Une pensée de saint Thomas sur l’inspiration scripturaire.
 
 

  par M. Tangre

" Auctor principalis Scripturae sacrae est Spiritus Sanctus…Homo autem fuit auctor instrumentalis. "

S. Th., Quodl. VII, art. 14, ad 5m.



En prenant garde à ces parole et en les prenant dans leur véritable sens on a la notion exacte de l’Inspiration scripturaire. On a désigné ici la part d’action qui convenait à Dieu et celle qui revenait à l’homme.

" La cause efficiente se divise en cause principale et cause instrumentale. La cause principale est celle qui opère par la vertu de sa forme à laquelle est assimilé l’effet ; c’est ainsi que le feu en vertu de sa chaleur, chauffe.

La cause instrumentale, elle, n’agit pas par la vertu de sa forme, mais seulement par le mouvement dont la meut le principal agent ; d’où l’effet n’est pas assimilé à l’instrument, mais à l’agent principal ; tout comme le tableau n’est pas assimilé au pinceau, mais à la forme artistique qui est la pensée de l’artiste " (Cf. S. Th. IIIa pars, Q. 62, art.1)

Il faut cependant noter que la forme propre de l’instrument n’est pas inactive dans la réalisation de l’œuvre. L’instrument a deux actions : " l’une, instrumentale, selon laquelle il opère, non en sa vertu propre mais en la vertu du principal agent ; l’autre propre, qui lui revient selon sa propre forme ; tout comme il convient à la scie de scier, en raison de son acuité, et de faire un lit, en tant qu’elle est l’instrument de l’artisan. " Or elle ne parfait l’action instrumentale qu’en exerçant son action propre, c’est en sciant qu’elle fait un lit. " (Cf. S. Th. IIIa pars, Q.2, art. 1 ad 2m)

L’auteur principal, nous dit donc saint Thomas, est celui qui opère en vertu de sa forme à laquelle est assimilée l’effet. Or l’effet de l’inspiration scripturaire n’est rien d’autre que l’Ecriture. Donc l’Ecriture effet de l’inspiration scripturaire , sera assimilée, une fois posée en dehors de ses causes, à Dieu, auteur principal. Il faudra que la vertu propre de Dieu, pour produire son effet qui est l’Ecriture, passe par les instruments dont il lui plait de servir et leur fasse produire son effet, sa similitude à elle, qui sera l’Ecriture.

Dans la production de l’effet final, l’instrument n’agit pas par la vertu de sa forme, mais seulement par le mouvement dont le meut le principal agent. On peut en déduire que la participation de sa forme propre est un quelque chose de transitoire, d’incomplet dans l’ordre de l’existence, un mouvement qui, produit par l’agent principal, dure tant que l’instrument agit, et ne se termine qu’à la complète réalisation de l’effet. Donc l’Inspiration scripturaire sera un mouvement, une participation de la vertu même de Dieu, une vertu surnaturelle qui, produite par Dieu dans les écrivains sacrés, durera tant que ces derniers feront office d’écrivains, et ne se terminera que lorsque aura été reproduite, traduite, exprimée, sur le papyrus ou les tablettes, la similitude parfaite de la forme, de la pensée divine.

Or que trouvons nous chez l’homme, ici instrument. Bien sûr il y a les membres extérieurs. Dieu aura pu les manier pour écrire comme nous manions une plume pour écrire quelque chose. Mais il y plus, dans l’homme il y a aussi une imagination plus ou moins vive, une mémoire qui, sans être infidèle, pourra être plus ou moins prompte, plus ou moins précise, un cœur dont les émotions ne seront pas toujours les mêmes, un esprit plus ou moins puissant et, enfin, une volonté libre. Tout ceci sera mis en branle sous l’action de Dieu écrivant son Livre, et tout cela écrira selon sa nature, selon sa forme propre.

Ainsi il n’est rien dans cette œuvre qui ait été produit, si ce n’est parce que ces hommes-là ont voulu, ont pensé, se sont souvenus, ont imaginé, ont façonné des lettres et mille autres choses semblables qui conviennent à l’homme en raison de sa nature. Et il faut pourtant rajouter qu’il n’y eut pas un seul instant où, par chacun de ces actes, chacun de ces hommes ne travaillât à produire l’œuvre divine : l’Ecriture. De même qu’il n’est rien dans l’œuvre d’art effectuée qui y ait été produit, si ce n’est parce que le ciseau a taillé, en vertu de sa nature, et que le ciseau n’a pas taillé un seul instant sans travailler par là à produire l’œuvre d’art.

Il serait donc à peu près aussi stupide de dire que la théorie de saint Thomas attribue l’Ecriture à l’homme que de dire en parlant d’une peinture de Fra Angelico qu’elle n’est pas de Fra Angelico mais du pinceau. La réalité est que l’artiste a atteint son but, a fait passer son idéal par le pinceau. L’artiste a tout vu et tout réalisé par le pinceau. Il n’y a rien qui ne soit à la fois l’œuvre du pinceau et de l’artiste. L’Ecriture est l’expression de la pensée divine. Mais cette expression Dieu l’a faite par l’homme. Elle est donc totalement et intégralement l’œuvre de Dieu, totalement et intégralement l’œuvre de l’homme : de l’homme comme auteur instrumental, de Dieu comme auteur principal.

" Quand on attribue à la vertu divine et à une cause naturelle un même effet, ce n’est pas en ce sens qu’il soit partiellement de Dieu et partiellement de l’agent naturel, mais bien parce que, tout entier des deux, il leur appartient à divers titres. C’est ainsi que le même effet est attribué tout entier à l’instrument, et qu’à l’agent principal aussi il est attribué tout entier " (Sum. Cont. Gent. lib. III, c. 70 in fine)

Il faut remarquer enfin qu’il n’est pas nécessaire que Dieu ait inspiré les mots aux écrivains sacrés. D’abord parce que cela relèverait plus de la prophétie que de l’Inspiration scripturaire, et ensuite parce qu’alors l’esprit de l’écrivain sacré n’a plus son action propre, il n’est plus instrument, il n’est plus cause, il n’est plus auteur. Dieu n’est plus l’auteur principal de l’Ecriture, il en est l’auteur total.

L’âme des auteurs sacrés n’est pas un simple canal, elle est une source. Bien sûr, elle n’est pas une source première, mais elle demeure une source.

De plus si la thèse posant dans l’écrivain sacré des pensées divines enlève à ces écrivains leur rôle de source, elle rajoute un problème, qui nous dit que ce que je lis est bien de Dieu. Si l'inspiration scripturaire ne va pas jusqu'à l'Ecriture qui me dit que ce que je lis est conforme à la pensée divine qui a habité cet écrivain. Il faut donc retenir la thèse thomiste comme étant la plus sûre et la plus conforme à l’enseignement du magistère