendraient un jour recevoir
l'Information qu'il contient et qui le constitue.
Après avoir lu ces
différents textes des prophètes hébreux, regardons autour de nous,
en cette fin du XXe siècle : des juifs, dans le monde entier,
regardent vers Jérusalem ; des chrétiens, par centaines de millions, éparpillés
en des milliers de sectes, regardent vers Jérusalem et attendent du prophétisme hébreu
l'Instruction dont ils se nourrissent depuis bientôt vingt siècles ; les
musulmans, par centaines de millions, regardent aussi `du côté de Jérusalem, et
reçoivent aussi l'Information qui a été communiquée depuis et à partir d'Abraham. Des
peuples de toutes races, de toutes couleurs, reçoivent cette
Information communiquée à l'humanité entière à partir d'Abraham le
prophète et l'ami de Dieu.
Voilà donc une prophétie
accomplie, massive, monumentale, sur la planète entière. Il suffit de lire les
textes hébreux et de regarder ce qui se passe aujourd'hui sur la Terre pour s'en
assurer.
Toute l'histoire du peuple
hébreu, depuis ses origines, est une vérification expérimentale de l'action et
donc de l'existence de Dieu. Dieu se fait vérifier dans l'histoire du peuple
dans lequel il continue d'opérer, comme dans toute la création
d'ailleurs. Les paysans, les nomades, les bergers hébreux n'étaient
certes pas des philosophes appartenant à l'espèce kantienne. Pour suivre le
Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu des pères, pour suivre Moïse, pour
écouter et suivre finalement les prophètes hébreux, il leur fallait des raisons
solides, des raisons expérimentales, fondées dans l'expérience concrète,
c'est-à-dire dans l'histoire. Toute l'histoire de ce peuple est vérification
de l'action de Dieu.
La méthode que Dieu utilise constamment
dans cette histoire du peuple hébreu est la suivante : il se sert de moyens
dérisoires, infimes, pour obtenir des résultats qui, à vues humaines, et du point de vue des
probabilités humaines, sont
impossibles. Telle est sa méthode constante depuis les origines et on peut dire qu'il utilise la
même méthode aujourd'hui
encore, comme on le constate en lisant les textes des grands aventuriers de
Dieu, par exemple Thérèse d'Avila.
La méthode de Dieu se décompose en
plusieurs temps qui sont
les suivants :
1. Le prophète annonce de la
part de Dieu ce que Dieu va faire. Ce que Dieu va faire est, à vues humaines et
avec les moyens dont dispose l'homme, absolument impossible.
2. Dieu réalise ce qu'il a
annoncé par son serviteur le prophète, et le peuple peut constater que l'annonce, la promesse, la prophétie, est accomplie, réalisée,
objectivement.
3. Le prophète interprète et
analyse les faits, les événements, l'expérience. Il fait l'analyse de l'événement comme un savant qui analyse et interprète une expérience.
La démonstration de cette
méthode et son application se trouve dans toute l'histoire du peuple hébreu,
c'est pourquoi il faut lire attentivement, critiquement, cette histoire, car
les raisons qui ont été bonnes pour les nomades, les paysans et les ouvriers
hébreux du XIIIe, du
Xe, ou du VIIe siècle avant
notre ère, sont aussi bonnes pour nous.
Quelques exemples de
l'application de cette méthode. Bien entendu, tout d'abord la sortie d'Égypte.
Même si on laisse de côté les amplifications légendaires, l'orchestration, les
exagérations et les miracles physiques, il reste que ce petit peuple qui
était captif du peuple égyptien et réduit à l'état de Lumpenproletariat pour parler
comme Marx, est sorti, malgré l'armée et la police de Pharaon, de la maison de
servitude.
Au XIIe siècle avant notre ère, les enfants d'Israël sont installés en
terre de Chanaan. Tout Madian, Amalek et les fils de l'Orient s'unirent
ensemble, passèrent le Jourdain et campèrent dans la plaine de Jizréël. Madian,
Amalek et tous les fils de l'Orient étaient
étendus dans la plaine, aussi nombreux que les sauterelles, et leurs
chameaux étaient sans nombre, en quantité comparable au sable qui est au bord
de la mer (Livre des Juges, chapitres
6 et 7). L'Esprit de YHWH revêtit Gédéon, qui sonna du cor. Il envoya des
messagers dans tout Manassé, puis en Aser, en Zabulon, en Nephtali, qui
montèrent pour se joindre à l'armée de Gédéon.
Que fait Dieu ? Il dit à Gédéon :
Le peuple qui est avec toi est trop
nombreux pour que je livre
Madian en leurs mains, de peur qu'Israël ne s'enorgueillisse contre moi, en
disant : C'est ma main qui m'a sauvé !
Gédéon renvoie donc tous
les hommes d'Israël, chacun à ses tentes, et il ne retient avec lui que trois
cents hommes.
Comme on le voit, la
méthode ici est systématiquement exposée : la causalité de Dieu, l'efficace
causalité de Dieu se démontre précisément parce que les moyens humains mis
en
oeuvre sont dérisoires.
C'est la disproportion,
éclatante, entre les moyens humains mis en oeuvre, la causalité humaine et l'effet
produit, qui atteste, qui démontre qu'une autre causalité est intervenue, qui
n'est pas humaine.
Autre exemple. Au Xe siècle, c'est le
combat célèbre entre l'adolescent David contre le géant philistin. Là encore la
méthode est parfaitement consciente d'elle-même. David dit au Philistin :
Toi tu viens contre moi avec une épée,
une lance, un javelot, et
moi, je viens contre toi au nom de YHWH des armées... En ce jour YHWH te livrera en ma main, pour que toute la terre
sache qu'il y a un Dieu pour Israël (1 Samuel
17, 45, sq).
Troisième exemple. Au milieu du Ixe
siècle avant notre ère, Salmanassar
III entreprend d'étendre son empire au-delà de
l'Euphrate. Il soumet la Syrie
septentrionale. Entre 853 et 845 il
s'attaque au royaume d'Aram. Il est vaincu en
853 par Bar-Hadad à la bataille de Qarqar. En 869, le
roi d'Israël est Achab. Nous sommes au temps des prophètes Elie et
Élisée. Or, nous dit le premier livre des Rois (chapitre
20, 1) :
Ben-Hadad, roi d'Aram, rassembla toute
son armée. Il avait avec
lui trente-deux rois, des chevaux et des chars. Il monta assiéger Samarie et l'attaqua. Il envoya des messagers à Achab, roi d'Israël, dans la
ville, et lui dit : « Ainsi a parlé Ben-Hadad : Ton argent et ton or, c'est à moi ; tes femmes et tes fils les plus
beaux sont à moi... Demain à pareille heure j'enverrai vers
toi mes serviteurs. Ils fouilleront ta maison et les
maisons de tes serviteurs ;
tout ce qui plaira à leurs
yeux, ils le mettront en leur main et l'emporteront...
Un prophète s'avança vers Achab, roi
d'Israël, et il lui dit :
Ainsi a parlé YHWH : Vois-tu cette
grande multitude ? Voici que moi aujourd'hui je la livre en ta main et ainsi tu sauras que je suis YHWH...
De fait, les Araméens sont battus et
s'enfuient. Mais ils reviennent l'année suivante. Et le texte hébreu nous dit
ceci :
Les fils d'Israël
campèrent en face d'eux, comme deux troupeaux de chèvres, tandis que les Araméens remplissaient le pays.
Cette fois encore,
l'homme de Dieu s'avance et parle au roi d'Israël. Il dit : « Ainsi parle YHWH
: Parce que les Araméens ont dit : YHWH est un dieu des montagnes et il n'est
pas un dieu des plaines, je vais livrer en ta main toute cette grande multitude et vous saurez
que je suis YHWH. » (1 Rois 20, 27 sq).
Quatrième exemple. Le second livre des Rois nous apprend ce qui s'est produit sous le règne d'Ezéchias,
roi de Juda à partir sans doute de 716 avant notre ère.
En l'an quatorze du roi Ezéchias, Sennachérib, roi d'Assur, monta contre toutes
les villes fortifiées de Juda et s'en empara. Cette campagne de Sennachérib contre Juda et
Jérusalem est relatée non seulement par le second livre des Rois, mais aussi par le prophète Isaïe, chapitres 36-38 de son rouleau. Le roi d'Assur envoya de Lachis à Jérusalem, vers le
roi Ezéchias, son général en chef, le grand eunuque (c'est-à-dire
le chef des eunuques) et
son grand échanson (id.) avec une armée importante. Ils arrivèrent à Jérusalem. Ils appelèrent
d'abord le roi de Juda. Puis le grand échanson s'adressa
directement au peuple, non
plus en araméen mais en judéen. Il leur cria :
Écoutez la parole du grand Roi, du roi
d'Assur ! Ainsi a parlé le Roi : Qu'Ezéchias ne vous abuse pas, car il ne peut
pas vous sauver de ma main ! Et qu'Ézéchias ne vous inspire pas confiance en
YHWH, en disant : YHWH nous sauvera sûrement et cette ville (Jérusalem) ne sera
pas livrée à la main du Roi d'Assur !... N'écoutez pas Ézéchias, car il vous
trompe lorsqu'il vous dit : YHWH nous sauvera ! Est-ce que les dieux des
nations ont pu chacun sauver son pays de la main du Roi d'Assur ? Où sont les
dieux de Hamath et d'Arpad ? Où sont les dieux de Samarie ? Ont-ils pu sauver
Samarie de ma main ? Parmi tous les dieux des pays, quels sont ceux qui ont pu sauver leur pays de ma
main, pour que YHWH sauve
Jérusalem de ma main ? (2
Rois 18, 17 sq.)
Les trois messagers du roi Ézéchias qui
avaient entendu ces propos des messagers du grand Roi
reviennent vers Ezéchias,
les habits déchirés et ils lui rapportent les paroles du grand échanson.
Lorsque le roi Ezéchias entendit ces paroles, il déchira lui aussi ses
vêtements, il se couvrit d'un sac, puis il vint dans la Maison de YHWH. Et il
envoie des messagers vers le prophète Isaïe (2 Rois 19, 1 sq.).
Plus tard, le roi d'Assur envoie de
nouveau des messagers à
Ézéchias :
Vous parlerez ainsi à Ézéchias, roi de
Juda : Que ton dieu, en qui tu mets ta confiance, ne t'abuse pas, en disant : Jérusalem ne sera pas livrée à
la main du Roi d'Assur ! Voici que tu as appris ce qu'ont fait les Rois d'Assur
à tous les pays, en les vouant à l'anathème (= à l'extermination), et toi, tu serais sauvé ! Est-ce
que leurs dieux les ont sauvées, les nations que
mes pères ont exterminées
? (2 Rois 19, 9 sq.).
Ézéchias prend la lettre de la main des messagers
du grand Roi, il monte à la Maison de YHWH, il déroule la lettre devant YHWH et
il dit :
YHWH, Dieu d'Israël, toi qui sièges sur
les Keroubim, c'est toi le seul Dieu pour tous les royaumes de la
Terre, c'est toi qui as fait les cieux et
L'expérience historique qui va être réalisée a
pour but de faire connaître - ce qui s'appelle connaître - que le Dieu
d'Abraham n'est pas une fiction de l'imagination des hommes, mais qu'il est le
Créateur de l'Univers et qu'il fait ce qu'il veut dans l'histoire des hommes.
Le prophète Isaïe intervient une seconde fois. Il
envoie dire à Ézéchias :
Ainsi a parlé YHWH, Dieu d'Israël : J'ai
entendu la prière que tu m'as adressée au sujet de Sennachérib, roi d'Assur.
Voici la parole que dit YHWH contre lui :
Elle te méprise, elle se moque de toi,
la vierge, fille de Sion ! Elle secoue la tête après toi, la fille de Jérusalem
!
Qui as-tu insulté et blasphémé ? Contre
qui as-tu élevé la voix et
levé tes yeux ? - Contre le Saint d'Israël !
Je vais mettre mon anneau dans ta narine
et mon mors à tes lèvres et
je te reconduirai par le chemin par lequel tu es venu (2 Rois 19, 20 sq.).
C'est en effet ce qui arriva.
Sennachérib, roi d'Assur, partit, il
s'en retourna et il demeura
à Ninive. Comme il était prosterné dans la Maison de son dieu, Nisrok, ses fils le frappèrent de
l'épée et ils s'enfuirent. Son fils Asarhaddon régna à sa place (2 Rois 19, 36 sq.).
Les catholiques ont tort, trop souvent, de ne pas
lire les Livres de
Ils ont tort, car les Livres hébreux contiennent
un enseignement qui vient de Dieu et qui est actuel, aujourd'hui comme hier et
demain. L'enseignement des prophètes hébreux a une portée qui s'étend
sur toute l'histoire humaine. Les Pères de l'Église, les grands
docteurs chrétiens, les plus grands théologiens et les grands
docteurs mystiques, comme saint Jean de la Croix, s'en nourrissaient jour et
nuit. C'était, chez certains d'entre eux, leur unique lecture, avec, bien
entendu, les livres de
Toute l'information, dont la théologie tire sa
substance, est contenue dans les livres hébreux de la Bible hébraïque et dans les livres
en langue grecque du Nouveau Testament.
Le fait de la révélation ne doit pas être reçu à l'aveuglette ; il doit
être pensé, compris, et pour ce faire il faut étudier l'histoire du peuple hébreu. Pour terminer ce chapitre, traduisons le texte
dans lequel un théologien hébreu du IX° ou
ville siècle avant notre ère donne l'interprétation, la signification du nom propre de Dieu d'Israël, le tétragramme, YHWH.
Exode 3,1-14 : Moïse faisait
paître le troupeau de petit bétail (moutons, chèvres, etc.) de Jéthro, son
beau-père, prêtre de Madian, et il conduisit le troupeau derrière le désert, et il
arriva à la Montagne de Dieu, Horeb.
Et il se
manifesta, le messager de YHWH, à lui, dans une flamme de feu, au
milieu d'un buisson. Et il (= Moïse) regarda et voici que le buisson était en train
de
brûler dans le feu et le buisson n'était pas dévoré (par le feu). Alors
il dit, Moïse : Faisons le tour et voyons cette grande manifestation ! Pourquoi
donc le buisson ne brûle-t-il pas ?
Et il vit, YHWH, qu'il
avait fait le tour pour voir et il lui cria, Dieu, depuis le buisson et il dit
: Moïse ! Moïse !
Et il (= Moïse) dit : Me voici !
Et il (= Dieu) dit : Ne
t'approche pas d'ici, enlève tes sandales de tes pieds, car le lieu sur lequel
tu te tiens debout, sur lui, c'est terre sainte !
` Et il dit :
Moi je suis le Dieu de ton père, le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu
de Jacob.
Et il se cacha, Moïse,
son visage car il avait peur de regarder vers Dieu.
Et il dit, YHWH : Voir, j'ai vu l'humiliation
de mon peuple qui est en Égypte, et leur cri, je l'ai entendu, de devant la face de ceux qui les oppriment, car je
connais ses douleurs. Et je suis
descendu pour le délivrer de la main de l'Égypte et pour le faire monter
de ce pays-ci vers un pays beau et spacieux,
vers un pays ruisselant de lait et de
miel, vers le lieu du Chananéen, du Hittite, de l'Amorrhéen,
du Perizzien, du Hévéen et du Jébuséen. Et maintenant voici que le cri des
fils d'Israël est venu jusqu'à moi et même
j'ai vu l'oppression que (= en bon français : dont) les Égyptiens les oppriment. Et maintenant, va ! Et je t'enverrai vers Pharaon et tu feras sortir
mon peuple, les fils d'Israël, d'Égypte.
Et il dit,
Moïse, à Dieu : Qui suis-je, moi, pour que j'aille vers Pharaon et pour que je
fasse sortir les fils d'Israël d'Égypte ?
Et il (= Dieu) dit :
Parce que JE SUIS avec toi et ceci (sera) pour toi le signe que c'est bien moi
qui t'ai envoyé : lorsque tu feras sortir le peuple d'Égypte, vous servirez Dieu
sur cette montagne-ci.
Alors il dit,
Moïse, à Dieu : Voici que moi je vais aller vers les fils d'Israël et
je leur dirai : le Dieu de vos pères m'a envoyé vers vous ; alors ils me diront :
Quoi son nom ? Qu'est-ce que je leur dirai?
Alors il dit, Dieu, à
Moïse :
JE SUIS - CELUI QUI - (JE) SUIS
Et il dit : Ainsi tu
parleras aux fils d'Israël :
JE SUIS m'a envoyé vers
vous !
Au début de ce texte, au verset 2, il
est dit :
« ... se manifesta le messager de
YHWH... »
Le mot hébreu maleak signifie bien : le messager. Il a été traduit en
grec par aggelos, qui signifie aussi le messager ;
décalqué en latin par angelus
et en français par ange, - fatigue des traducteurs.
Au verset 4, il est dit :
« Et il vit, YHWH, qu'il faisait le
tour... »
et
« ... Il cria vers lui, Dieu, du milieu
du Buisson... »
Ce qui prouve que, pour l'ultime
rédacteur de ce texte, le messager de Dieu, YHWH, et Dieu ne font qu'un. Le messager
de Dieu, c'est Dieu lui-même qui se manifeste. Quantité de textes, dans la Bible hébraïque,
s'expriment de la même
manière.
Cela prouve que, pour quantité de
textes, dans la Bible hébraïque,
le messager de Dieu n'est pas un être créé distinct de Dieu mais simplement Dieu se manifestant, ou
la manifestation de Dieu.
A noter aussi que Moïse n'a pas du tout
envie de s'embarquer dans
cette galère qui est la mission prophétique. Il résiste autant qu'il peut à l'ordre que Dieu lui donne.
C'est un fait constant
dans l'histoire du prophétisme ancien, et aussi dans celle du prophétisme ultérieur.
En ce qui concerne le
texte célèbre : Je suis - celui qui - je suis, - il faut savoir que l'hébreu ne
pense pas le temps comme nous, Grecs, Latins, Gaulois, etc. Nous distinguons le
passé, le présent, le futur ; notre conception du temps se représente bien sur
une ligne.
L'hébreu pense autrement.
Il pense : ce qui est achevé, l'action qui est achevée, - et l'action qui est
en train de se faire. L'action achevée peut être achevée dans le passé, dans le
présent, dans le futur. De même, l'action qui est inachevée et en train
de se faire peut être pensée dans le passé, dans le présent, dans le
futur. La traduction d'un verbe hébreu par nos temps passés, notre présent ou
nos futurs est donc en grande partie arbitraire et en ce sens nous passons d'un
système de référence, d'un système optique, à un autre ; en réalité nous ne
pouvons pas, en français, rendre le verbe hébreu dans sa dimension propre.
Ainsi, dans le texte
hébreu Exode 3, 14, le verbe est à
la forme
qui indique une action inachevée et continuée. Du point de vue philologique, on
pourrait aussi bien, dans une langue comme le français, traduire par un imparfait, un
présent, ou un futur. Nous avons traduit par un présent, parce qu'il faut bien choisir,
mais pour être complet il faudrait traduire : « J'étais, je suis, je serai ».
C'est bien ainsi que l'a
compris l'auteur, qui était un Hébreu, de l'Apocalypse 1, 8 :
Moi je suis l'Alpha et l'Oméga, dit le
Seigneur, Dieu, celui qui est, celui qui était et celui qui sera, le
tout-puissant.
L'auteur, quel qu'il soit, de
l'Apocalypse développe, déroule, si j'ose dire, toute la signification du
tétragramme, dans le système de référence de la langue grecque. Pour rendre en
grec ce que contient l'hébreu, il faut dire le verbe à l'imparfait, au présent
et au futur.
D'autre part, il faut
savoir que le pronom relatif, en hébreu ascher, peut être aussi
bien un masculin, un neutre, un féminin et même un pluriel.
Les théologiens judéens
qui ont traduit la Bible hébraïque en grec, au Ive, IIIe ou IIe siècle avant
notre ère, ont compris : « Moi je suis celui qui est ».
Les Latins ont traduit : ego sum qui sum, je suis celui qui suis. Cette formule a exercé
une action puissante sur tout le développement de la pensée chrétienne à
travers les siècles, depuis les origines jusqu'à Étienne Gilson.
Dernière remarque : Quel
que soit le sens de ce verset Exode 3, 14 dans sa première partie, - en tout cas Dieu dit à Moïse
:
Ainsi tu parleras aux fils d'Israël :
JE SUIS m'envoie vers vous...
Dieu s'appelle donc
lui-même : JE SUIS. C'est son nom propre.
D'après l'éminent
philologue que fut Édouard Dhorme, le tétragramme YHWH (prononcer les lettres
hébraïques : yod,
hé, waw, hé) est, en ouest-sémitique, la troisième personne du
verbe être et signifie donc : IL EST[30].
Certains philologues
n'aiment pas la métaphysique et pensent que les Hébreux étaient incapables de pensée métaphysique, comme
c'est parfois leur propre cas.
« Lorsque fut
venue la plénitude du temps... », écrit Paul dans sa lettre aux chrétiens de
Galatie.
Que signifie cette
expression ? Elle signifie, nous l'avons vu déjà, que la création
de n'importe quoi n'est pas possible à n'importe quel moment. La création des
premiers êtres vivants n'était pas possible avant que tel ou tel système solaire fût
physiquement prêt, avant qu'une planète fût physiquement prête pour recevoir,
héberger et protéger ces molécules géantes dont sont composés les premiers
vivants. L'apparition de systèmes biologiques complexes n'était pas possible avant la
composition des systèmes biologiques plus simples ; un message génétique plus
complexe ne peut pas précéder un message génétique plus simple, et n'importe
quel complément d'information génétique ne peut pas s'ajouter à n'importe quel ensemble
de gènes. Il faut que l'ensemble de gènes qui reçoit un supplément
d'information puisse le porter, le supporter, l'intégrer, l'assimiler,
pourrait-on dire. L'apparition de l'Homme dans l'Univers a demandé sans doute
environ vingt milliards d'années de travail, d'évolution cosmique, physique et
biologique. Il est très vraisemblable que, s'il en a été ainsi, c'est qu'il ne
pouvait pas en être autrement. Ce n'est pas par caprice que la genèse de
l'Homme a été retardée jusqu'à ce matin à l'aube, puisque l'Homme vient
d'apparaître.
La création est
temporelle, historique, de fait, parce qu'il ne peut pas en être autrement.
De même, nous l'avons vu,
pour la révélation : il n'est pas possible de dire n'importe quoi à
n'importe qui n'importe quand. Ou plutôt si, on le peut, mais on n'est pas
compris. L'initiation à une science ne peut être que progressive. La
révélation, qui est communication par Dieu à l'homme d'une science créatrice, a
été de fait progressive parce qu'il ne pouvait pas en être autrement. C'est
progressivement que Dieu a transformé la pâte humaine qui a résisté à cette
transformation, et qui résiste toujours. Nous l'avons vu : le fruit de deux siècles d'analyse
critique des Livres saints a été de mieux voir ou discerner cette
progressive transformation de l'homme par l'information qui vient de Dieu.
L'incarnation n'était pas
possible à n'importe quel moment de l'histoire de l'Univers, de l'histoire de la
vie, de l'histoire de la genèse de l'Homme. L'incarnation n'a été possible que
lorsque l'humanité a été prête à recevoir ce don ultime du Créateur
incréé. La préparation de l'humanité à ce don ultime s'est effectuée dans
cette zone que nous avons appelée embryonnaire ou germinale : le peuple hébreu
qui a été longuement préparé, préadapté à cette venue, à cette visite, à cette
nouvelle création, à cette communication ultime.
La christologie est une
science, c'est-à-dire une connaissance par l'intelligence et comportant une
base expérimentale, portant sur cet être singulier concret que les chrétiens
appellent le Christ.
Le terme de christ est tout
simplement le mot grec christos qui vient du verbe chriô, oindre avec de l'huile.
C'est la traduction du verbe hébreu maschach (prononcer le ch final comme dans
l'allemand Buch) qui signifie
lui aussi, oindre avec de l'huile. Christos est la traduction de l'hébreu mâschiach.
Pour savoir ce que signifie l'onction effectuée
avec l'huile sainte dans la Bible hébraïque, il suffit - mais il faut aller voir les textes nombreux dans lesquels il est
question de cette onction. Par
exemple, le premier livre de Samuel
nous raconte comment le
prophète Samuel a oint d'huile celui qui devient ainsi le roi Saül : Samuel
prit une fiole d'huile et en versa sur sa tête, puis il le baisa et dit :
N'est-ce pas YHWH qui t'a oint comme chef sur son peuple Israël ? Et c'est toi
qui gouverneras le peuple de YHWH, toi qui le sauveras de la main de ses
ennemis d'alentour (chapitre 10). Dès que Saül eût tourné le dos pour s'en aller d'auprès de Samuel, il arriva que Dieu lui changea le coeur. L'esprit de Dieu
fondit sur lui et il prophétisa (chapitre 10).
A noter la relation entre
l'onction avec l'huile sainte par le prophète, et la communication de l'Esprit de
Dieu, l'Esprit saint, le prophétisme. Saül devient prophète parce qu'il est oint par
Samuel, et il devient prophète parce que l'Esprit de Dieu vient en lui.
Le même livre de Samuel nous raconte
comment, quelques années plus tard, le même prophète Samuel a oint
d'huile consacrée l'adolescent David. Samuel prit la corne d'huile et il
l'oignit au milieu de ses frères, et l'Esprit de YHWH fondit sur David à
partit de ce jour et dans la suite (chapitre 16).
La christologie est une
science qui, comme toute science réelle, part d'un fait empirique. Celui qui de
son nom hébreu s'appelait Ieschoua a été observé, écouté, regardé par ceux qui l'ont
suivi. Ce sont leurs observations qui ont été transmises, parce qu'elles
avaient été tout d'abord notées, dans les Évangiles. Le nom propre du rabbi
Ieschoua provient du verbe hébreu iascha qui signifie : sauver. Ieschoua, en hébreu, signifie le
salut. La forme complète du nom : Iehoschoua, qui est le nom hébreu de celui que nous appelons
Josué, est un nom composé à partir du tétragramme YHWH et du verbe iascha.
Le mot évangile provient du
grec
euaggelion,
qui
provient du verbe euaggelizô, annoncer une bonne nouvelle. Le verbe grec euaggelizein traduit
l'hébreu basar, qui signifie
annoncer une heureuse nouvelle. La besorah, c'est l'heureuse annonce.
Le fait initial, le donné initial, c'était donc
Ieschoua lui-même. Les observateurs, ce furent des hommes et des femmes de Galilée, de Judée et d'ailleurs. Ceux qui
ont transmis l'information étaient des
hommes simples, habitués à travailler
les éléments physiques, habitués au réel objectif.
Ieschoua parlait un dialecte araméen propre à la
Galilée, et l'hébreu[31].
Ses compagnons, ceux qui l'ont suivi, parlaient aussi ce dialecte et
l'hébreu. Pour comprendre pleinement la pensée de Ieschoua, c'est
donc ce dialecte araméen galiléen et l'hébreu qu'il parlait, qu'il faudrait
retrouver, reconstituer, afin de retrouver, de reconstituer l'expression
originale de son enseignement.
L'enseignement du rabbi a été donné en dialecte
araméen et en hébreu. Ce n'est que plus tard que cet enseignement a été traduit
dans le grec populaire de l'époque. Les manuscrits et les livres dont
nous disposons, les Évangiles, ne sont donc que des
traductions[32].
Dans toute traduction, l'information se perd,
plus ou moins. Le Nouveau Testament grec a été traduit en latin, puis dans nos
langues modernes. Là encore, de traduction en traduction, l'information se
perd.
Le mot français testament vient du latin testamentum. Dans la langue
française du XIXe siècle, un testament, nous dit Littré, c'est un
acte authentique par lequel on déclare ses dernières volontés. Le mot
latin
testamentum
a
traduit le mot grec diathèkè. C'était, nous disent A. Ernout et A. Meillet[33],
un contresens. Le mot grec diathèkè signifie :
disposition, arrangement, ordonnance, convention, arrangement entre deux
parties. Il traduit l'hébreu berit qui signifie l'alliance :
Genèse 15, 18 : En ce jour-là, il conclut, YHWH, avec Abram une alliance, berit, en disant : A ta semence j'ai donné cette terre-ci depuis le fleuve d'Égypte
jusqu'au Grand Fleuve, le fleuve Euphrate...
La traduction du mot hébreu berit par diathèkè était à peu près
convenable : d'une langue à l'autre on ne trouve pas toujours l'équivalent
exact. Mais la traduction du grec au latin est franchement, nous
disent les savants philologues cités, un contresens. Quant à la
traduction du latin en français, ce n'est même pas une traduction :
le mot latin a été tout simplement décalqué, comme les enfants décalquent une image
ou un dessin. C'est le cas de la plupart des termes de la théologie, comme nous
le verrons souvent. Mais traduire, ce n'est pas décalquer. Traduire, c'est
faire passer l'information qui se trouve inscrite ou simplement dite en une
langue, dans un autre système linguistique, dans lequel les mots sont différents.
Ce qu'il s'agit de transmettre, ce n'est pas le son du mot de la première
langue, mais le sens, avec les mots de la seconde langue. Le système du
décalque qui a été presque constamment utilisé consiste à transmettre le son
mais non pas le sens.
L'expression française actuelle nouveau
testament signifie donc : nouvelle alliance, et l'expression nouvelle
alliance est la traduction française d'un texte du prophète Jérémie, VIIe siècle
avant notre ère :
Jérémie 31,
31-34 : Voici que des jours viennent, oracle de YHWH, et je conclurai avec la maison
d'Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle, berit hadaschah. Non pas comme l'alliance que j'ai
conclue avec leurs pères au
jour où je les ai saisis par la main pour les faire sortir du pays d'Égypte, - alliance qu'eux ont
rompue... Car voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël après
ces jours-là, oracle de YHWH : je mettrai mon Instruction (torah) au-dedans d'eux et sur leur coeur je l'écrirai et je serai pour eux
Dieu et eux ils seront pour
moi un peuple. Et ils n'instruiront plus encore chacun son compagnon et un
homme son frère en disant : Connaissez YHWH ! Car eux tous ils me connaîtront depuis les petits d'entre eux jusqu'aux
grands, oracle de YHWH...
En ce qui concerne la
traduction du mot hébreu torah, la déformation a eu lieu dès la traduction de l'hébreu
en grec. Les théologiens judéens qui ont traduit la Bible hébraïque en grec ont rendu
l'hébreu torah par le grec : nomos, qui signifie,
nous dit Bailly : usage, coutume, opinion générale, maxime, règle de conduite,
loi. Le mot grec nomos a été traduit en latin par lex, la loi, et en
français par loi. - Or l'hébreu torah signifie tout d'abord et
principalement l'instruction, la communication de
L'information est donc
partie de Ieschoua qui est ici la source ou l'origine de l'information ; elle a
été transmise d'abord en araméen et en hébreu, puis en grec, puis en latin, puis dans
toutes les langues du monde, et ce n'est pas fini.
Les compagnons de Ieschoua
ont observé d'abord qu'il était un homme dans tous les sens du terme,
intégralement : anatomiquement, physiologiquement, psychologiquement,
etc. Comme eux il avait faim lorsqu'il n'avait pas mangé depuis longtemps ;
comme eux il avait soif : il était fatigué lorsqu'ils avaient beaucoup marché ;
il dormait ; il pleurait lorsqu'il voyait la peine des hommes, et en présence de
la mort par la crucifixion que les armées d'occupation romaine réservaient à leurs
prisonniers condamnés à mort, il a exprimé son horreur.
Les compagnons de Ieschoua ont aussi
observé que cet homme n'était pas seulement un homme, n'était pas exclusivement homme. Il y avait en lui une
science, une sagesse, une puissance, une sainteté, qui ne sont
pas de l'homme mais de
Dieu. Dieu seul peut guérir une rétine malformée depuis la naissance, parce
qu'il est le Créateur. Il peut réinformer ce qui a été déformé. Il peut recréer
ce qui est décréé. Lui seul le
peut. La science de la création nouvelle que Ieschoua a communiquée, c'est la science créatrice
qui vient de Dieu lui-même.
Les compagnons de Ieschoua
ont donc eu à intégrer deux ensembles ou deux séries d'informations : celles qui
attestent que cet homme était un homme, comme eux ; et celles qui attestent qu'il
n'était pas seulement homme, mais que Dieu opère en lui, avec lui, et qu'il
dispose de la science de Dieu, de la puissance de Dieu, de la sagesse de Dieu.
Telle est la double expérience qu'il a
fallu intégrer.
Depuis le début, depuis
les premières générations, des tendances se sont manifestées qui visaient à
éliminer ou à atténuer ou à exténuer le pleine humanité du Christ : ce
sont les tendances que l'on appelle docètes, du verbe grec dokein, il semble,
il paraît. - Selon ces courants et ces tendances, le Christ n'était homme qu'en
apparence, il n'a souffert qu'en apparence, il n'a été crucifié qu'en apparence
; il n'avait pas en lui la plénitude des puissances humaines, intelligence
humaine, volonté humaine, liberté humaine, etc.
Cette tendance qui
consiste à évacuer plus ou moins la pleine humanité du Christ subsiste
jusqu'aujourd'hui et subsistera sans doute jusqu'à la fin des temps.
L'Église a rejeté cette
tendance. Elle affirme, nous le verrons, avec la plus grande énergie, la pleine et
intégrale humanité du Christ.
Une autre tendance,
inverse, est apparue elle aussi depuis le commencement, depuis les premières
générations chrétiennes : elle consiste à reconnaître la pleine humanité
du Christ, mais à ne le considérer que comme un prophète, éminent certes, mais
seulement prophète : un homme qui, de temps à autres, reçoit de Dieu des
informations pour les communiquer aux hommes ses frères.
L'Église a fait observer que cette
interprétation, et donc cette tendance, ne correspond
pas à l'expérience initiale de ceux
qui ont été compagnons et témoins de la vie, de la mort et de la résurrection du
rabbi galiléen. Celui-ci était beaucoup
plus qu'un prophète, car la sagesse, la puissance et la sainteté
de Dieu habitaient en lui et il en disposait comme de son bien propre. L'Église n'a donc pas reçu non plus
cette tendance qui, elle aussi,
subsiste et subsistera jusqu'à la fin des temps.
L'Église s'en tient à
l'expérience initiale qui a été consignée, notée par les compagnons, par les
témoins de la première génération : toute l'expérience initiale ; et
rien, pas une miette de cette expérience, ne doit être perdu. Toutes les informations que
nous avons reçues des compagnons de Ieschoua et qui nous ont été
transmises doivent être conservées, gardées, intégrées et
pensées. Celui qui en laisse perdre une partie est un hérétique. Il
ampute, il mutile l'information initiale.
La christologie a donc
procédé à partir de cette expérience initiale. Elle s'est développée et elle
continue, aujourd'hui même, à se développer à partir de l'expérience
initiale. C'est cette expérience initiale qui est critère de vérité ou de fausseté
pour toute christologie. La christologie n'est donc pas une science
hypothético-déductive, comme certaines mathématiques ; elle est une
science inductive, qui part d'un fait concret, et qui procède à partir de ce fait par
analyse de plus en plus poussée de son contenu. Il s'agit de dégager toute
l'information contenue dans ce fait.
Le fait lui-même déborde,
dépasse de beaucoup ce qui a été noté, ce qui nous reste par écrit. Les
textes écrits qui nous restent - et qui nous restent dans des traductions
grecques -, ne contiennent pas toute l'information initiale, toute l'expérience des
premiers compagnons, des premiers témoins ; et l'expérience elle-même des
premiers compagnons et témoins n'était pas exhaustive : elle n'épuisait pas ce
qui est contenu dans le Rabbi galiléen. Les premiers compagnons n'ont aperçu, n'ont vu
que partiellement et progressivement les richesses, les trésors de
la science et de la connaissance, pour parler comme Paul, qui sont contenus dans celui
qui s'appelait lui-même le fils de l'homme.
L'origine radicale de l'information,
c'est donc bien Ieschoua
lui-même. Les textes qui nous restent ne sont que des intermédiaires, des documents par lesquels l'information est transmise, incomplètement, comme
l'écrit l'auteur du quatrième Évangile :
Jean 21, 25 : Il y a encore beaucoup d'autres choses que Ieschoua a faites. Si on les mettait
par écrit et si on les rassemblait,
je pense que l'Univers entier ne pourrait pas contenir les livres écrits.
Le texte écrit n'est donc
pas lui-même une source. Il est ce par quoi l'information est transmise à
partir de sa source ou origine radicale, Ieschoua lui-même.
A la rigueur, la
transmission de l'information depuis son origine jusqu'à nous pouvait être
intégralement orale, de la bouche à l'oreille. Le texte écrit n'est en somme
que la notation partielle d'un/enseignement oral beaucoup plus développé. Et
tout le monde a observé que le Rabbi lui-même ne mettait pas par écrit : il
enseignait vivant à des hommes vivants, de la bouche à l'oreille. De même,
l'enseignement oral de Paul dépasse de beaucoup ce qui nous en est resté par
les quelques lettres dont nous disposons.
En toute hypothèse, ce qui
compte en définitive, ce n'est pas le texte écrit en lui-même, mais
l'intelligence qu'en prend le lecteur, aujourd'hui, par
l'intermédiaire ou par la médiation du texte écrit, du contenu de l'information
qui a été mise ici par écrit. L'information va d'une pensée à une pensée, d'une
intelligence à une intelligence. Le texte écrit est l'un des moyens de
mémorisation. Il n'est pas le seul. Et encore faut-il que le texte écrit soit
lu et compris. Il faut donc finalement en revenir à l'explication orale du texte
écrit, ne serait-ce que pour expliquer le sens des mots.
Le dogme christologique
s'est développé par crises, comme le dogme trinitaire et tous les autres dogmes,
sauf peut-être le dogme marial
Le mot français dogme est tout
simplement le décalque du grec dogma qui signifie : ce qui paraît bon,
opinion, doctrine ; nous dirions aujourd'hui, dans le langage des logiciens :
une proposition. Un dogme est une proposition qui affirme une vérité. L'Église pense que quelque
chose est vrai et elle le
dit. Elle n'est pas sceptique. Elle ne passe pas son temps à dire : Que sais-je
? Elle ne passe pas son existence dans le doute.
On affecte souvent aujourd'hui de se
scandaliser de cela. Il n'y a pas de quoi. Toute science
professe quelques vérités,
que ce soit l'astrophysique, la physique, la chimie, la biochimie,
Les dogmes se développent, il existe un
développement dogmatique.
Qu'est-ce que cela signifie ? - Cela signifie que l'Église qui est, comme nous
le verrons, un organisme spirituel, prend conscience de plus en plus
clairement et explicitement du contenu de la révélation et de l'incarnation,
de l'information contenue dans la révélation et dans l'incarnation.
Il existe en biologie deux cas
distincts :
1. Le cas de l'évolution biologique. Dans ce cas,
l'information génétique
augmente au cours du temps, au cours de l'histoire naturelle, puisque des messages génétiques nouveaux et qui ne préexistaient pas, apparaissent au cours du
temps, au cours de l'histoire naturelle. C'est
justement cela la création
en train de se faire, sous nos yeux pour ainsi dire.
2. Le cas de l'embryogenèse ou de l'ontogenèse,
c'est-à-dire le
développement de l'être vivant à partir de l'oeuf fécondé. Dans ce cas, nous disent les
biologistes, l'information n'augmente pas au cours
du développement. L'information initiale inscrite dans les molécules géantes qui se
trouvent dans le noyau de l'oeuf fécondé, commande à la construction de l'organisme, selon un programme fixe.
Mais il n'y a pas plus
d'information au terme du développement qu'au commencement, pas plus d'information dans le cerisier
que dans le noyau de cerise, dans le lion adulte
que dans la tête du spermatozoïde
du lion, ou dans le noyau de l'ovule de la lionne.
Le développement dogmatique, en
théologie, est de ce second
type. Il n'y a pas plus d'information au terme actuel du développement dogmatique qu'au temps de saint Paul ou de l'auteur quel qu'il soit du
quatrième évangile. Mais l'Église,
le Corps des chrétiens, sait d'une manière plus explicite ce qui était contenu dans la pensée de l'Église lorsqu'elle était toute petite, lorsqu'elle a été
conçue, à partir du message
qui est la révélation et l'incarnation. Le développement dogmatique n'est donc pas comparable à
l'évolution biologique mais plutôt au développement embryo-génétique.
Le grand livre à lire sur la question
est celui de John Henri
Newman, Essai sur le développement de la doctrine
chrétienne[35]
. Newman ne
connaissait évidemment pas la biologie moderne lorsqu'il
a composé son livre terminé en 1845, mais les caractères qu'il dégage pour discerner un développement dogmatique normal, sain, d'un développement
pathologique, sont des
caractères biologiques.
Nous allons considérer brièvement
quelques-unes des grandes
crises qui ont permis le développement du dogme christologique.
L'hérésie de Noêtos,
de Sabellius et de Praxéas
L'une des premières hérésies
christologiques connues, c'est celle de Noêtos de
Smyrne, qui nous est fort bien connue par deux documents : un fragment contre Noêtos,
publié sous le nom d'Hippolyte de Rome, qui vivait au IIIe siècle
de notre ère. - Et un ouvrage intitulé Elenchos, c'est-à-dire
réfutation, de toutes les écoles
philosophiques connues à l'époque, grec airesis,
qui signifie précisément : école
de pensée. Cet ouvrage capital a été
publié lui aussi sous le nom d'Hippolyte de Rome par les savants éditeurs allemands, mais cette attribution est
douteuse.
Que disait donc ce Noêtos
de Smyrne ? Il disait que le Christ, c'est le Père lui-même, et qu'ainsi, le
Père lui-même est né ; qu'il a souffert ; et qu'il est mort.
Pour bien comprendre cette
affaire, il faut se reporter à la formule la plus simple, la plus sûre, la plus
claire, celle que nous lirons plus loin, du pape Léon, dans sa lettre adressée à Julien,
évêque de l'île grecque de Cos, le 13 juin 449 : L'Homme véritable a été uni à
Dieu véritable, verus homo vero unitus est Deo.
Dans une lettre que nous
lirons aussi plus loin, la grande lettre dogmatique adressée au patriarche de
Constantinople Flavien, le 13 juin 449 aussi, - le pape Léon écrit ceci :
Il était d'un égal péril, de professer
que notre Seigneur Jésus
le Christ est, ou bien Dieu seulement, sans l'Homme, - ou bien
l'Homme seul, sans Dieu, et
aequalis erat periculi dominum Iesum Christum aut Deum tantummodo sine homine,
aut sine Deo solum hominem credidisse.
La conception orthodoxe de
l'incarnation, celle des papes de Rome, c'est celle que formule Léon le grand :
L'Homme véritable a été uni à Dieu véritable. C'est cela le but, le terme, la finalité et
la raison d'être de toute la création.
Que disait Noêtos ?
D'après le texte cité, il disait que le Christ, c'est le Père lui-même,
c'est-à-dire, dans le langage des livres de
Dans le système de Noêtos,
le Christ, c'est Dieu lui-même, sans l'Homme qui lui est uni, - qui vient se
promener parmi nous. Il naît, il est crucifié, il meurt. C'est donc en fait une
théorie de type gnostique, puisque le propre de la Gnose, depuis les origines
jusqu'à la théosophie hégélienne, c'est d'introduire la tragédie en Dieu même.
Et c'est la raison pour
laquelle l'orthodoxie a toujours eu horreur de la doctrine de Noêtos, qui est
identique à celle de Sabellius, et à celle de Praxeas, parce que, dans ce
système, c'est Dieu lui-même qui souffre, qui pâtit et qui meurt. C'est pourquoi on a
aussi appelé cette hérésie patripassienne, l'hérésie qui fait
souffrir le Père, c'est-à-dire, dans le langage des livres de
Lettre du pape Léon aux évêques
d'Espagne, à propos de Priscillien, le 21 juin 447 :
Les disciples de Sabellius sont
appelés à juste titre patripassiens. Parce que si le fils = le Christ Jésus, est le
même que le Père = Dieu, - alors la croix du fils est la souffrance du Père.
L'Église a toujours pensé et professé que Dieu
est absolument unique, absolument simple, et qu'il ne subit aucune modification, aucune transformation, aucune
souffrance. Elle a toujours eu
horreur des mythes gnostiques qui introduisent la tragédie en Dieu. C'est
pourquoi elle a toujours eu horreur de l'hérésie de Noêtos et de Sabellius.
Notons ici que la notion
d'orthodoxie et la notion d'hérésie ne sont pas des notions arbitraires, des
notions à priori. Ce sont des notions expérimentales : est orthodoxe une doctrine
qui intègre les informations initiales, celles qui ont été notées par les
compagnons du Rabbi, celles qui sont conformes à l'expérience
initiale. Est hérétique une doctrine qui n'est pas conforme à l'expérience
initiale notée et transmise par les premiers compagnons. Il est évident que la
doctrine de Noêtos n'est pas conforme à l'expérience initiale.
Dans l'autre ouvrage dont
nous avons parlé, l'Elenchos, la réfutation de toutes
les écoles de pensée, publié sous le nom d'Hippolyte de Rome, on trouve
la même formulation de l'hérésie de Noêtos :
Les disciples de Noêtos disent que le
Père = Dieu, est le même que le fils, est identique au fils = Jésus le Christ,
- et ainsi ils font venir Dieu sous le règne du devenir, de la genèse et de la
mort.
Si on supprime l'Homme,
dans l'équation formulée par le pape Léon : l'Homme véritable uni à Dieu
véritable, - il ne reste plus que Dieu. Et dans ce cas-là, c'est Dieu lui-même, en
lui-même, qui est soumis au devenir, à la souffrance et à la mort. - C'est justement
ce que le christianisme orthodoxe a toujours rejeté avec horreur.
L'intérêt de l'étude des
hérésies des premiers siècles, ce n'est pas seulement de
comprendre clairement quel a été le développement de la pensée de l'Église, -
car l'Église a une pensée qui lui est propre. C'est aussi de nous délivrer
aujourd'hui d'idées fausses, ou de représentations fausses, concernant par exemple le
Christ. Car si on n'étudie pas ces hérésies du passé, on constate qu'elles sont
toujours vivantes aujourd'hui, mais comme des bactéries qui préfèrent l'obscurité à
la lumière et qui se développent dans la ténèbre.
Si l'on comprend de travers ce que l'Église
entend par le terme d'incarnation, à savoir l'union de l'Homme créé à Dieu
incréé, - alors c'est toute la création qui perd sa signification, car le but
de la création, sa finalité, sa signification ultime, c'est cette union de
l'Homme créé à Dieu incréé.
Apollinaire devient évêque
de Laodicée en 362. Selon Apollinaire de Laodicée, le Logos de Dieu a pris un corps,
en grec sôma, un corps privé
d'âme intellectuelle. L'incarnation, selon Apollinaire de Laodicée,
c'est donc : le Logos de Dieu qui prend un corps, une chair,
mais non pas une âme intellectuelle.
Apollinaire part du
présupposé, qu'il partage avec d'autres, que le Logos de Dieu, qu'il
appelle Fils de Dieu, est un Individu divin. A partir de là, il est conduit à
diminuer la part du verus homo, de l'Homme véritable, uni
à Dieu véritable.
Pour expliquer cette
crise, il faut revenir en arrière, jusqu'à la première page `du
quatrième Évangile.
Nous n'entrerons pas ici
dans une discussion concernant la question de savoir qui est l'auteur du
quatrième Évangile[36].
Un problème critique et
théologique se posait au siècle dernier, à propos du quatrième Évangile. Nous
connaissons par les trois Évangiles dits « synoptiques » - (parce qu'on peut
les mettre l'un à côté de l'autre, en trois colonnes, et comparer des récits)
- nous connaissons, par les trois synoptiques, des paroles de Jésus le
Galiléen. En comparant les textes des trois synoptiques, nous pouvons parvenir à
retrouver ce qu'a dit le Rabbi, et même parfois ce qu'il a dit en
araméen ou en hébreu. C'est à ce travail que se sont consacrés des savants comme Franz
Delitzsch, Gustav Dalman[37],
et, de nos jours, l'illustre savant allemand Joachim Jeremias, dont plusieurs
ouvrages sont maintenant traduits en langue française.
Lorsqu'on a longuement
pratiqué ces textes, on acquiert une habitude, une connaissance expérimentale
du style du Rabbi, de sa frappe, de sa manière de s'exprimer. On reconnaît un propos
authentique d'un propos inauthentique transmis par exemple par un
évangile apocryphe, tout comme un historien de l'art habitué à la pratique de
Rembrandt ou de Picasso sait discerner du premier coup d'oeil un vrai
d'un faux. C'est ce qu'on appelle « le flair ».
Lorsqu'on lit le quatrième
Évangile, et en particulier les discours de Jésus dans le quatrième Évangile,
le style n'est plus le même. Précisément, dans cet Évangile, on peut parler de
discours, souvent longs. La frappe n'est plus la même.
La question critique de
portée théologique était donc, au siècle dernier, au temps de Renan, par
exemple, la suivante :
-
Faut-il considérer les discours de Jésus
transmis par le quatrième Évangile comme les paroles mêmes de Jésus, au
même
titre que les propos transmis par les trois Évangiles synoptiques, Matthieu,
Marc et Luc ?
-
Ou bien faut-il penser que l'auteur, quel qu'il
soit, du quatrième Évangile, a mis dans la bouche de Jésus des propos et des discours
qui expriment la théologie de l'auteur du quatrième Évangile, un peu
comme Platon a mis dans la bouche de Socrate les idées de Platon ?
Il n'y a pas d'ailleurs
forcément alternative tranchée inévitable entre ces deux hypothèses, car il
peut y avoir alternance entre le premier cas et le second, ou passage gradué
du premier au second. En somme, c'est une question de proportion, et l'on peut
poser la question en ces termes : Dans quelle mesure les discours
de Jésus transmis par le quatrième Évangile sont-ils bien de Jésus lui-même ? Dans
quelle mesure et dans quelle proportion sont-ils l'expression de la théologie
de l'auteur du quatrième Évangile ?
Supposons que Paul, au lieu d'écrire les
lettres que nous connaissons parce qu'elles nous ont été conservées, ait composé
des dialogues, un peu comme Platon ; et supposons qu'il ait mis dans la bouche
de Jésus des propos qui expriment les idées de Paul, la pensée théologique de
Paul.
Est-ce que le quatrième Évangile
est dans ce cas ? Telle est la question critique qui semblait inévitable au
siècle dernier, au temps de Renan. Du point de vue théologique, les conséquences
étaient les suivantes :
Ire hypothèse.
- Si l'auteur du quatrième Évangile a totalement déformé la pensée du Rabbi
galiléen, s'il a surimposé à l'enseignement de Ieschoua sa propre théologie ;
s'il n'y a pas de continuité entre sa pensée et celle du Rabbi, - alors le
quatrième Évangile n'exprime pas la pensée de Ieschoua.
2e hypothèse. -
Si au contraire l'auteur du quatrième Évangile est un disciple
authentique du Rabbi, et même peut-être celui qu'il appelle « le
disciple que Jésus aimait », s'il a retenu de l'enseignement du
Rabbi des doctrines plus difficiles que celles qui ont été transmises par les
trois synoptiques ; s'il a exprimé la pensée authentique du Rabbi en mettant
dans la bouche de son maître des propos qui, s'ils n'ont pas été prononcés
tels quels, expriment en tout cas sa pensée ; - alors, du point de vue
théologique, il n'y a aucun inconvénient à se servir des textes du quatrième Évangile
tout comme nous nous servons des lettres de Paul.
Cette question critique
ainsi posée, - et elle était mal posée, - est totalement renouvelée, dès lors
que l'on aperçoit qu'en réalité le texte grec de l'Évangile de Jean est traduit à partir de
notes écrites en hébreu, exactement comme les Évangiles de Matthieu, de Luc et
de Marc[38].
L'auteur du quatrième Évangile, qui s'appelait en effet Iôhanan, était très probablement
un kôhen, un membre du haut Sacerdoce du Temple de Jérusalem. Il
a noté ce qu'a dit et fait le Rabbi lorsqu'il était à Jérusalem. Il a noté en
particulier les controverses entre le Rabbi et les théologiens judéens des
années 27-30 ou 31. - Lorsque le Rabbi enseignait dans les campagnes de la
Galilée, il utilisait un mode d'expression qui est le mâschâl, traduction
grecque parabolè, l'analogie, la
comparaison. - Lorsqu'il discute avec des théologiens de métier, en hébreu, il
n'a pas le même style, c'est évident. Lorsqu'il enseigne à ses compagnons, en
privé, des doctrines théologiques très difficiles, il n'a pas le même style
que lorsqu'il enseigne dans les campagnes de
C'était donc un faux problème.
Il est très possible, il est même très
vraisemblable, que lorsqu'il enseignait dans
les campagnes de la Galilée, le Rabbi parlait le patois des campagnes,
c'est-à-dire le dialecte araméen-galiléen que les érudits s'efforcent de
reconstituer. - Lorsqu'il enseignait et lorsqu'il discutait dans l'enceinte sacrée du Temple de Jérusalem, il enseignait en
hébreu, il discutait en hébreu,
parce que l'hébreu, dans ce temps-là, dans ces années-là, n'était pas
une langue morte, contrairement à ce que s'était imaginé Ernest Renan, après
beaucoup d'autres, et avant ceux qui vont le suivre sur ce point. Les
découvertes faites depuis plusieurs dizaines d'années montrent que la
littérature savante, théologique, est en hébreu, avant, pendant et après le
premier siècle de notre ère[39].
Et les disciples des rabbis prennent des notes, et des notes en hébreu.
C'est ainsi que les parties les plus anciennes du Talmud sont des recueils de
notes.
A la suite de ce bon
Monsieur Renan, qui était professeur au Collège de France au siècle dernier,
nombre d'auteurs se sont imaginé, - se sont plu à imaginer, - que le Rabbi et ses compagnons
constituaient une bande d'analphabètes qui ne savaient parler que le
patois des campagnes, c'est-à-dire le dialecte araméen-galiléen. C'est là un thème
qui aujourd'hui encore fait fureur dans les milieux catholiques. C'est une imagerie d'Épinal
à laquelle les vieilles gens sont attachées et dont ils ont du mal à se
déprendre. - Mais non. Les découvertes faites depuis un
demi-siècle en Judée, en Israël, montrent que Jérusalem avant sa
destruction, en été de l'année 70, était le lieu le plus intensément lettré de
la planète entière. C'est au pays des Hébreux que l'écriture a été inventée, il
y a de nombreux siècles avant notre ère. Tous les oracles des anciens prophètes hébreux
avaient été notés. Pourquoi donc, tout d'un coup, les compagnons du Rabbi, et
le Rabbi lui-même, se seraient-ils transformés en analphabètes réduits à la
transmission orale de l'information, comme les sociétés archaïques qui n'ont
jamais connu l'écriture ?
Cette histoire, cette
mythologie que le bon Monsieur Renan a tant aimé favoriser de sa haute autorité,
n'était pas innocente. Il s'agissait de persuader les populations des villes
et des
campagnes de France, que les disciples et les compagnons du Rabbi, et
le Rabbi lui-même, étaient des naïfs, des primitifs, des innocents, des êtres
un peu simplets et quelque peu demeurés, des illuminés, - sans compter les
femmes qui, aux yeux de Renan, étaient des hystériques. C'est ainsi que s'expliquait, dans la
pensée de Renan, la genèse du christianisme : un mélange sui generis d'imposture et de naïveté,
de crédulité, - en somme de sottise. Et donc il était avantageux de soutenir
que tout ce petit monde ne savait ni lire ni écrire.
Cela était avantageux encore, aux yeux
de Monsieur Renan, pour
étayer et soutenir sa thèse : à savoir que le christianisme, en réalité, c'est un ensemble de légendes qui se
sont formées
progressivement, un peu comme on fait monter la mayonnaise. Il fallait donc
soutenir que les Évangiles ont été mis par écrit tardivement, afin de laisser
le temps au Volks-Geist
de produire, comme ils disent, les Évangiles. Tout
le système se tenait très bien. Il était cohérent.
Le christianisme est une illusion. Ce sont des naïfs, des
hystériques et des analphabètes,
qui ont cru voir et qui n'ont rien vu. Les Évangiles se sont formés progressivement, comme on
fait monter
Tout le système se tenait
fort bien, en effet. Il était cohérent. - Malheureusement pour ses partisans,
il était faux. Les compagnons du Rabbi n'étaient pas des analphabètes. Le Rabbi
n'était pas un analphabète. Jérusalem, dans les années trente de notre ère,
n'était pas une tribu d'analphabètes, comme on en trouvait encore au début de
ce siècle en Afrique noire. - L'hébreu n'était pas une langue morte. - Les
compagnons du Rabbi n'étaient pas idiots. Et ils ne se sont pas privés de noter
les propos de leur Rabbi. Ils n'avaient aucune raison de s'en
priver. En sorte que toute l'histoire de la tradition orale, qui
produit des mythes, - retombe comme une mayonnaise qui a mal tourné, ou comme une
crème Chantilly qui n'était pas fraîche.
Il reste que, très
vraisemblablement, la pensée de Ieschoua a été repensée par
l'auteur du quatrième Évangile, tout comme la pensée de Ieschoua a
été repensée par Paul tel que nous le connaissons par ses lettres.
Et c'est justement cela l'économie de
l'incarnation, comme nous l'avions déjà indiqué à propos du prophétisme : la
pensée de Dieu, la parole de Dieu, pour devenir intelligible pour nous et assimilable par nous, doit être
humanisée ; elle passe par des hommes qui ont leur tempérament
propre, leur caractère
propre, leur culture propre, leur vision du monde propre. Cela est inévitable.
Cela est normal. Dans le cas du quatrième Évangile, nous serions en présence d'un cas où la pensée de Dieu a été reçue, assimilée et repensée
par un théologien de
grande race, en sorte qu'on trouve peut-être davantage la marque de l'homme
qui transmet l'information dans le quatrième Évangile que dans les synoptiques.
Il reste certain que, pour
le quatrième Évangile comme pour les trois Évangiles synoptiques, les lettres de
Paul et tous les écrits du Nouveau Testament, il ne faut pas oublier ce que
nous avons indiqué à propos des Livres hébreux : l'Écriture sainte est
pleinement, totalement, entièrement inspirée par Dieu ; mais elle est aussi
entièrement, pleinement humaine. Il faut distinguer` les deux
natures de l'Écriture sainte.
L'incarnation s'effectue
aussi et déjà dans les livres de la Sainte Écriture, puisque l'incarnation
c'est l'humanisation de la parole de Dieu. Et c'est justement un texte
concernant la théorie de l'incarnation que nous avons à lire, le texte dans lequel
l'auteur quel qu'il soit du quatrième Évangile exprime et formule sa propre
théorie de l'incarnation, c'est-à-dire comment il comprend pour sa part
l'incarnation. D'ailleurs le terme même d'incarnation vient de son texte.
Jean 1, 1 : Au commencement était le Parler [de
Dieu]. Et le Parler de Dieu était à Dieu ! (l'hébreu n'a pas le verbe avoir). -
Et il était Dieu, le Parler [de Dieu] ! C'est lui [le Parler] qui était au
commencement à Dieu ! Tous les êtres, l'Univers entier, par lui a été créé, et
sans lui rien n'a été créé... En lui était la vie et la vie était la lumière de
l'Homme...
Jean 1, 14 : Et le Parler [de Dieu], c'est [un être
de] chair qu'il a été, et il a campé au milieu de
nous et nous avons vu sa
gloire, la gloire [qui est] comme celle d'un fils unique et chéri issu du Père
= de Dieu, - plein de grâce et de vérité...
L'auteur de ce texte est
un théologien judéen, très savant, devenu le disciple de Ieschoua. Il connaît
très bien, il connaît même par coeur le texte que nous avons traduit et qui ouvre
aujourd'hui la Bible hébraïque :
Au commencement, il créa, Dieu, les
cieux et
Le théologien judéen qui
connaissait ce texte par coeur n'a pas de peine à écrire :
Au commencement [de la création] était
l'acte de parler de Dieu.
- Cet acte de parler, c'est Dieu lui-même qui parle. - Tout a été créé par cet
acte de parler.
C'est une doctrine
constante dans toute la tradition hébraïque que la création
s'effectue ou se réalise par la parole de Dieu. Toute création est
communication d'un message. Tout dans l'Univers et dans la nature est pensée ;
tout a été pensé, tout est l'oeuvre d'une pensée, et ce que le savant
cherche et trouve, qu'il le sache ou non, c'est la pensée créatrice immanente à
la création, puisque la création est son oeuvre.
Encore du concordisme !
Nous en rajoutons : Si
tout dans l'Univers et dans la nature est intelligible - c'est ce qui émerveillait
Einstein et Louis de Broglie - c'est parce que tout dans l'Univers et dans la
nature a été pensé.
Notre cas devient pendable.
L'auteur du quatrième
Évangile n'était pas le seul ni le premier à penser ainsi, puisque c'est la tradition
hébraïque tout entière qui pense ainsi. Dans le Targum palestinien on
trouve encore la même doctrine.
Qu'est-ce que le Targum ? C'est la
traduction en dialecte araméen de la Bible hébraïque. Après le retour de l'Exil
de Babylone[40],
les Hébreux revenus dans leur patrie perdent de plus en plus la pratique
de l'hébreu, et parlent les divers dialectes araméens parlés en Palestine.
Dans la synagogue, lors de l'Office, il faut donc traduire la Sainte Écriture
pour le peuple en langue populaire, à savoir un dialecte araméen. C'est cela
l'origine du Targum, d'abord oral puis mis par écrit[41].
Dans un targum palestinien
édité il y a quelques années par une équipe sous la direction d'Alejandro Diez
Macho (Barcelone 1968), on voit que partout où, dans le texte hébreu que nous
avons 1u, le sujet de la proposition était Dieu lui-même, - dans le targum, le sujet de la
proposition c'est : la parole de Dieu :
« La Parole de YHWH dit : Qu'il y ait
de la lumière ! » « La Parole de YHWH dit : Qu'il y ait le firmament au-dessus
des eaux... etc. »[42].
Voilà donc un premier
point d'acquis. La création est l'oeuvre de la parole de Dieu. La parole de
Dieu, c'est Dieu lui-même qui se communique soit dans la création, soit
dans
la révélation, qui est aussi création.
Le terme grec logos, qu'on lit dans le texte du quatrième
Évangile, est donc
purement et simplement la traduction du mot araméen memra, qui signifie
parole, et de l'hébreu dabar, qui signifie la même
chose. Il est donc tout à fait inutile d'aller chercher du côté de la
philosophie grecque pour découvrir la signification de ce mot logos dans le
quatrième Évangile.
Ce mot logos a été traduit en
latin par verbum en sorte que nos prédicateurs nous parlent du verbe de Dieu, ce qui
n'éclaire pas beaucoup les enfants qui écoutent, car le mot verbe, en français
moderne, est un terme de grammaire. Pour un enfant, c'est ce qui
se conjugue. On ne lui facilite vraiment pas l'intelligence du texte du quatrième Évangile
en traduisant logos par verbe.
Jusqu'à présent l'auteur
du quatrième Évangile parle en théologien judéen. Et maintenant il va énoncer
une proposition qui va faire de lui un des premiers théologiens chrétiens :
Et le parler, c'est un [être de] chair
qu'il a été et il a campé parmi nous...
Arrêtons-nous sur le mot
grec que nous avons traduit, comme tout le monde aujourd'hui, par chair. C'est le grec sarx, qui recouvre
l'hébreu basar, et l'araméen bisra. Mais il suffit
de lire attentivement la Bible hébraïque pour constater que le mot hébreu basar, que nous
traduisons par chair, ne signifie pas ce que signifie le mot chair en français au XXe
siècle, mais autre chose. Le mot chair, aujourd'hui, signifie les
parties charnues d'un être vivant, tout ce qui n'est pas les os. A la rigueur,
il pourrait être tenu pour synonyme de corps, en tant que distinct de
l'âme. En tout cas, il n'inclut pas l'âme et ne signifie pas la totalité
humaine.
En hébreu au contraire,
dans une multitude de textes, que saint Athanase et saint Augustin ont souvent relevés, quoiqu'ils
n'aient lu la Bible hébraïque que dans la traduction grecque pour le premier,
latine pour le second, - en hébreu donc basar
signifie et désigne l'homme tout entier. Il est, dans nombre de
textes, synonyme de adam, l'homme. Kol
basar, toute chair, et kol
adam, tout homme, sont synonymes.
« Que peut me faire basar ? (Psaume 56,
5) et « Que peut me faire adam
? » (Psaume 56, 12) - sont strictement synonymes.
Par conséquent, pour
l'auteur du quatrième Évangile, qui pensait en hébreu et en araméen, qui était
nourri de la Bible hébraïque, le sens de
Et le logos, c'est-à-dire la parole de Dieu, est devenu homme.
Si l'on traduit le mot
grec sarx par le mot français chair, le grammairien est
content, car il sait que le mot français chair traduit le
latin caro qui traduit le grec sarx.
Le grammairien est
satisfait, mais du point de vue théologique le sens est complètement faussé.
Car le mot français chair ne signifie pas aujourd'hui ce que signifiait le
mot hébreu basar. Chair désigne ou signifie aujourd'hui tout au plus une partie du
composé humain ; le mot hébreu basar désigne la totalité
humaine.
L'information, dans ce
cas, n'a pas seulement été arrêtée dans les transmissions, dans les traductions
de langue à langue. L'information a été faussée, ce qui est au moins aussi
grave.
Revenons maintenant à
Apollinaire de Laodicée. Formé dans le système de référence de la culture
hellénique, tout particulièrement de la philosophie grecque et plus
spécialement de la philosophie platonicienne et néoplatonicienne, il a pensé que le mot
grec sarx qu'il lisait dans l'Évangile de Jean signifiait à peu près la même
chose que ce que Platon ou Plotin appellent sôma, le corps.
Dans le système de
référence de l'anthropologie platonicienne, l'homme est composé de deux choses
:
1.
L'âme, d'essence divine,
en grec psychè.
2.
Et le corps, dans lequel
l'âme est descendue, en grec sôma.
Apollinaire de Laodicée a pensé la théorie de
l'incarnation formulée par l'auteur du
quatrième Évangile dans le système de référence de l'anthropologie
platonicienne et néoplatonicienne. Ce fut
Le logos de Dieu a pris
un corps, - sans âme, ou du moins sans âme intellective. Le logos de Dieu se
substitue à l'âme humaine, à l'intelligence humaine. Par conséquent l'homme
assumé et uni à Dieu n'est plus complet.
Contre cette thèse, contre
cette interprétation, l'orthodoxie a réagi, comme un organisme vivant réagit lorsqu'on
tente d'introduire en lui une molécule (de l'information...) étrangère à sa
nature, à sa substance, à sa norme constitutive. L'Église est un organisme
spirituel qui a en lui sa norme de développement. Si l'on tente d'introduire ou
de greffer une pensée, une doctrine, une théorie, qui est incompatible avec cette norme
constituante, l'Église réagit comme un organisme vivant : en éliminant
cette substance étrangère incompatible avec sa propre pensée.
C'est ce que l'Église a
toujours fait depuis le commencement, et elle continue. Cela prouve qu'elle est
un organisme vivant. Sur un cadavre, il n'y a aucune réaction.
Certains affectent de
s'indigner de ce que l'Église élimine des doctrines, des thèses, des assertions, qui
sont incompatibles avec sa propre nature, sa propre essence, sa propre pensée. Ne
font-ils pas de même, en tant qu'organismes, lorsqu'ils éliminent eux-mêmes toute
molécule ou toute substance étrangère, et donc toxique, que leur propre organisme
ne peut pas tolérer ? Lorsqu'on ne réagit plus aux toxines, c'est que l'on va
mourir.
L'Église a donc réagi, et
énergiquement, comme un organisme en pleine santé, à l'inoculation tentée par
Apollinaire de Laodicée, et l'a rejetée. Voici par exemple ce qu'écrit le pape Damase,
dans une lettre adressée aux évêques d'Orient, autour de 374 :
Nous affirmons, frères,
que le fils de Dieu est Dieu intégral, perfectum
Deum, et qu'il a pris,
ou assumé, l'homme complet, intégral, et hominem
suscepisse perfectum.
Nous professons, nous
affirmons que Dieu intégral, perfectum Deum, a
assumé l'homme intégral, perfectum suscepisse
hominem.
Ce que nous appelons
l'incarnation est déjà pensé par le pape Damase en termes d'union : Dieu s'unit
l'homme complet, intégral, et non pas seulement une partie du composé humain,
la chair au sens français moderne du terme.
Ainsi donc l'incarnation,
ce n'est pas Dieu qui a pris un corps, sans âme ; - c'est Dieu qui a pris et
qui s'est uni l'Homme, l'Homme complet, intégral. L'incarnation, c'est une
union de l'Homme créé à Dieu incréé.
Aujourd'hui, quand on
traduit : « Le logos a pris chair... » - compte tenu de la
signification actuelle du mot chair en langue française actuelle, on prend les catholiques
français par la main, et on les reconduit à l'hérésie d'Apollinaire de Laodicée.
Nestorios ou,
prononciation latine, Nestorius, est sacré évêque de Constantinople le
10 avril 428. Un de ses prêtres prêche dans la cathédrale de Constantinople, en
428 et il s'écrie :
Que personne n'appelle Maria, mère de Dieu,
theotokon. Car Maria est un être humain. Que d'un être humain
Dieu soit enfanté, cela est impossible.
La crise nestorienne était
commencée. Elle fut terrible. Le problème posé était le suivant : Quelle est la
nature de l'union entre l'homme assumé et Dieu qui assume ? Quel est le
terme de cette union ? Quel est le moment de cette union ?
Si nous considérons Jésus de Nazareth, avec les
yeux de notre intelligence, nous considérons un être concret, singulier, qui
est homme, pleinement homme, intégralement homme - contre Apollinaire - mais
qui n'est pas seulement homme.
Le père - c'est-à-dire Dieu - est en moi et moi
je suis dans le père (Jean 10, 38).
Moi je suis dans le père et le père est
en moi (Jean 14,
10).
Moi je suis dans le père et le père est
en moi (Jean 14,
11).
Il y a donc immanence
réciproque entre Jésus, celui qui dit : Je, moi, - et Dieu, qu'il appelle le
père, ou : mon père.
En considérant Jésus de
Nazareth avec les yeux de l'intelligence, nous n'atteignons pas l'homme seul, ou
l'homme seulement, homo
solitarius pour parler comme les Latins ; - mais nous atteignons le
tout, ou l'ensemble relationnel : Dieu qui s'unit l'Homme, ou, ce qui revient
strictement au même : l'Homme véritable uni à Dieu véritable.
Si cette union est
effectuée, réalisée, comme l'enseigne la Sainte Écriture, depuis
l'instant de la conception, c'est-à-dire depuis l'instant de la
création de l'âme humaine de Jésus, alors il en résulte que
l'enfant que Maria a porté en elle pendant neuf mois et qu'elle a mis au monde,
n'est pas un enfant d'homme seulement, exclusivement, - mais c'est l'enfant
d'homme uni à Dieu depuis l'instant de la conception ou, ce qui revient
strictement au même, Dieu qui s'unit cet enfant d'homme.
Par conséquent, si nous
considérons comme il convient de le faire, à cause de l'union, cet ensemble
relationnel : Dieu qui s'unit l'Homme, ou l'Homme uni à Dieu, - nous pouvons
et nous devons dire que Maria était mère de Dieu, en grec theotokos puisque celui
qu'elle a porté et mis au monde, c'est Dieu qui s'unit l'Homme.
Cela ne signifie pas, bien
évidemment, que Maria ait créé Dieu : proposition
absurde. C'est Dieu qui a créé Maria ; c'est Dieu qui a créé l'enfant d'homme
qui se développe en elle ; c'est Dieu qui s'est uni, depuis l'instant de la
conception, cet enfant d'homme. Mais il reste que, à cause de cette union, il
est légitime de dire que Maria est mère de Dieu.
Lorsque le prédicateur, ami du
patriarche Nestorios et soutenu par lui, proclame dans la cathédrale de
Constantinople qu'il ne faut pas dire que Maria est theotokos,
il semble dire que
l'enfant porté par Maria est seulement homme, ou exclusivement homme ; et donc
l'union de l'Homme créé à Dieu incréé n'est pas réalisée depuis l'instant de
C'est contre cette théorie
- ou ce qui semblait être la théorie de Nestorios, patriarche de
Constantinople, - que tonne le patriarche d'Alexandrie, Cyrille.
Les érudits se demandent
si Cyrille a bien compris la pensée de Nestorios. Nous n'avons pas à nous
occuper ici de cette question d'histoire. Ce qui compte, ce que l'Église a
retenu, c'est que l'union de Dieu qui assume, à l'homme assumé, ou, mieux, de
l'homme assumé à Dieu qui assume, n'est pas simplement une union de type
moral, juridique, extrinsèque. C'est une union qui aboutit à un être qui est un - quoique, nous allons le
voir, il faille distinguer en lui les deux natures, la divine et l'humaine,
sans confusion, sans mélange ; - c'est une union non pas
seulement morale, ni juridique, mais ontologique, substantielle ; une
union qui concerne et qui atteint l'être même de l'homme uni à Dieu.
C'est cette union qu'après
Cyrille les théologiens ont appelée hypostatique, parce que le terme utilisé
par Cyrille, hypostases,
signifie
la substance.
Cette union est réalisée
depuis la conception, dès l'instant même de la conception, c'est-à-dire dès
l'instant de la création de l'âme humaine de l'enfant uni à Dieu. Cet enfant
n'a donc pas à se convertir
pour
passer de la vieille humanité à l'humanité nouvelle. Il n'y a pas chez lui un
état qui précède la sanctification de son âme humaine créée. Son âme
humaine créée est sainte depuis la conception, c'est-à-dire depuis la création,
à cause de l'union que les théologiens vont appeler, à la suite de Cyrille
d'Alexandrie, hypostatique,
ou selon l'hypostase,
c'est-à-dire
selon la substance, ou, plus simplement : union substantielle, union réelle et
non pas factice ni symbolique ni extrinsèque.
Ainsi, dans ce développement du dogme
christologique, la formule du quatrième Évangile : « Le Logos est devenu homme...
» a été remplacée très vite par le concept d'union, tel que l'a déjà exprimé le pape Damase :
L'homme véritable a été uni à Dieu
véritable
Dieu a pris, a assuré, l'homme
intégral, complet.
Nous verrons plus loin que, dans son progrès,
le dogme christologique va dégager de plus en plus clairement qu'en réalité il
n'y a et il ne saurait y avoir aucune modification, aucune altération de la
part du Logos de Dieu, qui est Dieu lui-même, du fait
de l'incarnation. Car Dieu qui est absolument transcendant est aussi absolument impassible.
Il ne subit aucune
modification de par l'incarnation. Et, comme nous le verrons aussi plus loin, le terme même d'incarnation n'est pas sans reproche à cet égard.
En 431, le Concile oecuménique d'Éphèse
dépose le patriarche de
Constantinople et reprend à son compte l'une des lettres de Cyrille adressée à
Nestorios[43].
Eutychès était un vieux moine,
supérieur d'un couvent près
de Constantinople. En 448 éclate à son propos une nouvelle crise doctrinale.
Eutychès professait qu'après l'union de la nature divine et de la nature
humaine dans le Christ, il n'y a plus en celui-ci qu'une seule nature, cela se dit en grec mia physis. Monos, toujours
en grec, signifie : un seul, au masculin. On appelle hérésie monophysite l'hérésie qui consiste à soutenir que dans l'unique personne singulière
et concrète de Jésus le
Christ, il n'y a qu'une seule nature. Cela peut s'entendre, si l'on fait
l'analyse logique, de trois manières possibles :
1.
Ou bien il n'y a dans le Christ qu'une seule
nature, qui est la nature divine : et dans ce cas Dieu ne s'est pas uni
l'humanité, la nature humaine, l'homme complet. L'incarnation n'existe pas.
2.
Ou bien il n'y a dans le Christ qu'une seule
nature, la nature humaine : et dans ce cas il n'y a pas union de
la nature humaine à la nature divine, de l'Homme créé à Dieu incréé ; de nouveau,
dans cette hypothèse, il n'y a pas d'incarnation.
3.
Ou bien la nature divine et la nature humaine
sont mélangées, confondues, mêlées, comme l'eau et le vin, en
sorte que de leur mélange et de leur confusion il résulte une seule nature mixte : c'est
impossible, parce que Dieu est Dieu, il est absolument transcendant,
impassible, inaltérable, non modifiable, et la nature divine ne peut se mêler
ni se confondre à la nature humaine. Il ne saurait y avoir de mélange entre la nature divine
et la nature humaine. Il peut y avoir union respectueuse des différences,
des distinctions, mais non mélange ni confusion.
En juin 449 le pape Léon adresse à
Flavien, le patriarche de
Constantinople, un texte célèbre, un des grands textes de la théologie, dans lequel il explique qu'il faut
reconnaître dans l'unique personne concrète de Jésus le
Christ, deux natures.
Serait-ce, écrit Léon à
Flavien, qu'Eutychès s'imagine que notre Seigneur Jésus le Christ n'est pas de
notre nature ? Les textes évangéliques sont formels sur ce point : notre
Seigneur était pleinement homme.
Il faut donc admettre que la propriété
de chaque nature et
substance, la divine et l'humaine, est sauve. Les deux natures convergent dans une unique personne
singulière et concrète. - Salva igitur proprietate utriusque
naturae et substantiae,
et in unam coéunte personam...
Par conséquent, dans une
nature intégrale et parfaite d'homme véritable, le Dieu véritable est né : In integra ergo
veri hominis perfectaque natura verus natus est Deus.
Celui qui demeurant en la
forme (en la condition) de Dieu a créé l'homme, celui-là, le même, dans la
condition de serviteur a été fait homme : Qui manens in forma
Dei fecit hominem, idem in forma servi factus est homo.
Chaque nature retient,
garde, maintient, conserve, sans déficience, sans aucune perte, ce qui lui est
propre : Tenet enim sine defectu proprietatem suam utraque natura.
Celui qui est Dieu
véritable, celui-là, le même, est homme véritable : Qui enim verus est
Deus, idem verus est homo.
Chaque forme -
c'est-à-dire chaque nature, ou, ce que le pape Léon appelait plus
haut chaque substance, la divine et l'humaine - opère en accord avec l'autre ce
qui lui est propre. Le Logos de Dieu opère ce qui est propre au Logos, et la chair -
c'est-à-dire l'humanité complète - réalise ou effectue ce qui est propre à
l'homme : Agit enim utraque forma cum alterius communione quod proprium est :
Verbo scilicet operante quod Verbi
est, et carne exsequente quod carnis est[44].
Dans ce document
mémorable, la lettre du pape Léon au patriarche de Constantinople Flavien, on
observe que le terme latin persona, que nous avons traduit
imprudemment par le mot français personne, désigne le Tout
relationnel, l'Ensemble relationnel, constitué par Dieu qui s'unit l'Homme,
et l'Homme uni à Dieu, - et non pas l'un des éléments de cet ensemble.
C'est la manière de
s'exprimer de saint Augustin.
Cet être singulier
concret, que nous appelons en hébreu le maschiah
et en grec le christos, celui
qui a reçu l'onction de l'huile sainte, - cet être singulier concret que mon
intelligence considère, il est l'Homme véritable uni à Dieu véritable. Et par
conséquent, lorsque je considère cet être, je ne vois pas l'Homme seul, ni Dieu
seul, mais l'Union de l'Homme créé à Dieu incréé. Je vois un être qui est tel
qu'il peut dire : Le Père est en moi, et moi je suis dans le Père.
C'est ce Tout que le pape
Léon, à la suite de saint Augustin, appelle persona.
Aujourd'hui, en
français moderne, le mot personne désigne et signifie un individu pourvu d'une
conscience, d'une liberté, d'une volonté, d'une autonomie. Dans le latin
d'Augustin, qui est celui du pape Léon, le mot persona désigne un Tout
relationnel dans lequel l'intelligence discerne deux opérations, deux
libertés, deux volontés, deux autonomies, comme nous allons le voir au chapitre
suivant.
Il est donc trompeur de traduire le
latin persona par le français personne, puisque
le sens n'est pas le même.
Et nous verrons plus loin,
en exposant
Dans une série de lettres
qu'il écrivit à ce propos, le pape Léon revient sur cette doctrine. Par exemple
dans une lettre adressée à l'impératrice Pulchérie en 449 :
Nestorius s'est trompé en
affirmant que notre Seigneur Jésus le Christ né de la Vierge sa mère était
seulement homme, hominem solum asserit natum.
Eutychès se trompe tout
autant qui ne croit pas que de
Dans une lettre adressée à
un évêque appelé Julien en 449, Léon revient sur ce point.
Nestorius s'est écarté de
la vérité en séparant la divinité du Logos de la substance de l'Homme
assumé : Nestorius a
veritate discessit, deitatem Verbi ab
adsumpti hominis substantia separando.
Eutychès se trompe tout
autant, lui qui enseigne que le fils unique de Dieu est né de la matrice de
- c'est-à-dire de l'humanité
complète - n'a pas été unie au Logos : sed humanae
carnis veritas Verbo unita non fuerit.
Celui qui nie que Jésus le
Christ est un homme véritable, qui enim negat verum hominem Iesum Christum (ou, autre
traduction : celui qui nie l'homme véritable Jésus le Christ), il est
inévitable qu'il tombe dans de multiples impiétés. Il faut qu'il adopte le
point de vue d'Apollinaire de Laodicée, ou bien qu'il verse dans la gnose de
Valentin ou la théorie de Mani (ces théosophes ont pensé que dans le
Christ l'existence humaine, physique était purement apparente).
Le Logos n'a pas été transformé en
humanité, et l'humanité n'a pas été transformée en Logos, nec Verbum igitur in carnem, nec in
Verbum caro mutata est.
Quant à ce que raconte
Eutychès, à savoir qu'avant l'incarnation il y avait deux natures dans le Christ,
après l'incarnation une seule nature, c'est doublement absurde.
Celui qui professe une
telle absurdité doit sans doute s'imaginer que l'âme humaine que le Sauveur a
assumée préexistait dans le ciel, avant de naître de
Les intelligences et les oreilles catholiques
ne peuvent pas supporter une telle histoire,
car notre Seigneur n'a pas amené avec
lui du ciel une âme préexistante ni une chair qu'il n'aurait pas prise
du corps de sa mère. En effet notre nature n'a pas été assumée de telle manière
que, d'abord créée, elle aurait été ensuite
assumée. Mais notre doctrine c'est que : Elle a été créée par le fait même
qu'elle a été assumée, ipsa adsumptione crearetur.
C'est à juste titre,
poursuit Léon, que chez Origène d'Alexandrie cette doctrine a été condamnée,
doctrine selon laquelle les âmes préexistaient avant d'avoir été insérées dans des corps[45].
La chair - c'est-à-dire
l'humanité - de notre Seigneur n'était pas d'une autre nature que la nôtre.
Un homme véritable a été
uni à Dieu véritable, verus homo vero unitus est deo.
Car il ne serait pas le
médiateur de Dieu et des hommes s'il n'était pas Dieu,-le même, et Homme, le
même.
Dans une autre lettre
adressée aux citoyens de Constantinople en 449, Léon revient sur le même
problème.
Nous ne disons pas que le
Christ est Dieu seulement, unde non Deum tantum dicimus Christum, comme le font
les hérétiques manichéens ; - ni homme seulement, nec hominem tantum, comme le disent
les disciples de Photius.
Et nous ne disons pas
qu'il est homme en ce sens qu'il lui manquerait quelque chose qui appartient
certainement à la nature humaine, que ce soit l'âme humaine, ou l'intelligence humaine
rationnelle, ou bien une chair qu'il n'aurait pas prise de la femme.
Ce sont là des doctrines
fausses qui sont répandues par les disciples d'Apollinaire.
Et nous ne disons pas non
plus que
Mais nous disons que le
Christ, le fils de Dieu, Dieu véritable, est né de Dieu le père sans aucun
commencement temporel, et que lui, le même, est né homme véritable d'une mère humaine
lorsque la plénitude du temps fut accomplie.
Arrêtons-nous un instant sur ce point
qui est capital.
L'incarnation, ce n'est
pas Dieu l'Incréé qui vient se promener parmi nous, qui se manifeste à nous, en
revêtant une apparence d'homme, un corps d'homme, une chair humaine. Jésus de
Nazareth, ce n'est pas seulement Dieu, déguisé en homme.
L'incarnation, d'après la doctrine
orthodoxe définie par Léon le Grand, c'est l'union de l'Homme créé, créé
nouveau pour cette union, à Dieu incréé.
Dans le premier système,
dans la première formule, la création était négligée, méprisée. Dans la seconde
formule, qui est orthodoxe, la création est exaltée : le but de la création, ce n'est pas
pour Dieu l'Incréé de poser hors de lui des êtres qui subsisteraient ainsi
éternellement dans cette condition extérieure.
Le but de la création, sa finalité
ultime, c'est l'Union de l'Homme créé et de Dieu incréé.
Cette Union est réalisée en la personne
de Jésus le Christ. C'est pourquoi il est le premier-né de
Il est, comme l'écrira
beaucoup plus tard le bienheureux Jean Duns Scot, le summum opus Dei,
l'oeuvre
suprême de Dieu, la réalisation suprême et ultime de Dieu. Il réalise en lui la
finalité de toute la création, il nous la fait connaître, et il nous
permet de coopérer à la réalisation de cette finalité.
L'homme véritable a été uni à Dieu
véritable, verus homo
vero unitus est Deo.
La formule du pape Léon est peut-être
la plus simple, la plus sûre, pour exprimer la doctrine orthodoxe de l'incarnation.
En mathématiques, en physique, en
chimie et en biochimie, il existe des formules. En voici une qui relève de
cette science qui est la théologie, plus précisément la christologie.
En 451, le Concile
oecuménique de Chalcédoine, réuni dans l'Esprit saint comme tous les Conciles
oecuméniques, formule la pensée de l'Église universelle :
Suivant les saints Pères,
tous en choeur nous avons enseigné qu'il faut professer : Unique et le même
fils notre Seigneur Jésus Christ, intégral le même en divinité, et intégral,
le même, en humanité ; Dieu véritablement, et homme véritablement, le même,
constitué d'une âme intelligente et d'un corps ; - consubstantiel au Père selon
la divinité (ou : quant à la divinité) ; et consubstantiel à nous (les hommes),
le même, quant à l'humanité ; en toutes choses semblable à nous, à part le
péché ; - avant les temps engendré du Père, quant à la divinité ; à la fin des
jours, lui, le même, à cause de nous et pour nôtre salut, (engendré) de Marie
la vierge, la mère de Dieu, quant à l'humanité.
Un unique et le même
Christ, fils, seigneur, unique engendré, en deux natures, sans mélange, sans
modification, sans division, sans séparation : c'est ainsi qu'il est
reconnu.
D'aucune manière la
différence des natures n'est abolie par l'union. Bien au
contraire, elle est sauvée la propriété de chaque nature. (Les deux natures)
convergent dans un unique personnage et dans un être unique ; elles ne sont pas
séparées entre deux personnes ; mais unique et le même (est) le fils, unique
engendré, Logos de Dieu, Seigneur Jésus le Christ...
Avec la formule du Concile
oecuménique de Chalcédoine, la crise n'était pas terminée, loin de là. Elle
allait reprendre au VII°
siècle sous une autre forme, mais aussi
virulente.
Au VIIe siècle, l'Empire
byzantin est menacé de toutes parts : par les Perses et bientôt, à partir de
634, par les Arabes.
Les Empereurs, pour tenter de se défendre contre
les menaces extérieures, essaient de reconstituer l'unité politique de l'Empire et donc
de refaire l'unité des églises séparées depuis les secousses précédentes.
Une partie des églises d'Orient n'acceptait pas les définitions de Chalcédoine :
on les appelle églises monophysites, puisqu'elles professent une seule nature dans le Christ.
Les patriarches de Constantinople, les Empereurs,
le patriarche d'Alexandrie, proposent des formules de conciliation qui
visaient à accommoder tout le monde.
Le problème était le suivant : Faut-il
reconnaître, dans cet ensemble relationnel qui est le Christ, personne
unique constituée de deux natures, la divine et l'humaine, Homme véritable uni à
Dieu véritable comme disait Léon, - une seule volonté ou deux volontés ? - Une
seule opération ou deux opérations ? - Une seule liberté ou deux libertés ? -
Une seule autonomie ou deux autonomies ?
Le problème peut paraître subtil, mais en
mathématiques, en physique quantique, en biologie moléculaire, le principal, ce qui est
décisif, est subtil lui aussi. C'est au niveau de la microphysique, au niveau
moléculaire et même infra moléculaire que se produisent les phénomènes qui ont
la plus grande importance, qui sont de la plus grande conséquence.
Il en va de même en théologie. La théologie est
une discipline technique, qui n'est ni plus ni moins difficile que la physique
moderne ou la biochimie ou
Quoi qu'il en soit de ce point, d'ailleurs
évident, il est enfantin et tout à fait régressif de refuser à la
théologie ce qu'on ne refuse pas, et pour cause, aux autres sciences, à savoir
l'analyse au microscope de problèmes techniques. Il est puéril de vouloir
réduire la théologie à une sorte de bouillie.
Une différence, cependant, entre la
théologie et les sciences
comme la physique, la biochimie ou
Après cette parenthèse, revenons à nos
moutons. Dans cet ensemble relationnel qui est Jésus le
Christ, c'est-à-dire Dieu
qui s'unit l'Homme, sans confusion, ou, ce qui revient strictement au même, et
pour reprendre la formule du pape Léon : l'Homme véritable uni à Dieu
véritable, - il est évident
que si les deux natures sont distinctes, non confondues, non mélangées, non séparées, mais unies, - alors il
faut aussi reconnaître
l'existence des opérations qui sont propres à ces natures.
Si Jésus le Christ est pleinement homme, aussi,
alors il a une intelligence humaine - contre Apollinaire de Laodicée ; une
volonté humaine, une liberté humaine, des opérations humaines, et donc, dans
l'ensemble relationnel constitué par Dieu et l'Homme unis, mais non confondus,
il faut reconnaître deux opérations, deux libertés, deux autonomies, deux volontés.
Cette évidence n'était sans doute pas
suffisamment éclatante pour les Empereurs, peut-être davantage
militaires que théologiens, et qui se préoccupaient avant tout de réunifier leur
Empire.
Mais quelques théologiens ont fort bien vu que si
l'on professe que dans cet ensemble relationnel constitué par l'Union de Dieu et de
l'Homme, on ne reconnaît qu'une seule opération, une seule volonté, une seule
liberté, - alors c'en est fini de la théorie de l'incarnation, telle qu'elle
s'impose à partir de l'expérience initiale transmise par les premiers témoins, consignée,
mise par écrit, et définie solennellement par les Pères du Concile oecuménique
de Chalcédoine en 451.
Les théologiens qui ont très bien vu ce
problème s'appellent
Sophronius, évêque de Jérusalem en 634 ; Maxime dit le Confesseur (né vers
580), et le pape Martin (649)[46].
En 649, sans demander l'avis ni la
permission de l'Empereur, le pape Martin réunit un concile à Rome dans la
basilique du Latran. Ce concile précise et complète la définition de
Chalcédoine :
Et au sujet de Jésus le
Christ, de même que nous reconnaissons et professons les deux natures, unies
sans
confusion, sans division, de même nous reconnaissons et professons aussi les
deux volontés qui se rapportent à chaque nature, la volonté divine et l'humaine
; et les deux opérations naturelles, la divine et l'humaine...
Les Pères du Concile du Latran de 649
faisaient suivre leur
définition d'un certain nombre de canons, parmi lesquels celui-ci, qui vise
directement notre problème :
Si quelqu'un ne reconnaît
pas, conformément aux saints pères, en toute propriété de langage, en termes
propres, et en
vérité, qu'elles sont deux les volontés du même et unique Christ notre
Dieu, unies d'une manière congénitale, la divine et l'humaine, puisque c'est par
chacune de ses
deux natures qu'il a voulu être, lui, le même, l'opérateur de notre
salut, - qu'il soit condamné.
En 680, le pape Agathon adresse aux
Empereurs une lettre dans laquelle il précise tout d'abord que dans
Puis le pape poursuit et expose la
doctrine orthodoxe de l'incarnation :
Nous affirmons que tout
est double en l'unique et même
Seigneur, notre sauveur Jésus Christ, selon la tradition évangélique ; c'est-à-dire que nous
enseignons deux natures,
la divine et l'humaine, desquelles et en lesquelles, même après son admirable et inséparable
union, il subsiste. Et nous professons que
chacune de ces deux natures possède sa propriété naturelle
: la nature divine a tout
ce qui est divin, et l'humaine tout ce qui est humain, exception faite du péché. Et chacune de ces
deux natures de l'unique
et même Dieu incarné, c'est-à-dire humanisé (id est humanati), nous reconnaissons qu'elles sont sans confusion, d'une manière
inséparable, d'une manière immuable ; seule l'intelligence discerne ce qui est
uni...
Lorsque nous professons
deux natures, deux volontés naturelles et deux opérations naturelles dans
l'unique Seigneur Jésus Christ, nous ne disons pas qu'elles sont contraires
l'une à l'autre, ni qu'elles sont opposées l'une à l'autre. Nous ne
disons pas non plus qu'elles sont comme séparées en deux personnes... Mais nous
disons que le même, notre Seigneur Jésus Christ, de même qu'il a deux natures,
de même il a aussi en lui deux volontés naturelles et deux
opérations naturelles, la divine et l'humaine...
Dans l'unique
personne de notre Seigneur Jésus Christ, médiateur de Dieu et des
hommes, nous professons deux natures, c'est-à-dire la divine et l'humaine. En ces
deux
natures, il subsiste même après l'admirable union. Par conséquent, de même que
nous professons deux natures de l'unique et même (Seigneur), de même nous professons d'une
manière cohérente deux volontés naturel-les et deux opérations
naturelles.
En 681, la Concile de Constantinople
(VIe Concile oecuménique) reprend les définitions du pape Léon, du
Concile de Chalcédoine, du pape Agathon, et définit solennellement la doctrine
des deux volontés et des deux opérations :
Et de même nous
proclamons deux volontés naturel-les ou vouloirs, en lui ; et deux opérations
naturelles, sans division, sans changement, sans partage, sans confusion,
conformément à l'enseignement des saints pères.
Ces deux volontés
naturelles ne sont pas opposées l'une à l'autre - loin de là ! - contrairement à ce que disent les hérétiques
impies. Mais sa volonté humaine suit, accompagne, s'accorde librement, et elle ne s'oppose pas, elle n'entre pas en lutte, mais bien
plutôt elle est soumise à sa volonté divine toute-puissante...
De la même manière que sa
toute sainte et impeccable chair animée (= son humanité complète) a été divinisée (en grec theotheïsa) et n'a pas été abolie, mais elle est restée dans ses limites propres et
dans son propre concept (Logô),
- de même sa volonté
humaine, divinisée (theôthen), n'a pas été abolie, mais elle a bien plutôt été sauvée, conformément à ce que dit
Grégoire le Théologien (= Grégoire de Nazianze) ; Car son
vouloir n'est pas opposé à Dieu, il est totalement divinisé[47].
Nous affirmons deux
opérations naturelles, sans division, sans changement, sans séparation, sans confusion dans le même Jésus Christ notre Dieu
véritable, c'est-à-dire une opération divine et une opération humaine, comme le
dit Léon... [48].
Arrêtons-nous de nouveau sur ce point, qui est
capital lui aussi. En définissant que dans
l'unique personne de Jésus le Christ il faut reconnaître deux volontés,
deux libertés, deux autonomies, deux opérations, le Concile oecuménique de
Constantinople confirmait, précisait, complétait la définition de Chalcédoine.
L'incarnation, ce n'est pas seulement Dieu qui vient parmi nous.
L'incarnation c'est Dieu qui s'unit l'Homme
nouveau créé pour cette union, et dans cette union, l'Homme coopère
activement, intelligemment et librement à l'oeuvre
de la création, de la rédemption et de la divinisation :
Jean 5, 17 : Mon Père (=
Dieu) opère jusqu'à maintenant, et moi aussi j'opère.
Par cette définition
capitale, le Concile de 681 définissait que l'Homme créé nouveau
et assumé, uni à Dieu, verus homo vero unitus Deo, coopère à
l'oeuvre de la création et à l'oeuvre de la divinisation.
Son humanité est
divinisée, dit le texte du Concile, et son opération, sa volonté sont aussi
divinisées.
Par conséquent, l'homme
qui est greffé, enté sur le Christ Jésus, va pouvoir lui aussi coopérer activement
à l'oeuvre de la création et de la divinisation.
La rédemption, fa divinisation,
ce n'est pas seulement Dieu qui l'opère dans le Christ : c'est Dieu avec l'Homme
consentant, coopérateur. Dans Jésus le Christ, l'Homme coopère avec Dieu.
Lorsqu'au Concile de
Trente, au XVIe siècle, les Pères vont condamner la doctrine
luthérienne selon laquelle l'homme ne peut pas coopérer activement à l'oeuvre de la
divinisation ; ils seront en conformité avec ce que les Pères du VIe
Concile oecuménique ont défini dans la personne du Christ.
Et les théologiens, les
métaphysiciens chrétiens orthodoxes, par exemple saint Thomas d'Aquin au XIIIe siècle,
vont toujours insister - ainsi Maurice Blondel au XXe siècle - sur
l'efficace causale de l'homme créé. Car un être qui n'est pas capable d'agir
propre n'est pas encore un être.
La dignité de la création,
c'est la dignité de cet être capable, selon l'expression de saint Thomas,
d'être réellement cause.
Dans le Christ, cette
dignité a été reconnue par les Pères du VIe Concile oecuménique. Ce
fut capital pour tout l'avenir non seulement de la christologie, mais aussi de
l'anthropologie chrétienne, qui est enracinée dans la christologie.
Dans les définitions
solennelles du VIe Concile oecuménique, les expressions : son
humanité a été divinisée, sa volonté a été divinisée, son vouloir a été divinisé ne
sont pas là des exagérations plus-qu'orientales. C'est la doctrine des Pères
grecs, de saint Athanase le Grand, de Grégoire de Nazianze et de beaucoup
d'autres ; c'est, dans l'église latine, la doctrine d'un des plus grands
docteurs mystiques : saint Jean de la Croix.
Le but de la création, la
finalité de la création, ce n'est pas, pour Dieu, de poser hors de lui des êtres qui
demeureraient ainsi extérieurs à lui. Le but et la finalité de la création,
c'est une authentique, une réelle union de l'homme créé à Dieu Incréé, et cette
union est une authentique, une réelle divinisation.
C'est cette union, cette
divinisation réelle qui est réalisée dans la personne de Jésus le Christ,
depuis sa propre conception humaine, c'est-à-dire depuis la création de son âme humaine. Et
c'est la raison pour laquelle Jésus le Christ est la cellule mère de
cet organisme spirituel nouveau qui va se développer : l'Église, qui n'est rien
d'autre que l'humanité en régime de divinisation.
Il faut bien comprendre cette doctrine
de la divinisation, pour ne pas commettre de contresens.
La différence entre le
christianisme orthodoxe et le panthéisme est abyssale. Ce n'est pas la même
métaphysique. Il existe une métaphysique qui prétend que l'Univers est divin,
que la Nature est divine, que la Nature, c'est elle la divinité : Natura sive
Deus. Cette métaphysique rejette, repousse l'idée de création, évidemment,
puisque l'idée de création, nous l'avons vu, signifie tout d'abord que
l'Univers n'est pas divin. On appelle panthéiste une métaphysique qui prétend
que la nature est divine.
Le christianisme orthodoxe n'est bien
évidemment pas une
métaphysique panthéiste, puisqu'il pense, tout comme le judaïsme orthodoxe, que
l'Univers n'est pas divin, qu'il est créé.
Dans des métaphysiques dont nous
trouvons l'expression dans
l'Inde, puis dans les écoles néoplatoniciennes, on trouve l'idée que l'âme humaine est
naturellement divine ; son essence est divine ; elle est tombée dans un corps
mauvais, elle est aliénée, exilée dans un corps mauvais. Il lui faut s'en
délivrer afin de retourner à sa condition antérieure, qui est divine. On trouve ce thème déjà dans
les tablettes orphiques ;
on le trouve chez certains philosophes qui appartiennent à cette tradition, par
exemple Empédocle ; on le retrouve chez Platon.
Le christianisme professe
exactement le contraire. Il affirme avec toute la tradition hébraïque que l'âme
humaine n'est pas divine par nature, puisqu'elle est créée. Il n'est
donc pas question de retourner à notre condition antérieure, supposée divine,
puisque nous n'avons jamais été dans cette condition antérieure prétendue
divine. Le christianisme orthodoxe n'a rien de commun avec la tradition
orphique, platonicienne et néoplatonicienne.
L'âme humaine, créée n'est
pas divine par nature, elle est divinisable par grâce, ce qui est tout à fait
différent. Cette divinisation ultérieure, finale, n'est pas du tout un retour à
l'Unité originelle. L'âme humaine, dans la tradition orphique, est une partie
ou une parcelle de la substance divine, exilée, aliénée dans un monde mauvais.
Selon la théologie
chrétienne orthodoxe, puisque l'âme humaine est créée comme tout ce qui existe,
sauf Dieu, elle n'est pas une partie ni une parcelle de la Substance divine. Il ne s'agit
donc pas du tout de retourner à Dieu ou de retourner en Dieu, de
réintégrer l'Unité divine, car nous n'y avons jamais été.
La doctrine de la
divinisation, dans le christianisme orthodoxe, maintient la différence
métaphysique première, fondamentale entre l'ordre du créé et l'ordre de l'Incréé,
c'est-à-dire de Dieu.
C'est ce que nous avons vu dans les définitions
du Concile de Chalcédoine : dans le Christ
Jésus, l'ordre du créé, à savoir son
humanité créée, son âme humaine créée, n'est pas confondu, n'est pas mélangé avec l'ordre de l'Incréé, à savoir Dieu. L'union qui est réalisée dans le
Christ Jésus, entre Dieu Incréé et l'homme
créé, n'est pas un mélange, ni une confusion.
Pour qu'il y ait union
réelle, substantielle, il faut qu'il y ait d'abord distinction, entre l'ordre
du créé et l'ordre de l'Incréé. C'est pourquoi l'Église a réagi si
vigoureusement aux formules d'Eutychès : parce que ces formules
semblaient conduire à l'idée que dans Jésus le Christ, la divinité et
l'humanité étaient mêlées, et que des deux natures il résultait, par mélange,
une seule nature composée.
C'est cela que l'orthodoxie a rejeté.
Dans Jésus le Christ, les
deux natures restent distinctes. Et c'est parce qu'elles sont distinctes que
l'union est possible.
Pour comprendre ce point,
prenons l'analogie de l'homme et de
Cette analogie, elle a été
choisie par les grands prophètes hébreux du VIIIe siècle avant notre
ère, Osée, Isaïe, et ceux qui les ont suivis, pour exprimer la relation qui
existe entre Dieu et l'humanité qu'il a épousée en son peuple.
Voici par exemple ce que dit le
prophète Jérémie, VIIe siècle avant notre ère, ou, plus exactement, voici ce
que dit Dieu lui-même :
Jérémie 31, 1-4 : En ce temps-là, oracle de YHWH, je serai Dieu pour toutes les familles d'Israël et
eux ils seront mon peuple.
Ainsi a parlé YHWH : Il a trouvé grâce dans le désert le peuple des réchappés
du glaive...
De loin YHWH m'est apparu : d'un amour
éternel je t'ai aimée... vierge d'Israël ! Le prophète Osée, un siècle plus tôt, comparait
Dieu à un homme qui
recherche celle qu'il aime :
Osée 2, 16 : C'est
pourquoi (c'est Dieu qui parle) voici que moi je l'ai séduite et je l'ai
conduite au désert et là je parlerai à son coeur.
Le prophète Ézéchiel, au VIe siècle avant
notre ère, reprendra cette analogie de l'homme et de la femme pour
signifier la relation qui existe entre Dieu et son peuple, la Vierge d'Israël (Ezéchiel, chapitre 16).
Il existe, dans la Bible
hébraïque, un livre entier qui est consacré à cette analogie, c'est Schir
ha-schirim, le chant des chants, le chant par excellence (celui que nous avons
appelé en français : le Cantique des cantiques) et qui commence
par
ces mots :
Qu'il me baise des baisers de sa
bouche. Tes caresses sont
meilleures que le vin...
En effet, l'amour entre l'homme et la
femme est le chant des chants qui s'élève de la création.
Et lorsque Paul veut
exprimer la relation qui existe entre Jésus le Christ, c'est-à-dire Dieu qui
s'est uni l'Homme, ou, ce qui est identique, l'Homme véritable uni à Dieu
véritable, - et l'Église, c'est-à-dire l'Humanité en régime de transformation
et de divinisation par l'action du Christ, il choisit de nouveau cette
analogie, cette réalité : l'amour qui existe entre l'homme et
Ce mystèrion
est grand, je veux
dire par rapport au Christ et à l'Église (Éphésiens
5, 32).
Puisque nous avons rencontré le mot
grec mystèrion, arrêtons-nous un instant pour l'expliquer.
Nous ne l'avons pas traduit par mystère, ce qui était pour tant tentant, et nous
l'avons laissé provisoirement en grec ; d'ailleurs,
si nous avions mis mystère à la place de mystèrion nous n'aurions pas traduit : nous aurions laissé le
mot grec en français sous une forme à peine modifiée.
Le mot grec mystèrion vient du verbe muô, qui signifie : se fermer,
être fermé, clos, en parlant des yeux, des lèvres ou de
Mais le mot grec mystèrion, que les
traducteurs français rendent par mystère, traduit, dans la traduction grecque de la Bible faite
par des savants judéens aux Ille et 11e siècles avant notre ère, l'araméen raz et razah qui signifie le secret, et
qui lui-même traduit l'hébreu sôd, qui signifie aussi le secret.
Amos 3, 7: Car
il ne fait rien, le Seigneur YHWH, il ne fait pas une chose sans avoir dévoilé,
ou révélé, son secret - sôdô - à ses serviteurs les prophètes.
Le targum, c'est-à-dire la
traduction en araméen de la Bible hébraïque, a rendu l'hébreu sôd par l'araméen raz.
Le livre de Daniel, qui a été composé au lie
siècle avant notre ère, et dont le texte actuel est en grande partie en araméen,
nous fournit plusieurs exemples de l'emploi de l'araméen raz ou razah : Daniel 2, 18 ; 2, 19 ; 2, 27; 2, 28 ; 2, 29 ; 2, 30 ; 2, 47; 4, 6.
Le mot grec mystèrion, utilisé dans
les livres du Nouveau Testament, traduit l'araméen raz ou razah qui signifie le
secret que Dieu découvre ou dévoile.
Lorsque notre Seigneur,
après avoir exposé l'analogie du semeur qui est sorti pour semer sa semence,
dit à ceux qui sont auprès de lui : « A vous il a été donné de connaître les mystèria du royaume de
Dieu... » (Matthieu,
13,11), le mot grec mystèria
traduit
l'araméen razah.
Ce texte doit donc être
traduit : « A vous il a été donné de connaître les secrets du royaume de
Dieu... »
En français contemporain, le mot mystère signifie
quelque chose que l'on ne peut pas connaître, quelque chose que l'on ne peut
pas comprendre.
Dans le grec du Nouveau
Testament, et en particulier dans les lettres de Paul, le mot grec mystèrion signifie
exactement l'inverse : ce qui est si riche, si profond, ce qui est intelligible
d'une manière si inépuisable, que nous ne pourrons pas venir à bout de connaître
toutes les richesses contenues dans cette réalité si précieuse qu'il ne faut pas la
divulguer à n'importe qui, n'importe comment, car n'importe qui n'est pas prêt
à
Le mystèrion, dans la langue
du Nouveau Testament, n'est donc pas ce qui n'est pas intelligible, mais ce qui
est éminemment intelligible, pain inépuisable pour notre intelligence, pain assimilable. Le mystèrion est le pain de
notre intelligence, et le pain physique va devenir mystèrion.
Les docteurs latins,
lorsqu'ils ont rencontré le mot grec mystèrion dans la traduction grecque
de la Bible hébraïque et dans le Nouveau Testament grec, ont traduit ce mot
grec mystèrion par le mot
latin sacramentum.
En sorte que le mot
français sacrement, à travers le
latin sacramentum et le grec mystèrion, traduit
finalement l'araméen raz
ou razah et l'hébreu sôd qui signifient : le secret
intelligible que Dieu nous communique et nous donne à connaître, car ce secret
est le pain de l'intelligence, et le secret de Dieu venu parmi nous,
c'est lui le Pain donné par Dieu à nos intelligences. C'est pourquoi celui qui
est le Pain de Dieu est le sacrement par excellence.
Après cette parenthèse,
revenons aux grandes définitions du VIe Concile oecuménique.
L'amour entre deux êtres n'est possible que
s'ils existent, et sont distincts l'un de l'autre. Une métaphysique de l'Un, une métaphysique qui prétend ou qui assure que la
Substance est unique - c'est le cas de la métaphysique de Spinoza - ne
permet pas, bien entendu, l'amour entre les êtres, ni l'amour des êtres créés pour Dieu Incréé, ni l'amour de Dieu
Incréé pour les êtres créés. C'est ce que dit expressément Spinoza :
Si nous disons (...) que Dieu n'aime
pas les hommes, cela ne doit pas être compris comme s'il les abandonnait, pour ainsi dire, à eux-mêmes,
mais en ce sens que,
l'homme étant en Dieu conjointement à tout ce qui est, et Dieu étant formé de la totalité de ce qui est,
il ne peut y avoir d'amour
proprement dit de Dieu pour autre chose, puisque tout ce qui est ne forme
qu'une seule chose, à savoir Dieu lui-même (Court Traité, II, chap. XXIV, trad. Appuhn, p. 182).
S'il n'y a pas de
création, par Dieu, des êtres multiples réellement existants, alors
il ne saurait y avoir d'amour proprement dit de Dieu pour les êtres, ni d'amour
des êtres pour Dieu, ni d'amour des êtres entre eux.
Autrement dit, une
métaphysique de l'amour est forcément fondée sur une métaphysique de
La mystique chrétienne
orthodoxe, par exemple celle de sainte Thérèse d'Avila ou de saint Jean de la
Croix, est fondée sur la christologie orthodoxe, enracinée en elle. De même que dans
l'unique personne du Christ il n'y a pas confusion entre l'ordre du créé et
l'ordre de l'Incréé, entre l'Homme assumé et Dieu qui assume, mais union réelle,
substantielle, qui aboutit à une réelle divinisation de la nature humaine assumée, - de
même, selon les grands docteurs mystiques, au terme de la transformation
qui est la vie mystique elle-même, l'homme sera réellement divinisé, mais sans
confusion de la nature créée et de la nature incréée, c'est-à-dire celle Dieu,
- sans confusion des personnes.
La mystique chrétienne
orthodoxe n'est pas une mystique de la fusion ou du retour à l'Un. Elle est une mystique de l'Union et
celle-ci, comme nous venons de le voir, présuppose la création et la
consistance de la création dans l'union elle-même.
Une mystique de l'union,
c'est tout le contraire d'une mystique de l'Un.
Une mystique de l'Un,
telle qu'on la trouve par exemple dans la grande et vénérable tradition de
l'Inde, repose sur le principe métaphysique qu'en réalité l'Être est un ; la
multiplicité des êtres n'est qu'une illusion ou une apparence. Il nous faut
faire retourner cette apparence de multiplicité à l'unique réalité, celle du Brahman.
Une mystique de l'union,
telle que nous la trouvons vécue et exprimée chez les grands docteurs
chrétiens, présuppose la création, c'est-à-dire la distinction ontologique
indélébile entre l'Être Incréé et les êtres créés[49].
C'est même une marque, un
signe, un critère qui permet de distinguer avec certitude les mystiques
chrétiens qui appartiennent à la tradition du christianisme orthodoxe,
et ceux qui appartiennent, qu'ils le sachent ou non, à la grande tradition
moniste : savoir s'ils reconnaissent ou non cette réalité de la création et
cette consistance du créé dans l'union elle-même.
L'homme créé est appelé,
invité, selon le christianisme orthodoxe, à participer à la vie même de Dieu
l'Incréé, après une transformation qui est une authentique divinisation.
Le christianisme orthodoxe
n'est rien moins que cela, et si on décapite le christianisme orthodoxe en
n'enseignant pas cette doctrine ultime de la divinisation, qui est la finalité de la
doctrine chrétienne, alors tout s'effondre, comme une cathédrale dont on aurait
arraché la clef de voûte. C'est ce qui est arrivé, par exemple, avec l'idée que
le philosophe allemand Emmanuel Kant s'est faite du christianisme.
Reste à se demander
quelles sont les conditions requises pour que ce dessein créateur et
divinisateur se réalise.
L'homme créé, au départ, émerge de
l'animalité. Pour devenir
capable de cette destinée surnaturelle à laquelle il est invité, il lui faut consentir à une transformation, à une
véritable naissance.
C'est l'enseignement du Seigneur dans le quatrième Évangile ; c'est
l'enseignement de saint Paul.
Il existe donc un état qui
précède cette nouvelle naissance et cela non pas pour des raisons accidentelles,
mais pour des raisons qui sont inhérentes à notre condition d'être créé. Nous retrouverons
ce problème plus loin. C'est ce que Maurice Blondel, un des plus
grands métaphysiciens chrétiens de tous les temps, a appelé le
problème capital de la métaphysique chrétienne.
La différence, l'une des
différences entre le Christ et nous, c'est que dans le Christ l'union est
réalisée depuis l'instant même de la conception, c'est-à-dire depuis l'instant
même de la création de son âme humaine ; il n'a pas à se convertir ; il n'y a
pas chez lui un temps qui précède l'union hypostatique ; il n'a pas à naître
nouveau, à passer du vieil homme à l'homme nouveau. Il est l'Homme nouveau uni
à Dieu depuis l'instant de sa propre conception.
Tandis que nous, nous
naissons dans la vieille humanité, et nous avons à naître nouveau, à consentir
à cette nouvelle naissance, pour entrer dans l'économie de la nouvelle création,
c'est-à-dire pour entrer, librement, si nous le voulons, dans l'Église.
Après les grands conciles
du VIIe siècle, le développement du dogme christologique
n'est pas terminé. Jusqu'à la fin des temps l'Église va scruter le contenu
intelligible et substantiel du mystère du Christ, ce mystère dont Paul dit,
dans sa lettre aux chrétiens de Colosses, qu'en lui sont cachés tous les
trésors de la sagesse et de la science (Colossiens 2, 2) ; car en lui
habite toute la plénitude de la divinité, corporellement (Ibid. 2, 8).
Arrêtons-nous un instant à
considérer comment un très grand théologien du XIII° siècle, l'un
des plus grands théologiens de l'Église latine, saint Thomas d'Aquin, a
compris l'incarnation.
Dans la troisième partie de la Somme théologique, saint Thomas, traitant de
l'incarnation, Question II, article 7, dit ceci :
L'union dont nous parlons
est une certaine relation, qui est considérée entre la nature divine et la
nature humaine, pour autant qu'elles se réunissent dans l'unique personne du
fils de Dieu. Or, comme nous l'avons dit dans la première partie (de la Somme théologique, q.
Par conséquent il faut
dire que cette union dont nous parlons (à savoir l'union hypostatique, c'est-à-dire l'incarnation) n'est pas en Dieu
réellement, mais du point de vue de la raison seulement. Tandis
que dans la nature humaine
(assumée) qui est une certaine créature, elle (cette relation) s'y trouve
réellement. Et c'est pourquoi il faut dire qu'elle est quelque chose de créé.
La théorie des relations
joue un très grand rôle dans la métaphysique et la théologie de saint Thomas.
On trouve cette théorie
des relations utilisée à propos de la création, qui est une relation de dépendance
unilatérale de l'Univers par rapport à Dieu, unilatérale parce que Dieu, lui, ne dépend pas
de l'Univers. Et la dépendance ontologique de l'Univers par rapport à Dieu
n'entraîne en Dieu aucune modification. C'est ce que rappelle saint Thomas dans
la réponse
à la seconde objection dans l'article même que nous venons de citer.
On la trouve ici, à propos de la
théorie de l'incarnation. On la retrouvera à propos de la théologie trinitaire.
Saint Thomas d'Aquin, à la
suite d'Aristote, distingue plusieurs types de relations.
Vous avez par exemple des
relations qui sont réelles prises par les deux bouts, aux deux extrémités,
c'est-à-dire si l'on considère les deux termes entre lesquels cette
relation existe.
Exemples : deux amis, la
relation d'amitié est réelle prise des deux côtés ; la relation père-fils : la
relation est réelle prise du côté du père, réelle prise du côté du fils ; la
relation de filiation : c'est une relation physique, réelle prise du côté du père qui
communique l'information génétique, réelle prise du côté du fils qui est
constitué par cette communication même ; les relations d'inimitié,
de haine : la haine est réelle chez les deux qui se haïssent, ils
sont l'un et l'autre modifiés par cette haine qui les ronge.
Par contre si l'on
considère une statue, et un petit chat qui fait le tour de la statue
: lorsque le petit chat est à la droite de la statue, la statue est à sa gauche
; le petit chat fait le tour de la statue, ou du moins le demi-tour : il est
alors à gauche de la statue, et la statue est à droite du petit chat. Pour le petit chat,
ou du point de vue du petit chat : être-à-droite-de, être-à-gauche-de, sont
des relations réelles, parce qu'il se déplace. Pour la statue qui ne bouge pas,
être-à-gauche ou à-droite du petit chat, sont des relations de pure
raison, c'est-à-dire des relations qui apparaissent à une intelligence qui considère
l'ensemble relationnel constitué par la statue et le chat mais qui, si l'on ose
dire, ne touchent pas la statue elle-même, puisqu'elle n'est pas modifiée par
ces relations.
Autre exemple, meilleur
(du moins je l'espère). Considérons une toile, une peinture, au musée du
Louvre, par exemple la Joconde, ou une statue, par exemple la Vénus de
Milo. Des centaines de milliers de visiteurs passent, s'arrêtent, et
prodiguent leurs commentaires. Des centaines de milliers de relations
s'établissent donc entre chacun de ces visiteurs et la Joconde, ou la Vénus de
Milo.
Du point de vue du visiteur qui regarde la
Joconde, ou la Vénus de Milo, la relation qui s'établit entre lui et elle est
une relation réelle : car il est modifié par ce qu'il regarde. Il est modifié
puisqu'il reçoit une information. Pour la Joconde qui est regardée, ou pour la
Vénus de Milo, ces mêmes relations sont de pure raison ; elles n'existent que
pour celui qui observe l'ensemble relationnel constitué par le visiteur et la
Joconde, le visiteur et
Troisième exemple, Le
Prince Louis de Broglie fait une conférence à l'Institut Henri Poincaré. Sa
conférence porte sur la mécanique ondulatoire. Dans l'amphithéâtre, cent étudiants. Les uns
écoutent, les autres parlent avec leur voisine. L'un d'entre eux lit son
journal. Certains comprennent mal ce qu'enseigne l'illustre physicien. Certains
comprennent partiellement. L'un d'entre eux comprend tout.
Quoi qu'il en soit de la
manière dont l'information communiquée par Louis de Broglie est reçue par ses
auditeurs, en tout cas lui, Louis de Broglie, n'est pas modifié par cette
diversité des réceptions, et la science qu'il communique n'est ni augmentée ni
diminuée par le fait qu'il la communique.
Supposons que sur le
bureau devant lequel se trouve Louis de Broglie, on ait branché un micro et que sa
conférence soit transmise à des milliers, à des centaines de milliers, à des millions
d'auditeurs.
De la part de chaque auditeur,
une relation s'établit entre lui et Louis de Broglie. C'est une relation
réelle, car l'auditeur reçoit une information. Il est donc modifié, enrichi,
plus ou moins selon les cas.
Du point de vue de Louis de Broglie qui
enseigne, et qui - supposons-le - ne s'est même pas aperçu qu'on avait branché
un micro devant lui, les relations ainsi établies entre ses auditeurs inconnus
et lui sont des relations de pure raison. Nous apercevons ces relations, parce
que nous considérons l'ensemble relationnel constitué par Louis de Broglie et
son auditeur. Mais cette relation qui modifie l'auditeur (relation réelle prise de ce côté) ne modifie aucunement
Louis de Broglie (relation de pure raison de son côté).Au cours du développement dogmatique du dogme
christologique, l'Église a toujours maintenu avec la plus grande fermeté que
l'incarnation ne modifie aucunement l'absolue transcendance de Dieu. Dieu lui-même est absolument impassible de par l'incarnation comme il l'est de par
Autrement dit,
l'incarnation n'est aucunement un exil, une aliénation, une aventure
de Dieu, une kénôse de Dieu : Dieu ne se dépouille pas, ne
se vide pas, ne se répand pas comme un liquide ; il ne devient pas pour
lui-même un autre, par l'incarnation, de même qu'il ne s'exile pas et ne
s'aliène pas par la création.
Autrement dit encore : la
doctrine orthodoxe de la création et la doctrine orthodoxe de l'incarnation
sont exactement aux antipodes de - et très exactement contraires à, - et en opposition
absolue avec, la doctrine hégélienne de la création et de l'incarnation[50].
Ce que saint Thomas a
voulu sauver par sa théorie des relations, appliquée à la théorie de la création et
à la théorie de l'incarnation, c'est l'absolue transcendance de Dieu qui n'est
aucunement modifié par la création (de même que Louis de Broglie n'est pas
modifié par le fait que sa science est reçue par d'autres), ni par
l'incarnation.
Cette analyse de saint
Thomas, d'une extraordinaire audace, écarte et condamne toute représentation
romantique de l'incarnation.
D'ailleurs, saint Thomas
revient souvent sur cette doctrine, par exemple dans un ouvrage intitulé De rationibus
fidei, daté de 1264 :
Lorsque nous disons que Dieu est devenu
homme, que personne n'estime qu'il faille comprendre cela comme si Dieu se transformait en homme... Car
la nature divine est immuable
(chapitre 6).
Dans la Somme
théologique encore :
Lorsqu'on dit : Dieu a été
fait homme, il n'y a pas à comprendre une mutation de la part de Dieu, mais seulement de la
part de la nature humaine (III, q.
Il faut donc bien se rendre
à l'évidence : Maître Thomas, à la suite de toute la tradition orthodoxe,
corrige le texte grec, le texte reçu par lui en latin, du quatrième Évangile
puisque celui-ci disait :
Et le Logos
- c'est-à-dire la
parole de Dieu - est ? devenu chair, c'est-à-dire homme (Jean 1, 14).
Saint Thomas, à la suite
de toute la tradition orthodoxe explique nettement que le Logos de Dieu, qui est Dieu lui-même, et non
pas un autre dieu que Dieu ni un dieu second, - le Logos de Dieu n'est rien devenu
du tout, car il ne peut pas y avoir de devenir en Dieu.
Le texte grec de Jean 1, 14 se
traduit littéralement :
Et le logos,
chair il est devenu,
grec sarx egeneto.
La traduction latine que saint Thomas
avait sous les yeux :
et verbum caro factum est et habitavit in nobis.
Traduction littérale :
le verbe a été fait chair...
Que dit saint Thomas ? Le
verbe n'est rien devenu du tout, parce que le verbe de Dieu, c'est Dieu lui-même
; et Dieu ne peut subir aucun devenir, aucune modification. - Comment est-ce
possible ?
L'explication est très simple. Les inconnus qui
ont traduit
Genèse 2, 7 : Et il a façonné, il a modelé, YHWH Dieu, l'Homme,
hébreu ha-adam, poussière prise de la terre, et il a
insufflé dans sa narine un souffle de vie, et il a été, l'Homme, hébreu ha-adam une âme vivante !
Nous avons mis une flèche
pour traduire l'hébreu le, qui désigne et signifie l'orientation, la
direction, la finalité, l'appartenance.
Traduction grecque : kai egeneto
ho anthrôpos eis psuchèn zôsan.
Traduction française
littérale de la traduction grecque : et il est devenu, l'Homme, à ou
vers, une âme vivante !
Le texte grec de Jean 1, 14 traduit une
proposition hébraïque dans laquelle, sous le verbe grec egeneto, qui signifie le
devenir, il y avait le verbe être hébreu, suivi du lamed, qui désigne la
relation d'appartenance et la direction.
Par conséquent frère
Thomas a retrouvé le sens exact de l'hébreu, sous la traduction latine de la
traduction grecque, qu'il avait sous les yeux. C'est cela le génie, en
théologie.
Dans la traduction
française de Jean 1, 14, trois catastrophes sont possibles.
1. Laisser
croire, ou laisser entendre, au lecteur ou à l'enfant qui apprend le catéchisme, que le logos de Dieu est un individu divin, un être autre que
Dieu, un dieu second.
Cette catastrophe est consommée lorsque l'on
traduit le mot grec logos, qui traduit l'hébreu dabar, par le décalque
français du mot latin verbum, le verbe.
En réalité, comme nous l'avons vu, le Parler de Dieu, c'est Dieu
lui-même qui parle, ou qui cause. Le Parler de Dieu, et Dieu, cela ne fait pas
deux individus.
2. Deuxième catastrophe :
traduire le grec sarx, qui
traduit l'hébreu basar, par le
français chair. - Parce que la
chair, en français contemporain, ne signifie pas ce que signifie basar
en hébreu. Basar en hébreu signifie et désigne l'Homme tout
entier, perfectus homo, comme
disent les papes Damase et Léon.
3.
Troisième catastrophe :
traduire le mot grec egeneto par le français : il est devenu, - parce que si on
le fait, on laisse croire ou entendre au lecteur et à l'enfant qui apprend son catéchisme, que
le
verbe
de
Dieu, un individu divin, est devenu quelque chose qu'il
n'était pas, à savoir de la chair.
Or le verbe n'est pas un
individu divin. - Le verbe de Dieu, c'est Dieu lui-même qui parle. - Et Dieu ne
devient rien du tout.
C'est pour éviter ces
trois catastrophes qui menaçaient déjà, que les papes Damase et
Léon ont retourné la proposition de Jean 1, 14. 'Au lieu de
dire ou de laisser entendre :
le verbe de Dieu est devenu chair.
ils disent :
Dieu s'est uni l'Homme intégral, perfectus homo. ou bien :
L'Homme véritable a été uni à Dieu
véritable.
Ainsi les trois catastrophes sont
évitées.
En Dieu, il n'y a pas de devenir, et par
conséquent ce qu'on appelle l'incarnation, c'est Dieu qui s'unit
l'Homme, sans que de la part de Dieu cela n'entraîne aucune modification,
aucune altération.
Ainsi la pensée de
l'Église a retrouvé le sens génuine, la veritas hebraica comme disait
saint Jérôme, sous des traductions grecque ou latine, qui pouvaient prêter à
malentendu ou à contresens.
Un autre très grand
théologien, né à peu près quarante ans après saint Thomas, vers 1265 ou
L'expression même de verbe incarné, à laquelle nous
sommes tant
habitués, en latin Verbum incarnatum, est correcte pour le grammairien, mais
elle ne l'est pas pour le théologien de métier, comme l'était Jean Duns Scot.
En effet, au verbe passif incarnatum, correspond un
verbe actif, incarnare. Au passé français incarné correspond un
verbe actif, incarner.
Or, au verbe incarner à sa forme
active, il faut un sujet. Ce sujet ne peut être que Dieu. C'est Dieu qui est le
sujet unique de toute opération. Mais le complément d'objet du verbe incarner, qui est-ce ?
Sera-ce le Logos de Dieu ? Sera-ce le Logos de Dieu qui subira
l'opération signifiée par le verbe actif incarner ? - Impossible. Le Logos de Dieu, qui
est Dieu lui-même se communiquant, et non pas un autre dieu que Dieu, ni un
dieu second, - le Logos de Dieu ne saurait subir aucune passion ; il
ne subit rien du tout, aucune modification, aucune altération.
Et c'est pourquoi le
bienheureux Jean Duns Scot, comme son grand aîné Thomas d'Aquin, explique que
l'incarnation est une union, elle est l'acte d'assumer. Cette opération, cette action porte
sur la nature humaine assumée, qui est le complément d'objet direct du verbe
incarner, mais non pas sur le Logos éternel et incréé de Dieu (Commentaire des Sentences de
Pierre Lombard par le bienheureux Jean Duns Scot, à Oxford, III, d.
I, q. 1, n. 16). - A l'action de la Sainte-Trinité correspond bien un
subir, un pâtir, mais celui qui subit cette action, c'est la nature humaine assumée
dans un individu singulier, ce n'est pas le Logos de Dieu (Même Commentaire,
IV, d. II, q. 2, n. 5). - L'incarnation est une union, cette union est
une certaine relation, et cette relation est réelle prise du côté de l'Homme
assumé, mais elle est de pure raison si on la considère du côté du Logos de Dieu. Le Logos de Dieu ne saurait
être le terme d'un subir, d'un pâtir quelconque (Commentaire
fait à Paris, IV, d. II, q. 2, nn 5 et 6).
Cette union qui est
l'incarnation est donc une relation réelle prise à
l'un de ses termes (l'homme assumé) mais de pure raison prise ou
considérée à l'autre extrême, du côté de Dieu qui assume (Commentaire d'Oxford, III, d. I, q. 1,
n. 3).
La théologie chrétienne orthodoxe de
l'incarnation n'est pas romantique. Elle n'est pas gnostique. Elle n'est pas
hégélienne.
Quelle est la raison d'être de l'incarnation
? Quelle est sa finalité ? Quel est son motif ? Deux thèses, deux écoles sont
en présence :
1.
Saint Thomas d'Aquin, Somme
théologique, III, question 1, article 3 : Est-ce que, si l'Homme
n'était pas devenu criminel, néanmoins Dieu se serait incarné ? Réponse :
Les théologiens, sur cette question, ont des opinions diverses. Certains
disent que, même si l'Homme n'était pas devenu criminel, le Fils de Dieu se
serait cependant incarné. - D'autres affirment le contraire. Et c'est à leur
thèse qu'il convient, semble-t-il, d'accorder son assentiment, davantage
qu'à la première. En effet, ce qui provient de la seule volonté de Dieu, et qui se
trouve au-delà de tout ce qui est dû à l'être créé, - nous ne pouvons pas le
connaître, si ce n'est pour autant que cela est communiqué par la Sainte
Écriture (= la révélation). C'est par la Sainte Écriture (= la révélation)
que la volonté de Dieu nous est connue. - Il en résulte que, puisque dans la
Sainte Écriture, partout, dans tous les cas, la raison d'être de
l'incarnation est déterminée, fixée, à partir de la faute du premier homme, -
il est plus convenable de dire que l'oeuvre de l'incarnation est disposée par
Dieu pour remédier à la faute, en sorte que, s'il n'y avait pas eu la faute, il n'y
aurait pas eu non plus d'incarnation. - Mais cependant, ajoute frère Thomas,
la puissance de Dieu n'est pas limitée à cela. Dieu aurait pu, s'il avait voulu,
et même sans la faute, s'incarner.
2.
(thèse exactement inverse) Le bienheureux Jean
Duns Scot, qui avait lu frère Thomas, - Commentaire d'Oxford, III, distinction
7, question 3. - Est-ce que cette prédestination de l'Homme nouveau créé, à
être uni à Dieu, en sorte qu'il soit le Fils de Dieu, -
est-ce que cette prédestination exige d'une manière nécessaire la chute, la
faute, le crime de l'Humanité ? Si l'Homme n'était pas devenu criminel - ce
que, de fait, il est devenu - est-ce
qu'il y aurait eu cependant incarnation ?
Jean Duns Scot répond en théologien et
en métaphysicien.
D'ailleurs un grand
théologien est toujours un grand métaphysicien. - Dieu le créateur unique et
incréé veut tout d'abord la finalité ultime de
Il faut distinguer deux
choses. - Le but de la création, la finalité ultime de la création, se réalise
par et dans le Christ, celui en qui Dieu s'unit l'Homme créé. Cette finalité
est première dans la pensée créatrice de Dieu. Elle est première voulue.
De fait et historiquement, l'humanité est
devenue criminelle et elle l'est de plus en plus. Cela explique que le Christ,
qui communique à la vieille humanité, l'Information créatrice nouvelle,
subisse de la part de la vieille humanité, partout
où cette Information créatrice nouvelle est communiquée, une réaction de
fureur qui va jusqu'à la mise à mort de celui qui communique
Avant qu'Abraham ne naisse, c'est Moi !
Abraham a pu connaître le
jour du maschiah et s'en réjouir, parce que le maschiah est le premier
voulu, le premier conçu, le premier pensé, dans le dessein créateur et
divinisateur. Ce qui est premier dans l'ordre de la conception, de l'intention, est
ultime dans l'ordre de l'exécution.
Cette affaire, cette grande controverse
entre les deux écoles, celle de saint Thomas et celle de Jean Duns Scot, est
évidemment très
importante. L'Église est une pensée qui se développe d'une manière indépendante par rapport à
ses plus grands docteurs. Aucun docteur du passé ne coïncide exactement sur
tous les points avec la pensée de l'Église. Nous verrons dans l'avenir comment l'Église va
s'orienter en ce qui
concerne cette grande controverse.
IV-
Le terme trias, en grec,
signifiant le nombre trois ou un ensemble de trois, est utilisé, par les Pères
grecs pour désigner l'ensemble constitué par : le Père, le Fils, le Saint-Esprit. Il a été
traduit en latin par le mot trinitas, qui signifie la même chose.
Le mot latin trinitas a été traduit - si l'on peut
dire - en langue française par le mot trinité. Les philologues
nous disent que ce mot apparaît dans la langue française au milieu du XIe
siècle.
Une fois de plus, nous constatons que les
traducteurs - si l'on peut dire - des termes théologiques se sont surmenés.
Car décalquer un terme latin testamentum, sacramentum, trinitas, christus, etc. pour
obtenir : testament, sacrement, trinité, christ, etc., ce n'est pas traduire.
En lisant attentivement les livres de la Bible
hébraïque, dans le texte original ou à défaut dans une traduction, on observe que, des
centaines, des milliers de fois il est question de Dieu, en hébreu elohim, qui est
toujours un pluriel, nous l'avons vu. Les savants judéens qui ont traduit la
Bible hébraïque en grec au IVe, IIIe ou II° siècle
avant notre ère ont traduit l'hébreu elohim par le grec ho theos.
Des centaines, des milliers de fois
aussi on trouve le tétragramme, YHWH, que l'on ne prononce pas dans la synagogue, comme nous l'avons vu ; lorsqu'on
rencontre ce nom, qui est Le Nom, on prononce adonaï, Seigneur. C'est pourquoi sous les consonnes de YHWH on trouve, dans
les Bibles imprimées, les
voyelles d'adonai; ce qui a donné lieu à l'affreux mélange
chéri par Victor Hugo et d'autres : jehovah. Absurde.
Chaque fois qu'ils ont
rencontré dans le texte sacré le tétragramme YHWH, les savants judéens ont rendu le
Nom en grec par kurios, Seigneur, ce qui est la traduction exacte de adonaï - sans l'article.
Les Latins, qui ont
traduit la Bible grecque en latin, ont traduit kurios par dominus en sorte que,
chaque fois que nous entendons dominus dans la liturgie en langue
latine, par exemple dans le chant des psaumes, c'est que dans le texte hébreu, il y a le
tétragramme YHWH.
Des centaines de fois, il
est fait mention de la parole de Dieu. D'abord pour la création, ou à propos de
la création : « Par la parole de YHWH les cieux ont été faits... » (Psaume 33, 6).
En hébreu, le mot que nous
traduisons par parole, c'est dabar. Il a été traduit en grec par ho logos,
en latin par verbum, ce qui a donné dans les
traductions ecclésiastiques le verbe.
D'autre part, il est fait
mention de la parole de Dieu à propos de la communication par Dieu à l'homme, au
prophète, de ce qu'il a à lui dire. Et ainsi on trouve l'expression : la parole de Dieu,
dans tous les livres des prophètes hébreux.
Amos 1, 3 ; 1, 6 ; etc. : Ainsi a parlé YHWH... Amos 3, 1 : Écoutez cette parole qu'a dite YHWH... Amos 3, 11 : Ainsi
a parlé le Seigneur YHWH...
Osée 1, 1 : La parole de YHWH qui fut sur Osée... Osée 1, 2 : Commencement de la parole de YHWH par
l'intermédiaire de Osée... Et il dit, YHWH, à Osée...
Michée 1, 1 : Parole de YHWH qui fut adressée à
Michée...
Jérémie 1, 1 : A lui fut adressée la parole de YHWH... Elle fut, la parole de YHWH, à
moi pour dire... Elle fut, la parole de YHWH, sur moi pour dire (1, 11; 1, 13 ; 2, 1).
Jérémie 7, 1 : La parole qui fut adressée à Jérémie de la part de YHWH pour dire... (11, 1; 14, 1) etc.
Des centaines de fois, il
est fait mention dans la Bible hébraïque de l'Esprit de Dieu, en hébreu ruah (prononcer le h final comme le ch de l'allemand
Buch), traduction grecque pneuma, traduction latine spiritus.
Genèse 41, 38 (à propos de Joseph) : Se trouvera-t-il un homme comme celui-ci qui ait en lui l'Esprit de
Dieu, ruah elohim
?
Nombres 24, 1 s : Balaam leva les yeux, il vit Israël installé par tribus et l'Esprit de Dieu fut sur lui, ruah elohim.
1 Samuel 10, 1 et s. A propos de Saül : Alors Samuel prit la fiole d'huile et en versa sur sa tête,
puis il le baisa et dit : N'est-ce pas YHWH qui t'a oint
comme chef sur son peuple,
Israël ? ... Alors fondra sur toi l'Esprit de YHWH, ruah
YHWH, et tu prophétiseras, ... L'Esprit de Dieu, ruah elohim, fondit sur lui et il prophétisa...
Nous avons déjà observé à
propos de ce texte la relation qui existe entre l'onction et la communication
de l'Esprit saint, c'est-à-dire de l'Esprit de Dieu.
1 Samuel 16, 1 s. : Samuel prit une corne d'huile et il l'oignit au milieu de ses frères et l'Esprit de
YHWH fondit sur David à partir de ce jour et
dans
Juges 3, 7 : L'Esprit
de YHWH fut sur lui... Juges 6, 34 : L'Esprit de YHWH revêtit Gédéon... Juges 11, 29 : L'Esprit de YHWH fut sur Jephté...
2 Samuel 23, 1 : L'Esprit de YHWH parle par moi...
Psaume 51, 12 s. : Ne me rejette pas de devant ta face et ton esprit de sainteté, ne le
retire pas de moi...
Isaïe 11, 1 s. : Et repose sur lui l'Esprit de YHWH, esprit de sagesse et d'intelligence, esprit de
conseil et de force,
esprit de connaissance et de crainte de YHWH.
Isaïe 42, 1 : Voici mon serviteur, mon élu en qui mon âme se complaît. J'ai donné mon
esprit sur lui...
Isaïe 61, 1 : L'Esprit du Seigneur YHWH est sur moi parce qu'il m'a oint, YHWH. Pour
annoncer une heureuse nouvelle aux pauvres, il m'a envoyé...
Osée 9, 7 : Le
prophète, c'est l'homme de l'Esprit, ha-nabi isch
ha-ruah.
Michée 3, 8 : Moi je suis rempli de force par l'Esprit de YHWH...
Joël 3, 1 : Et
il arrivera après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair, et ils
prophétiseront, vos fils et vos filles.
Nombres 11, 16 sq. : YHWH dit à Moïse : Rassemble-moi soixante-dix hommes, des anciens d'Israël... Tu les amèneras à la Tente du rendez-vous et
ils se tiendront là avec
toi. Alors je descendrai et là je parlerai avec toi. Je reprendrai de l'esprit qui est sur toi et j'en
mettrai sur eux...
YHWH descendit dans la nuée et lui
parla. Il reprit de
l'esprit qui était sur lui et en mit sur les soixante-dix hommes, les anciens. Or, dès que l'esprit se
reposa sur eux, ils
prophétisèrent.
Deux hommes étaient restés dans le
camp... L'esprit se reposa sur eux... et ils
prophétisèrent dans le camp.
Un jeune homme courut
l'annoncer à Moïse... Josué fils de Noun... prit la parole et dit : Mon seigneur Moïse, empêche-les !
Mais Moïse lui dit : Es-tu jaloux pour
moi ? Qui donnera que tout le peuple de YHWH soit des prophètes parce que YHWH
donnerait son Esprit sur eux !
Ainsi donc, dans la Bible hébraïque, il
est question de Dieu, de
la Parole de Dieu, de l'Esprit de Dieu. Les trois ne sont pas trois dieux. Dieu
est unique :
Deutéronome 6, 4 : Écoute Israël, YHWH notre Dieu, YHWH unique. Et tu aimeras YHWH ton Dieu
de tout ton coeur et de toute ton âme et de toute ta force...
La Parole de Dieu, c'est Dieu qui
s'exprime, qui communique la science qu'il a, qui est la sienne, dans l'oeuvre
de la création, tout
d'abord ; et puis dans cette oeuvre créatrice, elle aussi, de la révélation qui est, nous l'avons vu, création d'une nouvelle humanité.
L'Esprit saint, c'est l'Esprit de Dieu,
c'est-à-dire Dieu lui-même, qui est Esprit, et qui se communique à l'esprit de l'homme. Cette communication, c'est le
prophétisme même. Et c'est par l'immanence de l'Esprit de
Dieu en l'homme que Dieu
communique l'information qu'il veut communiquer, c'est-à-dire sa parole.
La communication, à l'homme, de
l'Esprit saint, c'est-à-dire de l'Esprit de Dieu, c'est sans doute, nous
l'avons vu, ce qui définit l'Homme : l'Homme est un animal capable de recevoir
en lui l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire un animal capable de devenir prophète.
Nous avons donc un premier tableau :
Tableau n° 1
· Dieu : en hébreu elohim ; - trad.
grecque ho theos ; - en latin Deus.
·
YHWH, qui se prononce adonaï ; - trad. grecque kurios ; - trad.
latine Dominus ; Seigneur.
· La Parole de Dieu : en
hébreu dabar ; en araméen memra ; trad. grecque ho logos ; - trad.
latine verbum.
· L'Esprit de Dieu : en
hébreu ruah ; - en grec : pneuma ; en latin : spiritus.
*
* *
Dans les livres du Nouveau Testament, -
c'est-à-dire, en traduction, de la nouvelle alliance, - dont il ne nous reste malheureusement que la traduction
grecque, mais non les originaux
hébreux ou araméens, lorsqu'ils ont existé, - nous avons bien entendu le terme ho theos, Dieu,
qui traduit l'hébreu elohim ; nous avons le terme kurios, Seigneur,
qui traduit le tétragramme.
Mais quelque chose de nouveau apparaît
dans les Évangiles synoptiques et dans le quatrième Évangile : le rabbi galiléen Ieschoua, celui que nous appelons
Jésus, désignait Dieu,
appelait Dieu, parlait à Dieu, et parlait de Dieu, en utilisant un terme
araméen qui est :
Abba, qui
signifie « père », mais dans un sens familier et
semble-t-il moins solennel que notre mot français « père ». Abba est le terme dont les enfants se
servaient pour appeler ou désigner leur propre père ; il correspond donc,
semble-t-il, à peu près à notre mot français « papa ». Les exemples sont
très nombreux dans les quatre Évangiles. Nous n'en indiquerons ici que quelques-uns[51].
Une expression fréquente, pour désigner
Dieu, dans la bouche du
rabbi galiléen, c'est : « Votre père qui est dans les cieux... » pour
distinguer, bien entendu, le père des cieux, l'abba des cieux, à savoir Dieu, - de l'abba de la terre,
le père au sens naturel du terme.
Exemples : Matthieu
5, 16 ; 5, 45 ; 5, 48 ; 6, 1; 6, 8 ; 6, 14 ; 6, 15 ; 6, 26; 6, 32 ; 7,11;10, 29. Marc 11, 25. ou bien : ton père : Matthieu 6, 4; 6, 6; 6, 18.
Très souvent, Jésus appelle Dieu : «
père », ou « le père », tout simplement, si l'on en croit notre traduction grecque.
Matthieu 11, 25 : En ce temps-là, il répondit Ieschoua et il dit : Je te rends grâces à
toi, père (abba), Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as
caché ces choses loin des
sages et des intelligents, et que tu les as révélées aux petits. Oui, père (abba)
parce qu'ainsi il a
paru bon devant ta face...
Jean 5, 45 : Ne
croyez pas que moi je vous accuserai devant le père...
Jean 6, 37: Tout
être que m'a donné le père, viendra vers moi...
Jean 10, 32 : Beaucoup d'oeuvres belles je vous ai
montrées qui venaient du
père...
Jean 12, 26 : Si quelqu’un me sert, le père
l’honorera…
Jean 15, 16 : Ce que vous demanderez au père en mon
nom, cela vous sera donné…
Jean 16, 3 : Ils
feront cela parce qu'ils n'ont pas connu le père ni moi...
Jean 16, 23 : Vrai, je vous le dis, tout ce que vous demanderez au père en mon nom, il
vous le donnera...
Jean 16, 25 : Toutes ces choses, je vous les ai dites en utilisant des comparaisons,
des analogies ; elle vient, l'heure,
où je ne vous parlerai plus en utilisant des comparaisons, mais d'une manière découverte je vous annoncerai tout ce qui concerne le père...
Jean 16, 26 : Et je ne vous dis pas que moi je prierai le père pour vous. Car le père
lui-même vous aime...
Jean 17, 10 : Père saint, garde-les en ton nom...
Jean 18, 11 : La coupe que m'a donnée le père...
Mais dans un ensemble ou
une série d'autres textes, Jésus appelle Dieu : « mon père », ou : « mon père
qui est dans les cieux ».
Matthieu 10, 32 : Tout homme qui me reconnaîtra devant la face des hommes, moi aussi je le
reconnaîtrai devant la face de mon père qui est dans les cieux. Mais tout homme qui me reniera devant la face
des hommes, moi aussi je
le renierai devant la face de mon père qui est dans les cieux.
Matthieu 11, 27 : Tout m'a été donné par mon père, et personne ne connaît le fils si ce n'est le père.
Et personne ne connaît le
père si ce n'est le fils et celui à qui le fils veut le révéler.
Matthieu 12, 50 : Celui qui fera la volonté de mon père qui est dans les cieux, c'est
celui-là qui est mon frère, et ma soeur et ma mère...
Matthieu 15, 13 : Toute plante que n'a pas plantée mon père qui est dans les cieux, sera
déracinée.
Matthieu 16, 27 : Le fils de
l'homme va venir dans la gloire de son père...
Matthieu 18, 10 : Voyez à ne pas
mépriser l'un de ces petits. Car je vous le dis : leurs messagers dans les
cieux constamment regardent le visage de mon père qui est dans les cieux.
Matthieu 18, 19 : De nouveau je
vous le dis : si deux sont d'accord parmi vous sur la terre au sujet de toute
chose qu'ils demanderont, - cela leur sera donné de la part de mon père qui est
dans les cieux.
Matthieu 18, 35 : Ainsi mon père qui est aux cieux fera pour vous ...
Matthieu 20, 23
: Pour ce qui est d'être assis à ma droite ou à ma gauche, cela ne
m'appartient pas de le donner, mais cela est pour ceux à qui cela est préparé
par mon père.
Matthieu 26, 29 : Dans le royaume de mon père...
Matthieu 26, 39 : Il tomba sur sa
face, priant et disant : mon père, si cela est possible, que passe loin de moi
cette coupe. Mais cependant, non pas comme moi je veux mais comme toi tu
veux...
Matthieu 26, 42 : Mon père...
Marc 8, 38 : Celui qui aura
honte de moi et de mes paroles dans cette génération présente..., le fils de
l'homme aura honte de lui lorsqu'il viendra dans la gloire de son père...
Luc 2, 48 : Sa mère lui
dit... Voici que ton père et moi nous étions tourmentés et nous te cherchions...
Et il leur dit : Qu'en est-il pour que vous me cherchiez ? Ne savez-vous pas qu'il
faut que je sois dans ce qui concerne mon père ?
Dans ce texte, nous avons donc les deux
emplois du mot père
1.
le père de la terre, - c'est ainsi que l'entend Marie.
2.
le père du ciel, à savoir Dieu : c'est ainsi que l'entend Jésus.
Luc 10, 21 : Dans
cette heure-là, il exulta dans l'esprit saint et il dit : Je te rends grâces,
père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que tu as caché ces choses loin
des sages et des
intelligents, mais tu les as révélées aux petits. Oui, père, parce qu'ainsi il a été bon devant ta face. Tout m'a été donné par mon père et personne
ne connaît qui est le fils si ce n'est le père, et qui est le père, si ce n'est
le fils, et celui à qui le fils veut le révéler.
Jean 2, 16 : Ne faites pas de la maison de mon père (= le temple) une maison de
trafic...
Jean 5, 17 : Mon père jusqu'à maintenant est à l'oeuvre. Et moi
aussi je suis à l'oeuvre... C'est pourquoi les Judéens cherchaient encore plus à le tuer, parce
que non seulement il
déliait l'obligation du sabbat, mais aussi parce qu'il appelait Dieu son propre
père, patera idion, se faisant ainsi égal à Dieu...
On voit par ce texte que l'emploi par
Jésus de l'expression « mon père » pour désigner Dieu avait été remarquée par
ses compagnons, par ses disciples et par ses adversaires.
Jean 8, 49 : J’honore mon père…
Jean 8, 54 : C’est mon père qui me glorifie…
Jean 10, 15 : De même que le père me connaît, moi aussi
je connais le père…
Jean 10, 25 : Les
oeuvres que je fais au nom de mon père...
Jean 10, 29 : Mon père qui a donné est plus grand que tous...
Jean 10, 30 : Moi et mon père nous sommes un…
Jean 14, 21 : Celui qui m’aime sera aimé par mon père…
Jean 14, 23 : Si quelqu’un m’aime,
il gardera ma parole et mon père l'aimera et nous viendrons vers lui et nous
ferons notre demeure auprès de lui...
Jean 14, 28 : Mon père est plus grand que moi...
Jean 15, 1 : Moi je suis la
vigne, la véritable, et mon père, c'est le vigneron...
Jean 15, 8 : C'est en ceci
qu'il sera glorifié, mon père, afin que vous portiez du beau fruit...
Jean 15, 10 : Comme moi j'ai gardé les commandements de mon père...
Jean 15, 15 : Tout ce que
j'ai entendu de la part (ou : venant de) mon père, je vous l'ai fait
connaître...
Jean 15, 23 : Celui qui me
hait, il hait aussi mon père...
Jésus appelle ou désigne Dieu en se
servant des expressions : « votre père », « ton père », « mon père ». Mais jamais il ne dit : « notre père », - c'est-à-dire que jamais il ne se met dans le même ensemble que ceux à
qui il parle.
Ce qui prouve qu'il a clairement
conscience que la relation qui va de lui à Dieu, - relation de filiation qui
lui permet de dire : « mon père », en parlant de
Dieu, - est différente de
la relation qu'il aperçoit entre nous et Dieu, relation à cause de laquelle nous pouvons aussi appeler
Dieu « notre père » ou « notre père qui est dans les cieux », en araméen : abounah di-bischemaiia.
Jamais il n'emploie l'expression «
notre père », sauf dans un cas unique, lorsqu'il
enseigne à ses compagnons et disciples la prière nouvelle. Mais dans ce cas, ce sont les disciples qui diront :
Matthieu 6, 9 : Ainsi vous
prierez, vous :
Notre père des
cieux,
qu'il soit sanctifié, ton nom,
qu'il vienne, ton règne,
qu'elle soit faite, ta volonté,
comme elle l'est dans les cieux,
ainsi sur la terre.
Notre pain du jour qui vient,
donne-le-nous aujourd'hui.
Et remets-nous nos dettes,
comme nous
aussi nous avons remis
à ceux qui nous
doivent
et ne nous fais
pas venir en épreuve,
mais
délivre-nous du méchant.
*
* *
Il apparaît donc que, dans tous les
textes du Nouveau Testament, dans les quatre Évangiles comme
dans les lettres de Paul et dans les autres textes, le
terme de père désigne
Dieu, purement et
simplement.
Il est strictement synonyme de Dieu.
Autrement dit, on peut poser l'égalité
:
le père = Dieu
Cette remarque si simple, cette
évidence si élémentaire, sera d'une très grande importance pour comprendre ce que signifie
exactement dans la langue du Nouveau Testament, dans le système logique et
cohérent du Nouveau Testament,
le Père, le Fils, et le Saint-Esprit
*
* *
Voyons maintenant l'emploi du terme de
« fils » dans les livres du Nouveau Testament.
Jésus de Nazareth avait pour habitude
de se désigner lui-même par l'expression :
« Le fils de l'homme », en araméen bar
enascha, qui traduit
l'hébreu ben adam, qui a été traduit en grec ho huios tou anthrôpou, en latin filius
hominis.
Les textes sont très nombreux. Nous
n'en citerons que quelques-uns.
Matthieu 8, 20 : Le fils de l'homme n'a pas où poser sa tête...
Matthieu 9, 6: Afin que vous sachiez que le fils de l'homme a la puissance sur la terre
de remettre les fautes...
Matthieu 11, 19 : Le fils de l'homme est
venu mangeant et buvant...
Matthieu 12, 8: Il est maître du sabbat, le fils de l'homme...
Matthieu 13, 37
: Celui qui sème la bonne semence, c'est le fils de l'homme...
Matthieu 16, 28 : Vrai, je vous
le dis : il y en a qui se trouvent ici qui ne goûteront pas de la mort jusqu'à
ce qu'ils voient le fils de l'homme venu dans son règne...
Matthieu 17, 12 : C'est ainsi que
le fils de l'homme doit souffrir par eux...
Matthieu 17, 22
: Le fils de l'homme sera livré aux mains des hommes et ils le
tueront...
Matthieu 19, 23
: Lors de la nouvelle naissance, lorsqu'il sera assis, le fils de
l'homme, sur le trône de sa gloire...
Matthieu 20,,18: Voici que nous
montons à Jérusalem, et le fils de l'homme sera livré aux grands prêtres et
aux
lettrés...
Matthieu 20, 28 : De même que le
fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir et pour donner
son âme (sa vie) comme rachat en faveur d'une multitude...
Matthieu 24, 27 : Comme l'éclair
surgit de l'Orient et se manifeste jusqu'au Couchant, ainsi en sera-t-il de la
venue (parousia, traduite
d'ordinaire, si l'on peut dire, par parousie !) du fils de l'homme...
Matthieu 24, 36 : Au sujet de ce
jour-là, et au sujet de l'heure, personne ne sait, ni les messagers des cieux
(c'est-à-dire de Dieu), ni le fils, si ce n'est le père seul.
Matthieu 24, 37 : Comme lors des
jours de Noê, ainsi sera la venue (parousia) du fils de l'homme...
Matthieu 25, 31 : Lorsque le fils de l'homme viendra dans sa gloire...
Matthieu 26, 2 : Le fils de
l'homme sera livré pour être crucifié...
Matthieu 26, 24 : Le fils de
l'homme s'en va comme il est écrit à son sujet. Mais malheur à l'homme par qui
le fils de l'homme est livré...
Matthieu 26, 45 : Voici qu'elle s'est approchée l'heure et le fils de
l'homme va être livré aux mains des criminels...
Marc 2, 10 : Afin que vous
sachiez qu'il a puissance, le fils de l'homme, de remettre les fautes sur la
terre...
Marc 2, 27 : En sorte qu'il est maître, le fils de
l'homme, aussi du schabbat...
Marc 8, 31 : Et il commença
à les enseigner, qu'il faut que le fils de l'homme souffre beaucoup...
Luc 9, 26 : Celui qui aura
honte de moi et de mes paroles, celui-là le fils de l'homme en aura honte
lorsqu'il viendra dans sa gloire qui est aussi la gloire de son père...
Jean 1, 51 : Vous verrez le ciel
ouvert et les messagers de Dieu montant et descendant sur le fils de l'homme...
Jean 6, 27 : Faites,
travaillez, non pas la nourriture qui se perd, qui se détruit, - mais la nourriture
qui subsiste pour la vie éternelle, celle que le fils de l'homme vous donnera.
Celui-ci (à savoir : le fils de l'homme), le père l'a scellé de son sceau, le
père, c'est-à-dire Dieu (ho patèr - ho theos)...
Jean 6, 53 : Si vous ne mangez pas
la chair du fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n'avez pas
la vie éternelle en vous...
Jean 12, 34 : Le peuple lui
répondit : Nous, nous avons entendu dire par la lecture de la Torah que le Christ (le oint)
subsiste pour l'éternité. Alors, comment se fait-il que toi tu dises : il
faut que le fils de l'homme soit élevé ? Qui est-il ce fils de l'homme ?
L'expression fils de l'homme reste
obscure pour nous comme elle l'était, semble-t-il, pour les foules qui l'ont
entendue.
Il faut savoir qu'en hébreu
l'expression ben-adam, fils de l'homme, signifie tout simplement : l'homme, ou : l'individu appartenant à l'espèce humaine. Ha-adam, en
hébreu, rappelons-le, signifie : l'Homme, au sens spécifique du terme. L'hébreu
n'a pas de terme pour désigner l'espèce et pour dire que tel individu fait
partie de telle espèce. Pour exprimer cela, il dit : fils de... Ainsi le fils
de l'homme, c'est un être qui appartient à l'espèce humaine.
Mais, depuis le prophète Ezéchiel (vie
siècle avant notre ère) et surtout depuis le livre de Daniel (composé
au 11e
siècle avant notre ère) l'expression fils
de l'homme a pris une signification particulière.
Daniel 7, 13 : Je regardais dans mes visions
nocturnes, et voici, avec'
les nuées du ciel, venant comme un fils d'homme...
Araméen : ke-bar enôsch
Traduction grecque : hôs huios anthrôpou
Traduction latine : quasi filius hominis
A lui furent donnés la domination, la
gloire et le règne... Sa
domination est une domination éternelle qui ne passera pas et son royaume ne sera pas
détruit...[52]
Sauf de très rares exceptions, les
disciples n'ont pas osé appeler
leur maître en se servant de l'expression araméenne que lui-même, utilisait pour se désigner lui-même, « fils de l'homme ».
Les disciples appellent
Jésus : « fils de
Dieu ». En araméen : bar-elaha.
S'ils utilisent cette
expression, c'est parce que lui-même, en de nombreuses occasions, a appelé Dieu
: mon
père, comme nous l'avons vu. C'est aussi parce qu'en quelques occasions, Dieu
lui-même a appelé Jésus : mon fils :
Matthieu, 3, 16 : Ieschoua a été baptisé et aussitôt il sortit de l'eau.
Et voici que s'ouvrirent les cieux et il vit l'Esprit de Dieu qui descendait
comme une colombe et qui venait sur lui. Et voici une voix qui venait des cieux
et qui disait : Celui-ci, c'est mon fils bien-aimé, en qui mon âme se complaît.
Marc 1, 10 : Et aussitôt il
remonta hors de l'eau et il vit les cieux ouverts et l'Esprit qui descendait
comme une colombe sur lui. Et une voix se fit entendre des cieux : Toi, tu es
mon fils bien-aimé, en toi mon âme s'est complue.
Luc 3, 21 : Il arriva que tout le
peuple a été baptisé et Jésus a été baptisé. Pendant qu'il priait, le ciel
s'ouvrit, et l'Esprit saint descendit sur lui sous une apparence corporelle, comme
une colombe, et une voix se fit entendre du ciel : Toi tu es mon fils mon aimé,
en toi mon âme s'est complue.
Jean 1, 29 : Le lendemain il vit Ieschoua qui venait vers lui et il dit
: Voici l'agneau de Dieu qui porte le péché du monde... Et il attesta, Jean, en
disant : J'ai vu l'Esprit descendre comme une colombe du ciel et demeurer sur lui.
Et moi je ne le connaissais pas, mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau,
celui-là m'a dit : Celui sur lequel tu verras l'Esprit descendre et demeurer
sur lui, c'est celui-là qui baptise dans l'Esprit saint. Et moi j'ai vu, et
j'ai attesté que celui-ci, c'est le fils de Dieu.
Dans ce texte, on trouve déjà
1. Dieu, appelé
aussi « père » ou « le père ».
2. Jésus le
Christ, qui s'appelait lui-même « le fils de l'homme » et qui est
appelé ici « le fils de Dieu » par Jean, parce que Dieu lui-même l'appelle «
mon fils ».
3. L'Esprit
saint qui descend de Dieu sur Jésus le Christ.
On voit par ces textes que Ieschoua est
appelé fils de Dieu, parce que l'Esprit saint, c'est-à-dire
l'Esprit de Dieu, descend
sur lui et demeure en lui d'une manière constante. Il existe une relation entre
la communication de l'Esprit saint et la filiation.
Cette relation se trouve exprimée dans
le texte qui relate comment le messager de Dieu annonce à Marie la venue sur
elle de l'Esprit saint :
Luc 1, 35 : Et il répondit
le messager (le mot grec aggelos, nous l'avons vu, traduit
l'hébreu maleak qui signifie le messager), et il lui dit : L'Esprit
saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre.
C'est pourquoi celui qui va naître sera appelé saint, fils de Dieu.
Dans une autre série de textes, Jésus
est encore appelé « mon fils » par Dieu lui-même :
Matthieu 17, 1... 5 : Après six jours
Ieschoua prend Keipha (= le Rocher), Jacob et Iohanan son frère, et il les conduit sur une
montagne élevée, seul avec eux. Et il fut transformé devant eux, et
son visage illumina comme le soleil... Voici qu'une nuée lumineuse les
recouvrit et voici qu'une voix issue de la nuée qui disait : Celui-ci,
c'est mon fils bien-aimé en qui mon âme se complaît. Écoutez-le...
Textes parallèles : Marc 9, 2 ; Luc 9, 28.
A la suite de ce texte de Matthieu,
nous lisons :
Matthieu 17, 9 : Ils descendirent de la montagne et Ieschoua
leur prescrivit : Ne dites à personne ce que vous avez vu, jusqu'à ce que le
fils de l'homme soit relevé d'entre les morts...
Donc, alors que Dieu lui-même appelle
Jésus « mon fils », celui-ci continue de s'appeler lui-même : « le
fils de l'homme ».
Ce qui est tout à fait remarquable,
c'est que, d'après un bon
nombre de textes, les démoniaques, les possédés, ceux qui sont habités par des esprits impurs, reconnaissant Jésus pour ce qu'il est, discernent qui il
est, plus vite, semble-t-il, que les autres hommes. Il y aurait donc une sorte
d'intelligence de la
haine, ou de perspicacité de
Matthieu 8, 28 : ... Deux démoniaques sortaient des
tombeaux... Et voici qu'ils criaient, en disant : Qu'y a-t-il entre nous et toi, fils de Dieu ?
Est-ce que tu es venu ici
pour nous tourmenter avant l'heure ?
Textes parallèles : Marc, 5, 1;
Luc, 8, 26.
Marc 1, 23 : Il y avait dans leur synagogue un homme qui était dans un esprit impur (sic). Et il cria, en disant : Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth
? Es-tu venu pour nous
détruire ? Je sais qui tu es : tu es le saint de Dieu...
Marc 3, 11 : Et
les esprits impurs, lorsqu'ils le voyaient, tombaient devant lui et criaient en disant : Toi
tu es le fils de Dieu...
Les hommes du commun, moins
intelligents semble-t-il que
les démoniaques, ont
cependant fini par apercevoir et discerner qui est Jésus de Nazareth :
Matthieu 16, 13 s. : Ieschoua vient dans la région de Césarée de Philippe. Il interrogea ses
disciples en disant :
- Qui, disent-ils, les hommes, est le
fils de l'homme ? (= les gens, qui disent-ils qu'est le
fils de l'homme ?).
Alors eux, les disciples, dirent :
- Les uns, Jean le baptiseur ; les
autres, Elie ; d'autres, Jérémie ou l'un des prophètes.
Il leur dit :
- Et vous, qui dites-vous que je suis ?
Schiméon Keipha (= le Rocher) dit :
- Toi tu es l'Oint de Dieu, le fils du
Dieu vivant. Il répondit Ieschoua et il lui dit :
- Tu es heureux, Shiméon Bar-lôna (= fils de Jonas), parce que la chair et le sang ne
t'ont pas révélé (cela) mais c'est mon père qui est dans les cieux. Et moi je
te dis que tu es Rocher (Keipha) et sur cette Roche je construirai mon église... Je te donnerai les clefs du
royaume des cieux, malkouta di-schemaiia...
Texte capital, bien entendu, et à tous
égards, puisqu'il montre
que Keipha, celui que nous appelons Pierre (à cause
de la traduction grecque Petros
du nom araméen) a
accédé à la connaissance, à l'intelligence de qui est Jésus son rabbi, et avec
lui le groupe de ses compagnons.
Et cette connaissance, cette
intelligence qui porte sur la question de savoir qui est Jésus, - c'est ce que
Jésus enseigne ici - ce n'est pas la chair et le sang qui la fournissent, =
elle ne vient pas de l'homme. C'est Dieu qui donne cette connaissance et cette
intelligence.
Et c'est bien une connaissance et une
intelligence que Dieu
donne. Le texte dit : c'est mon père des cieux, c'est-à-dire Dieu, qui t'a révélé qui je suis.
Et c'est parce que Pierre a accédé à
cette connaissance qu'il
est le Rocher sur lequel l'Église est fondée, construite. Car de fait, l'Église
est fondée sur cette connaissance.
Par ces quelques textes, et ceux de
tous les livres du Nouveau Testament, il apparaît que le terme de « fils », l'expression « fils de Dieu », dans le Nouveau Testament, désigne toujours, et
sans aucune exception, Jésus de Nazareth pris ou considéré concrètement, - c'est-à-dire celui
que plus tard, dans le langage de la théologie
ultérieure, on appellera le Verbe incarné.
Autrement dit, toujours et
dans tous les textes du Nouveau Testament, le terme de « fils », l'expression «
fils de Dieu » désignent le Christ historique, celui" lût objet
d'expérience pour ceux qui l'ont suivi et accompagné ; celui que le pape Léon,
nous l'avons vu, définit par ces termes : Verus homo vero unitus Deo,
l'Homme
véritable uni à Dieu véritable.
Mais pourrait-il en être
autrement ? Oui ; il en a été autrement plus tard. A partir du IIIe siècle, et
peut-être même un peu avant, quelques théologiens, éminents d'ailleurs, ont
appelé « fils » et « fils de Dieu », non plus Jésus de Nazareth considéré
concrètement, ou, plus exactement - non pas d'abord Jésus de Nazareth
considéré concrètement et historiquement -, mais le Logos de Dieu
considéré en son éternité, avant l'incarnation et indépendamment de
l'incarnation[53].
Dans ce cas, le système
logique est déplacé. C'est un autre système logique qui se présente. Nous sommes
dans un autre système de référence, pour parler comme les mathématiciens.
Dans le système logique
constitué par tous les textes du Nouveau Testament, le terme de « père »
désigne Dieu, purement et simplement. Père est strictement synonyme de
Dieu. Le père = Dieu, et réciproquement.
Le terme de « fils » désigne Jésus de Nazareth
pris concrètement ou considéré concrètement
en son existence historique, empirique : c'est donc celui que plus tard
on appellera « le Verbe incarné »,
c'est-à-dire, en un autre langage, Dieu qui s'unit l'Homme, ou, ce qui revient
strictement au même, l'Homme véritable uni à Dieu véritable.
Dans le nouveau système
logique qui apparaît autour du IIIe siècle - nous allons y revenir - le terme de «
fils » ne désigne plus directement ou immédiatement Jésus de Nazareth pris
concrètement ou considéré concrètement, mais le Logos de Dieu considéré
ou envisagé avant son incarnation, indépendamment de l'incarnation, et en son
éternité.
Il en résulte que le terme
de « père » change de signification, par un effet de rétroaction, pour parler
comme les cybernéticiens.
Dans le système logique du
Nouveau Testament, le terme de « père » désigne Dieu purement et simplement.
Dans le nouveau système
logique inauguré par les théologiens qui ont décidé d'appeler « fils » le Logos de Dieu
considéré en son éternité, le terme de « père » en vient par la force des
choses à signifier le père du Logos, c'est-à-dire celui qui, en
Dieu, est père de son propre Logos !
Et aussitôt une difficulté
apparaît, qui est celle-ci. Dans notre expérience, le terme de « fils » désigne
un être, une substance, distincte de son père, qui est un autre être,
une autre substance. Dans notre expérience, un fils est un être qui est pourvu d'une
conscience propre, distincte de celle de son père, d'une autonomie propre,
distincte de celle de son père, d'une liberté propre, d'une volonté propre,
distinctes de celles de son père.
Si on applique, si on
transporte le terme de « fils » tel que notre expérience l'a
instruit, le concept de « fils » tel que notre expérience l'a élaboré et
nourri, en Dieu, sans correction, on obtient le résultat suivant :
En Dieu il existe un être,
qui est le père, avec sa conscience propre, son autonomie propre, sa volonté
propre, sa liberté propre ; - et un autre être qui est son fils, le Logos de Dieu, qui a sa
conscience propre, son autonomie propre, sa volonté propre, sa liberté
propre.
Cette catastrophe a un nom. Elle
s'appelle le dithéisme, c'est-à-dire la théorie selon laquelle
il existe deux dieux. Pour
peu que l'on effectue la même opération avec l'Esprit saint, on obtient trois
dieux, ce qui s'appelle en grec le trithéisme.
Or l'orthodoxie a toujours pensé et
professé - nous y reviendrons - qu'unique est l'opération de
La théologie trinitaire orthodoxe doit
respecter l'absolu monothéisme qui est l'orthodoxie même. Le christianisme orthodoxe est aussi monothéiste que le
judaïsme et que l'islam.
Il est absolument monothéiste, sans aucune compromission avec le polythéisme,
sans aucune altération du plus strict monothéisme.
Remarque importante pour les
discussions avec nos frères monothéistes qui appartiennent au judaïsme et nos
frères monothéistes qui appartiennent à l'islam, et qui nous soupçonnent de ne
plus être monothéistes, à cause précisément de notre théologie trinitaire. Il
faut donc leur montrer que sur ce point ils se trompent.
Revenons maintenant au langage concret
et simple du Nouveau
Testament. Les textes sont nombreux, dans les quatre Évangiles, qui nous font
savoir que Jésus prie. Il prie Dieu, qu'il appelle son père.
Matthieu 14, 23 : Il renvoya les foules, il monta dans la
montagne pour prier seul...
Marc 1, 35 : Il se leva tôt le matin, bien avant le
jour, il sortit, il alla dans un lieu désert et là il priait...
Marc 6, 46 : Il alla dans la montagne pour prier...
Luc 5, 16 : Il se retirait dans
des lieux déserts et il priait…
Luc 6, 12 : Il sortit dans la
montagne pour prier, et il passait la nuit dans la prière à Dieu…
Luc 9, 28 : Il prend Pierre, Jean et Jacques, il monte dans la
montagne pour prier...
Il nous reste les terribles prières de
la nuit au terme de laquelle il fut livré :
Marc 14, 36 : Et il dit : Abba, c'est-à-dire père, tout est possible pour toi. Écarte cette coupe loin
de moi. Mais non pas ce que je veux, mais ce que tu veux.
Textes parallèles : Matthieu 26, 36 sq. ; Luc, 22, 39 sq.
Lettre aux Hébreux 5, 7 : Lui qui dans les jours de sa chair (c'est-à-dire de son existence
empirique) a présenté des prières et des supplications à
celui qui pouvait le sauver
de la mort, avec un grand cri et avec des larmes...
Ces textes sont décisifs pour la christologie,
c'est-à-dire pour la
théorie du Christ, puisqu'ils attestent la pleine humanité du Christ - contre
les hérésies docètes -, la distinction objective entre Jésus de Nazareth, qui
prie, et Dieu, c'est-à-dire, dans le langage concret du Nouveau Testament,
entre le fils et le père, - contre l'hérésie que nous allons retrouver plus
loin, et qui prétend que le fils, c'est le père ; - enfin contre les hérésies que nous avons déjà
rencontrées dans notre chapitre précédent, et qui prétendaient
que, dans l'ensemble relationnel que constitue Jésus le Christ,
à savoir Dieu qui s'unit
l'Homme, ou l'Homme uni à Dieu, il n'y a qu'une seule volonté.
Les textes que nous venons d'indiquer
sont formels : Jésus
distingue sa volonté propre de celle de Dieu son père.
La distinction objective entre Jésus de
Nazareth et Dieu est
enseignée par les textes du Nouveau Testament et par Jésus lui-même, y compris après la
résurrection.
Ainsi Marc 16, 19 : Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, a été élevé au ciel et il s'est
assis à la droite de Dieu.
Le quatrième Évangile marque fortement,
tout comme les évangiles synoptiques, la distinction objective entre Jésus de
Nazareth, le fils, et Dieu, le père.
Jean 5, 19 : Vrai, vrai je vous le dis
: le fils ne peut pas faire quoi que ce soit de lui-même, s'il ne voit pas
le père qui le fait. Ce que celui-ci (à savoir : Dieu, le père) fait, ces
choses-là, semblablement, le fils les fait. Car le père aime le fils et
il lui a montré toutes choses que lui-même (= le père)
fait...
Jean 5, 25 : Comme le père a la vie en
lui, ainsi et de même il a donné au fils d'avoir la vie en lui... Et il lui a
donné le pouvoir de faire le jugement, parce qu'il est le fils de l'homme...
Le quatrième Évangile enseigne
l'immanence réciproque de Jésus de Nazareth et de Dieu, immanence réciproque
qui implique et qui
présuppose la distinction objective entre Jésus de Nazareth, l'Homme uni à Dieu, et Dieu
lui-même. Nous avons déjà rencontré ces textes. Rappelons quelques-uns d'entre
eux :
Jean 10, 38... afin que vous connaissiez
et que vous sachiez qu'il est en moi, le père, et moi (je suis) dans le père.
Jean 14, 10 : Moi (je suis) dans le père
et le père reste en moi...
Jean 14, 20 : Dans cette heure-là, vous
connaîtrez, vous que moi (je suis) dans mon père et vous (vous serez) en moi et
moi en vous...
Ce dernier texte enseigne donc non
seulement l'immanence
réciproque de Dieu et de Jésus, mais l'immanence des chrétiens en Jésus le Christ et
l'immanence de Jésus le Christ dans l'ensemble des chrétiens, qui est l'Église.
Jean 17, 21 : Afin que tous soient un, comme toi,
père, (tu es) en moi et moi (je suis) en toi, afin que eux aussi soient en
nous...
C'est parce qu'il y a immanence
réciproque, et donc distinction
objective préalable (j'insiste lourdement sur ce point, et à dessein...) entre Dieu et l'Homme qui lui
est uni, c'est à cause de cette immanence réciproque que Jésus le Christ,
c'est-à-dire le fils, dans le langage concret du Nouveau Testament, manifeste
Dieu, c'est-à-dire le Père :
Jean 14, 6 : Moi je suis le chemin, et
la vérité, et
Philippe lui dit : -
Seigneur, montre-nous le père, et cela suffit pour nous.
Jésus lui dit : - Depuis
si longtemps je suis avec vous et tu ne m'as pas connu, Philippe ? Celui qui
m'a vu a vu le père...
Et c'est la raison pour laquelle Thomas
peut dire, après la résurrection, en considérant Jésus de Nazareth manifesté
après sa mort, - c'est-à-dire en considérant l'Homme véritable uni à Dieu véritable, celui en
qui se réalise l'immanence
réciproque de Dieu et de l'homme :
Jean 20, 28 : Mon Seigneur et mon
Dieu...
En effet, dans cet être singulier et
concret qui est Jésus de
Nazareth, Dieu est présent. Non seulement présent, mais à cause de l'immanence réciproque, il y a
unité réelle, alors que
les natures, la divine et l'humaine, sont distinctes aux yeux de notre intelligence, comme le disent
les textes des Conciles
que nous avons lus.
Cette manifestation de Dieu, à savoir
le Père, par Jésus, à
savoir le fils, n'est pas enseignée seulement par le quatrième Évangile, mais aussi par les
Synoptiques :
Matthieu 11, 27 : Toutes choses
m'ont été remises par mon père, et personne ne parvient à la connaissance du père, si ce
n'est le fils et celui à qui le fils veut bien le manifester.
Texte parallèle, Luc 10, 21 : Toutes choses
m'ont été remises par mon père, et personne ne connaît qui est le fils si ce
n'est le père ; et qui est le père si ce n'est le fils et celui à qui le fils
veut bien le révéler.
Ainsi donc, nous l'avons vu, c'est Dieu
lui-même qui révèle, et
fait connaître à Keipha
le Rocher, qui
est Jésus de Nazareth, à savoir le fils. Et c'est le fils qui fait connaître
le père, à savoir Dieu.
Voyons maintenant quelques textes
concernant l'Esprit saint, c'est-à-dire l'esprit de Dieu.
Matthieu 10, 16 : Voici que je vous
envoie comme des brebis au milieu des loups. Soyez donc prudents comme des serpents
et simples comme des colombes. Faites attention, tenez-vous en
garde, devant les hommes (le texte grec donne apo, qui marque un
mouvement d'éloignement). Car ils vous livreront aux tribunaux, et dans
leurs assemblées ils vous flagelleront. Et devant les gouverneurs et les
rois vous serez conduits à cause de moi, pour être des témoins pour eux
et pour les païens. Lorsqu'ils vous livreront, ne vous faites pas du souci pour
savoir comment vous parlerez ou ce que vous direz. Car vous sera donné, en
cette heure-là, ce que vous aurez à dire. Car ce ne sera pas vous
qui parlerez, mais l'esprit de votre père qui parle en vous.
Jean 14, 16 : Moi je demanderai au père
et il vous donnera un autre avocat de la défense, grec paraklètos, afin qu'il soit
avec vous pour toujours, l'esprit de vérité...
Jean 14, 26 : L'avocat de la défense, grec paraklètos, l'Esprit saint qu'enverra le père en
mon nom, lui il vous enseignera toutes choses et il vous fera ressouvenir (ou
remémorer) toutes les choses que je vous ai dites...
Jean 15, 26 : Lorsque viendra l'avocat
de la défense, que moi je vous enverrai à vous, venant du père, l'esprit
de vérité qui est issu du père, celui-là il témoignera à mon sujet...
Jean 16, 12 : J'ai encore beaucoup de
choses à vous dire mais vous ne pouvez pas les porter. Lorsqu'il
viendra, celui-ci, l'esprit de vérité, il vous conduira dans toute
Jean 20, 21 : Il leur dit : Schalom ! La paix soit
sur vous
! De même que le père m'a envoyé, ainsi moi aussi je vous envoie. Et disant
cela il souffla sur eux et il leur dit : Recevez l'Esprit saint...
Il ne sert à rien de traduire le grec paraklètos par le français : Paraclet, en mettant une majuscule,
car ce n'est pas traduire du tout. C'est transporter le mot grec en français. Le mot grec paraklètos se trouve dans le quatrième Évangile et dans la première lettre de Jean.
Jean 2, 1 : Si quelqu'un fait
le mal, nous avons un paraklètos, ici : avocat, - devant la face
du père (= Dieu), Jésus Christ (qui est) juste...
Dans la langue des rabbins des premiers
siècles de notre ère, le peraqelith
ou peraqelitah, mot
manifestement formé à partir du grec paraklètos, c'est celui qui parle pour ou en faveur de
l'accusé dans un procès, celui qui parle pour l'homme en présence de Dieu.
Moïse est un bon peraqelith.
C'est le sens
de paraklètos dans le texte
que nous venons de citer de la première lettre de Jean.
La traduction
de paraklètos par «
consolateur » est un contresens.
Le sens premier
paraît donc être : celui qui parle en faveur de ..., le médiateur.
Par les textes que nous venons de lire,
et par bien d'autres, on
constate que
Tableau n° 2
1. Dieu, appelé « père » par Jésus de Nazareth ;
« votre père », quand il s'adresse à nous ; « mon père
» s'il parle de la relation spécifique qui existe entre lui et Dieu.
2. Jésus de Nazareth, le Christ de
Dieu, appelé « fils » :
a)
lui-même s'appelle « fils de l'homme »
b)
Dieu lui-même puis ses disciples l'appellent « fils de Dieu ».
3. L'Esprit saint, qui est l'Esprit de Dieu,
c'est-à-dire Dieu qui est esprit : « Dieu est esprit » (Jean 4, 24).- et
qui se communique à nous, à notre propre esprit. C'est donc à juste titre qu'on l'a appelé par la suite le don de Dieu :
Dieu qui se donne lui-même.
Nous allons voir que saint Paul parle
le même langage, qu'il pense
Mais auparavant, regardons comment Keipha, le
Rocher, pense et exprime
Actes 10, 38 :... Ieschoua, celui qui vient de Nazareth, comment Dieu l'a oint de l'Esprit
saint et de puissance, lui qui est passé faisant du bien et guérissant tous
ceux qui étaient sous la puissance de l'adversaire, parce que Dieu était avec
lui. Et nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans le pays des Judéens et
à Jérusalem. Lui qu'ils
ont fait mourir en le pendant au bois. Celui-là Dieu l'a relevé le troisième jour et lui a donné de
devenir visible
(manifesté), non pas au peuple tout entier mais à des témoins choisis d'avance par Dieu, à nous qui
avons mangé et bu avec lui après qu'il se soit relevé d'entre les morts...
Pendant que Pierre disait encore ces
paroles, l'Esprit saint descendit sur tous ceux qui écoutaient la parole...
Dans ce texte
nous avons
1.
Dieu.
2.
Jésus le Christ.
3. L'Esprit saint dont Jésus a été oint par Dieu
et qui descend sur ceux qui l'écoutent.
Lorsque nous lisons à la fin de
l'Évangile de Matthieu :
Matthieu 28, 19 : Allez et enseignez toutes les nations païennes, baptisez-les dans le nom
du père et du fils et du saint esprit...
cela signifie
très précisément, et conformément au système linguistique et logique des quatre
Évangiles :
au nom de Dieu, qui est le père ; - au
nom de Jésus le Christ, qui est le fils de Dieu ; - au nom de l'Esprit saint, qui est l'Esprit de Dieu, c'est-à-dire
l'Esprit du père, et l'Esprit de Jésus le
Christ, c'est-à-dire l'Esprit du fils, puisque, comme nous le verrons, c'est ainsi que Paul s'exprime.
Voyons maintenant comment Paul entend
« notre père » ou bien : « le père de
notre Seigneur Jésus le Christ ». Il distingue donc, comme Jésus lui-même l'avait fait, la relation de paternité qui va de
Dieu à nous les hommes créés et adoptés, - et la relation de paternité qui va
de Dieu à Jésus ; - ou, ce qui revient au même, la relation de la filiation
qui va de Jésus à Dieu son père, - et la relation de filiation qui va de nous
à Dieu. Nous verrons là différence.
Au début de la lettre qu'il écrivait
aux chrétiens de la communauté de Rome vers 57 ou 58, Paul dit ceci :
Romains 1, 7 : A tous ceux qui sont à Rome, aimés de
Dieu, appelés à être saints ; grâce sur vous et paix de la part de Dieu notre
père et du Seigneur Jésus Christ.
Plus loin, Paul poursuit :
Romains 5, 1 : Étant donc justifiés par la foi nous avons la paix par rapport à Dieu (ou envers Dieu) par
notre Seigneur Jésus Christ.
L'Esprit saint est enseigné :
Romains 5, 5 : L'amour de Dieu est infusé dans nos
coeurs par l'Esprit saint qui nous a été donné.
Romains 5, 15 : ... Combien plus la grâce de Dieu et le don
dans la grâce qui se trouve dans l'homme unique Jésus Christ, a-t-elle
surabondé pour les multitudes...
De nouveau la doctrine de l'Esprit,
Romains 8, 14 : Ceux qui sont conduits (ou menés) par
l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. Car vous n'avez pas reçu un esprit de servitude, de
nouveau, pour la crainte, mais
vous avez reçu un esprit d'adoption filiale, en qui nous nous écrions : Abba, c'est-à-dire père. L'Esprit lui-même atteste avec notre esprit
que nous sommes enfants de
Dieu, cohéritiers du Christ, si toutefois nous souffrons avec le Christ afin
d'être glorifiés avec lui...
Dans ce texte, Paul enseigne que c'est
par l'infusion de l'Esprit saint, c'est-à-dire de l'Esprit de Dieu, que nous
devenons fils de Dieu, en sorte que nous pouvons appeler Dieu comme Jésus le
Christ lui-même le faisait, en nous servant du terme : Abba, qui signifie, nous l'avons vu, père en un sens
familier, puisque c'est le mot qu'utilisaient les enfants dans le pays de Jésus
pour parler à leur propre père.
La différence entre Jésus le Christ et
nous, c'est que chez lui la filiation est contemporaine de sa création. L'union
hypostatique, nous l'avons vu, est effectuée ou réalisée en même temps, à
l'instant même de sa conception, c'est-à-dire de la création de son âme
humaine.
Tandis que nous, nous avons à nous
convertir, à passer du vieil homme à l'homme nouveau ; nous devons naître
nouveau, dans l'Esprit, afin de devenir nouvelle création et homme nouveau.
Dans ce texte, en tout cas, nous
trouvons
1.
Dieu.
2.
L'Esprit de Dieu.
3.
Le Christ.
Paul entend par « père », nous l'avons dit, Dieu lui-même, qui est notre père et le père de notre Seigneur Jésus le Christ. Exemple :
Romains 15, 6 :
... afin que vous
glorifiiez celui qui est Dieu et le père de notre Seigneur Jésus Christ.
La Triade telle que Paul l'entend se
retrouve dans une formule de
Romains 15, 30 : Je vous en supplie, frères, par notre Seigneur Jésus Christ, et par l'amour
de l'Esprit, de combattre avec moi dans les prières qui
s'adressent à Dieu...
Dans cette formule, donc, nous avons,
dans l'ordre indiqué :
1.
Jésus le Christ.
2.
L'Esprit saint.
3.
Dieu.
Au début de la première lettre adressée
par Paul aux chrétiens de
Corinthe, vers 57, il s'exprime ainsi :
1 Corinthiens 1, 1 : Paul, appelé à être envoyé (= apôtre) du Christ Jésus, par la volonté de
Dieu... Grâce sur vous et
paix de la part de Dieu, notre père, et de notre Seigneur Jésus le Christ...
Le terme de «
fils » chez Paul, comme dans les Évangiles, désigne toujours Jésus le Christ,
considéré concrètement :
1 Corinthiens 1, 9 : Il est fidèle, Dieu, par qui vous avez été appelés à la communauté de son fils Jésus
Christ notre Seigneur.
1 Corinthiens 6, 11 : Mais vous avez été justifiés dans le nom de notre Seigneur Jésus Christ
et dans l'esprit de notre Dieu.
Ici, l'ordre indiqué est donc :
1.
Jésus le Christ.
2.
L'Esprit saint.
3.
Dieu.
La distinction objective entre Jésus le
Christ est toujours fortement
marquée, ainsi que l'unité de Dieu appelé « père ». Ainsi ce texte
de Paul :
1 Corinthiens 8, 6 : Mais pour nous, unique est Dieu, le père, de qui sont toutes choses (ou
: de qui proviennent
toutes choses) et nous, nous sommes pour lui, orientés vers lui (en grec : eis auton) ; - et un seul Seigneur Jésus Christ par qui toutes choses et nous (nous sommes)
par lui...
Début de la
seconde lettre adressée par Paul aux chrétiens de Corinthe :
2 Corinthiens 1, 2 : Grâce sur vous et paix de la part de Dieu notre père et de notre
Seigneur Jésus Christ...
2 Corinthiens 1, 3 : Béni soit Dieu (qui est) aussi père de notre Seigueur Jésus Christ, le père des
miséricordes et Dieu de
toute consolation...
Le fils de
Dieu, c'est Jésus considéré concrètement :
2 Corinthiens 1, 19 : Car le fils de Dieu, Jésus Christ...
2 Corinthiens 1, 21 : Et celui qui nous affermit avec vous dans le Christ, et qui nous a oints,
c'est Dieu, qui nous a
aussi scellés et nous a donné les arrhes de l'Esprit dans nos coeurs...
Ici, l'ordre est
1.
Le Christ.
2.
Dieu.
3.
L'Esprit.
2 Corinthiens 11, 31 : Dieu (qui est) aussi père du Seigneur Jésus...
2 Corinthiens 13, 13 : Que la grâce du Seigneur Jésus Christ,
et l'amour de Dieu, et la communauté du Saint Esprit (soit) avec vous tous...
Début de la lettre aux Galates, écrite
aux alentours de 53 ou 54 :
Galates 1, 1 s.
: Paul envoyé, non pas
de la part des hommes ni par l'homme, mais par Jésus Christ et Dieu (le) père qui l'a relevé des morts...
Grâce sur vous et paix de
la part de Dieu notre père et du Seigneur Jésus Christ...
Galates 2, 20 :
Ce n'est plus moi qui
vis, c'est le Christ qui
vit en moi. Pour autant que je vive maintenant dans la chair, je vis dans la foi qui est celle du fils
de Dieu qui m'a aimé et qui s'est livré pour moi...
Là encore, l'expression « fils de Dieu »
désigne bien évidemment
Jésus le Christ considéré concrètement, c'est-à-dire dans l'union de ses deux natures, comme on dira
plus tard.
Galates 4, 4 : Lorsqu'est venue la plénitude du temps,
il a envoyé, Dieu, son fils, né de la femme, né sous la Torah (l'Instruction, la Norme), afin de racheter ceux qui sont sous (le règne de) la Torah, afin que nous recevions l'adoption filiale. Et parce que (maintenant) vous êtes fils, Dieu a envoyé l'esprit de son fils dans
nos coeurs, criant : Abba, c'est-à-dire : père, en sorte que tu n'es plus esclave, mais fils. Mais si tu es
fils, alors tu es héritier
de Dieu...
Voilà encore
1.
Dieu.
2. Son fils né de la femme.
3. L'esprit de son fils, qui
est l'esprit de Dieu, par lequel nous appelons Dieu en nous servant du mot
araméen que Jésus, le fils, a utilisé : Abba.
Début de la lettre aux Éphésiens :
Éphésiens 1, 2 : Grâce sur vous et paix de la part de
Dieu notre père et du
Seigneur Jésus Christ. Béni soit Dieu, le père de notre Seigneur Jésus
Christ...
Éphésiens 1, 17 : ... Afin que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le père de la gloire,
vous donne un esprit de sagesse et de révélation...
Éphésiens 3, 14 : C'est pourquoi je ploie les genoux en présence du père, duquel (à partir
duquel) toute paternité
dans les cieux et sur la terre est nommée, afin qu'il vous donne... d'être fortifiés par son esprit,
dans l'homme intérieur, pour que le Christ habite par la foi dans vos coeurs...
Dieu est appelé « père » parce qu'il est
le créateur de tous les
êtres :
Éphésiens 4, 6 : Unique est Dieu et père de tous les
êtres, qui est sur tous les
êtres, qui (opère) à travers tous les êtres et dans tous les êtres...
La salutation finale :
Éphésiens 6, 23 : Paix aux frères et amour avec la foi de
la part de Dieu père et du Seigneur Jésus Christ...
Épître aux Philippiens 1, 2 : Grâce sur vous et paix de la part de
Dieu notre père et du Seigneur Jésus Christ.
Philippiens 4, 20
: A Dieu (qui est)
aussi notre père, la gloire dans les durées éternelles...
Lettre aux
Colossiens 1, 2 : Grâce sur vous et paix de la part de Dieu notre père.
Nous rendons grâce à Dieu père de notre Seigneur Jésus Christ en tout temps à
votre sujet.
Colossiens 2, 2
: ... Toute la richesse de la plénitude de l'intelligence, pour la
connaissance du mystère (= secret) de Dieu, le Christ, en qui sont cachés tous les
trésors de la sagesse et de la connaissance...
Colossiens 2. 9 : ... Car en
lui habite toute la plénitude de la divinité corporellement.
Première lettre aux Thessaloniciens (écrite autour de 51) 1, 1 : Paul... à l'église des Thessaloniciens
(qui est) en Dieu le père et dans le Seigneur Jésus le Christ : grâce pour vous
et paix...
1 Thessaloniciens
1, 9 : ... Comment vous vous êtes tournés vers Dieu en vous
éloignant des idoles, pour servir le Dieu vivant et véritable, et attendre son
fils (venant) des cieux, qu'il a relevé des morts, Jésus qui nous arrache à la
colère qui vient...
1 Thessaloniciens
3, 11 : Lui-même, Dieu (qui est) aussi notre père, - et notre Seigneur Jésus... Pour
affermir vos coeurs irréprochables en sainteté devant la face de Dieu (qui est)
aussi notre père, dans la manifestation de notre Seigneur Jésus avec tous ses
saints.
1 Thessaloniciens
4, 8 : ... Dieu qui a donné son esprit saint en vous...
Deuxième lettre
aux Thessaloniciens 1, 2 : Paul... à l'église des Thessaloniciens (qui est)
en Dieu notre père et dans le Seigneur Jésus Christ. Grâce à vous et paix de la
part de Dieu le père et du Seigneur Jésus Christ.
2 Thessaloniciens 2, 16 : Lui-même le
Seigneur, notre Seigneur Jésus Christ et Dieu notre père, qui nous a
aimés et qui nous a donné la consolation...
Première lettre à Timothée 2, 5 : Car unique est
Dieu, et unique le médiateur de Dieu et des hommes, l'homme Christ Jésus,
qui s'est donné lui-même...
Lettre à Tite 1, 4 : Grâce et paix de la part de Dieu père
et du Christ Jésus notre sauveur...
Conclusions. Pour Paul, comme pour les
quatre Évangiles, le terme de « père » désigne Dieu lui-même, qui est notre
père, et le père de notre Seigneur Jésus Christ. Le terme de « fils » désigne
Jésus de Nazareth pris concrètement.
Par conséquent,
Dieu = le père.
Jésus le Christ
= le fils.
et l'Esprit
saint, qui est l'Esprit de Dieu, qui est aussi l'Esprit du Seigneur Jésus le
Christ.
Le système
linguistique et donc logique est exactement le même dans tous les autres écrits
du Nouveau Testament.
Tableau récapitulatif
1.
Dieu = le père, notre père, le père de notre
Seigneur Jésus le Christ.
2.
Jésus le Christ, le fils de l'homme, le fils de
Dieu.
3.
L'Esprit saint, l'Esprit de Dieu, Dieu qui est
Esprit, l'Esprit du père, l'Esprit de son fils bien-aimé.
C'est d'une extrême simplicité et il
n'y a pas l'ombre d'une difficulté intellectuelle, logique spéculative,
métaphysique ou théologique. D'ailleurs il n'y a pas trace que, dans les toutes
premières générations
chrétiennes,
Les difficultés
intellectuelles vont venir plus tard, avec le changement de système logique.
Lorsqu'elles descendent d'un navire, après une traversée houleuse, et qu'elles
mettent le pied sur la terre ferme, certaines personnes
ressentent alors un malaise et comme un mal de mer paradoxal qui
provient de ce que la terre n'est pas houleuse. - Il en va de même pour certains
esprits qui, après avoir passé de longues années dans les analyses
transcendantes des grands scolastiques - nous allons voir ce qu'est la théorie des
relations subsistantes -, lorsqu'ils remettent le pied sur le terrain des
Évangiles, ressentent comme un malaise, parce que, pensent-ils, le
langage, le système logique du Nouveau Testament, en ce qui concerne
Mais il semble difficile de dénoncer au Saint-Office l'exposé de
En somme, tout dépend de l'emploi exact et de la signification précise
du terme de « fils ».
Si, comme c'est le cas dans tous les écrits du Nouveau Testament - sans
exception - le terme de « fils » désigne Jésus de Nazareth pris concrètement,
c'est-à-dire l'Homme véritable uni à Dieu véritable, alors, comme c'est le cas
aussi dans tous les écrits du Nouveau Testament, le terme de « père » signifie et
désigne Dieu, purement et simplement. Dieu est le père de tous les êtres, parce
qu'il est le Créateur. Il est le père, en un sens tout particulier, de Jésus le
Christ, parce que Jésus le Christ est l'Homme véritable uni à Dieu
véritable depuis l'instant même de sa conception, c'est-à-dire de sa création. Il
existe donc une relation de filiation qui va de Jésus à Dieu, relation de
filiation qui tient à cette union, que depuis Cyrille d'Alexandrie on
appelle hypostatique. Dieu est notre père si, par sa grâce et par notre
conversion, nous devenons ses fils, par l'inhabitation en nous de l'Esprit
saint.
Dans le
langage ultérieur par contre, le terme de « fils » ne désigne plus directement Jésus de Nazareth pris concrètement, mais le
Logos de Dieu considéré en son éternité, avant l'incarnation, et
indépendamment de l'incarnation. Dans ce cas, le terme de « père » ne peut plus
signifier, comme c'est le cas dans les
écrits du Nouveau Testament, Dieu purement et simplement. Il en vient à
signifier Celui qui, en Dieu, est le père de son propre Logos, qui est son fils !
Le système logique est déplacé ou, comme on dirait dans les disciplines
physiques qui s'occupent des ondes lumineuses, déphasé. Le terme de « fils » a
changé de sens, et donc le terme de « père » aussi. Nous verrons plus loin en
quoi consiste ce troisième système, - puisque le premier, c'était le système de
la Bible hébraïque ; le second, le système du Nouveau Testament.
Ajoutons ici simplement que l'idée de considérer Dieu comme étant le
père de son propre Logos est une idée étrangère à la tradition biblique,
aussi bien hébraïque que néotestamentaire. C'est une idée qui a sans doute son
origine dans des spéculations de type théosophique sur le Logos de Dieu, spéculations comme
on en voit se développer par exemple chez le philosophe judéen
Philon d'Alexandrie, au premier siècle de notre ère.
Dans le langage simple et concret du Nouveau Testament, puisque le terme
de « fils » désigne Jésus le Christ, pris concrètement, il importe, il est
nécessaire, pour comprendre ce que signifie
C'est la raison pour laquelle nous avons étudié qui est le fils avant
d'aborder l'exposé de
Les pères que l'on appelle
apostoliques, parce qu'ils ont vécu aux temps des Apôtres, qu'ils ont connu les
Apôtres ou qu'ils auraient pu connaître l'un d'entre eux, continuent le plus
souvent à parler le langage concret du Nouveau Testament.
Ainsi par exemple le texte intitulé La Doctrine des Douze Apôtres, qui date du premier siècle, et qui est sans doute
contemporaine de la formation des livres du Nouveau Testament, lorsqu'elle relate comment l'on
procède lors du Repas du
Seigneur :
Au sujet de l'eucharistie (c'est-à-dire de
l'action de grâces sur le pain et sur le vin), rendez grâces ainsi. D'abord sur la coupe :
Nous te rendons grâces, notre père, pour ta sainte vigne de David ton
serviteur, que tu nous as fait connaître par Jésus ton serviteur (ou : ton
enfant : en grec païs peut signifier serviteur et enfant)...
Puis, pour le pain rompu : Nous te rendons
grâces, notre père, pour la vie et la science que tu nous as fait connaître par
Jésus ton serviteur (ou : ton enfant)... Après vous être rassasiés, rendez
grâces ainsi : Nous te rendons grâces, père saint, pour ton saint nom que tu as
fait habiter dans nos coeurs, pour la connaissance, la foi et l'immortalité
que tu nous as révélées par Jésus ton serviteur (ou : ton enfant)... (chap. IX
et X).
Ainsi s'exprime encore Clément de Rome,
l'un des tout premiers évêques de l'église de Rome, autour de 92-101, dans sa lettre adressée à l'église de Corinthe (59, 2) :
Que le Créateur de l'Univers conserve intact le
nombre compté de ses élus, par son enfant (ou : serviteur) bien-aimé Jésus
Christ, par qui il nous a appelés des ténèbres à la lumière, de
l'ignorance à la pleine connaissance de la gloire de son nom.
Toi le créateur de tout esprit et qui veilles
sur tout esprit, toi qui multiplies les peuples sur la Terre et qui as choisi au milieu
d'eux ceux qui t'aiment, par Jésus Christ ton enfant (ou : serviteur)
bien-aimé... (59, 3).
Que tous les peuples te connaissent, parce que toi tu es le seul Dieu,
et Jésus est ton serviteur (païs)[54] et
nous, nous sommes ton peuple et les brebis de tes pâturages (59, 4).
Saint Ignace d'Antioche, mort martyr
autour de 110, à Rome,
dans sa lettre adressée à l'église de Smyrne, s'exprime ainsi :
Ignace, appelé aussi Théophore, à l'église de
Dieu père (theou patros) et de notre bien-aimé Jésus Christ... Je glorifie
Jésus Christ Dieu (Ièsoun christon theon) qui vous a rendu si
sages... Notre Seigneur qui est véritablement de la semence de David selon la
chair (Rom. 1, 3), fils de Dieu par la volonté et la puissance de Dieu... (chap. 1)
Lettre aux chrétiens de l'église de Tralles :
Ignace... à l'église sainte aimée de Dieu, le
père de Jésus Christ, église qui se trouve à Tralles en Asie...
Soyez donc sourds, lorsque quelqu'un vous parle
sans vous entretenir de Jésus Christ, lui qui est de la semence de David, lui
qui est né de Maria, lui qui véritablement est né, véritablement il a mangé et
bu ; véritablement il a été crucifié et il est mort... Lui qui véritablement
aussi s'est relevé d'entre les morts : c'est son père qui l'a relevé, son
père qui, d'une manière analogue, nous relèvera aussi, nous qui croyons en lui
- ainsi nous relèvera son père, dans le Christ Jésus, sans qui nous
n'avons pas le vivre véritable...
Si donc, comme certains le disent (...), il n'a
souffert qu'en apparence - c'est eux qui sont une apparence - pourquoi
suis-je enchaîné, et pourquoi est-ce que je désire combattre avec les bêtes
? C'est donc pour rien que je meurs...
On remarquera, dans ce texte, comment l'accent est mis fortement sur
la réalité physique, concrète, de Jésus le Christ, sur son existence humaine,
à l'encontre des tendances qui se développaient alors, et selon lesquelles
l'existence humaine du Christ n'aurait été qu'une apparence (hérésies dites docètes, du grec dokein : sembler, avoir
l'air de...).
On remarque aussi que saint Ignace d'Antioche parle le langage concret
du Nouveau Testament : Dieu est le père de Jésus le Christ, qui est donc son
fils.
Dans sa lettre adressée à l'église de Magnésie, Ignace écrit ceci :
... unique est Dieu, qui s'est
manifesté lui-même par Jésus
Christ, son fils, qui est sa parole (en grec : logos) qui s'avance en sortant du silence...(chap. VIII).
On aperçoit ici le passage ébauché du langage concret, - Jésus de
Nazareth est le fils de Dieu - au langage abstrait, c'est-à-dire celui qui va
considérer la parole de Dieu, le Logos de Dieu avant
l'incarnation.
Jésus de Nazareth, c'est en effet, comme l'écrit le quatrième Évangile, le Logos de Dieu, mais
c'est le Logos de Dieu, c'est-à-dire Dieu lui-même, qui
s'est uni l'Homme. Jésus désigne donc l'ensemble constitué par le Logos +
l'Homme, et non pas le Logos tout seul. Le terme de « fils », dans le
Nouveau Testament, désigne aussi ce même ensemble, et non pas le Logos tout seul.
Petit à petit, et progressivement, des théologiens vont attribuer au Logos tout seul,
considéré à part, ce que le Nouveau Testament disait de l'ensemble, à savoir du Logos de Dieu avec l'homme,
ou, ce qui revient au même, de l'homme uni au Logos de Dieu.
A la fin
de cette même lettre aux chrétiens de l'église de Magnésie, saint Ignace
d'Antioche nous montre comment il comprend
Appliquez-vous donc à
vous tenir fermement ancrés dans les dogmes du Seigneur et des apôtres (envoyés du Seigneur), ... dans le Fils et le Père et dans
l'Esprit, au début comme à la fin,
avec votre vénérable évêque (episcopos
: celui qui est chargé de veiller sur la communauté chrétienne,
c'est-à-dire l'Église). Soyez soumis à votre évêque et les uns aux autres, comme Jésus Christ (a été soumis) au
Père selon la chair, et les apôtres (les envoyés) au Christ et au Père et à
l'Esprit, afin que votre unité soit physique et spirituelle. (chap. XIII).
De 177 environ date un texte qui nous relate le martyre de saint
Polycarpe, brûlé vif sur le bûcher. Avant de mourir, il pria en ces termes :
« Seigneur, Dieu tout-puissant, toi le
père de ton enfant (en grec : pais) bien-aimé
et béni Jésus Christ, par qui nous avons acquis la connaissance de ce qui te concerne, toi le Dieu des messagers (aggelôn) et des
puissances et de toute la
création, et de toute la race des justes qui vivent devant ta face, je te bénis
parce que tu m'as jugé digne
de ce jour et de cette heure, digne de prendre part au nombre des témoins (martyrôn) dans la coupe de ton Christ, pour la résurrection de
Par ce texte, on voit comment saint Polycarpe entend le terme de « père,
celui de « fils » et
Le mot
grec martus, génitif martyros, signifie : témoin. Les martyrs
sont les témoins. Témoins de la foi, comme on dit aujourd'hui ? Non, mais
témoins d'un fait, le fait de la résurrection
du Seigneur. C'est en ce sens que l'utilise le livre des Actes.
Actes 2, 32 : Ce Jésus, Dieu l'a relevé (d'entre les
morts), ce dont nous
sommes tous témoins.
Actes 3, 15 : Vous avez tué le prince de la vie, que
Dieu a relevé d'entre les morts, ce dont
nous sommes témoins.
Actes 1, 21 : Il faut donc que parmi les hommes qui
ont été avec nous en tout
temps où il est entré et où il est sorti avec nous (expression hébraïque fréquente dans la Bible) le Seigneur Jésus, en commençant par le
baptême de Jean jusqu'au
jour où il a été élevé (loin) de nous, un témoin de sa résurrection, - il faut que l'un
de ceux-là soit avec
nous...
Actes 4, 33 : Les envoyés (= apôtres) rendirent témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus...
Témoins aussi de l'existence concrète
du Seigneur :
Actes 10, 39 : Et nous, nous sommes témoins de tout ce qu'il a fait dans la région des
Judéens et à Jérusalem.
Lui qu'ils ont tué en le pendant au bois. Celui-là Dieu l'a relevé le troisième
jour et il lui a donné de devenir manifeste, non pas au peuple tout entier mais
à des témoins qui ont été
préparés par Dieu, à nous qui avons mangé avec lui et bu avec lui après qu'il ait été relevé d'entre les
morts...
Les premiers témoins, ou martyrs, sont morts dans les jardins de Néron ou ailleurs pour
attester un fait qu'ils avaient vu : le Seigneur vivant. Les témoins
ultérieurs, qui n'ont pas vu le Seigneur vivant et manifesté, tenaient la main
de ceux qui l'avaient vu, et c'est parce que les précédents avaient vu le
Seigneur vivant que les seconds, ceux qui venaient après et qui n'ont pas vu,
sont morts eux aussi dans les persécutions pour attester le même fait[55].
Un raisonnement simple permet de conclure que si les premiers
n'avaient pas vu le Seigneur relevé d'entre les morts, ils n'auraient pas
consenti à mourir brûlés comme des torches, ou décapités, ou crucifiés par la
police de Néron.
C'est ce raisonnement simple qu'ont tenu ceux qui sont venus après les
premiers et qui ont connu les premiers ; et ainsi de suite jusqu'à nos jours.
L'expression « témoin de sa foi », ou « témoigner
de sa foi » que l'on utilise si volontiers et si souvent aujourd'hui ne
signifie pas grand-chose. Avoir une conviction ne prouve rien. Il existe
beaucoup de convictions sur la Terre ; les fanatiques du nazisme sont morts,
eux aussi, pour leurs convictions. Mourir pour une conviction ne prouve donc
rien du tout, si ce n'est que l'on est convaincu. Mais cela ne prouve pas la
vérité de ce dont l'on est convaincu. Or la seule chose qui nous
importe, en définitive, c'est de savoir ce qui est vrai, c'est-à-dire,
plus simplement, ce qui est.
Les martyrs chrétiens ne sont pas morts suppliciés pour rendre témoignage
à leurs convictions, mais pour attester un fait réel, objectif. C'est sur
ce fait réel et objectif qu'était fondée leur conviction. On met donc les
choses à l'envers lorsqu'on nous demande de témoigner de notre foi, après nous
avoir ôté les faits objectifs qui nous permettent seuls de fonder notre assentiment.
Les premiers témoins, les témoins oculaires de la vie, de la mort et de la résurrection de
Jésus, n'avaient bien entendu aucun doute
sur la résurrection de Jésus, puisqu'ils avaient vu, de leurs yeux vu,
le Seigneur vivant. Et ils sont morts suppliciés
parce qu'ils l'avaient vu. La seconde génération n'avait aucun doute non plus sur ce point, puisqu'ils connaissaient ceux
qui avaient vu le Seigneur ressuscité. Et ainsi de suite, jusqu'à nous. Si les premiers
n'avaient pas vu le Seigneur ressuscité, il n'y aurait pas eu d'Église. Le
fait de l'Église est donc aujourd'hui la preuve de la résurrection du Seigneur,
puisque l'Église est fondée sur ce fait. Et elle s'en souvient. La foi n'est
pas un assentiment qui comporte un doute. La foi est un assentiment certain de
l'intelligence et qui ne laisse place à aucun doute.
Dans l'une des Apologies de saint Justin 6, la
première, composée entre 150 et 155, nous trouvons mention d'une formule qui
est une formule baptismale, c'est-à-dire une formule utilisée pour baptiser
ceux qui passaient, librement et volontairement, du paganisme au christianisme
:
« Au nom du père de toutes choses et
Seigneur, Dieu, et de notre sauveur Jésus Christ, et de l'Esprit saint... »
C'est
Dans le Dialogue avec Tryphon (VII, 3) qui date des années 155-165, nous
retrouvons la même formule :
Le Créateur de toutes choses, Dieu et
père, et le Christ son fils...
Plus tard, de saint Irénée de Lyon (né
entre 140 et 160, à Smyrne sans doute, prêtre de l'église de Lyon en 177 ou
178, puis évêque de Lyon), il nous reste par exemple la formule suivante,
extraite de la Démonstration
de la prédication apostolique, 3 :
Nous avons reçu le baptême pour la
rémission des péchés au
nom de Dieu père et au nom de Jésus Christ le fils de Dieu incarné et mort et ressuscité, et dans
l'Esprit saint de Dieu.
Les Symboles baptismaux des églises anciennes
Mais plus importants encore et plus
décisifs que ces témoignages des Pères des toutes premières générations, sont
les textes des Symboles baptismaux des églises anciennes, c'est-à-dire les
textes de ces résumés de la doctrine chrétienne que les églises demandaient aux
païens qui se convertissaient au christianisme d'apprendre par coeur, afin de pouvoir les réciter la nuit de leur baptême. Ces textes,
ou plutôt ces formules qui ramassent, récapitulent en quelques mots l'essentiel
et la doctrine chrétienne, le minimum nécessaire et suffisant pour prétendre
professer la doctrine chrétienne, ne devaient pas être mis par écrit,'à cause
des païens et des persécutions. Ils devaient être appris par coeur et transmis
par la voie orale. C'étaient donc des secrets qui se transmettaient lors de l'initiation au christianisme. Et c'est
pourquoi on appelait ce secret de la doctrine chrétienne un sacramentum, puisque, nous l'avons déjà vu, le latin
sacramentum, rendu en français par sacrement traduisait le grec mystèrion qui
traduisait l'araméen razah qui signifie le secret.
C'est pourquoi on disait au païen,
converti au monothéisme
chrétien, qui s'était fait instruire (c'est cela, le catéchisme, l'instruction) et à qui l'on confiait
le secret de la doctrine chrétienne, qui est comme un trésor qu'il ne faut pas
jeter aux chiens ni mettre à la portée des porcs :
Recevez, nos très chers, le secret du
symbole évangélique, evangelici
symboli sacramentum, inspiré
par le Seigneur, institué par les Apôtres, dont les paroles sont brèves, mais
les mystères sont grands...
Le vieux mot grec symbolon signifiait tout d'abord : le signe de
Le symbole chrétien est donc le résumé de la doctrine chrétienne qui
permet à des voyageurs chrétiens de reconnaître qu'ils font partie de la même
église.
Ces Symboles, qui synthétisent et rassemblent en un minimum de mots le
minimum nécessaire et suffisant pour entrer en christianisme, ont été
par la suite conservés par écrit, reconstitués, et nous en avons toute une
collection[56].
De ces symboles nous ne citerons ici
que quelques exemples.
De l'église de Rome, IIIe siècle, questionnaire proposé au candidat au
baptême :
Est-ce que tu crois en Dieu le père
tout-puissant ?
Est-ce que tu crois dans
le Christ Jésus, le fils de Dieu, qui est né du Saint-Esprit, né de
Crois-tu dans le
Saint-Esprit, la Sainte Église et la résurrection de la chair ?
L'expression « résurrection de la chair » signifie : résurrection de
l'homme, en vertu de l'égalité que nous avons déjà relevée à propos de la
crise apollinariste : le Logos est devenu chair = le Logos est devenu
homme, puisque le mot chair, sarx dans le Nouveau Testament
grec, recouvre l'araméen bisra, l'hébreu basar, qui signifie :
l'homme tout entier. Basar = adam.
Les Symboles baptismaux des églises anciennes parlent le langage
biblique. Par conséquent, la résurrection de la chair, ce n'est pas la
résurrection du corps en tant que distinct de l'âme ; c'est la résurrection de
l'homme tout entier ; c'est le fait que l'homme se relèvera après sa mort.
De l'église de Rome, IIIe siècle, texte original grec (Hahn, p. 22) :
Je crois en Dieu le père
tout-puissant et dans le Christ Jésus, son fils, son unique, notre Seigneur,
engendré de l'Esprit saint et de Maria la vierge,
qui sous Ponce Pilate a
été crucifié, a été mis au tombeau, et le troisième jour s'est relevé des
morts, qui est monté aux cieux, et qui est assis à la droite du père, d'où il viendra
juger les vivants et les morts.
Et dans l'Esprit saint, la
Sainte Église, la rémission des péchés, la résurrection de la chair, la vie
éternelle.
De l'Église de Rome, IIIe siècle, texte latin
(Hahn p. 25) :
Je crois en Dieu le père
tout-puissant, et dans le Christ Jésus, son fils unique, notre Seigneur,
qui est né du Saint-Esprit et de Maria
la vierge,
qui sous Ponce Pilate a
été crucifié et mis au tombeau, le troisième jour est ressuscité des morts, est
assis à la droite du père, d'où il viendra juger les vivants et les morts.
Et dans l'Esprit saint,
l'Église catholique (= répandue sur toute la terre habitée), la rémission
des péchés, la résurrection de la chair.
De l'église de Milan, fin du Ive siècle, texte latin (Hahn, p. 36) :
Je crois en Dieu le père tout-puissant.
Et en Jésus Christ son fils unique,
notre Seigneur, qui est né de l'Esprit saint, né de Maria la vierge, Sous Ponce
Pilate il a souffert, il est mort et il a été
mis au tombeau, le troisième jour il
s'est relevé d'entre les morts, il est monté aux cieux, il est assis à la
droite du père, d'où il viendra juger les vivants et les morts.
Et dans l'Esprit saint, la Sainte Église,
la rémission des péchés, la résurrection de la chair.
De l'église de Ravenne, Ve siècle, texte latin (Hahn p.
41) :
Je crois en Dieu le père tout-puissant,
Et dans le Christ Jésus, son fils
unique, notre Seigneur,
qui est né de l'Esprit saint, né de Maria la vierge, qui sous Ponce Pilate a
été crucifié et mis au tombeau, le troisième jour s'est relevé d'entre les
morts, est monté aux cieux, est assis à la droite du père, d'où il viendra
juger les vivants et les morts.
Je crois en l'Esprit saint, la Sainte
Église, la rémission des péchés, la résurrection de la chair.
De l'église d'Aquilée, fin du Ive siècle, texte latin (Hahn, p. 42) :
Je crois en Dieu le père tout-puissant,
invisible et impassible.
Et dans le Christ Jésus, son fils
unique, notre Seigneur,
qui est né de l'Esprit saint, né de Maria la vierge, crucifié sous Ponce Pilate et mis au
tombeau, il est descendu
aux enfers, le troisième jour il s'est relevé des morts, il est monté aux cieux, il est assis à la
droite du père, d'où il viendra
juger les vivants et les morts.
Et dans l'Esprit saint, la Sainte Église,
la rémission des péchés, la résurrection de cette chair-ci.
De l'église de Florence, VIIe siècle,
texte latin (Hahn p. 46) :
Je crois en Dieu le père tout-puissant,
Et en Jésus Christ son fils unique,
notre Seigneur, né de l'Esprit saint et de Maria la vierge ; sous Ponce Pilate
il a été crucifié et mis au tombeau, le troisième jour il s'est relevé d'entre
les morts, il est monté aux cieux, il est assis à la droite du père, et de là
il viendra juger les vivants et les morts.
Et dans l'Esprit saint, dans la Sainte
Église, dans la rémission des péchés, la résurrection de la chair.
Des églises d'Afrique, il nous reste des Symboles, en voici un
transmis par saint Augustin, en latin, au Ve siècle (Hahn, p. 58) :
Nous croyons en Dieu le père
tout-puissant, créateur de l'universalité des êtres, roi des mondes (le latin saeculum, traduit d'ordinaire en français par siècle, même traduction du grec aiôn, qui traduit l'hébreu olam, signifiant : le monde et
Nous croyons aussi en son fils notre
Seigneur Jésus Christ
né de l'Esprit saint, né de
Nous croyons aussi dans l'Esprit saint,
(nous croyons) la
rémission des péchés, la résurrection de la chair, la vie éternelle par la
Sainte Église catholique (= répandue sur toute la terre habitée).
Des églises d'Espagne et de Gaule il nous reste aussi des Symboles
anciens. Voici, d'une église de la Gaule méridionale, un Symbole conservé et transmis par Fauste, évêque de Riez
entre 450 et 480 (Hahn p. 70) :
Je crois en Dieu le père tout-puissant.
Je crois aussi en Jésus Christ, son
fils unique, notre Seigneur,
qui a été conçu de l'Esprit saint, est
né de
Je crois aussi dans l'Esprit saint, la
Sainte Église, la communion
des saints, la rémission des péchés, la résurrection de la chair, la vie éternelle.
Nous pourrions poursuivre la lecture de ces Symboles des églises
anciennes, lire ceux des églises d'Espagne, d'Angleterre, de Germanie. Mais
les quelques exemples proposés suffisent, pensons-nous à démontrer ceci :
Dans les églises anciennes,
1.
Dieu, appelé le père.
2. Jésus le Christ, notre
Seigneur et notre Sauveur, appelé le fils de Dieu.
3. Le Saint-Esprit.
Par conséquent, les églises anciennes parlent le langage concret du
Nouveau Testament. Les Symboles baptismaux des églises anciennes
gardent, conservent, le langage concret et donc le système
logique concret du Nouveau Testament.
Lorsqu'un païen se convertissait et passait du paganisme au
christianisme, lorsqu'il demandait le baptême, il fallait tout d'abord qu'il
passe du polythéisme au monothéisme et qu'il professe la première proposition :
un seul Dieu créateur de l'Univers, de toutes les choses visibles et
invisibles, - puisqu'il y avait des gnostiques qui prétendaient qu'à la
rigueur on pouvait admettre que Dieu était l'auteur des êtres invisibles, mais certainement
pas des réalités visibles.
Mais s'il
se contentait de professer un seul Dieu, créateur de l'Univers, il n'était pas encore entré en christianisme. Pour
entrer dans la doctrine chrétienne, il faut encore professer que Dieu s'est uni
l'Homme dans l'unité d'une personne, qui est
appelée « fils de Dieu » à cause de cette union même. D'où la seconde
proposition, qui enseigne l'incarnation, dont nous avons étudié la
signification.
La troisième proposition signifie que Dieu communique son Esprit
aux prophètes et à la nouvelle humanité qui est en train de se former
dans l'Église, laquelle est habitée, travaillée du dedans par Dieu qui est
l'Esprit, par l'Esprit de Dieu qui est Dieu lui-même se communiquant à nos
esprits ; c'est pourquoi, à juste titre, on a appelé l'Esprit saint « le don de
Dieu », le don que Dieu fait de lui-même.
Si, après sa conversion, un païen ne professe que la première et la
troisième proposition, il peut entrer en judaïsme, s'il accepte les
commandements de la Torah, mais il ne peut pas entrer en christianisme s'il
ne professe pas la seconde proposition. Le judaïsme en effet professe la
première proposition, un seul Dieu créateur de l'Univers, et la troisième proposition :
l'Esprit saint, qui est l'Esprit de Dieu, communiqué par Dieu au prophète.
C'est donc la seconde proposition qui distingue le christianisme du
judaïsme.
Voyons maintenant les Symboles baptismaux des églises
d'Orient.
Voici tout d'abord le Symbole baptismal de l'église de Jérusalem reconstitué à partir des Catéchèses
(c'est-à-dire des cours
d'instruction chrétienne) de saint Cyrille, évêque de Jérusalem, autour des
années 348, texte grec, (Hahn, p. 132).
Nous croyons en un seul Dieu, père
tout-puissant, créateur
du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.
Et en un seul Seigneur Jésus Christ, le
fils de Dieu, l'unique
engendré, qui a été engendré du père, Dieu véritable, avant tous les siècles, par qui toutes
choses ont été faites,
descendu, incarné, in-humanisé,
crucifié, mis au tombeau, ressuscité d'entre les morts, monté aux cieux, assis à la droite du père, et qui viendra
dans la gloire juger les vivants et les morts, lui dont le royaume n'aura pas
de fin.
Et dans un unique Saint-Esprit,
l'avocat, celui qui a parlé dans les prophètes ; et en un seul baptême de
conversion pour la rémission des péchés, et en une unique Sainte Église
universelle, et en la résurrection de la chair, et en la vie éternelle.
D'Asie mineure nous avons deux
formules, une brève et une
longue, transmises par saint Épiphane de Salamine, dans un ouvrage composé en 374. Voici la formule
brève, texte grec (Hahn, p. 134) :
Nous croyons en un seul Dieu, père
tout-puissant, créateur
du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles.
Et en un seul Seigneur Jésus le Christ,
le fils de Dieu, l'unique
engendré, engendré du père avant tous les siècles, c'est-à-dire de la substance du père,
lumière issue de la lumière, Dieu véritable issu de
Dieu véritable, engendré,
non pas créé, consubstantiel au père ; par qui toutes choses sont venues à
l'être, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre,
lui qui pour nous les hommes et pour
notre salut est descendu
des cieux et s'est incarné de l'Esprit saint et de Maria la vierge, et s'est
in-humanisé, a été crucifié, pour nous, sous Ponce Pilate ; qui a souffert, a été
mis au tombeau, est
ressuscité le troisième jour selon les Écritures, est monté aux cieux, est assis à la droite du père, et de nouveau viendra avec gloire juger les
vivants et les morts, lui
dont la royauté n'aura pas de fin.
Et dans l'Esprit saint, le seigneur et
le vivifiant, qui est issu du père, qui avec le père et avec le fils est co-adoré
et co-glorifié, lui qui a parlé par les prophètes ; en une seule sainte,
universelle et apostolique église ; nous reconnaissons un seul baptême pour la rémission des péchés, nous attendons la résurrection des
morts et la vie de la
durée qui vient, amèn.
Ce Symbole transmis par saint Épiphane
dépend pour une grande
part du Symbole de Nicée que nous lirons plus loin.
Mais il reste que dans ces deux
Symboles que nous venons de
lire, nous retrouvons le système linguistique et logique des Symboles des églises latines, c'est-à-dire que
le terme de « père »
désigne Dieu purement et simplement, et que le terme de « fils » désigne directement Jésus le Christ.
1. Dieu, appelé père.
2. Jésus le Christ, appelé
fils de Dieu.
3. L'Esprit saint.
A noter que, dans ce Symbole de
l'église de Jérusalem transmis
par saint Épiphane, l'expression « résurrection de la chair » (= l'homme se
relèvera), lue dans les Symboles précédents, est remplacée par l'expression :
« résurrection des morts », ou « d'entre les morts » = les morts
se relèveront.
Mais voici un Symbole baptismal,
transmis par Eusèbe de Césarée, dans lequel nous assistons au glissement que
nous avons annoncé : le passage d'un système logique, celui du Nouveau
Testament, à un autre système logique. Eusèbe assure qu'il a été baptisé selon
cette formule. Le texte dans lequel Eusèbe nous a conservé ce Symbole baptismal
date de
Nous croyons en un seul Dieu père
tout-puissant, le créateur de tous les êtres visibles et invisibles.
Et en un seul Seigneur Jésus le Christ,
le Logos de Dieu, Dieu issu de Dieu, lumière issue de la
lumière, vie issue de la vie, fils unique engendré,
premier-né de toute la
création, avant tous les temps engendré du père, par qui aussi toutes choses
sont venues à l'être, lui qui pour notre salut s'est incarné et a séjourné
parmi les hommes, il a souffert, il est ressuscité le troisième jour, et il
est monté vers le père, et il reviendra de nouveau en gloire juger les vivants
et les morts.
Nous croyons aussi en un seul Esprit
saint.
On voit le changement de système
logique.
Dans les précédents Symboles, que nous avons lus, la seconde proposition
s'énonçait :
« Et en Jésus le Christ le fils de Dieu... » - langage concret : c'est
Jésus qui est appelé fils de Dieu.
Ici, dans le Symbole remis par Eusèbe de Césarée aux Pères du Concile de
Nicée, nous avons bien la première partie de la seconde proposition :
« Et en un seul Seigneur Jésus Christ... » qui atteste que ce Symbole se
rattache génétiquement aux Symboles que nous avons lus précédemment.
Mais le Symbole présenté par Eusèbe
ajoute :
« ... le Logos de Dieu, Dieu issu de Dieu... fils unique
engendré... »
Et c'est donc le Logos de Dieu, ici, qui est appelé directement fils de Dieu.
Le système logique s'est déplacé. Imaginons un système optique très
sensible et tel qu'un léger déplacement d'une pièce modifie tout le spectacle
; ou un appareil de radio très sensible tel qu'une légère pression sur un bouton
nous fait changer de longueur d'ondes. Ici, avec le Symbole d'Eusèbe de Césarée, nous
avons changé de longueur d'ondes.
Le savant éditeur de ces textes, Hahn, ajoute dans une note que
l'expression « le Logos de Dieu » qui a été intercalée ici ne se trouve
dans aucun autre Symbole baptismal et il se demande si cette addition ne serait
pas l'oeuvre d'Eusèbe lui-même.
Quoi qu'il en soit de ce point d'histoire et de critique, ce qui est sûr
c'est qu'à partir du moment où l'on appelle « fils » le Logos de Dieu, on
change de système logique.
Nous avons déjà indiqué précédemment
les difficultés qui ne
vont pas manquer de se présenter. Dans notre expérience, un fils est un être distinct de son
père, avec sa conscience propre, sa volonté propre, sa liberté propre, son
autonomie propre. Si l'on transporte ce concept de fils avec toutes ces
connotations, en Dieu, on obtient donc :
Il existe en Dieu deux êtres, un père
et un fils, chacun a sa
conscience propre, sa volonté propre, sa liberté propre, etc. C'est la destruction du monothéisme.
Il faudra donc corriger le terme de « fils », le limer
sérieusement, si l'on veut le garder en théologie trinitaire. II faudra lui enlever
tout son contenu expérimental, en ne gardant que l'idée de génération,
la relation de paternité et celle de filiation.
Mais le langage a sa pesanteur propre. Si l'on emploie le terme de «
fils » pour désigner le Logos de Dieu lui-même, avant son incarnation,
indépendamment de l'incarnation, le peuple chrétien sera inévitablement porté, à
cause du sens du mot « fils » dans notre expérience, à se représenter en Dieu un être
autre que son père, avec sa conscience propre, sa volonté propre, son autonomie
propre, sa liberté propre.
A partir du moment où l'on a décidé d'appeler « fils » le Logos même de Dieu
envisagé dans son éternité, avant l'incarnation et indépendamment
de l'incarnation, il est bien évident que le terme de « père » va changer de
sens, lui aussi, par effet rétroactif : puisque le Logos est le fils de
Dieu, c'est que Dieu est le père de son propre Logos. Le terme de «
père » va, à partir de ce moment-là, changer de sens. Dans les écrits du Nouveau
Testament, nous l'avons vu, le terme de « père » désigne Dieu purement et
simplement, Dieu créateur, notre père et le père de notre Seigneur Jésus le
Christ. Maintenant, avec la modification du système linguistique et donc
logique, le terme de « père » désigne celui qui, en Dieu, est père de son propre
Logos,
ou celui qui, dans l'ordre de la divinité, est père de son propre Logos...
Dans le Symbole d'Eusèbe de Césarée, nous lisons :
... le Logos de Dieu, Dieu issu de Dieu, lumière issue de la lumière, vie issue de la
vie, fils unique engendré, premier-né de toute la création...
L'expression française premier-né recouvre et
traduit le grec prôtotokos qui
se trouve dans quelques textes du Nouveau Testament :
Luc 2, 7 : elle enfanta son fils, son premier-né...
Romains 8, 29 : « ... afin que lui (son fils, le fils de Dieu, Jésus le Christ), soit le
premier-né parmi une multitude
de frères...
Colossiens 1, 12 sq : Nous rendons grâce au père..., lui qui nous a arraché de la puissance de la ténèbre et nous a transporté dans le royaume du fils
de son amour, en qui nous avons la rédemption (nous expliquerons ce terme plus loin cf. p. 298), la rémission des péchés,
lui qui est l'image visible du Dieu invisible, le premier-né de toute la
création...
Dans ces
trois textes, le terme grec de prôtotokos
premier-né, désigne Jésus le
Christ considéré concrètement et en son existence historique. C'est Jésus le Christ qui
est l'Ikône visible du Dieu
invisible.
Colossiens 1, 18... lui (= Jésus le Christ) il est la Tête du Corps, c'est-à-dire de l'Église ; lui
qui est le principe (archè),
le premier-né d'entre
les morts, afin qu'en toutes choses il soit le premier.
Le terme grec prôtotokos recouvre et traduit un mot
hébreu, bekôr, qui signifie : celui qui déchire
Psaume 89, 21 sq : J'ai trouvé David mon serviteur et
je l'ai oint de mon huile sainte... Ma fidélité et ma grâce seront avec lui...
Lui il m'invoquera : Tu es mon père, mon Dieu et le rocher de mon salut. -
Aussi ferai-je de lui le premier-né, le plus haut des rois de la Terre, je lui garderai ma grâce à jamais et
mon alliance lui sera
fidèle. J'établirai sa postérité pour toujours et son trône autant que les
jours des cieux...
Quoi qu'il en soit de cette filiation vraisemblable, ce qui est sûr et
certain c'est que le Symbole d'Eusèbe de Césarée a déplacé le sens et la
portée du terme de prôtotokos, premier-né : dans les quelques textes du Nouveau
Testament qui l'utilisent, ce terme, ou cette expression, se rapporte à
Jésus le Christ pris concrètement : Le Symbole d'Eusèbe l'attribue au Logos de Dieu, ce qui
modifie complètement le système logique.
Dans le Symbole d'Eusèbe de Césarée, l'incarnation est certes mentionnée,
mais non pas aussi fermement explicitée que dans les formules que
nous avons lues du pape Damase ou du pape Léon. Il est dit, dans le Symbole
d'Eusèbe, que le Logos de Dieu s'est incarné et qu'il a séjourné parmi
nous. Mais on ne nous explique pas en quoi consiste cette incarnation ; il est
vrai que le rôle d'un Symbole n'est pas d'expliquer, mais de résumer
On comprend que des formules du type que représente le Symbole d'Eusèbe
aient pu permettre ou laisser le champ libre à l'hérésie monophysite.
D'Égypte et datant du milieu du IV° siècle il nous reste un Symbole qui
va tout à fait dans le même sens que celui que nous venons de lire[57].
Texte grec, nous ne lirons que les deux premières lignes :
Je crois en un seul Dieu, père
tout-puissant, et en son Logos consubstantiel, par qui il a créé les durées
cosmiques...
Mais dans ce genre et dans cette direction, le document le plus
remarquable est peut-être le Symbole composé par Grégoire dit le Thaumaturge,
né d'une famille païenne à Néo-Césarée dans le Pont, vers
Unique est Dieu, père du logos vivant, de la sagesse substantielle, et de la puissance, de l'empreinte
éternelle. Parfait
générateur du parfait, père du fils unique engendré. Un seul seigneur, unique issu de l'unique,
Dieu issu de Dieu,
empreinte et image de la divinité, Logos opérant,
sagesse qui embrasse la composition de l'Univers, puissance créatrice de toute
Remarquable dans ce texte le fait que ce qui est directement visé, ce
n'est plus Jésus de Nazareth pris concrètement, mais le Logos éternel de Dieu
: c'est lui qui est appelé fils unique, image du père, et expressément, dès les
premiers mots, Dieu est dit le père de son propre Logos...
Nous allons voir comment les Pères du Concile de Nicée, en 325, ont
transformé le texte que leur avait soumis Eusèbe de Césarée.
Mais,
auparavant, il nous faut examiner deux crises qui ont joué un très grand rôle dans le développement du dogme trinitaire
: d'abord la crise provoquée par l'hérésie de Noêtos, Praxéas et Sabellios ;
puis la crise provoquée par Arius. Ensuite nous regarderons ce que les Pères de
Nicée ont fait du Symbole de l'église d'Eusèbe de Césarée.
L'hérésie de Noêtos, Praxéas et Sabellius
Nous l'avons déjà rencontrée, à propos
de la théorie du Christ, et nous en avons dit un mot.
Entre les années 180 et 200, un certain Noêtos enseignait à Smyrne.
Voici ce qu'il enseignait, d'après les rares documents qui nous restent :
Il disait que le Christ, c'est le père
lui-même, et que le père lui-même est né, a souffert et est mort.
Noêtos enseignait donc ceci :
Dieu = le père = Jésus le Christ = le
fils.
Il y a identité entre Dieu,
c'est-à-dire le père, et Jésus le Christ, c'est-à-dire le fils.
Nous avons vu précédemment, lorsque nous avons exposé et expliqué ce
qu'est la doctrine orthodoxe de l'incarnation, que la formule orthodoxe de
l'incarnation a été fournie par les papes Damase, Léon et bien d'autres. C'est
:
L'Homme véritable uni à Dieu véritable
Le fils, c'est-à-dire Jésus de Nazareth, ce n'est pas Dieu tout seul ;
ni l'homme tout seul ; c'est Dieu qui s'unit l'Homme, ou, ce qui revient
strictement au même, l'Homme uni à Dieu.
L'hérésie
de Noêtos consiste à dire que Jésus, le fils, c'est Dieu, purement et simplement. Autrement dit, Noêtos oublie
l'Homme, uni à Dieu. Autrement dit encore, il abolit la doctrine de l'incarnation, qui est la théorie de
l'union de l'Homme à Dieu. L'hérésie de Noêtos est donc tout d'abord et
essentiellement une hérésie christologique, une hérésie de type monophysite,
puisqu'elle ne reconnaît dans Jésus le Christ,
le fils, qu'une seule nature, celle de Dieu. Le Christ, dans le système
de Noêtos, c'est Dieu et seulement Dieu.
Dans ses
discussions avec les Anciens de l'église de Smyrne, nous apprenons que Noêtos
disait :
Qu'est-ce que je fais de mal ? Je
glorifie un seul Dieu, le Christ, et je n'en connais pas d'autre que lui, qui
est né, qui a souffert, qui est mort !
Les Anciens
répondaient à Noêtos :
Nous aussi nous glorifions un seul
Dieu, mais comme nous savons, et nous tenons le Christ,
mais comme nous savons,
fils de Dieu ; c'est lui qui a souffert, comme il a souffert ; qui est mort,
comme il est mort ; qui est ressuscité le troisième jour ; qui est monté aux
cieux ; qui est assis à la
droite du père ; qui viendra juger les vivants et les morts[59].
Les Anciens
répondent donc très bien à Noêtos, et ils récitent le Symbole de leur église :
1.
Un seul Dieu.
2.
Un seul Christ, qui est le fils de Dieu. C'est le fils de Dieu qui a souffert, qui est mort, qui est
ressuscité le troisième jour, qui est à la droite du père, c'est-à-dire de Dieu.
Ce n'est pas Dieu, en tant que tel, qui
est né, qui a souffert, qui a été crucifié, qui est mort : c'est l'Homme véritable uni à Dieu. Car Dieu est absolument
transcendant et absolument
impassible.
La distinction
objective entre le père et le fils, c'est celle-ci :
le père = Dieu.
le fils = Dieu
qui s'unit l'Homme, ou l'Homme uni à Dieu.
Noêtos a oublié l'Homme dans son
système. Il en résulte forcément que, dans son système, c'est Dieu lui-même qui
est né, qui a été crucifié, qui a souffert et qui est mort.
Autrement dit, pour avoir oublié
l'Homme uni à Dieu dans
l'incarnation, la théorie de Noêtos est une théorie gnostique de l'incarnation,
qui revient à prêter à Dieu une aventure tragique et douloureuse : c'est Dieu
lui-même qui est aliéné, exilé dans l'histoire et qui pâtit.
C'est déjà,
très en avance, la théorie hégélienne de l'incarnation.
L'argumentation
de Noêtos et de ses disciples, on la trouve toujours dans le même
document :
Puisque je professe que le Christ,
c'est Dieu, il est par conséquent le père, puisque le père, c'est Dieu. Dieu
est unique. Or le Christ a souffert, lui qui est Dieu lui-même. Par conséquent
le père a souffert, puisque le Christ, c'est le père.
Mis en forme,
le raisonnement de Noêtos et de ses disciples est donc le suivant :
1.
Dieu est unique,
2.
Or Jésus le Christ, c'est Dieu lui-même,
3.
Jésus de Nazareth, le Christ, est né, a été
crucifié, a souffert, est mort.
4.
Donc Dieu est né, a été crucifié, a souffert,
est mort.
Ou encore :
1.
Dieu est unique, c'est le père.
2.
Jésus le fils, c'est Dieu lui-même, sans plus.
3.
Par conséquent, le fils = le père.
4.
Jésus de Nazareth est né, a été crucifié, a souffert,
est mort.
5.
Donc le père est né, a été crucifié, a souffert,
est mort.
La première proposition, Dieu est
unique, est exacte.
La seconde proposition :
Jésus le Christ = Dieu
ou
le fils = le père
n'est pas exacte, puisque Jésus le Christ, le fils, c'est Dieu uni à
l'Homme ou l'Homme uni à Dieu, mais non Dieu tout seul ou Dieu seulement.
L'erreur du raisonnement tient à cette erreur qui se trouve dans la
seconde proposition. La conclusion est fausse parce que la seconde proposition
est fausse.
Les Anciens répondent fort bien à Noêtos. « Mais en réalité il n'en
est pas ainsi. Car ce n'est pas de cette manière que les Écritures présentent
les choses... »
En effet, les quatre Évangiles nous enseignent que Jésus est pleinement
homme, verus homo, perfectus homo. C'est cela qu'a oublié
Noêtos. Et c'est en quoi son hérésie est une hérésie docète et gnostique.
Les Anciens ont très bien vu que l'erreur de Noêtos est exactement
symétrique et inverse de celle d'un certain Théodote qui disait que le Christ
est un homme seulement. Noêtos considère que le Christ c'est Dieu seulement. La
vérité c'est que le Christ, c'est l'Homme avec Dieu, ou Dieu avec l'Homme,
l'union de Dieu incréé et de l'Homme créé, ou l'union de l'Homme créé à Dieu
incréé.
Les Anciens rappellent la doctrine de l'incarnation c'est-à-dire de
l'humanisation : le père, c'est-à-dire Dieu, était dans le fils ; le fils dans
le père ; et c'est ainsi que le Christ, c'est-à-dire le fils, a
séjourné parmi les hommes. Ce n'est pas Dieu tout seul.
Noêtos argumentait en se servant du texte que nous connaissons, Jean 10,
30 : « Moi et le père nous sommes un ». Noêtos voulait ainsi établir l'unité,
ou mieux l'identité ontologique entre Dieu et Jésus le Christ. - Les Anciens
répondent fort bien à Noêtos : Remarque bien qu'il n'a pas dit : « Moi et le
père je suis un », mais : « nous sommes un ». - Ce qui était en effet marquer
fortement la distinction en même temps que l'union. - Le pluriel « nous sommes
», ajoutent les Anciens, ne se dit pas d'un seul, mais se dit de deux. Et les
Anciens ajoutent : « Il a ainsi montré, ou manifesté, deux prosôpa, mais une seule
puissance. »
En grec, au temps où se situe cette
discussion, prosôpon signifie le visage, la figure, d'où :
le personnage.
A Noêtos, les Anciens opposent leur
propre doctrine :
1.
Le père, Dieu tout-puissant.
2.
Le Christ Jésus, le fils de Dieu, Dieu devenu homme, à qui le père a
tout soumis sauf lui-même.
3.
Et l'Esprit saint.
Cela fait trois, ajoutent les Anciens.
Contre Noêtos, ils affirment en choeur
;
Dieu est unique, en qui il faut croire,
mais sans génération, non
susceptible de souffrir, immortel, faisant toutes choses, tout ce qu'il veut, comme il le veut,
lorsqu'il le veut...
Ce que les Anciens défendent contre Noêtos, c'est donc la transcendance,
l'impassibilité de Dieu et sa liberté, contre une théorie de l'incarnation
qui revient, comme nous l'avons vu, à prêter à Dieu une venture tragique, à la
manière des gnostiques, et, très à l'avance, à la manière de Hégel.
Dans un autre document, attribué par certains historiens au même
Hippolyte, par d'autres historiens à un inconnu, nous trouvons une
description de l'hérésie de Noêtos qui complète la précédente (à
moins qu'elle ne la précède...). Les disciples de Noêtos disent que c'est un
seul et même Dieu qui est le créateur de l'Univers et qu'il lui a plu, bien
qu'étant invisible, de se manifester. Quand il ne se laisse pas voir, il est
invisible, et visible quand il se laisse voir. Noêtos enseigne l'identité du
père et du fils. Avant d'être né, le père portait à bon droit le nom de père ;
mais quand il lui plut de se soumettre à la génération, il devint, par cette
génération même, son propre fils. Le père et le fils sont, sous deux noms différents, un
seul et même être. Il est appelé successivement père et fils. C'est lui
qui a souffert, qui a été cloué sur la croix, qui s'est rendu à
lui-même son propre esprit qui est mort, qui s'est ressuscité le troisième jour[60].
D'après ce document on voit de nouveau que l'hérésie de Noêtos est
bien une hérésie christologique qui consiste à avoir nié que Dieu se soit
réellement uni l'Homme. Il en résulte que Jésus le Christ, c'est Dieu tout
seul, et en conséquence, d'après cette hérésie, il faut dire que la divinité
elle-même est née, a souffert, a été crucifiée. L'incarnation n'est plus l'union de Dieu et de
l'Homme, mais une aventure de Dieu. C'est simplement la
manifestation de Dieu, du Dieu invisible, parmi nous : d'après Noêtos, on
appelle fils Dieu devenu visible.
Tertullien (né à Carthage vers 155 ou 160) nous décrit dans un de ses ouvrages
l'hérésie d'un certain Praxéas qui disait : le père lui-même est
descendu dans une vierge, c'est lui-même qui est né de la vierge,
c'est lui qui a souffert : c'est lui qui est Jésus le Christ.
Enfin nous savons par d'autres historiens anciens, par exemple par
Ephiphane évêque de Salamine, qu'un certain Sabellios, prononciation
latine Sabellius, et ses disciples enseignaient que le père est
le même que le fils.
C'est donc, semble-t-il, à peu près la
même doctrine.
En 259 ou
Ensuite, je dois m'adresser à ceux qui
divisent, qui séparent et qui détruisent le dogme vénérable de l'église de
Dieu, l'unité de principe, en trois puissances et substances séparées, en
trois divinités. Car j'ai appris qu'il existe parmi vous certains qui enseignent la
doctrine chrétienne, qui
professent la divine parole et qui introduisent cette opinion. Ils s'opposent
diamétralement, pour ainsi dire, à la doctrine de Sabellios. Celui-ci blasphémait en disant que le fils est le même
que le père, et réciproquement.
Mais eux, ils annoncent d'une certaine manière trois dieux ; ils séparent, ils
divisent
Par conséquent, à Alexandrie, au IIIe siècle, certains enseignaient une théorie de
C'est ce qu'on appelle le trithéisme.
Jusqu'aujourd'hui, c'est une tendance et même une tentation très
forte chez les chrétiens, des églises grecques et des églises latines, de
verser dans cette conception de
La crise arienne et le concile de Nicée
Arios ou Arius, prêtre d'Alexandrie, au début du Ive siècle, enseigne que le Logos de Dieu, c'est-à-dire, nous le savons, la parole de Dieu, est un être transcendant,
éminent, mais créé. Il n'a pas toujours existé : il fut un temps où il n'existait
pas.
Nous n'avons pas à rechercher ici les origines de cette spéculation. Il
nous suffit de noter qu'objectivement, et d'un point de vue strictement
philologique, la doctrine d'Arius ne correspond pas à l'enseignement de l'Écriture
sainte. Dans la Bible hébraïque, la parole de Dieu n'est pas un être créé.
C'est Dieu lui-même qui s'exprime, qui se manifeste, qui se communique, qui
communique sa science dans l'oeuvre de la création et dans l'oeuvre de la
révélation[61].
En
Les historiens nous disent que la formule du Symbole de Nicée a été
élaborée à partir du Symbole présenté par Eusèbe de Césarée. Cette dernière
formule semble être elle-même une modification du Symbole baptismal de l'église
de Césarée.
Pour voir comment les Pères de Nicée
ont transformé, adapté,
modifié, complété, la formule de l'église de Césarée, voici les deux formules en présence l'une de
l'autre :
Symbole de l'église de Césarée, 111e
siècle, (Hahn p. 131) Enchiridion
Symbolorum ed. cit. p. 30 :
Nous croyons en
un seul Dieu le père tout-puissant, le créateur de toutes les choses visibles
et invisibles.
Et en un seul
seigneur Jésus Christ,
Le Logos de Dieu, Dieu
issu de Dieu, lumière issue de la lumière, vie issue de la vie, fils unique
engendré, premier-né de toute la création, avant tous les temps engendré du
père, et par qui toutes choses sont venues à l'être,
lui qui à cause de notre
salut s'est incarné et a séjourné parmi les hommes, qui a souffert, qui est
ressuscité le troisième jour, qui est remonté vers le père, et qui viendra de
nouveau en gloire juger les vivants et les morts.
Nous croyons
aussi en un seul Esprit saint.
Symbole de Nicée, 19 juin 325 :
Nous croyons en un seul Dieu, le père
tout-puissant, le créateur
de toutes les choses visibles et invisibles,
et en un seul seigneur Jésus Christ, le
fils de Dieu, engendré du père, unique engendré, c'est-à-dire de la substance du père, Dieu (issu) de Dieu,
lumière (issue) de la
lumière, Dieu véritable (issu) de Dieu véritable, engendré non pas créé, consubstantiel au père, par
qui toutes choses sont venues à l'être,
celles qui sont dans le
ciel et celles qui sont sur la terre,
lui qui pour nous les hommes et pour
notre salut est descendu, s'est incarné, s'est
in-humanisé, a souffert, est
ressuscité le troisième
jour, est monté aux cieux, il viendra juger les vivants et les morts,
et dans le Saint-Esprit.
Quant à ceux qui disent : « il fut un temps où il n'existait pas », ou bien : « avant d'être engendré il
n'existait pas », ou bien encore
qu'il est venu à l'être à partir du néant ou bien
qu'à partir d'une autre substance (en grec : hypostasis) ou substance
(en grec : ousia) il existe, ou bien qu'il est créé, ou susceptible de varier ou de devenir autre, le
fils de Dieu, - ceux-là, elle les considère hors de son corps, l'Église
catholique.
Les Pères du concile de Nicée ont repris un fond commun à toutes les
formules que nous avons lues jusqu'à présent, tant en Occident qu'en Orient :
1.
Dieu le père créateur.
2.
Jésus Christ le fils de Dieu.
3.
Le Saint-Esprit.
Ils ont
supprimé la formule d'Eusèbe :
« le Logos de
Dieu... »
et l'ont
remplacée par
« le fils de
Dieu... »
qui s'applique
de nouveau directement à Jésus le Christ. En cela, les Pères de Nicée
reviennent donc à la manière de parler et de penser des églises d'Occident. Ils
reviennent à la manière concrète de parler, celle du. Nouveau
Testament : c'est Jésus le Christ qui est le fils de Dieu.
La formule
d'Eusèbe :
« ... fils unique engendré
(qui s'appliquait dans sa formule directement au Logos de Dieu),
premier-né de toute la création, avant tous les siècles engendré du père... »
est remplacée par :
« engendré du père, unique engendré...
»
qui s'applique
et se rapporte directement à Jésus le Christ, le fils de Dieu, considéré
concrètement.
De plus, les
Pères de Nicée ont ajouté plusieurs expressions dirigées directement
contre Arius et ses disciples :
« c'est-à-dire de la substance du
père... »
« engendré et non pas créé... »
« consubstantiel au père... »
Après : « il s'est incarné... », les Pères de Nicée ont ajouté un terme, une
expression, qui accentue, confirme et précise : « in-humanisé », c'est-à-dire :
il est devenu homme. Ce que la formule d'Eusèbe pourrait avoir d'un peu
insuffisant se trouve donc fortifié.
Enfin ils ont ajouté les anathématismes dirigées contre les thèses
d'Arius.
Le terme hébreu herem (prononcer le h initial à la
manière du ch dur allemand) désigne une chose ou un être qui est consacré et désormais
intouchable. L'expression est utilisée dans la Bible hébraïque
dans les textes où il est question des guerres d'extermination. Le mot herem se lit aussi
dans les textes où il est dit que, par exemple, celui qui offre des sacrifices aux
divinités païennes sera herem, c'est-à-dire exterminé, exclu de la
communauté du peuple hébreu (Exode 22, 19). Ce mot hébreu a été
traduit en grec par anathèma ; les Latins ont gardé le
même terme, anathema, et les Français ont transmis en façonnant le
décalque anathème. C'est ce terme qu'utilisent les conciles
depuis les origines pour signifier que telle ou telle doctrine est
exclue et que ceux qui la soutiennent sont eux-mêmes exclus du corps
de la pensée de l'Eglise, puisque l'Église a une pensée, qui a une certaine
structure, une certaine consistance, et qu'on ne peut pas dire n'importe quoi
et être en accord avec elle...
Cette particularité se retrouve aussi dans d'autres disciplines, par
exemple la physique, la biologie et quelques autres sciences.
Dans la traduction des anathématismes, c'est-à-dire des formules
d'exclusion, j'ai laissé deux fois de suite le mot substance, précisément
parce que les Pères de Nicée, dans ce texte, considèrent comme
synonymes les deux mots grecs : hypostasis et ousia.
En grec, en grec philosophique tout
particulièrement, le mot ousia
peut désigner deux
choses distinctes. Il peut signifier la substance singulière concrète, par exemple tel homme particulier, tel lion, telle tulipe ;
- ou bien l'essence universelle, par exemple l'essence du lion, ou de l'homme,
ou du papillon, c'est-à-dire l'ensemble des déterminations objectives, extraites de l'expérience, qui
permettent de distinguer un
lion d'un tigre, un homme d'un gorille ; - l'ensemble des caractères
anatomiques, physiologiques, biochimiques, neurophysiologiques, psychiques et
autres qui permettent de déterminer l'espèce du lion, du tigre, de l'homme ou
du canard.
Les Pères de Nicée entendent ici le mot grec ousia au premier
sens : il s'agit de la substance individuelle singulière et concrète. Et
donc, lorsqu'ils disent que notre Seigneur Jésus Christ, le fils de Dieu,
est issu de la substance du père et qu'il est consubstantiel (homoousion) au père, cela
ne signifie pas seulement qu'il soit de la même essence ou nature que
le père, comme tous les petits canards d'une même espèce sont de la même espèce. -
Car, pris en ce sens, toutes les divinités de l'Olympe sont de même nature,
puisqu'elles sont toutes de la nature de la divinité. - Non, les Pères de Nicée
veulent définir précisément contre Arius que Jésus le Christ est issu de la
substance singulière de Dieu et qu'il est de la même substance que
Dieu.
Ici il faut se souvenir de la formule du concile oecuménique de
Chalcédoine (cf. p. 151). Que disait le concile de Chalcédoine ?
... Un unique et le même fils le
Seigneur Jésus Christ,
intégral, le même, en divinité, et intégral le même, en humanité : Dieu véritablement, et homme
véritablement, le même,
(constitué) d'une âme intelligente et d'un corps ; consubstantiel au père (c'est-à-dire à
Dieu) quant à la divinité, et consubstantiel à
nous, lui, le même, quant
à l'humanité...
Les Pères
de Chalcédoine, en 451, ont donc ajouté quelque chose à la définition des Pères
de Nicée, en 325. Car la définition des
Pères de Nicée dit bien, contre Arius, que Jésus le Christ est
consubstantiel à Dieu ; mais ils ne disaient pas qu'il est aussi, lui, le même,
consubstantiel aux hommes. Et donc la définition était incomplète. Elle
permettait, ou du moins elle laissait la
place aux hérésies qui sont de fait survenues : celle d'Apollinaire de
Laodicée et celle d'Eutychès, qui méconnaissaient
l'un et l'autre, de manières diverses, la pleine et intégrale humanité
du sauveur.
Nous avons sous les yeux un exemple de
développement dogmatique.
Les Pères de Chalcédoine complètent ce qui manquait à la formule de Nicée. Et, comme le
remarquait le cardinal John Henri Newman, c'est un signe d'hérésie que de ne
pas vouloir suivre un développement. Nombre d'évêques, lors du concile de
Chalcédoine, ont protesté contre les définitions du nouveau concile et ont
affirmé qu'ils s'en tiendraient aux définitions du vénérable concile de Nicée.
C'est là un phénomène qui s'est produit constamment dans l'histoire de
l'Église, depuis les origines jusqu'aujourd'hui.
Les Pères de Nicée, fascinés par le
problème soulevé par Arius, qui prétendait que le Logos de Dieu est un être transcendant mais créé, veulent répondre à cette
doctrine et s'y opposer. Ils intercalent donc des formules dirigées contre les
doctrines d'Arius dans un texte qui, à l'origine, ne se posait pas cette question, et traitait de
Jésus le Christ pris concrètement. Les Pères de Nicée disent donc de Jésus de Nazareth, le fils de Dieu, ce qui est vrai du Logos de Dieu, à savoir qu'il est de la substance singulière de Dieu, qu'il est consubstantiel à
Dieu. Mais ils ne disent pas, ce que le concile de Chalcédoine va souligner
fortement, que Jésus le fils de Dieu est aussi pleinement le fils de l'homme. Les Pères de Nicée ne le disent pas,
parce qu'ils ne se posent pas cette question à ce moment-là, tout préoccupés qu'ils sont par la
guerre contre l'arianisme. Lorsque la question se
posera, bientôt, avec Apollinaire,
l'Église va formuler sa pensée sur ce point et équilibrer les formules de
Nicée.
Le développement dogmatique est donc un
progrès dans la pensée de
l'Église. Refuser de suivre ce développement dogmatique c'est refuser de suivre ce progrès. Ce refus même est une hérésie, puisqu'il est une
méconnaissance de la réalité vivante de l'Église qui est un Organisme spirituel
en régime de croissance et de développement[62].
Après le concile de Nicée, la crise
arienne n'est pas terminée,
loin de là. Des secousses redoutables vont secouer l'Église pendant longtemps encore à cause de l'arianisme ;
Athanase (né vers 295 à
Alexandrie) fut l'un des héros de cette guerre de la pensée[63].
A partir de ce moment-là, chez les
Pères, les docteurs, les évêques des églises de langue grecque, le système
logique a été changé ; le registre n'est plus le même.
Dans les écrits du Nouveau Testament,
et dans les Symboles des
églises de langue latine, nous l'avons vu,
Tableau n° 2
1.
Dieu, appelé père et créateur de toutes choses, notre
père et le père de notre Seigneur Jésus le Christ.
2.
Jésus le Christ, le fils de Dieu.
3.
L'Esprit saint.
Maintenant,
avec les Pères de langue grecque, le système logique de
Tableau n° 3
1.
Dieu, créateur de toutes choses visibles et
invisibles.
2.
Le Logos de Dieu,
éternel, appelé « fils » de Dieu.
3.
L'Esprit saint.
Ce nouveau système logique va prévaloir chez les plus grands théologiens
grecs et latins. Nous allons le retrouver chez les théologiens de
langue latine, chez saint Augustin, saint Thomas d'Aquin, le
bienheureux Jean Duns Scot.
Mais, comme nous le verrons aussi, dans les Symboles solennels des
Conciles, l'Église va garder volontiers le langage et le système logique
concret du Nouveau Testament et des anciens Symboles. Il va donc exister une
certaine disparité, un léger hiatus, entre la pensée spéculative des plus grands théologiens,
et les Symboles des grands Conciles.
La transformation du système logique est bien antérieure à Athanase
puisque nous l'avons déjà observée dans le Symbole de Grégoire dit le
Thaumaturge, disciple d'Origène. Il semble qu'Origène d'Alexandrie (né vers 185)
soit l'une des sources de cette transformation. Mais il n'est pas la source première. Il
faut remonter plus haut et rechercher les spéculations métaphysiques sur
le Logos de Dieu appelé « fils » de Dieu par des
métaphysiciens, par exemple Numénius d'Apamée (IIe
siècle).
Nous avons déjà indiqué les inconvénients de ce nouveau langage, qui
n'est pas celui du Nouveau Testament. Il y a inconvénient à appeler « fils » le
Logos
de
Dieu considéré en son éternité et indépendamment de l'incarnation, parce qu'une pente
fatale et irrésistible va conduire les esprits à penser que le Logos de Dieu est un
autre être que Dieu, ce qui est précisément la pente qui conduit tout droit aux
spéculations d'Arius d'Alexandrie. Il va donc falloir corriger constamment le
concept de « fils » et lui ôter tout ce qu'il doit à notre expérience, en ne
gardant qu'une relation de filiation.
Mais le
problème de la théologie trinitaire va se compliquer encore plus, par le fait que les docteurs de langue grecque vont
appeler hypostasis chacun des
termes de
J'adresse des reproches à ceux qui
divisent, et qui coupent
et qui détruisent la proclamation vénérable de l'Église de Dieu, à savoir la
doctrine de l'unique Principe ontologique, grec, tèn monarchian, - en trois puissances et en trois hypostases séparées et en trois divinités...
L'Église de Rome, pour sa part, depuis les origines, a toujours été
monothéiste, strictement monothéiste, absolument monothéiste, exactement comme
le judaïsme et comme l'islam, ni plus ni moins.
On trouve même une attestation de cette constance dans l'affirmation
du monothéisme le plus strict, dans le livre dont nous avons parlé,
l'Elenchos contre toutes les écoles de pensée, publié sous le nom d'Hippolyte
de Rome. L'auteur quel qu'il soit de ce savant ouvrage professe que le Logos de Dieu est le
fils éternel de Dieu. Il professe donc, comme Origène d'Alexandrie et comme
Tertullien de Carthage, le troisième système logique. Or que nous dit-il ? Il
nous dit que le pape de Rome, Calliste, pape entre 217 ou 218 et 222 ou 223, -
lui a adressé le reproche suivant :
- Vous êtes dithéistes ! - Elenchos, IX, 11.
Ce qui était fort bien vu.
Et donc, depuis les origines, les papes
de Rome ont toujours tenu
fermement la barre dans le sens orthodoxe du plus strict monothéisme. On ne peut pas en dire autant
de tous les patriarches d'Orient.
Chez certains théologiens de langue grecque, Dieu,
Chez les plus grands parmi les théologiens de langue grecque, on assiste
alors à un effort considérable pour surmonter cette difficulté théorique, -
les plus grands, c'est-à-dire Athanase d'Alexandrie, Basile de Césarée (né
vers 330 à Césarée de Cappadoce), son frère Grégoire de Nysse (né vers 335), Grégoire de
Nazianze (né vers 330), Cyrille d'Alexandrie (né peut-être autour de 380) et
quelques autres. Ils sont monothéistes, certes, mais à quel prix ! Il faut
expliquer comment il peut y avoir en Dieu trois hypostases sans que pour
autant on puisse dire qu'il y a trois êtres, c'est-à-dire trois dieux. Par
exemple, Basile de Césarée écrit une lettre à son frère Grégoire de Nysse, en
369 ou 370 (à moins que ce ne soit l'inverse : Grégoire écrit à Basile, mais
peu nous importe ici), lettre dans laquelle l'un des deux frères explique à
l'autre que c'est très simple. Le terme d'ousia désigne ce qui
est commun, par exemple ce qui est commun à l'espèce humaine. Le terme d'hypostasis désigne ce qui
est propre, ce qui est particulier à chacun d'entre nous, en somme l'individu
singulier, par exemple Pierre, Paul ou Jacques. Ainsi Dieu est une seule ousia, une seule
essence, et il y a en lui trois hypostases[64].
C'est en
effet très simple ; malheureusement pour cette explication ce n'est pas
possible du point théologique, parce qu'il
n'y a pas en Dieu trois individus, et la substance de Dieu n'est pas une
essence universelle comportant trois individus singuliers. L'ousia de
Dieu est une substance singulière, individuelle, absolument simple.
Voici d'ailleurs ce qu'en dit le premier Concile du Vatican, en 1870 :
« Dieu est une substance spirituelle,
singulière, absolument simple et immuable »
una singularis, simplex omnino et incommutabilis substantia spiritualis
(Constitution dogmatique « Dei filius » de fide catholica, chap. I, DeDeo,
Enchriridion Symbolorum, éd. cit, n° 3001).
La solution de la difficulté va apparaître avec Grégoire de Nazianze qui
explique dans l'un de ses cours de théologie donnés à Constantinople entre
379 et 381 que 1'hypostasis ne désigne pas la substance mais une certaine relation. En Dieu la
substance est unique, mais il existe des relations qui sont la paternité, la
filiation...[65].
C'est cette solution qui a été reprise par les Latins, en particulier
par saint Augustin et à sa suite par les grands docteurs scolastiques.
Les Latins avaient eu de grosses difficultés avec la théologie
trinitaire des Grecs, puisque les Grecs disaient : trois hypostases et une ousia. Cela donnait en
traduction latine : tres substantiae, trois substances, et una
substantia, et une substance. Il nous reste une lettre de saint Jérôme (né autour de 347) au pape
Damase dans laquelle Jérôme explique au pape Damase qu'il n'y comprend plus
rien[66].
D'ailleurs, le passage du latin au grec, c'est-à-dire la traduction du
langage des théologiens latins dans la langue grecque, ne donnait pas des
résultats meilleurs. Les Latins désignaient les trois de
Actes 20, 25 : « Et maintenant, voici, je sais que vous ne reverrez
plus jamais mon visage, prosôpon... »
Par conséquent les Grecs pensaient que leurs frères latins pensaient que
Dieu avait trois visages ! Et ils ajoutaient : Ces pauvres Latins, la
rusticité et la pauvreté de leur langue ne leur permet pas de penser la Sainte
Triade...[67]
Avant de passer aux docteurs latins, lisons le Symbole du Concile
oecuménique de Constantinople, 381. Il a été formé à partir du Symbole de
l'église de Jérusalem tel que nous le connaissons par Cyrille de Jérusalem et Épiphane
de Salamine (cf. textes cités plus haut, p. 231 et p. 232). Il reprend le langage
concret du Nouveau Testament et des anciens Symboles :
Nous croyons en un seul Dieu, le père
tout-puissant créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles
et invisibles.
et en un seul seigneur Jésus Christ,
le fils de Dieu, l'unique
engendré, engendré du père avant tous les temps, lumière (issue) de la lumière, Dieu véritable
(issu) de Dieu véritable,
engendré, mais non pas créé : consubstantiel au père : par qui tout est venu à
l'être ;
lui qui à cause de nous les hommes, et
pour notre salut, est descendu des cieux, s'est incarné
de l'Esprit saint et de
Maria la vierge, il s'est in-humanisé, il a été crucifié pour nous sous Ponce
Piliate, il a souffert, il a été mis au tombeau, il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures,
il est assis à la droite du père, et de nouveau il reviendra avec gloire juger les
vivants et les morts ; son règne n'aura pas de fin ;
et en l'Esprit saint, le Seigneur, qui
vivifie, qui est issu du
père, lui qui avec le père et le fils est co-adoré et co-glorifié, lui qui a
parlé par les prophètes. En une seule sainte universelle et apostolique église. Nous professons un seul baptême pour la rémission des
péchés. Nous attendons la résurrection des morts et la vie du monde (ou : de la
durée) à venir. Amèn
Dans ce Symbole du concile de Constantinople, de nouveau le terme de «
père » désigne Dieu purement et simplement, Dieu le créateur ; le terme de «
fils » désigne Jésus le Christ, le fils de Dieu. Par conséquent nous voilà
revenus au langage concret du Nouveau Testament et
1.
Dieu.
2.
Jésus le Christ.
3.
L'Esprit saint.
Entre le concile de Nicée, 325, et le concile de Constantinople, 381, des théologiens
s'étaient avisés de nier la divinité de l'Esprit saint.
Il suffit de lire attentivement l'Écriture sainte pour constater que l'Esprit saint, c'est l'Esprit
de Dieu, c'est-à-dire Dieu lui-même qui est Esprit et qui consent à se communiquer
à notre propre esprit. Ce n'est pas un autre dieu que Dieu l'unique, et c'est
encore moins un être créé. C'est contre ces théologiens qui niaient la divinité
du Saint-Esprit que les Pères du concile de Constantinople définissent que
l'Esprit saint est Seigneur, vivifiant, qu'il est issu du père, c'est-à-dire de Dieu, puisqu'il est
l'Esprit de Dieu, et que c'est cet Esprit de Dieu qui a parlé par les anciens prophètes hébreux, comme
nous l'avons vu.
1. Dieu
appelé aussi le père, le créateur de tous les êtres visibles et invisibles.
2. Jésus le Christ, le fils de Dieu, c'est-à-dire
Dieu qui s'est uni l'Homme, ou, ce qui revient exactement au même, l'Homme
véritable uni à Dieu véritable.
3. L'Esprit
de Dieu, c'est-à-dire l'Esprit du père, qui est aussi l'Esprit de Jésus, l'Esprit du Christ, puisque Jésus le Christ,
c'est Dieu, c'est-à-dire le père, qui s'unit l'homme.
Bien évidemment, il n'y a pas trois dieux, mais un seul Dieu, un seul
principe, une seule substance spirituelle singulière.
Saint Augustin, né en 354 à Tagaste,
aujourd'hui Souk Ahras en
Algérie, est baptisé en 387 après avoir passé neuf ans dans une secte manichéenne. En 391 il est ordonné prêtre à Hippone. En 396 il devient l'évêque
d'Hippone. Il meurt en
430. En 399, il commence la composition de son grand traité consacré à la Trinité, et l'achève en 419 :
vingt ans de travail, sans compter les années de
réflexion qui précèdent.
La solution à laquelle aboutit saint Augustin est celle de Grégoire de
Nazianze. Ce qu'on appelle en latin persona ne désigne pas la
substance, mais une relation. Le problème posé par la théologie
trinitaire telle que les docteurs grecs l'avaient léguée aux docteurs
latins, c'était de concilier la théorie des trois hypostases avec le monothéisme,
qui est l'orthodoxie même. Grégoire de Nazianze avait dégagé l'idée (si
toutefois c'est lui qui en est l'inventeur) que les hypostases désignent des relations.
Saint Augustin transpose cette analyse dans le langage des Latins. Les
Grecs disaient : trois hypostases et une ousia. Les Latins
disent : trois personae et une essentia ou substantia.
Pour désigner les trois de
Mais en français, aujourd'hui, une personne, c'est un être, une substance
singulière concrète, pourvue de conscience, de raison, de volonté, de
liberté, d'autonomie. On distingue la personne de l'individu. On convient de
dire que l'amibe est un individu biologique mais on lui dénie le titre de
personne parce qu'on suppose, ce qui est assez vraisemblable, que l'amibe n'a
pas de raison ni de liberté.
Si donc on transpose en théologie
trinitaire le terme français de personne, alors on obtient ceci :
En Dieu, il y a trois êtres, trois
substances, pourvus de conscience,
de volonté, de liberté, d'autonomie, c'est-à-dire trois dieux en un.
C'est la destruction du monothéisme.
Chez saint Augustin, le mot latin persona n'avait pas le sens fort qu'il a aujourd'hui. Pour
s'en assurer, il suffit de lire
attentivement son grand traité sur
Lorsqu'on se demande, - lorsqu'on nous
demande : trois quoi ? - le langage humain souffre d'une grande indigence.
Alors on dit : trois personnes, tres personae. Ce
n'est pas tellement pour dire cela, mais pour ne pas rester sans rien dire, non ut illud diceretur, sed ne
taceretur
Et ailleurs (De Trinitate, VI, 11) :
Mais pourquoi donc n'appellons-nous
pas ces trois - le père, le fils, l'Esprit saint - une seule personne, unam personam, comme nous disons une seule essence, unam essentiam, et un seul Dieu, et unum Deum ? Mais nous disons trois personnes, tres personas, étant donné que nous ne disons pas
trois dieux ou trois essences. Pourquoi, sinon parce que nous voulons trouver
un mot qui désigne chacun des termes de
Donc, lorsque nous enseignons à notre
tour le catéchisme aux
petits enfants, faisons très attention à ne pas appuyer lourdement sur le mot français personne pour exposer la théologie trinitaire ;
souvenons-nous de la modestie avec laquelle saint Augustin se sert du mot latin
persona. Il s'en sert faute de mieux, parce qu'il n'a
pas trouvé autre chose pour nommer, pour désigner les trois termes de
Saint Augustin savait que l'Église a condamné et rejeté la doctrine de Sabellius,
qui est, sans doute, celle de Praxéas et de Noêtos.
Mais, semble-t-il, il ne savait plus très exactement pourquoi ; ou,
mieux, en quoi consistait exactement cette hérésie.
L'hérésie de Noêtos, nous l'avons vu, c'est de dire que Jésus le Christ, c'est
Dieu, purement et simplement, et sans plus. Noêtos oubliait l'Homme dans
l'incarnation.
Noêtos disait donc que le fils, c'est-à-dire Jésus le Christ, c'est le père,
c'est-à-dire Dieu, puisque Noêtos parlait encore le langage du Nouveau
Testament : pour lui, le terme de père désigne Dieu, et le terme de fils désigne Jésus.
Il posait donc l'égalité.
le fils = le père
dans son propre système de référence.
Plus tard, nous l'avons vu, le terme de fils en vient à désigner le Logos lui-même, avant
l'incarnation, indépendamment de l'incarnation. Dans ce nouveau système de
référence, l'hérésie de Noêtos, Praxéas et Sabellios devient :
Le Logos = Dieu
Les Pères
qui pensaient l'hérésie de Noêtos, de Praxéas et de Sabellios à l'intérieur de
ce second système de référence, réfractée, si j'ose dire, dans ce nouveau
système optique, ne pensaient plus en réalité l'hérésie de Noêtos telle que
Noêtos l'avait lui-même pensée. Il aurait été sans doute très étonné si on lui
avait dit ce que sa doctrine allait signifier plus tard.
Quoi qu'il en soit de ce point, ce qui est sûr c'est que pour les Pères
des IVe et Ve siècles, l'hérésie de Noêtos,
de Praxéas et de Sabellios, c'est bien :
Le Logos = Dieu
Ils sont donc obligés de se battre sur
deux fronts.
1.
Contre Arius qui disait que le Logos de Dieu est créé et qu'il n'est pas de la substance singulière de Dieu.
2.
Contre Noêtos, Praxéas et Sabellios qui enseignaient, croyaient-ils, que
le Logos = Dieu, c'est-à-dire, dans leur propre
langage à eux : le fils = le père.
D'où les difficultés de la théologie trinitaire à partir de ce moment et
par la suite.
Il nous semble - mais peut-être est-ce une erreur - que
jusqu'aujourd'hui quelques théologiens n'ont pas une idée très claire de ce
qu'a été l'hérésie de Noêtos, et qu'ils la comprennent, cette hérésie,
transposée, réfractée, dans un système de référence qui n'était pas le sien, mais celui
des Pères grecs ultérieurs.
C'est peut-être la raison pour laquelle ils soupçonnent d'hérésie
sabellienne des théologiens tout à fait orthodoxes qui professent ce que
professe l'orthodoxie, à savoir que le Logos de Dieu, c'est
Dieu lui-même, et non pas un autre dieu que Dieu.
Bien entendu, on peut parfaitement accorder qu'il existe une certaine
différence objective entre le Logos de Dieu et Dieu, mais il
n'en reste pas moins que la Parole de Dieu, c'est Dieu lui-même, de même
que l'Esprit de Dieu, c'est Dieu lui-même et non pas un autre.
Saint Augustin a donc adopté le système
trinitaire des Pères
grecs. Pour saint Augustin,
1. Dieu.
2. La
Parole de Dieu, ce que les Grecs appelaient le Logos et qu'Augustin va
appeler verbum, qui est la traduction du grec logos. - Ce Logos
est envisagé dans son éternité, avant l'incarnation,
indépendamment de l'incarnation. Il est appelé « fils » de Dieu.
3. L'Esprit saint.
Les Grecs appelaient les trois de
Dans la grande lettre du pape Léon à
Flavien, lettre datée du 13 juin 449, le pape Léon disait à propos du Christ :
Elle est sauve la propriété de l'une et
l'autre nature (c'est-à-dire
de la nature divine et de la nature humaine) et elles convergent en une seule personne, salva igitur proprietate utriusque naturae et
in unam coeunte personam...
Le terme de persona, dans ce texte du pape
Léon, désigne la personne singulière et concrète de Jésus le Christ, pleinement Dieu,
pleinement homme, sans confusion des natures, le Tout relationnel, ou
l'Ensemble relationnel, dans lequel, ou à l'intérieur duquel, l'intelligence
distingue Dieu qui s'unit l'Homme, et l'Homme uni à Dieu.
Par conséquent, le terme de persona, en
christologie, n'a pas le même sens qu'en théologie trinitaire.
En christologie il signifie, il désigne
une personne concrète, une
substance singulière, la personne du Christ.
En théologie trinitaire, il signifie
une relation.
Le fait est là. Il est regrettable, mais c'est un fait. Raison de
plus pour être extrêmement modeste dans l'emploi du mot personne en théologie trinitaire.
Il s'explique, ce fait, parce que le
développement du dogme christologique et le
développement du dogme trinitaire ont constitué deux séries, ou deux
développements, en relation bien entendu l'un avec l'autre, mais cependant
relativement indépendants. Chaque développement s'est forgé son vocabulaire
propre. Les deux systèmes linguistiques ne sont pas parfaitement appariés. Le
pape Léon parle le langage concret : la personne, c'est ce que je désigne du
doigt. Augustin, dans son grand traité de
la Trinité, est conduit, contraint même, à faire
signifier au terme de persona l'idée de relation, afin de ne pas avoir
trois dieux, lorsqu'il dit tres personae.
Nous sommes donc en présence de deux
systèmes linguistiques distincts et on ne peut pas
passer de l'un à l'autre sans risque de catastrophe.
Ajoutons que dans cette personne singulière et concrète dont parle le
pape Léon à propos du Christ, il faut distinguer et reconnaître deux
natures, chacune avec ses opérations propres, et, nous diront les grands conciles de
681, deux libertés, deux volontés.
Par conséquent, même en christologie, le terme de personne,
appliqué à Jésus le Christ considéré concrètement, ne correspond pas
exactement au mot personne tel que nous l'utilisons dans
notre expérience courante.
Pierre Lombard ou le Lombard, né, comme son nom l'indique, en Lombardie
à la fin du XIe siècle ou au début du XIIe, arrive en
France vers 1136. Il est élu évêque de Paris en 1159. Il achève en 1152 un
traité de théologie, qui connaîtra une fortune extraordinaire, puisqu'il va
servir de traité ou de manuel pendant plusieurs siècles, jusqu'au XVI° et même le début du XVIIe. Il sera
commenté par tous les professeurs de théologie ou presque.
Pierre Lombard, dans ce traité, que l'on appelle les Sentences de Pierre Lombard, récapitule
tout l'effort théologique des siècles
passés, en particulier il suit saint Augustin. Mais il a aussi connaissance de la traduction latine de
l'oeuvre de Jean Damascène ou Jean de
Damas, né à Damas vers 674 et qui
a composé lui-même une somme de philosophie et de théologie qui
récapitule tout l'effort des Pères de langue grecque. Cet ouvrage s'appelle La Source de Vie. Il comporte d'abord une préparation philosophique, une brève histoire
des hérésies, et puis une « Exposition exacte de la foi orthodoxe. »
Dans cet ouvrage, Jean de Damas reprend la doctrine trinitaire des
Pères grecs, telle que nous l'avons indiquée. Il utilise même, il recopie, un
auteur inconnu qui a écrit, quelques années auparavant, un traité de
Lorsque l'oeuvre capitale de Jean de Damas est traduite du grec en
latin, au milieu du XIIe siècle, c'est la théologie grecque qui pénètre
de nouveau la théologie latine. Pierre Lombard est le premier à profiter de
cette nouvelle source théologique toute fraîche.
Pierre Lombard entend par Trinité ce
que les Pères grecs et, à
leur suite, saint Augustin entendent par là, c'est-à-dire :
1. Dieu.
2. La Parole éternelle et incréée
de Dieu, considérée avant l'incarnation et indépendamment de l'incarnation.
3. L'Esprit de Dieu.
C'est une théologie trinitaire sans
Christ, sans homme, puisque
le Christ, c'est l'Homme qui reçoit l'onction.
Remarquons en passant que ce système logique, cette manière de
comprendre
1.
Dieu.
2.
La Parole de Dieu.
3.
L'Esprit de Dieu.
La Bible hébraïque connaît ces trois
termes, nous l'avons vu. La théologie trinitaire des Pères grecs, qui consiste
à considérer le Logos éternel et incréé de Dieu avant son
incarnation, indépendamment de l'incarnation, revient donc en fait au point de
vue de la Bible hébraïque, qui ne connaît pas encore le fait de l'incarnation.
Par conséquent, le système logique, le système de la théologie
trinitaire conçu et élaboré par les Pères grecs, transmis par eux aux grands
docteurs latins, n'est pas spécifiquement chrétien. Il est chrétien en tant
qu'il est monothéiste et pour autant qu'il le reste, ce qui n'est pas toujours
le cas. Mais il n'est pas spécifiquement chrétien puisqu'un théologien judéen,
qui reçoit la Bible hébraïque, mais qui ne reçoit pas le fait de l'incarnation,
peut fort bien l'admettre, pour peu qu'il ait le goût des spéculations
métaphysiques et un sens de l'abstraction suffisant pour comprendre la théorie
des hypostases qui sont des relations. Il n'y a pas d'inconvénient
majeur, il n'y a pas d'impossibilité théologique, pour un théologien judéen
orthodoxe, à admettre cette théorie trinitaire-là, celle des Pères grecs
transmise à saint Augustin puis, par Pierre Lombard, aux grands docteurs du
Moyen Age.
Tandis qu'un théologien judéen
orthodoxe ne peut absolument pas admettre
1.
Dieu, le père.
2.
Jésus le Christ, le fils de Dieu.
3. L'Esprit saint,
c'est-à-dire l'Esprit de Dieu qui est aussi l'Esprit du Christ.
Il ne le peut pas, parce que cette théologie trinitaire-là, celle de saint Paul,
fait intervenir, comme second terme, Jésus de Nazareth le Christ, le fils de
Dieu, en qui habite corporellement la plénitude de la divinité.
C'est cette théologie trinitaire-là qui est spécifiquement
chrétienne.
Lorsque Pierre Lombard compose son
grand traité de théologie, à l'usage des écoles, il
traite, dans le premier livre, de
1.
Dieu.
2.
La Parole éternelle de Dieu, envisagée avant l'incarnation et même avant
la création.
3.
L'Esprit de Dieu.
Ensuite, dans son second livre, il traite de
La théologie trinitaire précède la théorie de l'incarnation. Tandis que dans
le langage concret qui est celui du Nouveau Testament et en
particulier de saint Paul, c'est Jésus le Christ pris concrètement qui est
le second terme de
Par conséquent, de ce point de vue, avant d'exposer la théologie
trinitaire, il faut exposer
Le Livre des
Sentences de Pierre Lombard va être commenté pendant plusieurs siècles, nous
l'avons vu, par tous les grands scolastiques et aussi par les petits. Et c'est
la raison pour laquelle dans l'exposition de la théologie, ils suivent l'ordre
proposé par Pierre Lombard :
1.
La Trinité.
2.
La création.
3.
La christologie.
C'est le cas, par exemple, de saint
Thomas d'Aquin.
Nous allons nous arrêter à examiner comment saint Thomas entend
Mais auparavant, nous allons lire
quelques lignes des deux lettres
que le pape Alexandre III consacre le 28 mai 1170 et 18 février 1177 à la
christologie de Pierre Lombard, archevêque de Paris, le maître en théologie de
tous les grands scolastiques.
Voici ce qu'écrit le pape le 28 mai
1170 :
Lorsque tu étais en ma présence, je
t'ai ordonné de vive voix, pour que tu fasses ce qui est nécessaire pour
abroger la doctrine perverse de Pierre, qui a été évêque de Paris, abrogationem pravae doctrinae Petri quondam Parisiensis
episcopi, - doctrine
selon laquelle le Christ, pour autant qu'il est Homme, ou un Homme, n'est pas quelque chose, quod Christus secundum quod est homo, non est
aliquid.
Et le pape rappelle la doctrine
constante des papes de Rome:
de même qu'il est Dieu intégral, perfectus Deus, de même aussi il est Homme intégral, perfectus
homo.
C'est la doctrine des papes Damase,
Léon, etc.
Dans une seconde lettre datée du 18
février 1177, le pape Alexandre III revient à la charge, sur ce même point,
contre Pierre Lombard :
Étant donné que le Christ, c'est Dieu
intégral et l'Homme intégral, il est étonnant que quelqu'un ait osé dire, avec témérité, que le Christ
n'est pas quelque chose,
pour autant qu'il est Homme, quod Christus non sit
aliquid secundum quod homo.
Et le pape commande : Nous ordonnons
que tu interdises à qui que ce soit d'avoir l'audace de dire que le Christ n'est pas quelque chose, aliquid, pour autant qu'il est un Homme...
Car de même qu'il est Dieu véritable, verus Deus, de
même il est Homme véritable, ita verus est homo...
Nous n'avons pas à examiner ici la question de savoir si ces deux
lettres du pape Alexandre III dirigées contre la doctrine de Pierre Lombard,
évêque de Paris, sont sévères, trop sévères, ou non, par rapport au texte de
l'ouvrage de Pierre Lombard.
Ce qui est intéressant dans ces deux lettres, c'est que nous y discernons
clairement la continuité de la christologie des papes de Rome, et la souveraine
indépendance de la pensée de l'Église de Rome, par rapport à ses plus grands ou
célèbres docteurs.
Saint Thomas d'Aquin est né sans doute en 1225 à Rocca-Secca. En 1244
Thomas entre dans l'ordre des Dominicains. En 1245 il est l'étudiant
d'Albert le Grand, au couvent dominicain de Saint-Jacques. Puis il suit son maître
à Cologne et revient en 1252 à Paris. Entre 1254 et 1256 il commente le traité des Sentences de Pierre
Lombard. C'est sa première grande oeuvre théologique. Entre 1267 et 1273 il
compose la Somme
théologique. C'est cet ouvrage que nous allons examiner.
Le plan de la Somme
théologique suit, dans ses très grandes lignes, le plan du traité de Pierre
Lombard.
Première partie : L'objet et le but de
Ensuite, à partir de la question 44, la
théorie de la création.
La seconde
partie de la Somme théologique est consacrée à tous les problèmes d'éthique, au bonheur, aux vertus, aux dons du Saint-Esprit, au péché, à la foi,
l'espérance et la charité, etc.
Ce n'est
que dans la troisième partie de la Somme théologique que maître Thomas
aborde l'étude de la christologie.
La théologie trinitaire est donc étudiée avant la christologie, puisque
pour saint Thomas comme pour saint Augustin la théologie trinitaire
c'est :
1.
Dieu.
2.
La Parole de Dieu considérée en son éternité avant l'incarnation et
indépendamment de l'incarnation.
3.
L'Esprit de Dieu.
A la question 28 de la première partie de la Somme théologique, article 1,
saint Thomas établit qu'il existe en Dieu des relations réelles, qui ne sont
donc pas des relations de pure raison. Ainsi, dit-il, la paternité et la
filiation sont des relations réelles.
A l'article 2 de la, même question, saint Thomas montre que la relation
qui existe réellement en Dieu est la même chose que son essence, si l'on
se place au point de vue de
A
l'article 3 de la même question 28, saint Thomas explique que les relations
qui sont en Dieu se distinguent réellement les unes des autres. En Dieu, la
relation est réelle, la relation opposée
aussi. Par conséquent, en Dieu il existe une distinction réelle, non pas certes selon ou du point de vue de la Trinité absolue, qui est l'essence elle-même,
essence dans laquelle règne la plus grande unité et simplicité, - mais
du point de vue de la réalité relative :
Unde oportet quod in Deo sit
realis distinctio, non quidem secundum rem absolutam, quae est essentia, in qua
est summa unitas et simplicitas : sed secundum
rem relativam.
Plus loin, dans la réponse à la première objection, maître Thomas y
revient : Quoique la paternité soit, du point de vue de la réalité, la même
chose que l'essence, et de même la filiation, cependant ces deux
(relations) en leurs propres notions impliquent une opposition l'une par rapport à
l'autre. Et c'est donc ainsi qu'elles se distinguent l'une de l'autre.
A la question 29, article 4, maître Thomas explique que
le terme de persona que l'on utilise en théologie trinitaire, à cause du
défi constitué par les hérétiques, a été accommodé, accomodatum
est, par les Conciles, pour désigner des relations, ut possit poni
pro relativis.
Le terme de personne, note-t-il justement, dans la langue commune,
signifie une substance individuelle de nature rationnelle. La personne
désigne ce par quoi un être est distinct d'un autre. Mais dans la
réalité divine, la distinction n'existe que par les relations d'origine. Cette
relation, dans la divinité, est l'essence divine elle-même. Elle n'est pas un
accident. La divinité, c'est Dieu même. Ainsi, la paternité divine, c'est Dieu le Père qui
est une personne divine. Par conséquent la personne divine signifie une
relation en tant que celle-ci est subsistante : Persona igitur divina
significat relationem ut subsistentem.
Deux paragraphes plus loin, Thomas d'Aquin revient sur ce qu'il disait
: cette signification du mot personne n'était pas connue avant les
controverses avec les hérétiques. Mais par la suite ce nom de personne a été
accommodé pour dire une relation, sed postmodum accomodatum est hoc nomen persona
ad standum pro relativo.
A la question 30, article 1, saint Thomas ajoute : Dieu est absolument un
et simple. Par conséquent, toute pluralité est exclue de son essence,
mais non pas une pluralité de relations, parce que les relations
n'introduisent pas de composition en celui de qui elles sont dites (ad tertium).
Le problème qui s'imposait à saint Thomas d'Aquin comme il s'imposait à saint Grégoire de
Nazianze et à saint Augustin, est le suivant :
Dieu est une substance spirituelle unique, absolument simple et il n'y a en Dieu aucune
composition : manifestum est quod Deus
nullo modo compositus est, sed est omnino simplex (Somme théologique, I,
q.
Comment comprendre, dans ces conditions, qu'il y ait en Dieu trois hypostases pour parler
comme les Grecs, ou trois personae pour parler comme les
Latins ?
La seule solution c'est admettre que les hypostases ou les personnes
sont
de pures relations qui n'altèrent en rien l'absolue unité et simplicité
de Dieu.
Après saint Thomas d'Aquin, l'analyse de ce problème métaphysique
transcendant, s'il en est, s'est poursuivi avec le bienheureux Jean Duns Scot,
en particulier.
Le problème métaphysique qui s'impose à Jean Duns Scot comme à ses
confrères qui l'ont précédé, c'est le suivant :
Comment comprendre l'existence en Dieu de relations subsistantes
distinctes les unes des autres, mais qui n'introduisent cependant aucune
composition en Dieu, qui est une unique substance singulière, absolument simple
et non modifiable, una singularis, simplex omnino et incommutabilis substantia
spiritualis, comme l'a défini le premier Concile du Vatican le 24 avril 1870. Parce que,
comme l'écrivait saint Thomas, Somme théologique, I, question 28, article 2 : La relation qui
existe réellement en Dieu, elle est identique à l'essence [de Dieu] en réalité.
Elle ne diffère de l'essence [de Dieu] que du point de vue de l'intelligence qui
raisonne, pour autant que, dans la relation, est impliqué ou inclus un rapport à la
relation opposée... Il apparaît donc évident et certain que, en Dieu, l'acte
d'être de la relation, esse relationis, n'est pas autre chose
que l'acte d'être de l'essence, esse essentiae, mais une unique et même
chose.
Frère Thomas avait expliqué auparavant que l'essence de Dieu, c'est
l'acte même d'exister ou d'être, actus essendi, et qu'il n'y a donc aucune
distinction entre l'essence de Dieu, ce qu'il est, - et l'acte d'être qu'il
est. Car lui seul peut dire de lui-même, Exode 3, 14 : Je suis celui
qui suis... Ainsi tu parleras aux fils d'Israël : JE SUIS m'envoie vers vous...
Et donc les relations en Dieu sont réellement identiques à l'esse de Dieu. Elles n'introduisent en Dieu aucune composition, puisque Dieu
est absolument un, absolument simple.
Si l'on veut exposer la théorie scolastique de
Si l'on trouve qu'il est trop difficile d'expliquer aux enfants la
théorie scolastique des relations, on peut se souvenir qu'il existe une théorie
de
1. Dieu, c'est Dieu, le
père, le créateur de tous les êtres, le père de notre Seigneur Jésus le Christ,
notre père.
2.
Jésus le Christ, c'est le fils de Dieu, c'est-à-dire,
selon la forte expression de Léon le grand, l'Homme véritable uni à Dieu
véritable, ou, ce qui revient strictement au même, Dieu qui s'unit l'Homme.
3.
Le Saint-Esprit, c'est l'Esprit de Dieu,
c'est-à-dire Dieu lui-même qui est Esprit et qui se communique, par grâce, à
notre esprit créé.
Cela ne fait pas trois dieux. Il n'y a
qu'un seul Dieu.
Les églises grecques, une grande partie des églises d'Orient, sont
séparées de l'église de Rome depuis des siècles. Laissons ici de côté
les problèmes politiques, les questions d'hommes.
Il reste
un problème dogmatique, qui porte justement sur le Saint-Esprit.
Faut-il dire que l'Esprit saint est du
père et du fils ? Ou bien seulement : du père ?
Toute la question est de savoir comment
l'on va entendre le terme de « fils » et par conséquent, par action
rétroactive, le terme de « père ».
Si, comme le pensent les Pères grecs depuis Origène d'Alexandrie au
moins, le terme de « fils » désigne directement le Logos éternel et
incréé de Dieu, avant son incarnation et indépendamment de l'incarnation, et
si l'on suppose de plus que le « fils » ainsi compris est un Individu divin,
distinct de cet autre Individu divin qui est appelé « le père », alors il y
aura en effet quelque difficulté à comprendre que l'Esprit saint, à savoir
l'Esprit de Dieu, procède du père et du fils.
Mais si l'on entend le terme de « fils » dans le système de référence du
langage concret du Nouveau Testament, alors le terme de « fils » désigne Jésus
pris concrètement, et donc celui que, dans une théologie ultérieure, on appellera
le Verbe incarné, ou encore, dans le langage concret des papes, l'Homme
véritable uni à Dieu véritable, ou Dieu qui s'unit l'Homme. Le terme de « fils
» désigne alors un ensemble relationnel constitué par Dieu, le père, et Jésus,
le fils de l'homme. Les deux, ensemble, constituent le « fils » de Dieu,
c'est-à-dire l'Homme véritable uni à Dieu véritable.
Dans ce cas, il n'y a pas de difficulté à comprendre que l'Esprit du
fils soit aussi l'Esprit du père, c'est-à-dire de Dieu, puisque le fils, c'est le
père qui s'unit l'homme.
Paul, dans sa lettre aux Galates (4,
4) écrit ceci, que
nous avons déjà lu :
.... Parce que vous êtes fils, Dieu a
envoyé l'esprit de son fils dans nos coeurs, (esprit) qui crie : Abba, c'est-à-dire : père !
De même, dans sa lettre aux Romains (8, 9), Paul écrit :
Vous, vous n'êtes pas dans l'ordre de
la chair, (c'est-à-dire de
la seule humanité), mais dans celui de l'esprit, si toutefois l'esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un n'a pas l'esprit du Christ, il n'appartient pas au
Christ...
Si Jésus le Christ c'est Dieu qui s'est
uni l'homme, alors l'esprit du Christ, c'est l'esprit de Dieu qui s'unit
l'homme.
Le Concile de Lyon, quatorzième concile
oecuménique, définit ce point lors de sa session du 18 mai 1274 :
Nous professons que l'Esprit saint
éternellement procède du
Père et du Fils, non pas comme à partir de deux Principes, mais comme à partir d'un seul
Principe, non pas par deux
spirations, mais par une unique spiration...
On objectera que, dans ce texte
solennel, les Pères du concile de Lyon disent :
L’Esprit saint procède éternellement du
Père et du Fils...
C'est donc qu'ils se situent, eux aussi, dans le système logique de la
théologie trinitaire professé par les Pères grecs puis par les grands docteurs
latins. C'est exact. Mais il reste qu'ils maintiennent ce
qu'enseigne le Nouveau Testament, à savoir que l'Esprit saint est
l'Esprit de Dieu et qu'il est aussi l'Esprit du Christ, c'est-à-dire
du fils.
C'est-à-dire, si nous ne nous trompons pas, que les Pères du concile de
Lyon disent ce que dit la révélation, à savoir le Nouveau Testament, dans
un langage et dans un système de référence qui est celui des Pères grecs et
des grands docteurs latins, et qui est différent de celui du Nouveau
Testament.
Le concile de Florence, dix-septième concile oecuménique, revient
sur ce point dans la formule d'union avec les Grecs, le 6 juillet 1439 :
Au nom de
Lorsqu'on suit le travail de la théologie trinitaire chez les Pères grecs,
on est moins étonné de cette différence qui éclate entre les églises qui sont
sous l'influence de la théologie des Pères grecs et l'église de Rome. Les Pères
grecs, en appelant hypostases les trois de
L'église de Rome, depuis le début, a toujours tenu fermement le
gouvernail dans le sens et du côté du plus strict monothéisme. Cela se voit déjà
dans les controverses violentes qui ont opposé Hippolyte de Rome au pape Calliste
(pape entre 217 ou 218 et 222 ou 223). Hippolyte accusait le pape Calliste de
pencher du côté de l'hérésie de Noêt, parce que le pape Calliste n'admettait pas
la théorie du Logos dont Hippolyte était l'un des
protagonistes. Et le pape Calliste disait déjà à Hippolyte et à ses disciples :
Vous êtes dithéistes
Nous nous souvenons aussi de la grande lettre du pape Denys (pape
entre 259 et 238) à Denys, évêque d'Alexandrie : elle va dans le même
sens. C'est une ferme mise en garde contre le trithéisme, la théorie des trois hypostases qui sont comme trois
individus et donc trois dieux.
Le pape Denys y affirme le dogme vénérable de l'église de Dieu, en grec : monarchia, traduction française : l'unité du
principe de tous les êtres, c'est-à-dire Dieu.
C'est cette
unicité du Principe que rappelle le Concile de Lyon, nous venons de le lire.
Le premier
concile du Vatican, en 1870, définit Dieu, nous l'avons vu déjà :
une substance spirituelle unique,
singulière, absolument simple et non modifiable.
una singularis, simplex, omnino et incommutabilis substantia
spiritualis.
Il n'est donc
pas question de supposer qu'il y ait en Dieu trois individus.
Plus près de nous encore, fin du XIXc siècle, dans sa lettre encyclique Divinum illud
munus du 9 mai 1897, le pape Léon XIII écrit à propos de la doctrine de
C'est pourquoi Innocent XII (pape entre
1691 et 1700), notre prédécesseur, a refusé
absolument à ceux qui le lui
demandaient d'instaurer
une fête spéciale en l'honneur du Père, une fête
qui lui soit propre. Que si les mystères du Verbe incarné sont célébrés chacun certains jours (la nativité, la circoncision, etc.) par
certaines fêtes, cependant
le Verbe lui-même, considéré seulement en sa nature divine, n'est pas célébré par aucune fête qui lui soit propre,
ou particulière. Et les fêtes solennelles de la Pentecôte elles-mêmes n'ont pas
été instaurées depuis l'Antiquité pour que l'Esprit saint considéré en
lui-même et exclusivement soit honoré, mais pour nous rappeler sa venue (adventus)
c'est-à-dire sa mission externe... »
On ne fête pas à part le Père, à part le Logos de Dieu, à part l'Esprit
de Dieu, parce que le Père, le Logos et l'Esprit ne sont pas trois individus, ne sont pas
trois êtres, ne sont pas trois dieux en un.
L'église de Rome a bien gardé le
strict monothéisme hébreu. Il n'y a pas de
différence entre le judaïsme et le christianisme sur ce point. La différence porte sur l'incarnation.
Si l'on se place dans le système de référence logique qui a été adopté
par les Pères grecs, puis, à leur suite, par les Pères latins, c'est-à-dire :
Il est à craindre qu'en refusant ces inférences évidentes, les
théologiens des églises séparées de l'église de Rome ne déséquilibrent le
système logique de la théologie trinitaire et qu'ils n'introduisent le risque
d'une disparité entre le Père et le Fils, tels qu'ils les entendent,
dans leur propre système logique de référence, cela va sans dire. Plus grave encore
: il est à craindre que, au fond, ils n'acceptent pas le point de départ de
l'inférence, à savoir que les trois de
L'introduction de ce supplément : le Saint-Esprit procède du Père et du Fils (en latin : Filioque) apparaît dans
divers conciles des églises d'Espagne, les conciles de Tolède en particulier,
à partir de 400. Petit à petit cette insertion est reçue par l'église de Rome.
De nouveau, voici un exemple de ce qu'est un développement dogmatique. Parce
que certains n'acceptaient pas de dire que le Saint-Esprit
procède du Père et du Fils, les Symboles précisent ce point en ajoutant : et du Fils. Du point de vue
de l'analyse logique, cela semble une nécessité, si l'on veut maintenir le strict
monothéisme qui est l'orthodoxie elle-même. Objecter qu'il s'agit là d'une innovation ne
constitue pas une objection valable car, nous l'avons vu, le concile de
Chalcédoine ajoute quelque chose au concile de Nicée, et il fait
bien, pour rééquilibrer l'exposé de la doctrine et éviter de laisser
la porte ouverte aux hérésies de type monophysite qui de fait se sont développées. Le
premier concile de Constantinople, en 381, avait aussi ajouté au Symbole du
concile de Nicée des précisions nécessaires concernant le Saint-Esprit, dont la
divinité était niée par certains. Les grands conciles de 680 et 681 contre les
partisans d'une seule volonté et opération dans le Christ ajoutent aussi des précisions
nécessaires à cause des nouvelles hérésies. Le processus du
développement dogmatique se continue avec l'insertion du Filioque dans le Symbole
de Constantinople. Il n'y a lieu ni de s'en étonner, ni de s'en offusquer. Si
l'on admet le principe du développement dogmatique pour les six premiers
conciles oecuméniques - et comment faire autrement ? - on peut aussi admettre
le développement dogmatique ultérieur. La seule question sérieuse est de savoir
si ce développement dogmatique ultérieur est vrai, conforme à la révélation et
à l'incarnation.
Si nous reprenons l'analyse purement logique de ce problème qui reste
aujourd'hui encore sans solution, nous apercevons tout d'abord que
le terme de « fils » peut en principe, en théorie et en hypothèse, être
appliqué à trois objets distincts :
Si, dans cette hypothèse arbitraire, on continue d'appeler « père » Dieu
lui-même, - c'est, nous l'avons vu, le langage du Nouveau Testament, - alors
l'Esprit saint, qui est l'Esprit de Dieu, procède du père seul.
Dans cette hypothèse, donc, on ne peut pas dire que l'Esprit saint procède
du père et du fils.
2.
Le terme de « fils » est appliqué à Jésus de
Nazareth pris concrètement : c'est le langage du Nouveau Testament.
Dans
ce cas il nous reste à nous demander ce qu'est le fils, qui il est, quelle est
sa constitution métaphysique. Ce travail a été effectué, nous l'avons vu,
pendant les siècles qui virent le développement du dogme christologique. Ce
développement dogmatique a abouti au résultat suivant : le fils, Jésus
le Christ, c'est Dieu qui s'unit l'homme nouveau créé pour cette union, ou l'Homme
véritable uni à Dieu véritable.
Dans ce cas, le terme de « fils » désigne un ensemble relationnel
constitué par Dieu, qui s'unit l'homme, et l'homme, uni à Dieu.
Dans ce cas, l'Esprit du fils, ou l'Esprit du Christ, ou l'Esprit de
Jésus, pour reprendre les expressions du Nouveau Testament, c'est l'Esprit
de Dieu qui s'unit l'homme.
Et donc on a le droit de dire que l'Esprit est l'esprit du père, à
savoir de Dieu, et l'esprit du fils, à savoir de Dieu qui s'unit l'homme.
Bien entendu, dans ce cas, la procession du Saint-Esprit à partir du
Père (= Dieu) et du fils (= Dieu qui s'unit l'homme) n'est pas une procession à
partir de deux principes, mais à partir d'un seul principe, qui est Dieu
lui-même.
C'est ainsi que s'expriment les définitions du concile de Lyon et du
concile de Florence.
3. On entend par fils non
plus Jésus le Christ pris concrètement, mais le Logos de Dieu envisagé en son éternité, avant l'incarnation et
indépendamment de son incarnation. C'est le langage des Pères grecs, repris par
les Pères latins et les théologiens latins
ultérieurs, en particulier saint Thomas, Jean Duns Scot et bien
d'autres.
Dans ce cas, pour maintenir le strict monothéisme, il faut dire que le Logos de Dieu,
maintenant appelé « fils », et Dieu, appelé « père » de son propre Logos, ne constituent
pas deux êtres ni deux principes. Car si on le disait, on sortirait du
monothéisme.
Par conséquent, dans cette hypothèse et dans ce système logique, si
l'Esprit saint est l'Esprit de Dieu, il est l'esprit du père ; et il est
l'Esprit du fils, puisque le père et le fils sont un seul et même être : la
distinction entre le père et le fils, dans ce système logique, n'est pas une
distinction entre deux êtres, mais seulement la distinction entre deux
relations, celles de paternité et de filiation, relations qui ne sont pas en réalité
distinctes de la substance unique et singulière de Dieu.
On est donc obligé, dans cette perspective, de dire que l'Esprit procède
du père et du fils comme d'un seul principe, - définition de Lyon II et de
Florence.
Faute de quoi on serait conduit à l'hypothèse que le père et le fils ne
sont pas un seul et même être, un seul et même principe, mais deux êtres, deux
principes.
Nous craignons, pour notre part, que ce soit bien sur cette pente que se
trouve engagée la dialectique de Photius, patriarche de Constantinople, qui
rejette avec horreur et comme hérétique le dogme latin, à savoir que le Saint-Esprit
procède du père et du fils.
Du point de vue de l'analyse logique du problème, la théorie selon laquelle
le Saint-Esprit procède du père seul ne se justifie que dans l'hypothèse où le
terme de « fils » désigne un homme seulement, un homme considéré à part,
coupé de son lien ontologique avec Dieu qui s'est uni cet homme singulier concret
sans confusion des natures ni des opérations.
La
discussion sur cette question du filioque a
été et reste très confuse; avec la meilleure volonté du monde les théologiens grecs et latins ne parviennent pas à
s'entendre, d'abord pour la raison que nous avons déjà dite: on ne s'est
pas mis d'accord sur cette question simple entre toutes: que signifie le terme
de « fils » ? Que désigne-t-il directement et immédiatement, Jésus le Christ, le Logos incarné, ou le
Logos avant l'incarnation et indépendamment de l'incarnation ?
Et puis, seconde raison et cause de la confusion dans les discussions :
dans ces controverses, on invoque l'autorité souveraine des textes du
Nouveau Testament. Or, nous l'avons vu amplement dans les textes du Nouveau
Testament, le terme de « fils » désigne toujours Jésus le Christ pris
concrètement, c'est-à-dire celui que plus tard, dans le langage
ultérieur de la christologie, on appellera aussi le Logos de
Dieu incarné. - Mais on a invoqué
aussi dans ces longues controverses des
textes des Pères grecs, Basile, Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Jean
de Damas, et bien d'autres ; et des textes des Pères latins, Augustin,
Ambroise, Hilaire et bien d'autres ;
or ces Pères latins et grecs entendent généralement par « fils » le Logos de Dieu avant
l'incarnation et indépendamment de l'incarnation.
On comprend que dans ces conditions on ne soit pas parvenu à y voir
clair dans cette controverse. Tout tourne autour de la signification
exacte du mot « fils » qui n'a pas été déterminée avec précision.
Résumons une dernière fois et le plus brièvement possible toute l'affaire. Dès lors que l'on
tend à considérer Dieu, le Logos de Dieu, et l'Esprit de Dieu, comme trois
Individus divins, grec hypostases, on est sorti du monothéisme hébreu et on ne peut pas concevoir que l'Esprit saint procède du Père
et du Logos de Dieu, que l'on a appelé Fils de Dieu. - Mais de plus, dès lors
que l'on a fait du Logos de Dieu un Individu divin, que l'on a appelé le Fils
de Dieu, on ne sait plus comment faire pour sauver l'unité de celui qui
s'appelait lui-même le fils de l'Homme, et qui a été appelé fils de Dieu par ses compagnons et par ses disciples. On diminue,
on exténue le plus possible la part de l'Homme : c'est la tendance représentée
par Apollinaire de Laodicée. C'est justement ce que le pape Alexandre III
reproche amèrement à Pierre Lombard. - Ou bien alors, si l'on veut sauvegarder
la plénitude de l'Homme assumé et uni à
Dieu, on ne sait plus comment exprimer l'unité du fils de l'Homme et du
fils de Dieu, puisque l'on a appelé Fils de
Dieu le Logos de Dieu envisagé en son éternité. C'est dire qu'Apollinaire de
Laodicée et Nestorius partent d'un
même présupposé, à savoir que le Logos de Dieu est un Individu divin, qu'ils appelaient l'un et l'autre Fils de Dieu.
L'Église est un système biologique en régime de développement, un
système biologique qui, comme tous les systèmes vivants, est pourvu d'un
système d'autorégulation. L'Église a sa norme propre, immanente, constitutive,
comme tous les systèmes vivants. Cette norme immanente et constitutive, c'est la révélation,
c'est Dieu lui-même qui la fournit par son inhabitation dans l'Église
qu'il travaille du dedans. L'Église est en train d'être créée,
depuis bientôt vingt siècles. Elle est un système en régime de
formation. Elle est l'humanité informée, travaillée du dedans, par Dieu le
Créateur. C'est donc la création elle-même qui se continue dans l'Église.
L'Église continue le peuple hébreu. Elle est le peuple hébreu continué.
Certains, depuis un bon nombre d'années déjà, du côté catholique comme du côté protestant,
affectent de parler de l'Église comme
d'une institution. Bien
entendu, elle est une institution comme tout ce qui tient debout. Mais
le terme nous paraît mal choisi, parce qu'il atteste une
méconnaissance de la réalité
biologique de l'Église : elle est plus qu'une institution humaine, comme par
exemple la Caisse d'épargne, ou le parlement ; elle est un fait de création,
elle est une nouvelle création dans l'histoire de
Le mot français église traduit, si l'on ose dire,
le latin ecclesia
qui
traduit, si l'on peut dire, le grec ekklèsia qui signifie : assemblée
réunie par convocation. Le mot grec ekklèsia traduit,
réellement cette fois, l'hébreu qahal qui signifie : l'assemblée,
l'ensemble.
Isaac appela Jacob, il le bénit et il
lui dit : Que Dieu te
bénisse et te fasse fructifier et qu'il te multiplie et que tu deviennes un ensemble de peuples, qehal ammim... (Genèse 28, 3).
Dieu dit à Jacob : Fructifie,
multiplie-toi, une nation, une assemblée de nations, qehal goïm, sera
à partir de toi (Genèse 35, 11)...
Jacob dit à. Joseph : Dieu
m'est apparu à Louz au pays de Chanaan et il m'a béni. Il m'a dit : Voici que
je te ferai fructifier et je te multiplierai et je ferai de toi une assemblée
(ou un ensemble) de peuples, li-qehal ammim (Genèse
48, 4).
L'Église, c'est la réalisation de ces
très anciennes prophéties
: elle est bien l'ensemble des peuples travaillé du dedans par l'Information créatrice qui vient de Dieu.
Elle est un Organisme spirituel, le Corps de Celui qui
est Dieu uni à l'Homme, ou
l'Homme uni à Dieu.
Dans ce
Corps, il faut donc distinguer l'Information créatrice qui vient de Dieu, qui est sainte. Et l'humanité qui reçoit,
plus ou moins, l'Information qui vient de Dieu. L'humanité en elle-même n'est
ici ni pire ni meilleure qu'ailleurs. Peut-être est-elle davantage responsable
à cause de l'Information reçue. Mais c'est ici, en cette zone embryonnaire, que
Dieu fait connaître la finalité de
Nous l'avons vu : la finalité de la création, c'est la divinisation
réelle et non métaphorique de l'Homme créé, sans confusion des natures ni des
personnes. C'est cette divinisation qui est en train de se réaliser dans cette
zone de l'humanité qui est précisément l'Église. En réalité on ne comprend pas
le sens de la création si on ne connaît pas cette finalité, on ne comprend pas
la raison d'être de la création si on ne discerne pas quelle est sa fin. Dans
la philosophie occidentale, depuis Spinoza au moins, ceux qui rejettent la
création rejettent bien entendu aussi la finalité de la création et toute finalité.
Reconnaître la cause première et discerner la finalité ultime, c'est au fond
un seul acte de l'intelligence.
L'Église est un fait d'expérience, tout comme le peuple hébreu, et tout
comme l'a été dans son existence terrestre le rabbi galiléen Ieschoua.
Mais discerner ce qu'est l'Église, ce qu'est et ce que,contient le peuple hébreu, ce
qu'est et ce que contient en lui-même le rabbi galiléen, cela relève d'un discernement de
l'intelligence qui sait voir ce qui se trouve dans la réalité empirique.
A propos de l'Église, il faut éviter de
commettre les erreurs que
nous avons relevées à propos du Christ.
L'Église n'est pas seulement divine. Elle est l'humanité en train d'être informée et
transformée par Dieu le créateur, et l'humanité, ici comme ailleurs, résiste à
l'information créatrice ou transformatrice qui vient de Dieu. L'humanité est plus ou moins informée, plus ou moins transformée
par Dieu, parce qu'elle reçoit plus ou moins l'information qui vient de lui, elle consent plus ou moins à la
transformation créatrice. Négliger
ou méconnaître la nature humaine de l'Église conduit à sacraliser ce qui
est de l'homme, son inintelligence, ses impostures, ses crimes.
L'Église n'est pas seulement humaine, puisqu'elle est l'humanité en
régime de transformation sous le travail de Dieu. Ne voir, n'apercevoir que
l'humanité de l'Église, c'est ne pas discerner sa nature divine, sa
consistance, ce qui fait d'elle un Corps, un Organisme qui contient les
messages de Dieu créateur.
Les deux natures ne sont pas confondues, elles ne sont pas séparées non
plus. Il n'y a pas d'une part l'Église visible, toute humaine, - et d'autre
part une Église invisible toute divine. Il y a union des deux natures sans
confusion. Il y a l'opération de Dieu et la coopération active de l'homme
transformé, de l'homme divinisé.
Toutes les hérésies christologiques peuvent donc se retrouver à propos
de l'Église.
Si l'on ne discerne pas la nature divine de l'Église, c'est-à-dire l'action
et la présence réelle de Dieu, son opération immanente, avec la coopération
de l'homme, alors on ne peut plus du tout comprendre l'existence même de l'Église
qui dure depuis bientôt vingt siècles et qui se développe d'une manière irréversible.
L'existence même de l'organisme est inintelligible si vous enlevez le principe
informant. Si vous ôtez le principe informant, il ne reste pas un organisme
mais une multiplicité d'éléments épars, c'est-à-dire un cadavre qui s'en va en poussière. L'Église est un organisme spirituel
et physique. C'est donc qu'elle est informée. Et l'Église a
conscience, conscience actuelle, de
recevoir actuellement l'information qui vient de Dieu, non seulement
l'information qui vient de la révélation, mais l'information qui provient de
l'inhabitation, de la présence réelle de Dieu créateur dans l'Église, c'est-à-dire
dans l'humanité en régime de transformation.
L'Église
pense quelque chose. Il ne faut pas le lui reprocher : nous sommes tous dans
le même cas. L'Église pense que ce qu'elle pense est vrai, parce qu'elle l'a
reçu, parce qu'elle reçoit actuellement cette pensée de Dieu. N'importe quoi n'est pas compatible avec la pensée actuelle
de l'Église : c'est un problème de simple et élémentaire logique ;
n'importe quelle proposition n'est pas compatible avec n'importe quelle autre
proposition. La pensée de l'Église est un
ensemble cohérent qui se développe, mais comme un organisme,
conformément à l'information initiale constituante. C'est ce que le cardinal
Newman, dans son grand livre déjà cité (Essai
sur le développement de la doctrine chrétienne) a appelé la conformité au type originel.
L'Église, nous l'avons vu tout au long de ces pages, élimine toute
doctrine qui n'est pas compatible avec sa propre essence, sa propre nature,
sa propre norme constituante : en cela elle procède comme tout organisme vivant
qui élimine lui aussi, tant qu'il est vivant, tout message moléculaire qui est
incompatible avec sa norme génétique propre. On le reproche à l'Église
: c'est lui reprocher d'être un organisme spirituel, un organisme de pensée.
C'est lui reprocher d'être.
L'infaillibilité de l'Église n'est pas l'infaillibilité de l'humanité
assumée, mais l'infaillibilité de Dieu qui assume. Cette infaillibilité
signifie que Dieu réalise réellement son oeuvre de création et de
divinisation à l'intérieur de l'histoire humaine et qu'il ne faiblit pas
dans cette opération. C'est fermement qu'il mène à terme ce qu'il a entrepris,
son oeuvre de création et de divinisation. C'est à l'intérieur de l'Église que
cette opération s'effectue. Dieu n'abandonne pas l'humanité à ses propres forces.
Il est présent et opérant dans l'Église. L'Église est donc un mystèrion c'est-à-dire
une réalité physique, sensible, visible, qui contient l'opération de Dieu. Mystèrion, nous l'avons
vu, se traduit en latin par sacramentum. L'Église est le
sacrement du monde.
L'infaillibilité
de l'évêque de Rome ne signifie pas que l'individu singulier, en tant que tel,
qui est évêque de Rome, soit par lui-même infaillible. L'infaillibilité de
l'évêque de Rome est une infaillibilité de fonction. Elle signifie que lorsque
l'évêque de Rome consulte la pensée de l'Église universelle, qui est la pensée
de Dieu qui opère dans l'Église universelle, alors il dit, il formule, il
exprime la pensée de Dieu, le dessein de
Dieu. Il n'est pas absolument nécessaire de réunir un concile oecuménique pour exprimer la pensée de l'Église
qui est la pensée de Dieu opérant en elle.
Bien entendu, si l'on n'admet pas la présence réelle de l'opération de Dieu
dans l'Église, alors l'idée d'infaillibilité n'a plus aucun sens. Si l'Église
est une institution exclusivement humaine, alors la prétention à l'infaillibilité
est exorbitante. Mais si l'on n'admet pas la présence réelle et l'action créatrice de Dieu
dans l'Église, alors l'existence même de l'Église est impensable,
inintelligible. Dans ce cas, l'Église devrait être seulement une poussière
d'individus.
Il faut ajouter, avec le recul dont nous disposons maintenant, que de
fait, dans les grandes controverses des siècles passés, la crise
provoquée par Noêtos, la crise arienne, la crise apollinariste, la crise
nestorienne, la crise pélagienne, la crise monophysite, la crise
provoquée par les monothélites (ceux qui prétendaient que dans l'ensemble
relationnel que constitue Jésus le Seigneur il convient de ne reconnaître
qu'une seule opération, une seule volonté, une seule liberté), - plus tard lors de
la grande crise luthérienne, qui porte sur l'anthropologie, la crise
janséniste, dans les temps modernes la crise provoquée par les courants
et les tendances fidéistes, - il faut reconnaître objectivement, et
indépendamment de tout présupposé, que l'Église de Rome a gardé l'enseignement
de la révélation, de la Bible hébraïque et du Nouveau Testament grec. Elle n'a
pas failli.
Cela aussi
est vérifiable. Cela ne dépend pas d'une décision arbitraire mais d'une
connaissance de l'histoire et du développement
dogmatique. C'est un fait singulier, mais c'est un fait. C'est donc
qu'il existe là, dans l'Organisme, un centre ou un foyer d'autorégulation.
L'Église a pour devoir vital, bien entendu, de communiquer à toutes les
cellules vivantes de l'Organisme qu'elle est l'Information qui la constitue en
tant qu'Organisme : c'est cela qu'en grec on appelle la catéchèse, et un
catéchisme n'est rien d'autre qu'un manuel qui a pour but de communiquer aux nouvelles
cellules de l'Organisme les rudiments de l'Information.
Communiquer l'information c'est pour une part, nous l'avons vu, traduire
de l'hébreu et de l'araméen en français, en passant par le grec et le latin. Si
l'information reste prisonnière à la frontière entre deux langues, elle ne
passe pas. Nous avons pu observer que le plus souvent l'information restait en
panne à la frontière entre la langue latine et la langue française.
Les cellules de l'organisme ne peuvent pas vivre si elles ne reçoivent
pas toute l'information qui constitue l'Organisme.
C'est ce que disait déjà Osée 4, 6 : « Mon peuple se meurt
faute de connaissance... »
L'Église n'est pas une société secrète dans laquelle la connaissance
plénière serait réservée à une caste d'élus : tous les membres de l'Église
sont invités à la connaissance plénière et l'Église ne connaît
pas le régime des castes.
L'autorité dans l'Église n'est pas un système de type militaire ou
analogue au modèle des armées. L'Église est un système organique ; chaque
cellule de cet Organisme fait partie de l'Église d'une manière plénière,
proportionnellement à la sainteté, et une information nouvelle, venant de Dieu,
peut être communiquée par une bergère analphabète.
L'Église
est chargée de transmettre à l'humanité entière l'Information créatrice qu'elle
contient et qui la constitue en tant
qu'Organisme spirituel. Elle ne doit pas garder pour elle, renfermée sur
elle-même, cette Information. Elle est, dans l'humanité, le levain dans
L'humanité tout entière doit devenir
l'Église puisque l'humanité
tout entière est appelée à la divinisation.
Un organe de la transmission de l'Information dans cet
Organisme spirituel qu'est l'Église, c'est la sainte liturgie. Le mot français
liturgie est simplement le décalque du grec leitourgia qui signifie :
la fonction publique, le service public ; le verbe grec leitourgeô signifie :
exercer à ses frais certaines fonctions. Le grec leitourgia traduit
l'hébreu abôdah, le service du Temple.
La sainte liturgie transmet la parole de Dieu, c'est-à-dire la révélation,
au peuple de Dieu. Il n'est pas nécessaire de savoir lire et écrire pour
recevoir et pour transmettre l'information, qui est reçue par l'oreille, par
l'enseignement oral. La sainte liturgie transmet l'enseignement des
mystères chrétiens, c'est-à-dire des secrets les plus précieux de la doctrine chrétienne,
qui sont le pain de l'intelligence, sa nourriture.
Dans et par la sainte liturgie,
l'Église transmet à l'humanité
qu'elle assume, à l'humanité assumée en elle, le Pain de Dieu, c'est-à-dire le Christ lui-même.
L'Église a toujours pensé que la transmission de l'information est
relativement indépendante de celui qui la transmet. Peu importe que le
prêtre qui relate ou rapporte les paroles du Seigneur, et donc qui transmet l'information,
soit grand ou petit, gros ou maigre, qu'il nous plaise ou qu'il ne nous plaise pas,
qu'il soit vertueux ou débauché : s'il transmet correctement l'information,
alors l'information est transmise : c'est
L'Église a toujours pensé aussi que
l'on peut parfaitement traduire
les paroles du Seigneur, de l'araméen en grec, en latin et dans toutes les autres langues. Ce qui doit
être transmis, c'est donc
le message lui-même, l'information, le sens, et non pas le son. Les paroles du Seigneur sont dites dans toutes les langues du monde, l'information passe
: c'est la messe, c'est le repas du Seigneur, aujourd'hui comme hier et comme
demain. Ce n'est donc pas de
Les conditions de la divinisation
La doctrine de la divinisation telle que nous la trouvons formulée dans
le sixième Concile oecuménique nous fournit la clef, la clef de voûte,
la signification ultime de toute la création, puisqu'elle nous en
indique
Elle est réalisée dans Jésus le Christ,
le fils de Dieu. Comment est-elle réalisable pour nous ?
La création d'un être appelé à participer à la vie divine - c'est la
définition de l'Homme - après une transformation qui le rende capable de cette
destinée surnaturelle, implique des conditions discernables par notre
intelligence.
Si Dieu veut réellement créer un autre lui-même, cet être qu'il veut
conduire à une telle hauteur, à une telle élévation, à une telle dignité, ne
saurait recevoir d'une manière purement passive le don de la création.
Car s'il recevait d'une manière
purement passive le don de la création, il ne serait pas un être créé à l'image
et à la ressemblance de
Dieu. Il serait une contrefaçon, il serait une sorte de poupée qui reçoit tous ses attributs d'une manière passive. Il ne serait pas réellement un être.
Il faut donc que l'Homme consente et coopère activement et
intelligemment à l'oeuvre de sa propre création. Il faut qu'il porte fruit.
Un être réel est un être qui porte fruit. Cette doctrine est fondamentale,
essentielle à la doctrine chrétienne. Elle est enseignée par le Seigneur dans
de nombreux textes, par exemple la parabole des talents (Matthieu 25,
14) et d'autres (Luc 13, 6). Les conditions de la
fructification sont enseignées dans des propos rapportés par Jean, chapitre
15 :
Moi je suis la vigne véritable et mon
père est le vigneron. Tout sarment en moi qui ne porte pas de fruit, il
l'enlève et tout sarment qui porte fruit, il l'émonde afin qu'il porte
davantage de fruit...
Il existe donc une distinction discernable entre la création de l'Homme,
sa première création, et le temps requis pour qu'il ratifie le don de la
création, pour qu'il consente à sa propre création, pour qu'il coopère
activement et intelligemment à cette création en portant fruit afin de devenir
réellement un être, à l'image et à la ressemblance de Dieu.
Mais il y a plus. Cet être est appelé, invité à prendre part à la vie
personnelle de Dieu après une transformation qui l'en rende capable. Cet être
créé animal est appelé à devenir, comme l'écrit saint Jean de la Croix, un
compagnon de Dieu. Il est appelé, invité à devenir fils avec le Christ.
Il est appelé à l'adoption filiale, comme l'enseigne Paul et tout le Nouveau
Testament.
Cette
divinisation réelle de l'Homme implique une réelle transformation, et cette transformation ne peut pas être subie
par l'Homme d'une manière purement passive. Car si l'Homme subissait cette
transformation d'une manière purement passive, il ne deviendrait pas un être
créé à l'image et à la ressemblance de Dieu ; il ne serait pas conforme au fils
de Dieu. Il serait tout au plus un animal, ou un esclave, couvert des oripeaux
du Roi, des vêtements du Roi, des insignes royaux, de la couronne royale. Mais
il ne serait pas transformé, recréé du
dedans. Il serait de nouveau une contrefaçon.
Pour que l'Homme réalise la destinée à laquelle il est invité par la Liberté
créatrice, il faut non seulement qu'il consente au don de la création et qu'il
ratifie et coopère activement au don de la création afin de le faire fructifier
en lui, mais il faut de plus qu'il entende l'invitation qui lui est adressée de
prendre part à la vie divine ; qu'il consente à cette invitation ; et qu'il
naisse nouveau pour devenir capable de prendre part à la vie personnelle de
l'Unique incréé.
Tel est le sens, tel est le dessein de la création selon le christianisme
orthodoxe.
Nous connaissons d'une manière certaine l'existence de Dieu par la
création qui le manifeste et par son oeuvre créatrice elle aussi à l'intérieur
de ce peuple qui est la nouvelle création en train de se faire.
Mais le dessein ultime, la finalité dernière de la création, nous ne
pouvons pas la connaître en étudiant le passé de
C'est la doctrine aussi bien de saint Thomas d'Aquin que de Jean Duns
Scot.
Si l'homme
est appelé à une telle destinée, la participation à la vie divine, la
divinisation, après une transformation qui le rende capable de cette
participation, de cette divinisation ; si l'homme doit consentir à sa propre
création, librement ; porter fruit, librement ; s'il doit consentir à
l'invitation qui lui est adressée de prendre part à la vie divine, - car en ce domaine il n'y a pas de nécessité possible, nous
sommes dans l'ordre et le règne de la Liberté incréée qui appelle, qui
suscite d'autres libertés ; - si l'Homme doit consentir à une nouvelle
naissance, s'il doit naître nouveau, s'il doit devenir créature nouvelle, homme nouveau pour prendre part au règne de
Dieu, à la durée ou au monde qui vient, comme disent les rabbins : c'est l'enseignement
du quatrième Évangile et de saint Paul ; - alors il en résulte qu'avant cette
nouvelle naissance il existe un état qui
précède cette nouvelle naissance. L'enfant qui vient de naître est bel
et bon ; il est ontologiquement une création excellente. Mais il n'est pas
encore un saint, parce que la sainteté implique l'invitation de Dieu à prendre
part à la vie de Dieu, et un consentement, une conversion personnelle et libre.
L'enfant qui vient de naître est donc ontologiquement bon, mais inachevé, et il
n'est pas un saint. Il est appelé à la
sainteté, c'est-à-dire à devenir une nouvelle
créature, une nouvelle création, un Homme nouveau, conforme au dessein créateur ultime de Dieu. Il y
faudra son consentement actif et sa coopération.
L'enfant, lorsqu'il naît, est donc dans un état qui précède l'ordre de
la sainteté, et cela non pas d'une manière accidentelle, mais pour des raisons
inhérentes aux modalités de la création de l'Homme. Avant de consentir à la
nouvelle naissance, l'Homme est dans un certain état qui n'est pas encore
Il existe un état qui précède cette nouvelle naissance, ce consentement
à la nouvelle naissance.
Même si l'humanité n'était pas devenue criminelle, ce qu'elle est
devenue de fait, il resterait en toute hypothèse que la création de l'Homme et
l'invitation qui lui est adressée de prendre part à la vie divine, impliquent
que l'Homme puisse consentir au don de la création, au don de la divinisation,
coopérer activement au don de la création, coopérer activement au don de la
divinisation, car ce don ne saurait être contraint. Dieu ne saurait
créer un autre lui-même malgré lui. Par conséquent, même si l'humanité n'était pas
devenue criminelle, il resterait que l'Homme créé est d'abord dans un état qui
précède l'entrée dans l'économie de la destinée ultime à laquelle il est invité,
l'économie de la participation à la vie personnelle de Dieu.
La possibilité de la perdition
C'est dire qu'en toute hypothèse le risque de perdition est possible, pour
les personnes que nous sommes et pour l'humanité entière. Puisqu'il
s'agit d'une oeuvre de liberté qui veut susciter d'autres libertés créées, il
n'est pas possible de dire ou d'affirmer que cette oeuvre de création est un
processus qui parviendra nécessairement à sa fin. Dire que ce processus de création
est nécessaire et qu'il ne comporte pas de risque de perdition, c'est
dire qu'il ne s'agit pas de créer une liberté, mais une chose. Autrement dit le
dogme de l'enfer, qui signifie cette possibilité de perdition, signifie la même
chose que la doctrine de la liberté de la création qui tend à susciter des
libertés. C'est pourquoi Dante dit (un texte que Maurice Blondel aimait à
citer) que l'enfer est l'oeuvre du premier amour. Le dogme de l'enfer, - possibilité
de la perdition, - signifie la même chose, regardée sous sa forme négative, que le
dessein créateur lui-même qui vise à élever jusqu'à Dieu des êtres créés,
élévation qui ne peut être que libre de la part du Créateur incréé et de la
part de l'être créé qui y consent.
Luc 18, 8 : Le fils de l'homme, lorsqu'il viendra, est-ce
qu'il trouvera la foi sur la Terre ?
C'est une question posée. Elle est
inéluctable.
Mais de fait et de plus, l'humanité est devenue criminelle. Ce n'était
certes pas une nécessité qui lui était imposée mais c'était une possibilité
ouverte par l'accès à la connaissance réfléchie. Nous avons vu cela
antérieurement.
Que
l'humanité soit devenue criminelle, c'est là un fait d'expérience et un fait
d'histoire. Aussi loin que nous remontions dans l'histoire humaine, nous
pouvons constater que l'homme est un animal qui massacre, qui torture, qui
asservit, qui opprime, qui avilit l'homme son frère. La différence entre
l'humanité du temps des rois d'Ur, d'Assyrie ou de Babylone et nous, tient simplement à ce que nous disposons, pour
massacrer, pour torturer, pour avilir et abêtir les hommes, de moyens
techniques plus puissants. A ce détail près, il n'y a pas de différence
notable, substantielle, du point de vue de la cruauté, entre l'homme
d'aujourd'hui et l'homme du temps de Sargon d'Akkad ou de Hammurabi. - Si,
cependant, il existe une toute petite nuance : les nations dites civilisées
ou prétendues civilisées qui pratiquent aujourd'hui la torture dans les salles
de police, dans les caves ou dans les bureaux,
se croient obligées de se cacher et de mentir lorsqu'on les accuse de
ces pratiques. Non pas qu'elles aient honte, - ce serait trop demander, - mais
cela n'est plus admis dans le concert des nations, en théorie. C'est la seule
différence que nous parvenions à apercevoir.
Une autre différence cependant que l'on peut observer, c'est qu'autrefois
les hommes étaient les principaux artisans des massacres. Les femmes étaient
nettement moins massacreuses. Aujourd'hui, surtout dans les nations dites
civilisées, les femmes demandent la liberté de tuer leurs propres enfants avant leur
naissance. Ce phénomène, à grande échelle, est nouveau lui aussi.
L'expérience montre donc que l'humanité est criminelle aussi loin que
nous remontions dans son histoire. Et les vieux théologiens hébreux
avaient noté ce fait :
Genèse, chapitre 6: Et il arriva qu'il commença, l'Homme
(hébreu ha-adam) à se multiplier sur la face de la terre
(ha-adamah) et des filles leur naquirent...
Et il vit, YHWH, qu'il était multiple,
nombreux, le mal de
l'Homme (ha-adam) sur la Terre et que toute production des pensées de son coeur, rien que du mal,
tout le jour. Et il se
repentit, YHWH, parce qu'il avait fait l'Homme (ha-adam) sur la Terre et il s'irrita en son
coeur. Et il dit, YHWH :
je supprimerai l'Homme (et-haadam)
que j'ai créé de la
face de la terre (haadamah),
depuis l'Homme (me-adam) jusqu'au Bestiau, jusqu'au Reptile et jusqu'à
l'Oiseau des cieux, car je regrette de les avoir faits...
La Terre se corrompit devant la face de
Dieu et elle fut remplie, la Terre, de violence. Et il vit, Dieu, la Terre et voici qu'elle était corrompue car
toute chair (kôl-basar = kôl adam) avait corrompu sa voie sur
L'enfant qui naît aujourd'hui dans une nation qui se prétend elle-même
civilisée ou dans une autre, s'il en reste, naît donc dans une humanité plus
criminelle qu'elle ne l'a jamais été. Jamais l'humanité n'a autant massacré et
torturé qu'au XXe siècle et comme chacun sait les nations qui se
disent civilisées se préparent activement, avec énergie, zèle et force dépenses, à
se massacrer les unes les autres d'une manière décisive et définitive. Tout
Oiseau des cieux, toute bête des champs et tout rampant, comme dit la Bible,
disparaîtra avec le prochain massacre.
Nous utilisons les termes de « crime » et « criminel » plutôt que le
terme de « péché » que l'on trouve dans le catéchisme de grand-mère, parce que
le mot « péché » en français a pris, si j'ose dire, une certaine odeur, depuis
quelques siècles, à force d'être utilisé par les romanciers qui nous racontent des
histoires d'alcôve et pour qui le péché par excellence est justement de cet
ordre.
L'enfant qui naît aujourd'hui doit donc, pour réaliser la finalité qui
est la finalité de tout homme, consentir au don de la création ; consentir au
don de la divinisation ; coopérer activement au don de la création et au don
de la divinisation ; consentir à devenir nouvelle création, humanité nouvelle
; - et cela en toute hypothèse, que l'humanité soit devenue criminelle ou non.
Mais de plus et de fait, il porte le poids d'une humanité criminelle ;
il est formé, éduqué, élevé, dans une humanité criminelle.
Par conséquent, l'enfant naît dans un état qui n'est pas la sainteté ;
et il naît dans une humanité qui est criminelle de fait. L'enfant qui
vient de naître pourra consentir à la sainteté, ou bien il pourra
contribuer à augmenter à son tour les crimes de l'humanité.
Il faut donc distinguer entre les crimes que l'enfant va commettre lui-même,
dès qu'il aura accédé à la connaissance de la distinction entre le bon et le
mauvais, - et les crimes de l'humanité dans laquelle il est né, crimes dont
lui, l'enfant qui vient de naître, n'est pas personnellement responsable, mais
dont il va cependant porter le poids et subir les déterminismes.
Son acte de liberté, son acte de rupture avec cette humanité
criminelle, sera donc plus difficile que dans l'hypothèse d'une naissance à
l'intérieur d'une humanité sainte.
Une naissance hypothétique dans une humanité sainte ne l'aurait
d'ailleurs pas dispensé d'un acte personnel de consentement à
Comme le disait justement Tertullien,
on ne naît pas chrétien, on le devient. Si on le veut.
Le mot français rédemption recouvre le latin : redemptio qui vient du verbe redimere : racheter. Le
latin redemptio traduit le grec apolutrôsis qui vient du verbe apolutroô qui signifie lui aussi,
lui déjà : racheter, délivrer moyennant rançon. Le grec apolutrôsis et apolutroô traduit les
verbes hébreux : padah et gaal. Padah signifie racheter un
esclave, d'où : libérer un esclave. Dieu a racheté son peuple Israël
prisonnier en Égypte, c'est-à-dire qu'il l'a délivré. Le verbe gaal signifie lui aussi
racheter. Dieu a racheté, c'est-à-dire délivré Israël (Exode 6, 6). Il est donc
le Libérateur d'Israël, en hébreu : goel (Isaïe 41, 14 et s.).
Notre Seigneur est rédempteur de
l'humanité puisqu'en effet il la libère, il
Deux conceptions ou deux représentations du christianisme se présentent
ici. L'une d'entre elles est principalement centrée sur la réparation, la
restauration, la rédemption de l'humanité. Elle a tendance à considérer que la
plénitude était donnée au commencement, elle a tendance à interpréter le dogme du péché
originel dans un sens gnostique. - L'autre représentation du
christianisme est celle de saint Paul, de saint Irénée de Lyon, de saint
Jean de
Deux manières, donc, d'entendre le
christianisme et de le présenter.
Mariam de son nom araméen, Mariam en
hébreu, a consenti librement à l'union hypostatique, à la création puis à l'union en elle de l'Homme véritable
créé nouveau pour cette union à Dieu incréé. Il suffit de lire
l'histoire du peuple hébreu
pour voir et discerner que Dieu le créateur ne fait pas violence. Dans le
régime de la nouvelle création, il opère, il crée avec le consentement de
l'homme. Il demande ce consentement. Ainsi Abraham a consenti à quitter Ur en Sumer autour du XXe ou XIXe siècle avant notre ère. Les prophètes hébreux - et Abraham était prophète - sont des
saints. Ils sont créés pour
cette mission qui leur est confiée, cette oeuvre à laquelle ils sont invités à coopérer. Ils sont pré adaptés
à cette oeuvre. C'est par
exemple ce que dit le prophète Jérémie lui-même et de lui-même dans un texte
que nous avons déjà lu :
Jérémie 1, 4 : Et elle fut, la parole de
YHWH, sur moi pour dire : Avant que je te forme dans le ventre (de ta mère), je
t'ai connu. Avant que tu sortes de la matrice, je t'ai rendu saint.
Prophète pour les nations je t'ai établi.
Toute l'histoire du peuple hébreu est
l'histoire d'une sanctification progressive de l'humanité en cette zone que
nous avons appelée embryonnaire ou germinale. Il faut bien comprendre que Dieu
ne peut pas se manifester, se faire connaître, s'il ne transforme pas
l'humanité pour la rendre capable de le connaître. Avec Mariam ou Miriam, cette
sanctification de l'humanité dans ce peuple parvient au point qu'une jeune
fille d'Israël peut consentir librement à l'union hypostatique qui va se
réaliser, pour l'éternité, en elle. Il n'est pas dans les méthodes de Dieu de
réaliser une telle oeuvre sans le consentement de l'homme, de l'humanité. C'est
Mariam qui a consenti à cette union désormais éternelle de l'Homme créé à Dieu
incréé. En elle la création du peuple hébreu - qui est une sanctification - est
parvenu à un point de maturité suffisant pour qu'une jeune fille de ce peuple
consente librement à ce que le bienheureux Jean Duns Scot a appelé l'oeuvre suprême
ou ultime de Dieu, summum
opus Dei, à savoir l'union hypostatique qui donne son sens à
toute la création,
puisque c'est vers cette union hypostatique que la création, depuis les
origines, est ordonnée.
Le dogme concernant Marie, qui se
développe doucement à travers les siècles, n'est pas un dogme qui se développe
à cause ou de par l'affectivité des moines ou des peuples chrétiens. C'est un
dogme qui se développe au fur et à mesure que croît dans l'Église
l'intelligence du sens de la création, des conditions métaphysiques de la réalisation du
dessein de Dieu. Le
consentement libre de Marie à l'union hypostatique a été l'une des conditions
métaphysiques à la réalisation du dessein ultime de Dieu. C'est ce qui explique
le privilège et même la priorité que les théologiens ont reconnu à Miriam ou
Mariam. Elle a été la première à consentir au Christ, à donner son assentiment
au Christ. Elle a consenti à la création en elle de l'Homme nouveau uni à Dieu
depuis l'instant même de
Ajoutons ici et à ce propos, contrairement
à ce que racontent certains qui ne sont pas compétents en philologie, qu'il
est parfaitement exact que le terme de « frère » en hébreu n'a pas le sens
étroit qu'il comporte dans la langue française d'aujourd'hui. Pour s'en
convaincre, il suffit au lecteur de se reporter aux textes nombreux de la Bible
hébraïque dans lesquels est utilisé le terme de « frère ».
Par exemple : Genèse 13, 8 : « Abraham dit à
Loth, fils de son frère ».
Genèse 12, 5 : « Qu'il n'y ait pas de
dispute entre moi et entre toi, entre mes bergers et entre tes bergers, car
nous sommes des hommes frères... »
Genèse 14, 12 : « Ils avaient pris aussi
Loth... C'était le fils du frère d'Abraham et il habitait à Sodome. Un fuyard
vint annoncer la chose à Abraham l'Hébreu... Dès qu'Abram entendit que son
frère avait été emmené captif... ».
Genèse 29, 12 : « Jacob annonça à Rachel
qu'il était le frère de son père et qu'il était le fils de Rébecca. Elle courut
l'annoncer à son père. Quand Laban entendit la nouvelle, à savoir que
c'était Jacob, le fils de sa soeur... » Genèse 29, 15 :
«
Laban dit à Jacob : Est-ce parce que tu es mon frère... ».
Genèse 31, 54 : « Puis Jacob sacrifia un
sacrifice sur la montagne et invita ses frères à manger du pain... »
Les « frères » en l'occurrence ce sont
les hommes de la tribu de
Laban :
Genèse 31, 22 : « Au troisième jour, on
annonça à Laban que Jacob avait fui. Il prit ses frères avec lui... ». Genèse 31, 46 :
« Jacob dit à ses frères... » (= les hommes de la tribu de Laban).
Lévitique 10, 1 : « Les fils d'Aaron, Nadab
et Abihou, prirent chacun sa cassolette et y mirent le feu... Puis Moïse
convoqua Mishaël et Elsaphan, fils d'Ouzziel, l'oncle d'Aaron, et leur dit :
Approchez ! Emportez vos frères de devant le sanctuaire... ».
Juges 9, 1 : «Abimélech, fils de
Jeroubbaal, alla à Sichem, vers les frères de sa mère ; il leur parla...
Souvenez-vous que je suis votre os et votre chair... Les frères de sa
mère redirent toutes ces paroles aux oreilles des habitants de Sichem
et le coeur de ceux-ci pencha vers Abimélech, car ils se dirent : C'est notre
frère...
Les textes sont très nombreux. On voit que l'expression hébraïque que
l'on trouve dans nos Évangiles : « les frères de Jésus » ne signifie pas nécessairement
ce qu'elle signifierait en langue française d'aujourd'hui.
L'Église a défini, exprimé, formulé ce qu'elle pense à ce sujet le 8 décembre 1854.
Après avoir consulté plus de six cents évêques et obtenu cinq cent quarante-six
réponses favorables à cette définition (cela équivaut donc à un concile) le pape Pie IX a
exprimé la pensée de l'Église : Marie a été créée sainte, par la grâce de
Dieu. Elle n'a pas eu, comme nous, à se convertir, à passer de la vieille
humanité à l'humanité nouvelle. Il n'y a pas, dans son cas, un état qui précède
la nouvelle naissance, la naissance à la vie de Dieu qui est
C'était la thèse défendue par le
bienheureux Jean Duns Scot
à la Sorbonne (elle a bien changé depuis) en 1308.
Le 1er novembre 1950, par la bouche de Pie XII,
l'Église a défini et formulé ce qu'elle pensait : dès l'instant de sa mort,
Marie est entrée dans la gloire de Dieu. Elle n'a pas attendu, elle n'attend
pas la fin des temps pour entrer dans la gloire de Dieu.
Paris le 20 janvier 1980
TABLE DES MATIÈRES
L'hérésie de Noêtos, de Sabellius et de Praxéas
Les Symboles baptismaux des églises anciennes
L'hérésie de Noêtos, Praxéas et Sabellius
La crise arienne et le concile de Nicée
Les conditions de la divinisation
La possibilité de la perdition
[1] Sur cette question, cf. par exemple Steven WEINBERG
(Prix Nobel de physique 1979), Les trois premières minutes de l'Univers, trad. fr. éd. du Seuil, 1978 ; ou bien :
Jean HEIDMANN, Au-delà de notre
Voie lactée, Un étrange Univers, éd. Hachette, 1979. Voir aussi, du même auteur, le
chapitre : Évolution de l'Univers
et des galaxies, dans
[2] Cf. par exemple, pour débuter : Jean Audouze et Sylvie VAUCLAIR, L'Astrophysique nucléaire, coll. Que Sais-je ? Presses
Universitaires de France, 1972.
[3]Par exemple : A. LEHNINGER, Biochimie, trad. fr. éd. Flammarion, 1973, ou Jacques KRUH, Biochimie, éd. Hermann, 1978.
[4] Par exemple : Pierre - P. GRAssÉ, Précis
de Biologie générale, éd.
Masson, 1966.
[5] Cf. par exemple Pierre-P. GRASSÉ, Précis
de Zoologie, éd. Masson.
Lire aussi : Max de CECCATY, La Vie de la cellule à l'Homme, éd. du
Seuil. Joël de ROSNAY, Les Origines de la vie, éd. du Seuil.
[6] Sur ce point,
cf. notre étude : Les Problèmes de l'athéisme, éd. du
Seuil, 1972, pp. 143 et sq.
[7] Paul COUDERC, Astronome titulaire de l'Observatoire de Paris, L'Expansion de l'Univers : les faits, apud
[8] Claude
TRESMONTANT, Comment se pose aujourd'hui le problème de l'existence de
Dieu, Paris, éd. du Seuil, 1966. Le même ouvrage, édition augmentée, en livre de
poche, éd. du Seuil, 1970. Les Problèmes de l'athéisme, éd. du Seuil,
1972. Sciences de l'Univers et problèmes métaphysiques, Paris, éd. du
Seuil,
[9] Cf. Joseph MANSION, Esquisse
d'une Histoire de la Langue sanscrite, Paris,
1931.
[10] Cf. A. MEILLET, La méthode
comparative en linguistique historique, Paris, 1924, éd. Champion.
[11] Cf. C. BROCKELMANN, Précis de linguistique sémitique, Paris, 1910, éd. Genthner.
[12] Cf. par exemple P.P.
GRASSÉ, A. HOLLANDE, P. LAVIOLETTE, V. NIGON, E. WOLFF, Biologie générale, Paris, éd. Masson,
1966.
[13] Ouvrages
cités plus haut, p. 29. (Voir note 8, p. 14)
[14] Sur cette question, cf. E. GENET-VARCIN, Éléments de Primatologie. A la recherche du Primate ancêtre de l'Homme, Paris, éd.
Boubée et Cie, 1969. Jean PIVETEAU, Traité
de Paléontologie, tome VII : Primates
Paléontologie humaine, éd. Masson, 1957. Du même auteur : L'Origine de l'Homme, éd. Hachette,
1962. Origine et destinée de l'Homme, éd.
Masson,
[15] Cf. P.P.
Grassé, Précis de Zoologie,
Vertébrés, tome III, éd. Masson,
1977.
[16] Prononcer : rouach,
le ch final dur,
comme dans l'allemand Buch
[17] Pour savoir ce qu'est la Gnose,
la tradition gnostique et les systèmes gnostiques, cf. Histoire des Religions sous la direction
d'H.C. PUECH, Encyclopédie de la Pléiade, t. II, les chapitres consacrés à la Gnose, à
l'hermétisme et au manichéisme. Et aussi : H.C. PUECH, En quête de la Gnose, Paris,
éd. Gallimard, 1978 ; H. JONAS, La Religion gnostique, éd. Flammarion,
1978.
[18] Cf. notre étude : La Métaphysique du christianisme et la naissance de
la philosophie chrétienne, Paris, éd. du Seuil, 1962,
p. 395 et sq.
[19] IRÉNÉE de LYON, Contre
les Hérésies, texte et traduction coll. Sources chrétiennes, éd. du
Cerf, livre IV.
[20] Il existe
plusieurs introductions scientifiques à la Bible de haut niveau, en français, en allemand, ou en
anglais. En français, un ouvrage déjà ancien, mais excellent comme introduction
à la Bible hébraïque : L'Histoire de la
Littérature hébraïque et juive d'Adolphe Lods, éditions Payot, - une
vie de travail. Du même auteur : Israël,
des origines au milieu du VIIIe siècle (éd. Albin Michel) et Les prophètes d'Israël et les débuts du judaïsme (même éditeur).
Plus récente et portant sur toute l'Écriture sainte, y compris les
livres du Nouveau Testament, est l'Introduction à la Bible publiée sous la direction d'A. Robert et A.
Feuillet, éditions Desclée & Cie, 1959 ; on y trouvera tous les
renseignements nécessaires pour aborder l'étude des Livres saints, y compris
des données théologiques. Plus récente encore est la traduction en langue
française de l'ouvrage américain de Wilfrid Harrington, Nouvelle Introduction à la Bible, éditions
du Seuil, 1971.
[21] Sur cette question, cf. par exemple les beaux
livres de Léon BRILLOUIN, Vie, Matière et
Observation, éd. Albin Michel, et : La Science et la Théorie de l'Information, éd. Masson.
François BONSACK, Information,
thermodynamique, vie et pensée, éd. Gauthier-Villars.
[22] Nous avons essayé d'exposer plus amplement ces
problèmes dans notre ouvrage, La Crise moderniste, Paris, éd. du Seuil, 1979.
[23] Cf. René DUSSAUD,
Les Origines cananéennes du sacrifice
israélite, Paris, éd. Ernest
Leroux, 1921.
[24] Le problème de la révélation, Paris, éd. du Seuil, 1970. Le Prophétisme
hébreu, éd. Gabalda, 1982.
[25] On se reportera aux beaux ouvrages de Sir Leonar
WOOLLEY, Ur en Chaldée, trad.
fr. éd. Payot, 1949 ; Abraham, Découvertes
récentes sur les origines des Hébreux,
trad. fr. éd. Payot, 1949 ; Ur, Histoire d'une découverte, éd. Albert Guillot, Paris, 1957 ; et André PARROT, Abraham
et son temps, Cahiers d'Archéologie biblique, n° 14, éd. Delachaux
& Niestlé, 1962.
[26] On trouvera commodément rassemblés ces textes très
anciens dans l'ouvrage
collectif : La
Naissance du Monde, coll. Sources orientales, éd. du
Seuil, 1959. Il faut y ajouter les plus anciennes mythologies helléniques qui sont enracinées dans ces mythologies de
l'Orient ancien, par exemple celle d'Hésiode, Théogonie, texte grec et trad. fr. éd.
Les Belles Lettres, Paris, 1951.
[27] Nous avons relevé et analysé
critiquement les textes dans notre ouvrage déjà cité, Les Problèmes de l'athéisme, éd. du
Seuil, 1972.
[28] Cf. L. CERFAUX et J. TONDRIAU, Le Culte des Souverains dans la civilisation
gréco-romaine, éd. Desclée & C°, 1957.
[29] Un bon livre d'introduction : J. CHAINE, Introduction à la lecture des prophètes, éd. Gabalda.
[30] E. DHORME, Le nom du Dieu d'Israël, Revue d'Histoire des religions, janv.-mars 1952.
[31] En ce qui concerne le milieu
ethnique, sociologique, culturel, linguistique, historique, cf. le superbe
livre de Madame GENOT, Un Homme nommé Salut..., éd. O.E.I.L.
[32] Sur cette question, voir nos
travaux ultérieurs, postérieurs à la rédaction
de ces Éléments
: Le Christ hébreu, nos traductions des Évangiles et de l'Apocalypse.
(Note de 1987.) Ainsi que le beau livre déjà cité de Madame GENOT.
[33] Dictionnaire étymologique de la
langue latine, au mot testis, p. 689.
[34] Cf. par exemple James D. WATSON, Biologie moléculaire du gène, trad. fr. 2e éd., pp. 304-305.
[35] Essai sur le développement de la doctrine
chrétienne, trad. fr., Desclée de Brouwer.
[36] Nous avons abordé cette question
plus tard, après la rédaction de ces Éléments de théologie, dans notre
traduction de l'Évangile de Jean. Voir
le livre déjà cité de Madame GENOT, Un Homme nommé Salut..., éd. O.E.I.L.
Cf. également le livre d'O. CULLMANN, Le Milieu
johannique.
[37] Gustaf DALMAN, Die Worte Jesu, nouv.
éd. 1965, (Les paroles de Jésus) ; malheureusement
cet ouvrage magistral n'a pas trouvé de traducteur en langue française.
[38] C'est ce que nous avons établi
ultérieurement dans nos traductions de Jean, Matthieu et Luc. - J. CARMIGNAC, La Naissance des Évangiles
synoptiques, O.E.I.L., 1984. J.
GENOT, Un Homme nommé Salut..., éd. O.E.I.L., 1986.
[39] Voir sur ce point encore le livre de Madame GENOT.
[40] En 538, Édit de Cyrus : fin de la captivité des Judéens et commencement
du retour. Cf. Histoire Universelle, I,
des Origines à l'Islam, sous la direction de René Grousset et Émile G. LÉONARD,
Encyclopédie de la Pléiade, Librairie Gallimard, p. 426 sq.
[41] Un bon livre sur cette question
: R. LE DÉAUT, Introduction à la
littérature targumique, Institut Biblique Pontifical, Rome, 1966.
[42] La traduction française de ce targum palestinien est maintenant éditée : Targum du Pentateuque, traduction par Roger Le DÉAUT, coll. Sources
chrétiennes, éd. du Cerf, 1978.
[43] J'ai essayé de traduire les plus importantes
lettres de Cyrille, patriarche
d'Alexandrie, contre Nestorios, patriarche de Constantinople, dans : Introduction à la Théologie chrétienne, Paris,
éd. du Seuil, 1974, p. 177 et sq.
[44] J'ai traduit cette lettre capitale dans l'ouvrage
déjà cité, Introduction à la théologie
chrétienne, p. 217.
[45] Origène d'Alexandrie, né vers 185. Dans un ouvrage
célèbre, le Traité des Principes, Origène avait repris les doctrines orphiques,
pythagoriciennes et platoniciennes, que l'on trouve aussi chez son
contemporain et peut-être condisciple Plotin : les âmes, d'essence divine,
préexistaient et elles sont tombées dans des corps mauvais à cause d'une faute
antérieure à la création du monde physique. Cf. C. TRESMONTANT, La Métaphysique du christianisme et la
philosophie chrétienne, Paris, éd. du Seuil, 1962, p. 395 et sq.
[46] Nous avons traduit une partie de la Lettre de
Sophronius adressée au pape Honorius et aux patriarches de Constantinople et d'ailleurs, Introduction à la Théologie... p. 236 sq.
[47] Grégoire de Nazianze, Oratio 30, 12.
[48] Nous avons traduit le texte
complet dans notre Introduction à la
théologie, p. 268 et sq.
[49] Nous avons essayé de développer
ce point dans une petite brochure : La
Mystique chrétienne et l'avenir de l'Homme, Paris, éd. du Seuil, 1977.
[50] Sur cette doctrine proprement gnostique et
théosophique de la création et de
l'incarnation, que Hegel a reçue de Jacob Bôhme et des traditions gnostiques, ainsi que de la Kabbale, qui est
la Gnose juive, cf. notre petit excursus, La Métaphysique du christianisme et la naissance de la philosophie chrétienne, Paris, éd. du Seuil
1962, Appendice : Notes sur la permanence
de la Gnose et du néoplatonisme dans la pensée occidentale.
[51] Sur cette question, voir le beau et grand livre de
Joachim JEREMIAS, Abba, Gôttingen,
éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1964. Et aussi : W. MARCEL, Abba, Père ! La prière du
Christ et des chrétiens, Rome, Institut Biblique, 1963.
[52] Au sujet de la signification de
l'expression pour nous encore obscure le
fils de l'homme : Oscar CULLMANN, Christologie du Nouveau Testament, éd.
Delachaux & Niestlé, 1958.
Joachim JEREMIAS, Neutestamentliche Théologie, traduction française : Théologie du Nouveau Testament, éd. du
Cerf, coll. Lectio divina, n° 76.
[53] Le premier qui, à notre
connaissance du moins, a effectué cette transformation logique, c'est le
philosophe judéen alexandrin Philon, contemporain de saint Paul. Il appelle le
propre Logos de Dieu, « fils de Dieu », et même il va jusqu'à
l'appeler dieu second !
[54] Le grec païs est l'une des
traductions de l'hébreu ebed, le serviteur, dans la traduction grecque de
[55] Cf. les grands ouvrages de Paul ALLARD, La Persécution de Dioclétien, éd. Gabalda ; Histoire des persécutions pendant la première moitié du troisième siècle, éd. Gabalda ; Les dernières persécutions du troisième siècle, éd. Gabalda ; Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, éd. Gabalda.
[56] Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln der alten Kirche, réédition, Georg Olms Verlagsbuchhandlung, Hildesheim, 1962.
[57] Enchiridion Symbolorum, éd. 34e, p. 36.
[58] Nous avons traduit le texte complet dans notre Introduction à la théologie chrétienne, p. 355.
[59] Nous traduisons ces textes d'après le Fragment d'Hippolyte Contre toutes les hérésies, éd. P. Nautin, éd. du Cerf.
[60] Hippolyte ou Pseudo-Hippolyte, (comme on voudra), Elenchos contre toutes les Hérésies, livre IX.
[61] Nous avons traduit quelques-uns des textes et documents d'Arius et concernant' Arius dans notre Introduction à la théologie chrétienne, pp. 359 et sq.
[62] Sur ce point, je recommande la lecture d'un théologien espagnol du début de ce siècle qui s'appelle Juan G. ARINTERO, La evolucion mistica, Biblioteca de Autores cristianos, Madrid.
[63] Une bonne Histoire de l'Église, par exemple celle dirigée par Augustin FLICHE et Victor MARTIN, publiée aux éditions Bloud & Gay. Le tome III est consacré à cette période.
[64] Lettre 38. Nous avons traduit ces documents dans notre Introduction à la théologie chrétienne, pp. 379 et sq.
[65] Nous avons traduit ces documents, op. cit., p. 406 et sq.
[66] Nous l'avons traduite, op. cit. p. 384.
[67] Par exemple Grégoire de Nazianze, Oratio 21 ; trad. op. cit. p. 405.