La hiérarchie catholique
et ses tria munera

Le Christ a institué la hiérarchie ecclésiastique
en vue de la mission de paître le peuple de Dieu en son nom ;
et c’est pourquoi il lui a donné l’autorité
(Compendium du Catéchisme de l’Église catholique, n° 179).

 

La succession apostolique est ordonnée « assurer au peuple de Dieu des pasteurs et les moyens de sa croissance », grâce à des « ministères variés qui tendent au bien de tout le corps » (LG, n° 18).

Quels sont donc les caractères de la hiérarchie apostolique ? Quels en sont les degrés, et quels sont les rapports qui unissent ces divers degrés ? Enfin, quelles sont les fonctions de la hiérarchie ?

Caractères généraux de la hiérarchie catholique

Comme toute société, l’Église a besoin d’une hiérarchie, ordonnée au bien commun, poursuivi selon les règles du droit et de la morale. Mais la hiérarchie catholique offre des caractères originaux.

Une hiérarchie sacramentelle

Si les trois degrés de la hiérarchie sont conférés par un sacrement, c’est que la hiérarchie catholique est le signe mystérieux en même temps que l’instrument d’une puissance sanctificatrice qui dépasse tout pouvoir humain, celle du Christ Tête et de l’Esprit Saint : « L’Esprit de Jésus […] fait d’elle son instrument ordinaire dans le ministère de la parole et des sacrements » (Paul VI). Les ministres ordonnés n’agissent pas en leur nom, ni au nom de la communauté, mais in persona Christi capitis.

Une hiérarchie de service

Toute hiérarchie est au service du bien commun. En outre, la hiérarchie de l’Église est service en raison de sa nature instrumentale : celui qui transmet des biens qui le dépassent à l’infini ne peut qu’être un serviteur, à l’image du Christ venu « dans la forme d’esclave », « pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude ». C’est en ce sens que le sacerdoce chrétien est ministériel.

Une hiérarchie collégiale

La notion de collégialité, bien connue des Pères mais parfois oubliée par la suite, et remise en valeur par Vatican II, a été contestée par les intégristes en raison de certaines interprétations abusives. Le mot « collège », fréquent chez saint Thomas, est un mot analogue aux emplois très divers. Chez les derniers papes, la collégialité désigne d’abord la collégialité affective, « lien fraternel des cœurs, qui est l’âme de la collaboration entre les évêques », et d’où découle la « collégialité effective » (Jean-Paul II), leur « coopération fraternelle au service de l’évangélisation et de la mission de l’Église » (Paul VI).

Un caractère personnel

La collégialité n’exclut pas le caractère personnel des vocations et des fonctions dans l’Église. C’est personnellement que chaque ministre assume ses responsabilités, agissant en la personne du Christ en faveur de personnes déterminées.

Les degrés du ministère ecclésiastique
et les rapports qui les unissent

Nombre et distinction des Ordres

Le concile Vatican II a ramené le nombre des ordres ecclésiastiques à trois, comme au ier et au iie siècles. Depuis le iiie siècle, on comptait dans l’Église romaine sept Ordres, les Ordres mineurs représentant un déploiement des fonctions du diaconat.

Les Ordres se distinguent en raison de leur rapport au corps du Christ : le presbytérat donne pouvoir sur son corps sacramentel, l’épiscopat sur son corps mystique ; le diaconat met au service de l’un et de l’autre.

Le sacrement de l’Ordre
à la source des ministères ecclésiastiques

Comme son nom l’indique, le sacrement de l’Ordre intègre un ordre ou corps constitué, en vertu d’une ordination qui n’est pas une simple délégation ou institution, mais qui, par l’imposition des mains de l’évêque, confère un pouvoir.

Seuls l’épiscopat et le presbytérat confèrent le sacerdoce ministériel, participation particulière au sacerdoce du Christ, distincte par nature du sacerdoce royal des fidèles et ordonnée à celui-ci.

Le sacrement de l’Ordre est unique. La distinction des ordres est celle d’un tout potentiel, réalisé selon sa raison complète dans l’épiscopat et diversement participé par le presbytérat et le diaconat. Les différents ordres structurent ontologiquement la hiérarchie de l’Église.

L’épiscopat

Les évêques en général

Au sommet des ministères ordonnés figure l’épiscopat, plénitude du sacerdoce, qui fait de l’évêque « l’image du Père » et le « signe vivant » du Christ, maître de la foi, pontife et pasteur.

Plus que tout autre, les évêques doivent se considérer comme les serviteurs du troupeau, mais ils  exercent se service en exerçant leur autorité, grâce à leurs pouvoirs, au bénéfice de leur peuple.

Le collège épiscopal

Le Christ a donné aux Apôtres « la forme d’un collège, c’est-à-dire d’un groupe stable », présidé par Pierre. Selon une tradition vénérable bien présente chez Léon XIII et Journet, et mise en valeur par le concile Vatican II, au collège des Apôtres a succédé le collège des évêques, présidé par le successeur de Pierre.

Incorporation au collège épiscopal

Effets de l’ordination épiscopale

Les nouveaux évêques sont incorporés au collège épiscopal par l’ordination épiscopale, qui leur confère un caractère indélébile, source ultime de leurs pouvoirs, et la grâce nécessaire à leurs fonctions. « La consécration épiscopale » elle-même (comme le précise le CIC), « en même temps que la charge, munus, de sanctifier, confère aussi les charges, munera, d’enseigner et de gouverner » (LG, n° 21).

Rôle de la communion hiérarchique

Néanmoins, ces deux dernières fonctions « de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec le chef du collège et ses membres » (ibid.). Ces munera ne deviennent pouvoirs, potestates, « aptes à s’exercer en acte », que moyennant « la détermination canonique ou juridique de la part de l’autorité hiérarchique » (Nota prævia). À défaut de cette détermination, il ne s’agit que de puissances, potentiæ. Leur exercice est illicite, mais l’Église ne s’est pas prononcée sur sa validité. Elle reconnaît la validité de fait de la juridiction spirituelle des évêques orthodoxes, sans préciser des fondements de cette validité.

La double charge des évêques

« Chaque évêque a, comme vicaire du Christ, la charge pastorale de l’Église particulière qui lui a été confiée, mais en même temps il porte collégialement avec tous ses frères dans l’épiscopat la sollicitude pour toutes les Églises » (CEC, n° 1560, s’appuyant sur Pie XII, encyclique Fidei donum). Nous n’envisageons ici que son ministère de « pasteur propre ».

« Un diocèse [ou Église locale, ou Église particulière] est une portion du peuple de Dieu confiée à un évêque, pour qu’à l’aide de son presbyterium il en soit le pasteur » (Christus Dominus, n° 11).

« Les évêques, en tant que successeurs des apôtres, ont de soi, dans les diocèses tout le pouvoir ordinaire, propre et immédiat, requis pour l’exercice de leur charge pastorale, étant sauf toujours et en toutes choses le pouvoir que le Pontife romain a, en vertu de sa charge, de se réserver des causes ou de les réserver à une autre autorité » (CD, n° 8).

Le pontife romain

Un pape, pourquoi faire ?

Selon toute la Tradition théologique et magistérielle, l’institution de la papauté est ordonnées à l’unité de l’Église. Dans toute société parfaite, et surtout dans l’Église, qui requiert l’unité de la foi, le gouvernement qui assure le plus efficacement la paix est celui d’un seul (saint Thomas). De fait, Dieu a donné à l’Église un chef divin unique, le Christ, mais depuis son Ascension, il nous a laissé, dans la ligne de son Incarnation, un chef visible, « pour que l’épiscopat fût un et non divisé » (Pastor æternus) : Pierre, dont la foi est le fondement de la nôtre, et ses successeurs.

Élaboration de la notion de primauté
dans le magistère ecclésial

L’époque patristique

Le premier, saint Jules (337-352), cassa d’autorité la déposition de saint Athanase par le concile de Tyr, arguant de la « coutume » de soumettre les cas de ce genre au siège romain. Sous son pontificat, le concile de Sardique (343) présente ce siège comme « la tête » de tous les évêques et l’ultime recours en cas de conflit. Ses successeurs lui attribuent la « sollicitude de toutes les Églises », en tant qu’héritiers de Pierre et têtes du corps ecclésial (Sirice) ; ils invoquent en ce sens « la tradition ancienne » (Innocent I, cf. Zozime), réaffirment le caractère définitif des sentences romaines (Boniface I) et la nécessité pour tous, même les Orientaux (Boniface I), d’être en communion avec le Siège romain, source unique s’écoulant dans le monde entier (Innocent I, Boniface I), s’appuyant sur la déclaration du Seigneur à Césarée (Boniface I). Lors du concile d’Éphèse, le légat de Célestin I rappela les privilèges de Pierre et de ses successeurs.

Avec saint Léon, la doctrine patristique du primat romain arrive à son plein développement : le Christ a conféré à Pierre la primauté sur tous les autres Apôtre ; comme Pierre vit dans ses successeurs, ceux-ci jouissent de la primauté sur tous les autres évêques, en vue du bien pastoral de l’Église universelle. En 449, le pontife casse le « brigandage d’Éphèse ». Lors du concile de Chalcédoine, il obtient, non sans quelques difficultés, l’approbation du Tome à Flavien, et le concile reconnaît en lui « l’interprète de la voix du bienheureux Pierre ». Il n’en refuse pas moins d’entériner le 28e canon, qui ne reconnaissait à Rome qu’une primauté d’honneur fondée sur des motifs politiques.

En 515, saint Hormisdas obtient du patriarche de Constantinople la signature du Libellus fidei, formule de foi qui sera reprise, entre autres, par le IVe concile de Constantinople et le concile Vatican I :

La première condition du salut, c’est de garder la règle de la vraie foi, et de ne s’écarter en rien de la tradition des Pères ; parce qu’on ne peut mettre en oubli la sentence de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a dit : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». Ces paroles ont été justifiées par l’événement ; car la religion catholique a toujours été conservée sans tache par le Siège apostolique […]. C’est pourquoi, suivant en toutes choses le Siège apostolique, et proclamant tout ce qui a été décrété par lui, j’espère mériter d’être avec vous dans une même communion, qui est celle de la chaire apostolique, dans laquelle réside l’entière et véritable solidité de la religion chrétienne.

À la fin du siècle, saint Grégoire se présente comme le protecteur de la dignité des évêques face aux intrusions du pouvoir séculier : « Mon honneur à moi est l’honneur de l’Église universelle. Mon honneur à moi est la solide vigueur de mes frères » (lettre à Euloge). Il n’intervient en Orient que quand il y est invité, ou qu’une attitude fautive se fait jour.

Le moyen âge

Le haut moyen âge

Le moyen âge jusqu’au xiiie siècle voit l’essor de la papauté, confrontée aux empiètements des princes sur la liberté de l’Église, mais aussi le schisme de Photius, puis le grand schisme d’Orient à partir duquel les Orientaux cessent de reconnaître l’autorité de l’évêque de Rome.

Le 4e concile de Constantinople (869-870), approuvé par Hadrien II, reconnaît la primauté romaine, mais aussi le régime de la pentarchie, auquel Rome avait jusque là préféré celui de la triarchie des sièges pétriniens.

À partir du xie siècle, face aux ingérences du pouvoir temporel, et dans le contexte de la société sacrale de l’époque, les papes formulent les privilèges de leur siège de manière de plus en plus radicale. Le titre de « vicaire du Christ » est réservé au pontife romain. Le 2e concile de Lyon (1274) fait admettre aux Orientaux une formule inspirée de saint Thomas, stipulant la plenitudo potestatis de l’Église romaine, son autorité universelle, son rôle en matière de foi, notamment dans les conciles, et son droit de juger toutes les causes en dernière instance.

Le bas moyen âge

La fin du moyen âge est marquée par le nominalisme et le conciliarisme. L’idée se répand que le concile est supérieur au pape, que celui-ci n’est que le représentant de l’Église, de laquelle dérive son autorité, qu’il peut errer, et doit alors être jugé par le concile. Ce courant se prolongera par le gallicanisme, le jansénisme et le joséphisme.

Face à ces tendances, Eugène IV réaffirme l’autorité pontificale avec la bulle Lætentur cæli du concile de Florence (1439), approuvée par les Grecs :

Nous définissons que le Saint-Siège apostolique et le pontife romain détiennent le primat sur tout l’univers et que le pontife romain est quant à lui le successeur du bienheureux Pierre prince des apôtres et le vrai vicaire du Christ, la tête de l’Église entière, le père et le docteur de tous les chrétiens, et que c’est à lui qu’a été transmis par notre Seigneur Jésus Christ, dans le bienheureux Pierre, le pouvoir plénier de paître, de diriger et de gouverner l’Église universelle, ainsi qu’il est contenu dans les actes des conciles œcuméniques et dans les saints canons.

En 1479, Sixte IV condamne la proposition de Pierre d’Osma : Ecclesia urbis Romæ errare potest.

Le concile de Trente

Le concile n’apporte pas de précisions nouvelles à cet enseignement, se contentant de proclamer la légitimité des évêques choisis par le pape.

Vatican I

Après un beau prologue relatif à la finalité du primat pétrinien et deux chapitres en rappelant les fondements : la primauté de Pierre et sa succession chez les évêques de Rome, la constitution Pastor æternus envisage, face au gallicanisme, au fébronianisme et au joséphisme, sa primauté de juridiction et son infaillibilité.

Primauté de juridiction

Il jouit sur tous les pasteurs et tous les fidèles, séparément et tous ensemble (contre Mgr Maret) d’un pouvoir de juridiction ordinaire (propre et non délégué, permanent), vraiment épiscopal (ou pastoral, mais non primatial, destiné seulement à pallier les défaillances des autres évêques) et immédiat (permettant l’accès direct de chaque fidèle au pape). Ce pouvoir n’est pas destiné à exténuer l’autorité des évêques, mais à la conforter, notamment face aux pouvoirs politiques.

Infaillibilité doctrinale

Cette infaillibilité est attestée par les conciles de Constantinople IV, Lyon II et Florence, et par la pratique de l’Église qui a toujours recouru au pontife romain en cas de danger pour la doctrine. Elle est destinée à nourrir l’Église de vérité et à la conserver dans l’unité. Elle s’exerce quand le pape définit ex cathedra, en matière de foi ou de mœurs (domaine de l’infaillibilité de l’Église en général), une doctrine présentée à la foi de toute l’Église comme faisant partie du dépôt révélé (il n’est pas question d’une révélation nouvelle). Elle n’est pas subordonnée au contentement de l’Église (contre les gallicans) :

Lorsque le pontife romain parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, il définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine en matière de foi ou de morale doit être tenue par toute l’Église, il jouit, en vertu de l’assistance divine qui lui a été promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que soit pourvue son Église lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi ou la morale ; par conséquent, ces définitions du pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église.

Vatican II

La constitution Lumen gentium rappelle avec une grande netteté les acquis du concile précédent, insistant sur « le libre exercice du pouvoir suprême par le pape seul » :

Le Pontife romain a sur l’Église, en vertu de sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de toute l’Église, un pouvoir plénier, suprême et universel qu’il peut toujours exercer librement (LG, n° 22).

Elle explique l’infaillibilité pontificale à partir de l’infaillibilité de l’Église :

L’infaillibilité dont le divin rédempteur a voulu pourvoir son Église quand elle définit la doctrine de la foi ou les mœurs garantit tout ce qui concerne le dépôt de la révélation divine qu’elle doit garder saintement et exposer fidèlement. De cette infaillibilité, le Pontife romain, chef du collège des évêques, jouit du fait même de sa charge quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la foi (cf. Lc 22, 32), il proclame, par un acte définitif, un point de doctrine touchant la foi et les mœurs. C’est pourquoi les définitions qu’il prononce sont dites, à juste titre, irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église, étant prononcées sous l’assistance du Saint-Esprit à lui promise en la personne de saint Pierre, n’ayant pas besoin, par conséquent, d’une approbation d’autrui, de même qu’elles ne peuvent comporter d’appel à un autre tribunal. En effet, le Pontife romain ne prononce pas une sentence en tant que personne privée, mais il expose et défend la doctrine de la foi catholique, en tant qu’il est, à l’égard de l’Église universelle, le maître suprême en qui réside, à titre singulier, le charisme d’infaillibilité qui est celui de l’Église elle-même (LG, n° 25).

Elle signale le religiosus assensus dû à tout enseignement « authentique » (=donné au nom du Christ en vertu de sa charge) du pontife romain, même quand il ne s’exprime pas ex cathedra.

Le magistère ordinaire récent

Le Code de Droit canon (1983), le Catéchisme de l’Église catholique (1992), le Compendium du CEC (2005), synthétisent la doctrine du concile avec vigueur :

Le Pape, évêque de Rome et successeur de saint Pierre, est principe perpétuel et visible et fondement de l’unité de l’Église. Il est le vicaire du Christ, la tête du collège des évêques et le pasteur de toute l’Église, sur laquelle il a, par institution divine, un pouvoir plénier, suprême, immédiat et universel (Compendium, n° 182)).

Dans l’encyclique Ut unum sint (1995), Jean-Paul II réaffirmait l’enseignement traditionnel sur le primat pétrinien, en présentant celui-ci comme ministère de la miséricorde au service de l’unité, et appelait « tous les pasteurs et théologiens » des Églises chrétiennes à « chercher, évidemment ensemble, les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et par les autres » (n° 95).

Problèmes actuels

Primat universel et chaire romaine

Périodiquement, certains proposent de dissocier le primat universel de la chaire romaine. Depuis les origines, c’est à l’évêque de Rome qu’est revenu le primat universel ; le pape a donc toujours été élu par le clergé romain. Ce fait soustrait le pape, dans une certaine mesure, aux contingences politiques. Surtout, il met en relief le lien qui unit le pape actuel, en vertu de la succession apostolique, à l’Apôtre institué par le Sauveur lui-même, montrant que le chef de l’Église n’est pas le vicaire de l’Église, mais du Christ.

Hypothèse d’un pape hérétique

Depuis le xie siècle, à l’époque du conciliarisme, puis dans la scolastique tardive et enfin, tout récemment, dans certains milieux intégristes, on a émis l’hypothèse d’un pape hérétique comme personne privée, qui devrait être jugé par le concile ou par le clergé romain. Comme une telle hypothèse ne s’est jamais réalisée depuis 2000 ans, et pose de sérieuses difficultés psychologiques et théologiques, on peut penser qu’elle relève de la théologie-fiction.

Le magistère pontifical ordinaire

La constitution Pastor æternus ne mentionnant que l’enseignement ex cathedra des papes, qui n’intervient que de manière exceptionnelle, et non le magistère ordinaire de leur siège, dont l’infaillibilité n’était contestée par personne, beaucoup de théologiens récents n’accordent à celui-ci d’autre autorité que celle d’un docteur privé.

Les deux formes du magistère suprême

En réalité, le dépôt de la foi n’est pas contenu seulement dans l’enseignement solennel ou définitoire de l’Église, mais aussi dans son enseignement « ordinaire et universel » (constitution Dei Filius), « forme normale de l’infaillibilité de l’Église » (cardinal Ratzinger), qui s’exprime habituellement par les pontifes romains et requiert comme le précédent la foi théologale.

Ainsi, dans l’enseignement quotidien des papes, les affirmations isolées, présentées comme non définitives, appellent seulement le religiosus assensus, « la reconnaissance respectueuse de son suprême magistère, et l’adhésion sincère à ses affirmations, en conformité à ce qu’il manifeste de sa pensée et de sa volonté et que l’on peut déduire en particulier du caractère des documents, ou de l’insistance à proposer une certaine doctrine, ou de la manière même de s’exprimer » (LG, n° 25). Les affirmations définitives sont infaillibles et exigent la foi théologale.

Critères de discernement

On peut discerner les unes et les autres par les critères suivants :

Universalité

Quand le pape présente un enseignement comme le reflet de la foi de l’ensemble de l’Église universelle, il est infaillible. Cette universalité n’est pas seulement synchronique, mais aussi diachronique.

Continuité

Quand une doctrine a été constamment tenue par l’Église de la ville de Rome, qui ne peut errer, elle est certainement vraie.

Intention du pontife

La forme du document, l’extension du public visé, peuvent donner une indication sur l’intention du pape, mais ne suffisent pas à la déterminer avec certitude. Quand le pontife entend trancher un débat, la matière cesse d’être librement discutée par les théologiens. S’il présente son enseignement comme appartenant déjà par ailleurs à la doctrine catholique, celui-ci s’impose à la foi.

Attitude des théologiens et des fidèles

« Le Christ a laissé comme pasteur visible sur la terre un homme qui est son seul vicaire suprême, afin qu’en l’écoutant, les brebis entendissent dans sa voix celle de Jésus-Christ lui-même » (Pie VI). Même si toutes les affirmations contenues dans l’enseignement quotidien des papes ne sont pas infaillibles,, les pasteurs et les fidèles y trouveront une nourriture spirituelle particulièrement saine et substantielle, et des critères de discernement incontestables.