Cours d’ecclésiologie

 

 

 

Credo apostolicam Ecclesiam

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Abbaye Saint-Michel de Kergonan

2004


 


Introduction :
Les régimes divins de l’Église
dans le plan de Dieu

 

La sainte Église est le commencement,, de toutes choses
(Saint Épiphane, adv. hær. I, 4).

A

près avoir recherché ce qu’est l’Église, ou qui elle est, à partir des noms que lui donnent l’Écriture et la tradition, il nous faut approfondir ses causes et, finalement, sa vie à partir des propriétés[1] qu’elle s’est elle-même reconnues dès le ive siècle dans le symbole de Nicée-Constantinople : unam, sanctam, catholicam et apostolicam ecclesiam. On se rappelle que ces propriétés correspondent aux quatre causes de l’Église, développées dans la constitution Lumen gentium :

Cause formelle :                                                                                                     unité

Cause finale :                                                                                                      sainteté

Cause matérielle :                                                                                         catholicité

Cause efficiente :                                                                                         apostolicité

Dans l’ordre de l’intention, la première de ces causes est la cause finale. Mais dans l’ordre d’exécution, il s’agit de la cause efficiente. Nous évoquerons donc en premier lieu l’apostolicité, qui s’exprime dans la hiérarchie, cause efficiente immédiate de l’Église.

Mais il nous faudra avant tout situer celle-ci dans le dessein de Dieu, en fonction des divers régimes selon lesquels Dieu, à titre de cause efficiente première et principale, conduit au salut l’humanité qu’il a créée.

L’Église au cœur du dessein de Dieu[2]

Processions trinitaires et économie

En une convergence impressionnante, saint jean et saint paul nous présentent  la geste du Verbe incarné comme un double mouvement de sortie du Père et de retour au Père, de descente et de montée : « Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde, et voici que je quitte le monde et que je vais au Père » (Jn 16)… « Alors qu’il était dans la forme de Dieu… il s’est dépouillé, prenant la forme d’esclave… il s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix… c’est pourquoi Dieu l’a exalté » (Ph 2, 6… 9). Mais c’est toute l’économie de la création et de la rédemption qui, selon saint Thomas, s’inscrit dans le prolongement du « mouvement giratoire » des processions divines :

Dans leur émanation à partir du premier Principe, les créatures accomplissent une sorte de circuit, de mouvement giratoire, toutes choses revenant comme à leur fin vers le premier principe dont elles sont issues. Il faut ainsi s’attendre à ce que leur retour vers la fin s’opère par les mêmes causes que leur sortie du principe. Or on a dit[3] que la procession des personnes est la raison suprême de la production des créatures par le premier principe. Elle est donc aussi la raison du retour vers la fin. Nous avons été créés « par le Fils et par le Saint-Esprit », et c’est encore « par eux » que nous sommes unis à notre fin...

            Dès lors, il y a deux manières de considérer la procession des personnes dans les créatures. En premier lieu, comme raison de la production des choses : c’est cette procession qui est en cause, si l’on considère les dons naturels qui nous font subsister ; Denys dit ainsi que la sagesse ou la bonté divine « procèdent » dans les créatures...

            En second lieu, comme raison du retour vers la fin : alors on considère seulement les dons qui nous unissent de près à Dieu, Fin ultime, c’est-à-dire la grâce sanctifiante et la gloire. Et voilà de quelle procession il s’agit [dans la mission invisible][4].

Histoire du monde et Trinité

Le mouvement éternel qui va du Père au Père et entraîne toute chose dans le sillage de la circumincession trinitaire inscrit par le fait même sa marque dans le temps. L’histoire du monde présente plusieurs étapes, souvent distinguées par les Pères, avec quelques variantes : création de l’univers, de l’ange, de l’homme ; après la chute, loi de nature ; à partir d’Abraham, régime de la première Alliance ; depuis l’Incarnation et la Pentecôte, régime actuel de l’Église, qui prendra fin lors du retour du Christ :

Il y a eu au cours des âges deux célèbres changements : ce sont les deux Testaments, que l’Écriture appelle « deux tremblements de terre » (cf. He 12, 26), tant ils sont connus. Le premier, ce fut le passage de l’idolâtrie à la Loi ; le second, c’est le passage de la Loi à l’Évangile. Et un troisième tremblement de terre nous est annoncé, qui sera le passage de ce monde à l’autre — à cet autre qui n’est sujet ni aux mouvements, ni aux secousses (ibid., v. 28)[5].

Étant donné les liens qui unissent ces diverses phases aux missions divines visibles, il est légitime de rapprocher chacune d’une personne de la Trinité. Cette appropriation peut s’effectuer de diverses manières. Ainsi saint Grégoire de Nazianze fonde sa répartition sur les étapes de la Révélation :

L’Ancien Testament a clairement manifesté le Père, obscurément le Fils ; le Nouveau a révélé clairement le Fils et nous a fait entendre la divinité de l’Esprit. Aujourd’hui, l’Esprit vit parmi nous et se fait plus clairement connaître. Car il eût été périlleux, alors que la divinité du Père n’était pas encore connue, de prêcher ouvertement le Fils. Et tant que la divinité du Fils n’était pas admise, d’imposer, si j’ose dire, comme en surcharge le Saint-Esprit, on eût pu craindre que, comme des gens chargés de trop d’aliments, ou comme ceux qui fixent le soleil avec des yeux encore débiles, les fidèles ne perdissent cela même qu’ils étaient capables de porter. Il fallait au contraire, par des additions partielles ou, comme dit David, des ascensions de gloire en gloire, que la splendeur de la Trinité rayonnât progressivement[6].

Par ailleurs, on se rappelle qu’il n’a pas manqué d’illuminés pour affirmer comme Montan et Joachin de Flore que l’âge du Fils, et de l’Église, devait laisser la place à un « âge de l’Esprit » qui éliminerait celle-ci. À l’ermite calabrais, saint Thomas répondait :

La loi ancienne fut non seulement du Père, mais aussi du Fils, car elle préfigurait le Christ, selon qu’il est dit : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi » (Jn 5, 46). Pareillement, la Loi nouvelle n’est pas seulement du Christ, mais aussi de l’Esprit Saint, selon cette parole de l’épître aux Romains (8, 2) : « La loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus »… Dès lors, il n’y a pas lieu d’attendre quelque autre loi de l’Esprit[7].

Dans une perspective sotériologique et ecclésiologique, on peut adopter la répartition de Journet, sans exclure des précisions ultérieures :

·         Avant le péché d’Adam :                                                                                âge du Père

·         Du péché d’Adam à l’Ascension :                                                                   âge du Fils

·         De la Pentecôte à la Parousie :                                                        âge de l’Esprit saint

L’âge du Père : un univers de création antérieur à l’Église

Trinité Sainte et création

La création, œuvre de la Trinité tout entière

Le premier acte de Dieu ad extra est la création et la conservation de l’univers. Seul Dieu peut créer, c’est-à-dire donner l’être : « Créer, c’est proprement causer ou produire l’être des choses[8]... il est impossible qu’il convienne à aucune créature de créer, ni par sa vertu propre, ni par sa vertu instrumentale, ni à titre ministériel »[9]. Seul aussi il peut conserver dans l’être :

Il y a dans chaque être un effet qui relève de Dieu de manière prochaine et immédiate. Car, comme on l’a montré, Dieu seul peut créer. Or on trouve au cœur de chaque être quelque chose qui est dû à la création : dans les êtres corporels, c’est la matière première ; dans les êtres incorporels, c’est la simplicité de leur essence… Il faut donc que Dieu soit présent à la fois à toutes choses, du fait surtout qu’il conserve dans l’être, de manière ininterrompue et durable, ces choses qu’il a fait passer du néant à l’existence[10].

Comme tous les effets divins ad extra, la création est commune aux Trois, chacune des personnes y collaborant selon ses propriétés, donc selon un certain ordre : le Père comme source ultime, le Verbe comme Pensée incréée en laquelle préexistent toutes les idées divines, le Saint-Esprit comme amour :

Puisque tout agent produit un être semblable à lui, le principe de l’action peut se juger à partir de son effet : ainsi le feu engendre le feu. Et c’est pourquoi créer convient à Dieu selon son être, lequel est son essence, commune aux trois Personnes. Aussi créer n’est-il pas propre à l’une des Personnes, mais commun à toute la Trinité.

Cependant, les Personnes divines, selon la raison de leur procession, ont une causalité à l’égard de la création des choses. Comme on l’a montré antérieurement, en traitant de la science et de la volonté de Dieu, Dieu est cause des choses par son intelligence et sa volonté, comme il en est de l’artisan pour les produits de son art. Or l’artisan opère d’après le verbe conçu dans son intelligence, et par l’amour que sa volonté porte à son œuvre. Aussi Dieu le Père a-t-il produit la créature par son Verbe, qui est le Fils ; et par son Amour, qui est l’Esprit Saint. De la sorte, les processions des Personnes sont la raison de la production des créatures, en tant qu’elles incluent les attributs essentiels que sont la science et la volonté[11].

La création appropriée au Père

Néanmoins, une tradition remontant aux tout premiers siècles chrétiens, sans nier le rôle du Fils et du Saint-Esprit dans la création, approprie plus particulièrement la création au Père. En effet la création apparaît d’abord comme une œuvre de puissance : la puissance de faire jaillir l’être du néant. Mais la puissance connote un principe, et le principe sans principe, c’est le Père :

La nature divine, bien qu’elle soit commune aux trois Personnes, leur convient cependant dans un certain ordre, en tant que le Fils reçoit du Père la nature divine, et que l’Esprit Saint la reçoit de tous deux. De même aussi, le pouvoir de créer, bien qu’il soit commun aux trois Personnes, leur convient dans un certain ordre, car le Fils la tient du Père, et le Saint-Esprit du Père et du Fils. Aussi attribue-t-on le nom de Créateur au Père, comme à celui qui ne tient pas d’un autre le pouvoir créateur… On approprie au Père la puissance, qui se manifeste surtout dans la création, et c’est pourquoi on attribue au Père d’être le Créateur[12].

Il est vrai que tout effet venant de Dieu procède de n’importe lequel de ses attributs. Néanmoins, chacun de ses effets se ramène à cet attribut avec lequel il a de l’affinité selon sa raison propre. Ainsi on attribue l’ordonnance des choses à la sagesse divine, la justification de l’impie à la miséricorde et à la bonté qui se diffuse surabondamment. Quant à la création, qui est la production de la substance même des choses, elle se ramène à la puissance[13].

La… considération qui envisage en Dieu sa puissance efficiente donne lieu à la troisième appropriation, celle des attributs de puissance, sagesse et bonté Cette appropriation procède par voie d’analogie, si l’on considère ce qui appartient aux Personnes divines... La puissance, en effet, évoque un principe. Par là elle s’apparente au Père céleste, principe de toute la déité[14].

Ce nom de principe ne signifie rien d’autre que ce de quoi quelque chose procède… Comme donc le Père est celui de qui en procède un autre, il s’ensuit que le Père est principe[15].

L’âge de la grâce du Père

Dans l’état de création, l’homme était déjà doté de la grâce sanctifiante :

la plupart des Pères attestent que l’homme eut la grâce dans l’état d’innocence. Mais qu’il ait été créé en grâce, comme d’autres l’affirment, semble bien requis par la rectitude même de ce premier état dans lequel Dieu fit l’homme, selon cette parole de l’Ecclésiaste : « Dieu fit l’homme droit » (Qo 7, 29). Cette rectitude, en effet, consistait en ce que la raison était soumise à Dieu, les forces inférieures à la raison, et le corps à l’âme. Or la première de ces soumissions était cause à la fois de la deuxième et de la troisième ; aussi longtemps en effet que la raison demeurait soumise à Dieu, les éléments inférieurs lui restaient soumis, comme l’affirme Augustin. Par ailleurs, il est manifeste que cette soumission du corps à l’âme et des forces inférieures à la raison n’était pas naturelle ; autrement elle aurait persisté après le péché, puisque chez les démons aussi les éléments naturels sont demeurés après le péché, comme le dit Denys. Par suite il est clair que la première soumission aussi, celle de la raison envers Dieu, n’était pas seulement d’ordre naturel, mais résultait d’un don surnaturel de grâce ; car il n’est pas possible que l’effet soit supérieur à la cause. Aussi Augustin écrit-il : « Aussitôt qu’eut été accomplie la transgression du précepte, la grâce de Dieu les abandonna et ils eurent honte de la nudité de leurs corps... ; ils éprouvèrent en effet une poussée de leur chair révoltée en représailles de leur propre révolte ». Ceci donne à entendre que si l’abandon de la grâce a détruit l’obéissance de la chair à l’âme, c’est parce que la grâce existant dans l’âme soumettait à celle-ci les forces inférieures[16].

La justice originelle inclut la grâce qui rend agréable à Dieu ; et je ne crois pas vrai que l’homme ait été créé dans l’état de pure nature[17].

Mais cette grâce n’était pas proprement une grâce christique : elle n’était, ni méritée, ni influée par le Verbe incarné. Elle portait plutôt la marque du Père, avec sa puissance — qui confortait la tripe domination de l’âme sur le corps, de la raison sur les passions, de l’homme sur le monde, au point d’éliminer la souffrance et la mort —et son caractère d’origine : nul malheur humain ne l’avait précédée. « Elle avait vertu de principe, d’origine, de source »[18] :

Certes, avant le péché l’homme avait besoin de la grâce l’ordonnant à la vie éternelle, ce qui est la principale raison de la nécessité de la grâce. Mais depuis le péché, il a en outre besoin de la grâce pour que son péché soit réparé et son infirmité secourue[19].

Un régime antérieur à l’Église

Dans ce régime, les dons surnaturels de grâce et de vérité parvenaient à l’homme directement de Dieu, avec lequel il conversait librement dans le jardin de l’Éden. La beauté de la femme, celle de la nature, étaient pour lui cause de contemplation, d’émerveillement, de louange, l’incitant à savourer davantage la beauté du Créateur et à pénétrer plus avant dans l’intimité de son amour[20].

Nul besoin pour lui de la médiation de causes instrumentales comme le pouvoir juridictionnel — il était illuminé et gouverné directement par Dieu, ce qui n’excluait pas une certaine hiérarchie naturelle[21] —, ou sacramentel. La vie spirituelle passait de Dieu à l’âme, et rejaillissait de là sur le corps. C’eût été bouleverser cet ordre que la grâce ou la vérité surnaturelle vînt à l’âme par l’intermédiaire du corps. Certes, l’homme aurait exprimé son culte intérieur par des signes sensibles, et même sans doute par des offrandes sacrificielles, ce qui est conforme à sa nature, mais « sans s’y soumettre, mais plutôt en leur conférant la perfection »[22] : ces signes n’auraient pas été déterminés par une loi religieuse, et n’auraient pas été le moyen de la collation de la grâce :

Dans l’état d’innocence qui précéda le péché originel les sacrements ne furent pas nécessaires. On peut en donner comme raison le bon ordre qui régnait dans cet état ou le supérieur dominait l’inférieur et ne dépendait de lui en aucune façon ; car, de même que l’âme rationnelle était soumise à Dieu, les puissances inférieures étaient soumises à l’âme rationnelle, et le corps à l’âme. Il eût été contraire à cet ordre que l’âme fût perfectionnée soit quant à la science, soit quant à la grâce, par un moyen corporel tel que les sacrements. C’est pourquoi, dans l’état d’innocence, l’homme n’avait pas besoin de sacrements, non seulement en tant qu’ils sont ordonnés à guérir le péché, mais aussi en tant qu’ils sont ordonnés à la perfection de l’âme.

Sans doute, l’homme, dans l’état d’innocence, avait besoin de la grâce ; toutefois, il n’avait pas à l’obtenir par des signes sensibles, mais de façon spirituelle et invisible[23].

Le ministère des anges s’exerçait probablement déjà en faveur des hommes, mais l’essentiel des dons divins leur venait immédiatement de Dieu. Ce régime excluait donc tout intermédiaire visible.

De cet état originel, le péché n’a laissé subsister que la nature humaine — blessée de ses propres mains, mais toujours habitée par la nostalgie de Dieu dont elle n’a pas perdu l’image[24] — et le dessein de Dieu de « ne pas l’abandonner au pouvoir de la mort ».

L’âge du Fils : un univers de Rédemption

Un âge centré sur la venue du Sauveur

O felix culpa, quæ talem et tantum meruit habere Redemptorem ! Dieu n’a permis le mal de la faute originelle que pour en faire l’occasion d’un plus grand bien : au régime de création, qui excluait tout médiateur visible, succède le régime de la rédemption, qui finalement sera meilleur.

Selon toute la tradition patristique, l’Église commence après le péché des origines, avec Abel, premier juste — Ecclesia ab Abel[25] —, ou plutôt avec Adam pénitent. C’est à partir d’Adam que saint Augustin compte les âges du monde, en s’appuyant, d’une part sur les grandes divisions bibliques de la création et de la généalogie du Christ, d’autre part sur l’analogie des âges de l’homme. Dans cette perspective, l’Incarnation du verbe ouvre le sixième âge, qui renouvelle et répare les cinq précédents :

Voici les cinq âges du monde : le premier s’étend d’Adam, le père du genre humain, jusqu’à Noé et à la construction de l’arche. Le second s’étend de Noé à Abraham, le père de toutes les nations qui devaient imiter sa foi : c’est du sang d’Abraham que devait sortir la race juive, la seule qui, parmi tous les peuples du monde, avant la diffusion de la foi chrétienne, ait adoré le Dieu unique et véritable, et de qui devait naître selon la chair le Messie Sauveur. Ces deux premières époques sont mises en relief dans l’Ancien Testament. Quant aux trois autres, l’Évangile même les distingue dans la généalogie de Notre Seigneur. Le troisième âge s’étend depuis Abraham jusqu’au roi David. Le quatrième, depuis David jusqu’à la captivité qui transporta le peuple à Babylone. Le cinquième, de la transmigration de Babylone jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ. Le sixième commence avec Jésus-Christ. C’est dans ce dernier âge que la grâce toute spirituelle, connue jusque là d’un petit nombre de prophètes et de patriarches, devait être révélée à toutes les nations, que les hommages rendus à Dieu devaient être désintéressés, c’est-à-dire n’avoir plus pour but la récompense matérielle d’un culte mercenaire et les prospérités de la vie présente, mais la vie éternelle et la possession de Dieu. Enfin, c’est au sixième âge que l’âme humaine devait être renouvelée à l’image de Dieu, de même qu’au sixième jour l’homme avait été fait à son image. Car la loi est accomplie quand ce n’est plus par passion pour les biens temporels, mais par amour pour le législateur, qu’on exécute tout ce qu’elle commande. Et comment ne pas payer de retour le Dieu si juste et qui miséricordieux, qui a le premier aimé les hommes, malgré leur injustice et leur orgueil, au point de leur envoyer son Fils unique, par qui il avait tout créé ? Et le Fils n’a-t-il pas, sans changer de nature, adopté l’humanité, revêtu la chair, et consenti non seulement à vivre avec les hommes, mais à être immolé par eux et pour eux ?[26]

En comparant le genre humain à un homme, la fin du temps, semblable à la vieillesse, est marquée par le sixième âge, où le Seigneur est venu. Il y a en effet six âges de l’homme : celui du berceau, l’enfance, l’adolescence, la jeunesse, l’âge mûr et la vieillesse. Or le premier âge du genre humain s’étend d’Adam à Noé ; le second, de Noé à Abraham, deux époques bien distincte et bien connues ; le troisième, d’Abraham à David, selon la division de l’évangéliste Matthieu ; le quatrième, de David à la transmigration de Babylone, le cinquième, de la transmigration de Babylone à l’avènement du Seigneur ; le sixième doit s’étendre de l’arrivée du Seigneur à la fin des temps : c’est dans sa durée que l’homme extérieur, appelé aussi le vieil homme, s’use de vieillesse, et que l’homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Puis suivra le repos éternel, figuré par le sabbat. C’est par la même disposition que l’homme a été créé le sixième jour à l’image et à la ressemblance de Dieu[27].

Saint Thomas applique cette répartition à l’Église, en partant d’Abel :

« J’ai été jeune, et me voici avancé en âge » (Ps 36, 25). C’est au nom de l’Église, suivant Augustin, que s’exprime David. Elle est dans l’enfance avec Abel, dans la jeunesse avec les patriarches, dans l’âge avancé avec les Apôtres, dans la vieillesse à la fin du monde… Et ainsi elle a existé depuis le commencement du monde, et durera jusqu’à la fin[28].

C’est aussitôt après le péché d’Adam que commence, selon Journet, l’âge du Fils, le Sauveur qui doit réparer les ruines amoncelées par la faute de l’homme. Dès le soir du premier péché, l’humanité déchue espère un libérateur, autour duquel va désormais s’organiser l’histoire de l’Église et du monde. Sous la loi de nature et la loi mosaïque, c’est l’âge du Fils attendu. Puis vient l’âge du Fils présent, pendant la vie terrestre de ce dernier.

Premier régime de l’Église : l’âge du Fils attendu

Des grâces christiques par anticipation

Nombreux sont ceux qui, pendant les premiers siècles chrétiens, s’inquiétaient comme Deogratias du sort des hommes qui avaient vécu avant le Christ :

Si le Christ est dit la voie du salut, la grâce et la vérité, s’il a déclaré qu’il ne pouvait y avoir de retour à la vérité que par la foi en lui, qu’ont fait les hommes de tant de siècles avant le Christ ?… Que sont devenues tant d’âmes innombrables, qui n’ont aucun tort, puisque celui à qui on aurait pu croire ne s’était pas encore montré aux hommes ?… Que sont devenues les âmes des Romains et des Latins qui, jusqu’au temps des Césars, ont été privées de la grâce du Christ non encore venu sur la terre ?[29]

Avec une unanimité impressionnante, les Pères les ont toujours rassurés, sans pour autant relativiser la nécessité de la foi au Christ :

Depuis le commencement du genre humain, tous ceux qui ont cru [au Verbe], qui l’ont connu, de quelque façon que ce soit, et qui ont vécu selon ses préceptes avec piété et justice, ont été, sans aucun doute, sauvés par lui, à quelque époque et en quelque région qu’ils se soient trouvés…

Depuis le commencement du genre humain, il n’a jamais cessé d’être annoncé par des prophètes, avec plus ou moins de lumière selon les temps, et, avant son Incarnation, il y a toujours eu des hommes qui ont cru en lui depuis Adam jusqu’à Moïse, non seulement parmi le peuple d’Israël… mais encore parmi les autres nations. En effet, dans les saints livres des Hébreux, on en cite quelques-uns à qui Dieu fit part de ce mystère… Pourquoi donc ne croirions-nous pas qu’il y eut d’autres privilégiés chez d’autres peuples et en d’autres pays ?… C’est pourquoi le salut de cette religion, seule véritable et seule digne de promettre le vrai salut, n’a jamais manqué à quiconque en a été digne et n’a manqué qu’à celui qui ne la méritait pas[30].

En effet, les hommes qui ont précédé le Christ ont été sauvés par la foi au Christ à venir, comme nous le sommes par la foi au Christ déjà venu :

Tous les justes depuis le commencement du monde ont pour tête le Christ ; ils ont cru qu’il viendrait, nous croyons qu’il est venu ; la même foi qui les a guéris nous guérit ; afin qu’il soit Chef de toute la cité de Jérusalem, qui rassemble tous les fidèles du commencement à la fin, y compris les légions et les armées des anges, et qu’il n’y ait qu’une seule cité sous un seul roi, une seule province sous un seul empereur, dans la paix perpétuelle et le salut, louant Dieu sans fin, heureuse sans fin[31].

Tous les hommes reçoivent de la plénitude du Christ selon la foi qu’ils ont en lui, car Paul affirme (Rm 3, 22) : « La justice de Dieu par la foi en Jésus Christ est octroyée à tous ceux qui croient en lui ». Or, de même que nous croyons en lui comme déjà né, ainsi les anciens ont cru en lui comme devant naître : « Possédant le même esprit de foi, nous aussi nous croyons » (2 Co 4, 13 ) . Or la foi au Christ a la vertu de justifier, selon le dessein de la grâce de Dieu, d’après l’Apôtre (Rm 4, 5) : « L’homme qui n’a pas d’œuvres, mais qui croit en celui qui justifie l’impie, sa foi lui est imputée à justice selon le dessein de la grâce de Dieu ». Et puisque ce dessein est éternel, rien n’empêche que par la foi au Christ Jésus certains soient justifiés même avant que son âme ait été pleine de grâce et de vérité[32].

Dès cette époque, des grâces prophétiques et sanctifiantes venaient en effet visiter les hommes, méritées par la passion du Christ à venir et secrètement orientées vers lui. Là où les cœurs s’ouvraient à la grâce, l’Église du Christ était déjà présente, sous la forme d’abord très embryonnaire de la Loi de nature, puis sous la forme plus évoluée de la Loi mosaïque :

Les membres du corps mystique n’existent pas tous simultanément, ni quant à leur être de nature, car le corps de l’Église est constitué d’hommes existant depuis le commencement du monde jusqu’à la fin[33].

Ainsi, la vraie religion existe, en un sens, depuis le premier juste :

La réalité même qu’on appelle maintenant la religion chrétienne existait jadis, même chez les anciens ; dès les origines, elle n’a pas fait défaut au genre humain jusqu’à ce que vienne le Christ dans la chair ; et c’est alors que la vraie religion, qui existait déjà, a commencé à prendre le nom de chrétienne[34].

Dès lors, la cité de Dieu s’opposait à la cité terrestre :

Deux amours ont construit deux cités ; l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre ; l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la cité céleste[35]… L’une a commencé avec Caïn, l’autre avec Abel[36].

L’économie de la Loi de nature

« Dieu veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tim 2, 5). Dès après la chute, Dieu se manifeste à Adam : Adam, ubi es ? Il ne cessera pas de dialoguer avec ses descendants tout au long des siècles :

« Où est ton frère Abel ? » Il répondit : « Je ne sais pas. Suis-je le gardien de mon frère ? » Yahvé reprit : « Qu’as-tu fait ! Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile qui a ouvert la bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère… » (Gn 4, 9-12).

La loi de nature est antérieure à la révélation à Abraham, et demeure par la suite pour ceux qui ignorent celle-ci sans faute de leur part. Ce n’est pas une loi de nature pure : dès l’origine, l’homme destiné à la béatitude éternelle a été créé en état de grâce, et après le péché « la grâce » dont l’homme a été privé par sa faute « cherche à s’insinuer secrètement dans les cœurs »[37]. Comment dans ce régime l’homme est-il conduit à la connaissance et à l’amour de Dieu qui pourront, après la résurrection de Jésus, lui valoir la vision béatifique ?

Vérité divine

La vérité divine parvient tant bien que mal aux esprits, d’une part par ce qui a pu se transmettre oralement de la révélation primitive, d’autre part par la voie de la raison naturelle — confortée souvent par des grâces actuelles d’illumination, comme les médiévaux l’ont cru de Platon et Aristote. C’est ainsi que les sages ont pu établir l’existence d’un Dieu unique et certaines de ses perfections :

L’Apôtre dit (Rm 1, 20) : « Les perfections invisibles de Dieu sont rendues visibles à l’intelligence par le moyen de ses œuvres ». Mais cela ne serait pas [le cas] si, par ses œuvres, on ne pouvait démontrer l’existence même de Dieu ; car la première chose à connaître au sujet d’un être, c’est qu’il existe.

… De tout effet, on peut démontrer que sa cause propre existe, si du moins les effets de cette cause sont plus connus pour nous qu’elle-même ; car, les effets dépendant de la cause, dès que l’existence de l’effet est établie, il suit nécessairement que la cause préexiste. Donc, si l’existence de Dieu n’est pas évidente à notre égard, elle peut être démontrée par ses effets connus de nous[38].

Certains ont pu pressentir la venue d’un Sauveur, ou en recevoir la révélation, comme Job, et même, selon Tertullien, Augustin et tous les médiévaux, la Sibylle chantée par Virgile :

Qu’il y ait eu, chez les nations, des hommes rattachés par une affinité non terrestre mais spirituelle aux vrais Israélites, citoyens de la patrie céleste, les Juifs ne peuvent le nier ; il serait en effet facile de les convaincre par la vie sainte et admirable de Job : il n’était ni Juif, ni prosélyte ou rallié au peuple d’Israël, mais de race iduméenne, né et mort dans son peuple, et pourtant il reçoit de la parole divine cette louange que sa justice et sa piété n’avaient pas d’égales en son temps… Et je ne doute pas que ce soit un dessein de la divine Providence de nous montrer, par l’exemple de ce seul juste, que parmi les nations, d’autres ont pu vivre selon Dieu et son désir, et appartenir à la Jérusalem spirituelle[39].

Beaucoup de païens ont eu des révélations sur le Christ. Ainsi Job dit (Jb 19, 25) : « Je sais que mon Rédempteur est vivant ». La Sibylle aussi a fait certaines prédictions sur le Christ, au dire de saint Augustin. On trouve également ceci dans l’histoire des Romains : au temps de l’empereur Constantin et de sa mère Hélène, fut découvert un tombeau ou gisait un homme ayant sur la poitrine une lame d’or où on lisait : « Le Christ naîtra de la Vierge et je crois en lui. ô soleil, tu me reverras au temps d’Hélène et de Constantin » [40].

En tout état de cause, Dieu n’a jamais refusé la connaissance des vérités nécessaires au salut à ceux qui se confiaient à sa Providence, posant ainsi un acte de foi implicite au Médiateur à venir :

Cependant, si certains ont été sauvés sans avoir reçu la révélation, ils ne l’ont pas été sans la foi au Médiateur. Car, même s’ils n’eurent pas une foi explicite, ils eurent pourtant une foi implicite en la Providence divine, croyant que Dieu était le libérateur des humains de la manière qui lui plaisait, et selon que l’Esprit l’avait révélé à ceux qui connaissent la vérité selon le livre de Job (Jb 35, 11) : « Il nous rend plus instruits que les bêtes de la terre » [41].

Loi naturelle

Qu’en est-il de la loi morale ? Dans ce domaine aussi, Dieu a pourvu au salut de tous par la loi naturelle, « rayonnement et participation de la loi éternelle », accessible quant aux principes fondamentaux, à tous les hommes :

toute créature raisonnable connaît la loi éternelle selon le rayonnement, plus ou moins grand, de cette loi. En effet, toute connaissance de la vérité est un rayonnement et une participation de la loi éternelle qui est, elle-même, vérité immuable, dit Augustin. La vérité, tous les hommes la connaissent quelque peu, tout au moins quant aux principes premiers de la loi naturelle. Pour le reste, les uns participent davantage, d’autres moins à la connaissance de la vérité ; et par suite, connaissent plus ou moins la loi éternelle[42].

Les principes premiers de la loi naturelle sont : Averte a malo et fac bonum. Ils sont fondés sur la raison même de bien :

de même que l’être est en tout premier lieu objet de connaissance proprement dite, de même le bien est la première notion saisie par la raison pratique qui est ordonnée à l’action. En effet, tout ce qui agit le fait en vue d’une fin qui a raison de bien. C’est pourquoi le principe premier de la raison pratique est celui qui se fonde sur la raison de bien, et qui est : « Le bien est ce que tous les êtres désirent. » C’est donc le premier précepte de la loi qu’il faut faire et rechercher le bien, et éviter le mal. C’est sur cet axiome que se fondent tous les autres préceptes de la loi naturelle : c’est dire que tout ce qu’il faut faire ou éviter relève des préceptes de la loi naturelle ; et la raison pratique les envisage naturellement comme des biens humains[43].

Ces premiers principes sont connus dès les origines de l’humanité. Dans toutes les sociétés, on trouve des règles très générales fondées sur la notion de bien appliquée à la nature de l’homme.

Le premier bien naturel, commun à toutes les substances, est l’existence. C’est pourquoi il n’est pas permis d’enlever la vie à un homme :

Mais parce que le bien a raison de fin, et le mal raison du contraire, il s’ensuit que l’esprit humain saisit comme des biens, et par suite comme dignes d’être réalisées toutes les choses auxquelles l’homme se sent porté naturellement ; en revanche, il envisage comme des maux à éviter les choses opposées aux précédentes. C’est selon l’ordre même des inclinations naturelles que se prend l’ordre des préceptes de la loi naturelle. En effet, l’homme se sent d’abord attiré à rechercher le bien correspondant à sa nature, en quoi il est semblable à toutes les autres substances, en ce sens que toute substance recherche la conservation de son être, selon sa nature propre. Selon cette inclination, ce qui assure la conservation humaine et tout ce qui empêche le contraire, relèvent de la loi naturelle[44].

Le second bien naturel, commun à tous les animaux, est la propagation de l’espèce. D’où, dans chaque société, une structure fixe du groupe familial et certaines règles du comportement sexuel :

En second lieu, il y a dans l’homme une inclination à rechercher certains biens plus spéciaux, conformes à la nature qui lui est commune avec les autres animaux. Ainsi appartient à la loi naturelle ce que « la nature enseigne à tous les animaux », par exemple l’union du mâle et de la femelle, le soin des petits, etc. [45]

L’homme étant un animal social, et un animal raisonnable ouvert à la vérité tout entière, il doit respecter certaines règles dans les rapports avec autrui, et se « tourner vers la réalité de l’Invisible »[46] :

En troisième lieu, on trouve dans l’homme un attrait vers le bien conforme à sa nature d’être raisonnable, qui lui est propre ; ainsi a-t-il une inclination naturelle à connaître la vérité sur Dieu et à vivre en société. En ce sens, appartient à la loi naturelle tout ce qui relève de cet attrait propre : par exemple que l’homme évite l’ignorance, ou ne fasse pas de tort à son prochain avec lequel il doit vivre, et toutes les autres prescriptions qui visent ce but[47].

Cette loi est commune à tous les hommes, et ne peut, de soi, s’effacer complètement du cœur de l’homme. Mais ses exigences ne se révèlent que progressivement, et certains individus, et même certains peuples, peuvent en avoir une notion inexacte ou incomplète :

la loi de nature est identique pour tous dans ses premiers principes généraux, tout autant selon sa rectitude objective que selon la connaissance qu’on peut en avoir. Quant à certaines applications propres qui sont comme les conclusions des principes généraux, elle est identique pour tous dans la plupart des cas, et selon sa rectitude et selon sa connaissance ; toutefois, dans un petit nombre de cas, elle peut comporter des exceptions, d’abord dans sa rectitude, à cause d’empêchements particuliers (de la même façon que les natures soumises à la génération et à la corruption manquent leurs effets dans un petit nombre de cas, à cause d’empêchements) ; elle comporte encore des exceptions quant à sa connaissance ; c’est parce que certains ont une raison faussée par la passion, par une coutume mauvaise ou par une mauvaise disposition de la nature. Ainsi jadis, chez les peuples germains, le pillage n’était pas considéré comme une iniquité, alors qu’il est expressément contraire à la loi naturelle, comme le rapporte Jules César dans son livre sur La guerre des Gaules[48].

Quant aux principes généraux, la loi naturelle ne peut d’aucune façon être effacée du cœur des hommes, de façon universelle. Elle est cependant effacée dans une activité particulière parce que la raison est empêchée d’appliquer le principe général au cas particulier dont il s’agit à cause de la convoitise ou d’une autre passion. — Quant aux préceptes secondaires, la loi naturelle peut être effacée du cœur des hommes, soit en raison de propagandes perverses,… soit comme conséquences de coutumes dépravées et d’habitus corrompus. C’est ainsi que certains individus ne considéraient pas le brigandage comme un péché, ni même les vices contre nature, comme le dit encore l’Apôtre (Rm 1, 24)[49].

C’est sur la loi naturelle que seront jugés ceux qui ne connaissent pas d’autre loi :

Quand les Gentils qui n’ont pas de loi [écrite] accomplissent sous la dictée de la nature les prescriptions de la loi, ils sont, eux qui n’ont pas de loi, une loi pour eux-mêmes… C’est ce qui paraîtra au jour où Dieu jugera les actions secrètes des hommes, selon mon Évangile, par le Christ Jésus (Rm 2, 14-16).

Le salut offert à tous les hommes

Le salut a ainsi été offert à tous pendant les millénaires qui ont précédé la Révélation judéo-chrétienne, comme il le reste pour ceux qui actuellement n’ont aucun moyen d’y accéder :

Même si quelqu’un avait été élevé dans les forêts ou parmi les animaux sans raison, il appartient à la divine Providence de pourvoir chaque homme des choses nécessaires au salut, tant qu’il n’y met pas lui-même obstacle. Si donc quelqu’un avait été ainsi élevé, et suivait la conduite de la raison naturelle dans la recherche du bien et la fuite du mal, il faut tenir pour absolument certain que Dieu, ou bien lui révélerait par une inspiration intérieure ce qu’il est nécessaire de croire, ou bien dirigerait vers lui un prédicateur de la foi, comme il envoya Pierre à Corneille[50].

Dès l’âge de raison en effet, les enfants qui choisissent le bien, selon leurs capacités, sont délivrés du péché originel et reçoivent la grâce sanctifiante :

Avant d’atteindre les années de discernement, l’enfant, qui n’est pas en âge de faire usage de sa raison, ne peut être coupable de péché mortel ni à plus forte raison de péché véniel, même s’il commettait un acte représentant de soi un péché véniel. Mais quand il commencera d’user de sa raison, il ne pourra d’aucune manière être innocenté de tout péché véniel ou mortel. La première chose qui se présente alors à la pensée de l’homme est de délibérer avec lui-même. Et s’il s’ordonne lui-même à la droite fin, il obtiendra par la grâce la rémission du péché originel. Mais s’il ne s’ordonne pas lui-même à la droite fin selon qu’il est capable de la discerner à son âge, il péchera mortellement, n’ayant pas fait ce qu’il lui était possible de faire[51].

Sacrements de la loi de nature

Une telle sanctification est, de soi spirituelle et invisible. Est-ce à dire que l’Église, sous l’économie de la loi de nature, ait été totalement invisible ? Non, certes : la grâce rejaillissait sans aucun doute sur le comportement extérieur de ceux qui la possédaient. D’autre part, on sait que la religion s’exprimait par des rites sensibles, déterminés par le seul « instinct intérieur » :

Sous l’état de la loi de nature, où nulle loi n’était proposée du dehors, c’est leur seul instinct intérieur qui portait les hommes à honorer Dieu ; et c’était à l’instinct intérieur à déterminer les formes sensibles de leur culte[52].

Une nécessité nouvelle

Ces rites avaient acquis, en raison du péché, une nécessité et une signification nouvelles. Ils étaient désormais requis non seulement par la nature de l’homme, mais aussi par le déséquilibre de ses appétits consécutif à la perte de l’intégrité originelle :

La seconde raison [de la nécessité des sacrements après le péché originel] est tirée de l’état dans lequel se trouve l’homme qui, en péchant, s’est soumis de cœur aux choses corporelles. Aussi, pour que le remède fût appliqué à l’endroit même où est le mal, Dieu a voulu apporter aux hommes la guérison spirituelle sous l’enveloppe de signes corporels : si les choses spirituelles leur étaient présentées à l’état pur, enfoncés qu’ils sont dans les réalités corporelles, leur esprit ne saurait s’y attacher[53].

Les sacrements sont nécessaires au salut de l’homme à titre de signes sensibles des réalités invisibles par lesquelles l’homme est sanctifié. Or nul ne peut être sanctifié après le péché, si ce n’est par le Christ « que Dieu a établi d’avance comme auteur de la propitiation par la foi en son sang pour la manifestation de sa justice... pour se montrer juste en justifiant celui qui s’attache à la foi en Jésus-Christ » (Rm 3, 25-26). C’est pourquoi, avant la venue du Christ, il fallait déjà des signes visibles par lesquels l’homme professerait sa foi en la venue future du Sauveur. Ce sont ces signes qu’on appelle sacrements. Ainsi est-il évident que l’institution de certains sacrements s’imposait avant la venue du Christ[54].

Sacrement de la foi

Dès cette époque, il existait en particulier un remède au péché originel, le « sacrement de la foi », préfigurant le baptême[55]. Telle était déjà la conviction de saint Augustin et saint Grégoire :

Il ne faut pas croire que, même avant que la circoncision n’eût été donnée, les serviteurs de Dieu, qui avaient foi au Médiateur qui devait venir dans la chair, n’aient point secouru leurs petits enfants par quelque sacrement qui le désignât[56].

Ce que fait chez nous l’eau du baptême, chez les anciens la foi seule le faisait pour les petits enfants, le sacrifice le faisait pour les adultes, le mystère de la circoncision le faisait pour les descendants d’Abraham[57].

Ce sacrement de la foi ne causait pas instrumentalement la grâce, mais en les désignant à Dieu qui, en raison de la passion du Christ à venir, leur donnait la grâce :

Dès l’origine du genre humain, il n’a pu y avoir d’autre remède au péché originel que la vertu du Médiateur de Dieu et de l’homme, l’homme Jésus-Christ. En conséquence, la foi des anciens, accompagnée d’une protestation de foi, comptait pour le salut des petits enfants non en tant qu’elle était méritoire — il n’était donc pas nécessaire qu’il y eût un acte de foi vivifiée par la charité —, mais en raison de la réalité crue, à savoir en raison du Médiateur lui-même. Il en va de même des sacrements institués plus tard : leur valeur vient de ce qu’ils sont des protestations de foi ; en sorte que l’infidélité des parents ne nuit aux enfants que par accident, en tant qu’elle les prive du remède du péché[58].

Sacrifices

Par ailleurs, « à toute époque et dans toutes les nations, il y a toujours eu offrande de sacrifices »[59]. Le sacrifice relève du droit naturel :

La raison naturelle prescrit à l’homme de se soumettre à un être supérieur, à cause des déficiences qu’il éprouve en lui-même et qui le mettent dans la nécessité de recevoir aide et direction de cet être supérieur. Quel que soit cet être, il est celui à qui tous les hommes donnent le nom de Dieu. Mais, de même que dans la nature les êtres inférieurs sont naturellement soumis aux supérieurs, de même la raison naturelle prescrit à l’homme, selon son penchant inné, de rendre à qui est au-dessus de lui soumission et honneur, à sa manière. La manière de l’homme, c’est d’avoir recours pour s’exprimer aux signes sensibles, parce qu’il tire sa connaissance du sensible. C’est pour cela que la raison le porte naturellement à employer certaines choses sensibles, qu’il offre à Dieu, en signe de la sujétion et de l’honneur qu’il lui doit, à la manière dont les vassaux font des offrandes à leur suzerain pour reconnaître sa domination. C’est à cela que se rapporte la raison de sacrifice. Et c’est pourquoi l’oblation sacrificielle relève du droit naturel[60].

De tels sacrifices, comme celui d’Abel (cf. He 12, 24) et celui de Melchisedech, préfiguraient déjà pourtant le sacrifice de la croix :

Parce que le salut n’a jamais été possible sans la foi en la passion du Christ, selon Ro 3, 25 : « Dieu l’a proposé comme propitiation par la foi en son sang », il a fallu qu’en tout temps il y eût auprès des hommes un signe représentatif de la passion du Seigneur[61].

En effet l’effusion du sang du Christ a été figurée dans l’effusion du sang de tous les justes qui ont été depuis l’origine du monde… Et c’est pourquoi l’effusion du sang d’Abel fut le signe de cette effusion[62].

Conclusion

L’économie de la loi de nature était orientée vers la croix du Christ, qui devait mériter toutes les grâces obtenues alors par anticipation. Elle laissait l’homme faire l’expérience de sa propre infirmité :

Dieu a d’abord, sous la loi de nature, laissé l’humanité à son libre arbitre, pour qu’elle fît l’expérience des ressources de sa nature ; lorsqu’elle a commencé à défaillir, il lui a proposé la loi mosaïque, qui n’a fait qu’aggraver le mal, non d’elle-même mais par la faute de l’humanité. Tout cela afin que, du fond de son impuissance, elle criât vers le Médiateur et cherchât le secours de sa grâce[63].

Régime encore très imparfait, mais, à l’époque, régime normal. Actuellement, des milliards d’hommes, qui n’ont pas encore reçu suffisamment la bonne Nouvelle, se trouvent subjectivement dans une situation comparable. Mais il s’agit d’un état anormal, non d’une voie de salut ordinaire, parallèle au christianisme : les grâces de suppléance accordées dans ces religions viennent du Christ, unique Médiateur, et doivent mener à lui. Autrement, les « pierres d’attente » qui y sont présentes peuvent se muer en « pierres d’achoppement »[64].

L’économie de la première Alliance

Le régime de la loi de nature est resté celui de la plus grande partie de l’humanité jusqu’à l’avènement du Sauveur. Cependant, Dieu a commencé à préparer cet avènement en se constituant un peuple particulier. Pourquoi ? Comment ?

L’alliance noachique

En un temps où les avances divines étaient très majoritairement repoussées, un homme intègre, Noé, trouve grâce devant Dieu (Gn 6, 8), se sauve avec toute sa famille et conclut avec Dieu une alliance qui s’étend à toute l’humanité et que scelle un signe naturel, l’arc-en-ciel annonçant la fin de l’orage. Est-ce à dire que dès lors les hommes y resteront fidèles ?

L’échec du régime de la loi de nature

Loin de là. Comme le montre saint Paul dans l’épître aux Romains, les nations, malgré les ressources de la raison naturelle qui aurait dû leur faire découvrir le Dieu unique et agir en conséquence, se sont livrés à l’idolâtrie et ont roulé dans l’abîme des vices. Les gentils en effet ont connu le Dieu unique dans quelque mesure :

Dieu s’est manifesté à eux soit en répandant sa lumière intérieure, soit en présentant à leur esprit les créatures visibles, dans lesquelles, comme dans une sorte de livre, la connaissance de Dieu était lue[65].

Ils auraient dû dès lors lui rendre gloire pour ses bienfaits et obéir à sa loi. Mais, sous l’effet de leurs passions, « leur cœur inintelligent s’est enténébré »  (Ro 1, 21) :

La vraie connaissance de Dieu, en tant que telle, porte les hommes au bien, mais elle est liée, comme détenue en captivité, par la passion de l’injustice, à cause de laquelle « les vérités sont diminuées par les enfants des hommes » (Ps 11, 2)[66].

Dès lors, « Dieu les a livrés selon les désirs de leurs cœurs à l’impureté » (Ro 1, 24) y compris aux passions les plus ignominieuses, « c’est-à-dire des péchés contre nature »[67]. Ils ont « honoré et servi la créature de préférence au Créateur » (v. 25), en honorant « ou le feu, ou le vent, ou l’air subtil, ou le cercle des étoiles, ou l’immensité des eaux, ou le soleil et la lune » (Sag 13, 2) :

Tout en ayant pu, par la lumière de la raison et par les créatures visibles, avoir une connaissance véritable de Dieu, cependant, pour pouvoir pécher plus librement, ils n’ont pas montré, c’est-à-dire ils n’ont pas approuvé le fait qu’eux-mêmes avaient Dieu dans leur connaissance[68].

Ce faisant, ceux qui auront ainsi « amassé un trésor de colère pour le jour de la colère » (Ro 2, 5) seront jugés en conséquence. Seuls ceux qui, sous les impulsions secrètes de la grâce, auront accompli « sans loi » (v. 12) écrite la loi de Dieu, « leur conscience leur rendant témoignage » (v. 15), seront sauvés.

L’alliance avec Abraham

De Noé à Abraham

Parallèlement au régime de nature, qui reste en vigueur pour les non-juifs, Dieu suscite dès le début du second millénaire avant le Christ un autre régime, fondé sur une alliance avec un homme arraché à la civilisation mésopotamienne en plein essor : Abraham. Dès lors, son action se concentre sur un peuple unique : la descendance d’Abraham :

Large au début parce qu’il embrasse l’humanité entière, le chemin se rétrécit peu à peu, passant au peuple d’Israël, puis au reste d’Israël [ajoutons : en particulier à sa fleur, la Vierge Marie], et du reste au Christ unique, centre à partir duquel la voie va s’élargir de nouveau, allant de Jésus aux Apôtres, de leur cercle à l’Église primitive, des communautés palestiniennes à l’Église formée de Juifs et de païens convertis[69]

Cette alliance n’annule pas l’alliance de Dieu avec l’ensemble de l’humanité. Elle lui est finalement ordonnée :

Dieu a un but et il le dit : il veut sauver l’humanité entière… Lorsque Dieu use d’un procédé contraire à toutes les lois de l’histoire, et qu’il réduit progressivement le champ de son action du grand au petit nombre — réduction qui est le principe de toute l’histoire du salut —, c’est que dès le début il vise tous les hommes[70].

En outre, on a vu que même à cette époque, les nations n’étaient privées ni de la possibilité de recevoir la grâce sanctifiante, ni même sans doute de révélations privées ponctuelles.

Il reste que, à partir d’Abraham, le Seigneur détache de l’économie de nature un petit peuple, « chargé des promesses du monde et établi gardien de la croyance au Dieu unique »[71], au sein duquel naîtra le Sauveur promis dès l’origine. Désormais, l’Église est effectivement convoquée, ekklhsia. Sa hiérarchie demeure d’abord confondue avec celle du clan : c’est l’époque des patriarches. Sa morale se dégage lentement des mœurs douteuses de l’ancien Orient — qu’on songe à l’épisode anti-édifiant d’Abraham faisant passer Sara pour sa sœur en Égypte. Son rituel reste proche des usages de l’époque. En quoi l’histoire d’Abraham s’avère-t-elle donc significative pour notre propos ?

Une vocation exemplaire[72]

En vertu d’un décret purement gratuit, Dieu choisit parmi la foule des gentils un homme âgé, marié à une femme stérile, et l’appelle à donner naissance à un peuple nouveau :

Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t’indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je glorifierai ton nom (Gn 12, 1-2).

Ce faisant, il l’enlève à la civilisation urbaine naissante de son pays — celle où a surgi la tour de Babel —, pour le jeter dans le désert : première opposition entre la cité terrestre, celle où les hommes s’unissent pour prendre la place de Dieu, et la cité de Dieu, préparée ici-bas par le désert :

Par la foi, Abraham… partit sans savoir où il allait… parce qu’il attendait la cité aux fondements éternels dont Dieu est l’architecte et le maçon (He 11, 10).

Il le sépare de la famille dont il est l’enfant, pour faire de lui le père d’un grand peuple : celui des enfants d’Abraham. Le peuple élu pourra s’étendre au-delà de la descendance issue des « reins d’Abraham » : il restera pour toujours une famille.

Le signe de la circoncision

C’est ce que met en relief le signe de l’Alliance offerte par Dieu à Abraham avant la naissance d’Isaac. Qu’on appartienne ou non à la descendance d’Abraham, on peut être intégré à son peuple moyennant la circoncision, signe éminemment concret, charnel :

Dieu dit à Abraham : « Et toi, tu observeras mon alliance, toi et ta race après toi, de génération en génération. Et voici mon alliance qui sera observée entre moi et vous, c’est-à-dire ta race après toi : que tous vos mâles soient circoncis. Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous.  Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. Qu’il soit né dans la maison ou acheté à prix d’argent à quelque étranger qui n’est pas de ta race, on devra circoncire celui qui est né dans la maison et celui qui est acheté à prix d’argent. Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle (Gn 17, 9-13).

Moyennant le respect de cette clause, l’alliance de Dieu avec son peuple sera perpétuelle :

J’établirai mon alliance entre moi et toi, et ta race après toi, de génération en génération, une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui de ta race après toi. À toi et à ta race après toi, je donnerai le pays où tu séjournes, tout le pays de Canaan, en possession à perpétuité, et je serai votre Dieu (Gn 17, 7-8).

Les Pères et les scolastiques ont accordé une grande attention à la circoncision, qui, ils n’en doutaient pas, préfigurait le baptême et opérait des effets de grâce comparables, non par elle-même mais en raison de la foi :

La circoncision conférait la grâce avec tous ses effets, mais autrement que ne fait le baptême. Le baptême confère la grâce par sa vertu propre, qu’il possède au titre d’instrument de la passion du Christ, déjà réalisée. Mais la circoncision conférait la grâce parce qu’elle était signe de la foi à la passion future : l’homme qui recevait la circoncision professait qu’il embrassait cette foi, l’adulte pour lui-même, et un autre pour les enfants. Aussi l’Apôtre dit-il (Rm 4, 11) : « Abraham reçut le signe de la circoncision comme sceau de sa justification par la foi ». C’est-à-dire que la justice venait de la foi signifiée par la circoncision, et non de la circoncision qui la signifiait[73].

Particularisme ethnique et universalité

La circoncision conférait au premier peuple de Dieu un caractère ethnique marqué. Et pourtant, ce n’est pas seulement Israël, c’est toute l’humanité qui est bénie en Abraham :

Je glorifierai ton nom, et tu seras une source de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, et je maudirai ceux qui te maudiront. Toutes les familles de la terre seront bénies en toi (Gn 12, 2-3).

Dieu le confirme au moment même où il accorde au patriarche le signe de la circoncision :

Moi, voici mon alliance avec toi : tu deviendras père d’une multitude de nations. Et l’on ne t’appellera plus Abram, mais ton nom sera Abraham, car je te fais père d’une multitude de nations. Je te rendrai extrêmement fécond, de toi je ferai des nations, et des rois sortiront de toi (Gn 17, 4-6).

Abraham lui-même en semble bien conscient, comme le montre après la naissance d’Isaac son intercession pour Sodome :

Vas-tu vraiment supprimer le juste avec le pécheur ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les supprimer et ne pardonneras-tu pas à la cité pour les cinquante justes qui sont dans son sein ? Loin de toi de faire cette chose-là, de faire mourir le juste avec le pécheur, en sorte que le juste soit traité comme le pécheur. Loin de toi ! Est-ce que le juge de toute la terre ne rendra pas justice ? (Gn 18, 23-25)

Le père de notre foi

En effet, avant d’être le premier dépositaire de la circoncision, limitée à un seul peuple, Abraham apparaît comme le modèle de la foi, qui est offerte à toutes les nations :

L’Écriture prévoyant que Dieu justifierait les gentils par la foi, annonça d’avance à Abraham cette bonne nouvelle : « En toi seront bénies toutes les nations » (Ga 3, 18).

C’est la foi d’Abraham qui le rend juste, non la circoncision, et c’est au titre de sa foi qu’il est le père de tous les croyants :

« Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice »… Comment donc lui fut-elle imputée ? Était-ce après, ou avant sa circoncision ? Il n’était pas encore circoncis, il était incirconcis. Et il reçut le signe de la circoncision, comme sceau de la justice qu’il avait obtenue par la foi quand il était incirconcis, afin d’être le père de tous les incirconcis qui croient, pour que la justice leur fût aussi imputée, et le père des circoncis, qui ne sont pas seulement circoncis, mais encore qui marchent sur les traces de la foi de notre père Abraham quand il était incirconcis. En effet, ce n’est pas par la loi que l’héritage du monde a été promis à Abraham ou à sa postérité, c’est par la justice de la foi… C’est pourquoi les héritiers le sont par la foi, pour que ce soit par grâce, afin que la promesse soit assurée à toute la postérité, non seulement à celle qui est sous la loi, mais aussi à celle qui a la foi d’Abraham, notre père à tous, selon qu’il est écrit : « Je t’ai établi père d’un grand nombre de nations ». Il est notre père devant celui auquel il a cru, Dieu, qui donne la vie aux morts, et qui appelle les choses qui ne sont point comme si elles étaient. Espérant contre toute espérance, il crut, en sorte qu’il devint père d’un grand nombre de nations, selon ce qui lui avait été dit : « Telle sera ta postérité ». Sans faiblir dans la foi, il ne considéra point que son corps était déjà usé, puisqu’il avait près de cent ans, et que Sara n’était plus en état d’avoir des enfants. Il ne douta point, par incrédulité, au sujet de la promesse de Dieu ; mais il fut fortifié par la foi, donnant gloire à Dieu, et ayant la pleine conviction que ce qu’il promet il peut aussi l’accomplir. C’est pourquoi cela lui fut imputé à justice (Ro 4, 3… 22).

Il résulte de ce qu’Abraham en l’état d’incirconcision a été justifié par la foi et a reçu ensuite la circoncision, qu’il est le père non seulement de ceux qui ont été circoncis, mais aussi des croyants en état d’incirconcision[74].

Ou plutôt, la circoncision elle-même, comme l’a bien compris saint Thomas, est d’abord le signe de la foi au Dieu unique et, au moins implicitement, au Christ à venir :

La circoncision eut pour principale cause littérale d’être une protestation de la foi en un seul Dieu . Et parce que Abraham fut le premier à se séparer des infidèles en quittant sa maison et sa parenté, il fut le premier à recevoir la circoncision. Telle est la raison marquée par l’Apôtre (Rm 4, 11) : « Abraham reçut le signe de la circoncision, sceau de la justice de la foi qu’il reçut incirconcis ». Comment cela ? Il est écrit : « Sa foi lui fut comptée à justice » du fait que, « espérant contre l’espérance », c’est-à-dire par une espérance fondée sur la grâce contre une espérance fondée sur la nature, « il crut qu’il deviendrait le père de beaucoup de nations », alors qu’il était un vieillard et que sa femme était âgée et stérile. Pour que cette protestation de foi d’Abraham et le désir de l’imiter fussent ancrés au cœur des Juifs, ils reçurent dans leur chair un signe qu’ils ne pourraient oublier: « Mon alliance, dit Dieu, selon la Genèse (Gn 17, 13), sera dans votre chair une alliance éternelle »[75].

La circoncision préparait au baptême parce qu’elle était une profession de foi au Christ, foi que nous professons aussi au baptême. Mais parmi les anciens Pères, Abraham fut le premier à recevoir la promesse du Christ à venir, quand il lui fut dit (Gn 22, 18) : « Dans ta race seront bénies toutes les tribus de la terre ». Il fut aussi le premier à se séparer de la société des infidèles pour obéir à l’ordre de Dieu qui lui disait (Gn 12, 1) : « Sors de ton pays et de ta famille ». Il convenait donc que la circoncision fût instituée en Abraham[76].

C’est donc par la foi que les Juifs sont justifiés, par la médiation de la circoncision :

On dit que les Juifs sont justifiés par la foi (ex fide, à partir de la foi) parce que la foi fut la cause première d’où résultèrent la circoncision et les autres sacrements de la loi ; et ainsi la foi justifie les Juifs, comme une cause première agissant par des causes intermédiaires. Les Gentils, eux, sont justifiés par la foi elle-même (per fidem, à-travers la foi) immédiatement[77].

Le sacrifice du fils unique

L’enfant du miracle, obtenu par sa foi héroïque, et qui lui assure enfin une descendance, Dieu va demander à Abraham de l’immoler. Le patriarche s’abandonne à la volonté divine. L’enfant lui est rendu, l’alliance est solennellement réitérée, la promesse de l’alliance est consommée :

N’étends pas la main sur l’enfant, ne lui fais aucun mal ! Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique… Parce que tu as fait cela… je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel et le sable de la mer (Gn 11… 17).

On peut interpréter cet épisode à divers niveaux. Au plan moral, on s’interrogera sur la justice de l’ordre donné, contraire à toutes les prescriptions ultérieures de la loi. On pourra répondre avec saint Thomas :

Dieu ne va jamais contre la nature des choses puisque « ce que Dieu fait en elles est leur nature même », dit le Glose ; mais il agit parfois contre le cours ordinaire de la nature. C’est ainsi que Dieu ne peut rien prescrire de contraire à la vertu, puisque la vertu et la rectitude de la volonté humaine consistent avant tout dans la conformité à la volonté de Dieu et l’obéissance à ses ordres, encore que ses ordres puissent contredire parfois la pratique ordinaire de telle ou telle vertu. Ainsi l’ordre donné à Abraham n’alla pas contre la justice, puisque Dieu est l’auteur de la vie et de la mort[78].

On ajoutera qu’en tout état de cause Dieu révoque finalement son ordre, condamnant définitivement les sacrifices humains.

Au plan spirituel, on notera avec Journet que quand Dieu donne des gages visibles de son amour, il « demande en retour une adhésion spirituelle inconditionnée,… au temps même où il lui plaira de retirer tous ces signes »[79] :

Par la foi, Abraham mis à l’épreuve offrit en sacrifice Isaac son fils unique, alors que, dépositaire des promesses, il avait entendu ces mots : « C’est par Isaac que tu auras une postérité portant ton nom » (He 11, 17).

Il faut cependant aller plus loin. Pour l’auteur de l’épître aux hébreux (11, 19), c est « en parabole » qu’Abraham offrit son fils. De fait, toute la tradition ancienne voit dans le patriarche la figure de Dieu lui-même, qui « n’a pas épargné son propre fils, mais l’a offert pour nous tous » (Ro 8, 32[80]), et dans Isaac celle du Christ offert en sacrifice sur la croix — et dans l’eucharistie, in Isaac immolatur : « Isaac préfigure le Christ, en tant que lui-même était offert en sacrifice »[81].

Par égard pour moi, tu n’as pas épargné ton fils. Moi non plus, par égard pour la multitude, je n’épargnerai pas mon Fils. Je le donnerai afin qu’il soit immolé pour le monde entier, car je donne tout bien, moi, le Sauveur de vos âmes. Comme Isaac a porté le bois sur ses épaules, ainsi mon Fils, sur ses épaules, portera la croix. Ton grand amour t’a révélé l’avenir. Tiens, regarde le bélier pris dans le bois ; en voyant comment il est retenu, découvre le mystère : c’est par les cornes qu’il est entravé ; ces cornes figurent les mains de mon Fils. Immole-moi ce bélier et je garde ton fils, car je donne tout bien, moi, le Sauveur de vos âmes[82].

Moïse et la loi ancienne

Un peuple consacré

La descendance promise à Abraham devait culminer dans le Christ :

Le Christ est appelé spécialement le fils de deux anciens Pères : Abraham et David (Mt 1, 1), pour plusieurs raisons. C’est à eux que la promesse du Christ a été adressée spécialement. Car il a été dit à Abraham (Gn 22, 38) : « Toutes les nations de la terre seront bénies dans ta descendance », ce que l’Apôtre (Ga 3, 6) applique au Christ : « Les promesses ont été faites au Christ et à sa descendance. L’Écriture ne dit pas : et à ses descendants, comme s’ils étaient plusieurs mais, comme à un seul : “et à sa descendance”, c’est-à-dire au Christ »[83].

Mais le Christ devait naître dans un peuple préparé à l’accueillir, puis à le prêcher au dehors. Ce qui n’était pas encore le cas à l’époque des patriarches : le peuple de Dieu se confondait alors avec la tribu de l’élu. Il n’impliquait ni hiérarchie sacrée distincte de la hiérarchie naturelle de cette tribu, ni rites minutieusement codifiés en vertu d’une institution divine. Les sacrifices étaient célébrés selon un cérémonial typique des coutumes contemporaines ; la circoncision elle-même, si elle distingue les fils d’Abraham de leurs voisins immédiats, était assez largement répandue dans les civilisations du Moyen Orient. Israël devait recevoir une sanctification particulière, toute gratuite, qui s’exprime spécialement dans le don de la loi :

En sens contraire, il y a ce qui est dit aux Romains : « Quel est donc l’avantage des Juifs ? Il est grand à tous égards : d’abord les oracles de Dieu leur ont été confiés » (Rm 3, 1). On lit (Ps 147) : « Dieu n’a pas agi de la sorte avec toutes les nations, il ne leur a pas fait connaître ses ordonnances »…

à ce peuple Dieu accorda la loi et d’autres bienfaits spéciaux parce qu’il avait promis à leurs pères que le Christ naîtrait d’eux. Il convenait en effet que le peuple qui devait donner le jour au Christ se distinguât par une sainteté particulière : « Soyez saints comme je suis saint » (Lv 19, 2). Ce n’est pas non plus le mérite d’Abraham qui explique la promesse qui lui fut faite, à savoir que le Christ naîtrait de sa race : il y va d’un choix et d’un appel gratuits : « Qui a suscité le juste de l’Orient et l’a appelé à sa suite ? » (Is 41, 2). D’ou il ressort clairement que les Pères ont reçu la promesse, et que le peuple de leur lignage a reçu la loi en vertu seulement d’un choix gratuit : « Vous avez entendu ses paroles du milieu du feu », lisons-nous au Deutéronome (Dt 4, 36), « parce qu’il a aimé vos pères et a choisi leur postérité après eux »[84].

Comment cette sanctification particulière va-t-elle s’opérer ? Essentiellement, par la loi et les prophètes.

La loi mosaïque

Avec Moïse, le peuple de Dieu va recevoir une structure, des lois, un rituel bien définis. C’est cet ensemble — la loi mosaïque — qui consacre Israël comme témoin privilégié de la promesse. La loi comporte d’une part des préceptes moraux et d’autre part des préceptes judiciaires et cérémoniels.

Préceptes moraux

Les préceptes moraux, donnés directement par Dieu, sont valables en tout temps et en tout lieu. Ils constituent le Décalogue, qui embrasse, avec une force inconnue des civilisations contemporaines, tout l’essentiel de la loi naturelle[85]. Le peuple de Dieu était ainsi doté d’un code moral très ferme, propre à lui assurer, s’il était effectivement appliqué, une vie sociale harmonieuse. Dans la loi nouvelle, les prescriptions de la loi ancienne seront étendues à tous les hommes :

Dieu demande aux Juifs la bienveillance envers leurs frères de race, pour l’élargir ensuite à tout le genre humain. Aussi longtemps que le sacrement de l’Alliance se bornait au seul peuple juif, l’obligation de la miséricorde ne concernait que les frères seulement. Mais lorsque le Christ « reçut les nations en héritage »… il étendit à tous la loi de la bonté donnée par le Père ; il n’écarta personne de la miséricorde, pas plus que de l’appel au salut[86].

Préceptes judiciaires et cérémoniels

Les préceptes judiciaires et cérémoniels sont particuliers au peuple élu. Les premiers réglaient les rapports sociaux, et ne concernent notre propos qu’indirectement. Nous retiendrons surtout ici les seconds.

La liturgie juive écarte d’emblée tous les rites idolâtriques des peuples voisins, mais incorpore à son année liturgique, fondamentalement historique, des rites de la religion naturelle, d’origine nomade (néoménies) ou agricole : fête des azymes (Pâques), de la moisson (Pentecôte), des vendanges (tentes) — moyennant une transformation profonde. Les deux premières seront à leur tour transposées et adoptées par le christianisme.

La raison d’être des préceptes cérémoniels était double : immédiate ou littérale — maintenir la foi du peuple et sa cohésion en le gardant de la contamination du paganisme — ; et « mystique » : préfigurer le Christ et l’Église. Saint Thomas leur applique les différents sens de l’Écriture distingués par la tradition patristique :

C’est la fin qui rend compte du dispositif qui s’y rapporte. Or la fin des préceptes cérémoniels est double : le culte divin à organiser selon les besoins de ce temps, et le Christ à préfigurer. Les oracles des prophètes, eux aussi, avaient une valeur pour leur temps tout en présageant l’avenir, selon l’explication donnée par Jérôme à propos d’Osée. De sorte que les préceptes cérémoniels de l’ancienne loi se prêtent à deux types d’explications. D’une part, celles qui tiennent compte du culte divin tel qu’il fallait alors l’assurer ; c’est ce qu’on appelle l’explication littérale, qu’il s’agisse de fuir l’idolâtrie, de célébrer certains bienfaits de Dieu, de donner une idée de l’excellence divine, ou encore de fixer l’attitude spirituelle qui dès cette époque s’imposait dans l’exercice du culte divin. D’autre part, on peut leur assigner comme raison d’être la préfiguration du Christ et alors ils comportent des explications figuratives et mystiques : du type allégorique si on les rapporte à la personne du Christ et à l’Église ; du type moral si elles concernent la vie du peuple chrétien ; du type anagogique si on les rapporte à l’état de gloire à venir, pour autant que nous y sommes introduits par le Christ[87].

Rôle essentiellement pédagogique et provisoire, comme l’avait bien vu saint Paul, interprétant, dans la ligne de Philon d’Alexandrie, les préceptes cérémoniels dans un sens figuratif :

Avant la venue de la foi, nous étions enfermés sous la garde de la Loi, réservés à la foi qui devait se révéler. Ainsi la Loi nous servit-elle de pédagogue jusqu’au Christ, pour que nous obtenions de la foi notre justification. Mais la foi venue, nous ne sommes plus sous un pédagogue. Car vous êtes tous fils de Dieu, par la foi, dans Christ Jésus (Ga 3, 23-26).

Que personne ne vous juge à propos de nourriture ou de boisson, en matière de fêtes, de nouvelle lune ou de sabbat : ce n’est que l’ombre des réalités à venir, umbra futurorum (Col 2, 16).

Toute la tradition patristique et médiévale va développer cet aspect, recherchant la signification christologique ou ecclésiale des moindres prescriptions du code de l’Alliance :

Le Christ est unique, mais notre esprit peut le concevoir sous de multiples représentations. Il est la tente, à cause du voile de sa chair ; il est aussi l’arche contenant la loi divine, puisqu’il est le Verbe de Dieu le Père ; il est la table des pains d’oblation, car il est vie et nourriture ; il est le candélabre, en tant que lumière pour notre intelligence et notre esprit ; il est l’autel des parfums, c’est-à-dire la bonne odeur qui se répand dans les saints ; il est l’autel des holocaustes, puisqu’il est la victime offerte pour la vie du monde[88].

Saint Thomas explique :

Sous la loi ancienne, non seulement la vérité divine essentielle était inaccessible en elle-même, mais « la voie même qui devait y conduire n’était pas encore ouverte » (He 9, 8) ; aussi, sous ce régime, le culte extérieur devait-il figurer non seulement [comme actuellement encore] la réalité future qu’on découvrira dans la patrie, mais encore le Christ, voie qui mène à cette réalité de la patrie. Sous le régime de la loi nouvelle, cette voie est désormais dévoilée et il ne faut plus la préfigurer comme à venir, mais la commémorer comme une réalité passée ou présente ; il ne faut plus préfigurer que la gloire, réalité à venir qui n’est pas encore dévoilée. Telle est la pensée de l’épître aux Hébreux (He 10, 1) : « La loi n’a que l’ombre des biens à venir et non l’image même des réalités » ; une ombre en effet est moins qu’une image, et ici l’image appartient à la loi nouvelle, l’ombre à la loi ancienne[89].

Figure des « biens à venir », ces rites étaient impuissants par eux-mêmes à justifier : « Il est impossible que le sang des boucs et des taureaux enlève les péchés » (He 10, 4)[90]. Le prétendre équivaudrait à nier la nécessité de la mort du Christ pour notre salut : « Si la justice vient de la loi, le Christ est mort pour rien » (Ga 2, 21). Ils ne tenaient pas non plus, dans l’ordre de la causalité instrumentale, cette vertu de la passion du Christ, qui n’avait pas encore eu lieu. Mais ceux qui les accomplissaient étaient justifiés, en tant qu’ils exprimaient ainsi leur foi au Christ à venir :

La cause efficiente [instrumentale] ne peut, comme la cause finale, agir en étant postérieure dans l’existence selon l’ordre de succession chronologique. Il en ressort donc avec évidence que la passion du Christ, cause de la justification des hommes, produit bien une vertu justifiante pour les sacrements de la loi nouvelle, mais non pour ceux de la loi ancienne.

Cependant, les anciens Pères étaient justifiés comme nous par la foi à la passion du Christ. Or, les sacrements de la loi ancienne étaient comme des protestations de cette foi, en tant qu’ils signifiaient la passion du Christ et ses effets. Il est donc clair que les sacrements de la loi ancienne n’avaient en eux aucune vertu capable de conférer la grâce justifiante ; ils se bornaient à signifier la foi par laquelle on était justifié[91].

Le culte était assuré par un sacerdoce héréditaire, chargé également d’instruire et de bénir le peuple. Les prêtres de l’ancienne Loi

plaisaient à Dieu dans les cérémonies à cause de leur obéissance et de leur dévotion, et de leur foi à la réalité préfigurée, mais non en raison des rites considérés en eux-mêmes[92].

Le sacerdoce lévitique préfigurait, à côté de celui de Melchisédech[93], le sacerdoce du Christ, « source de tout le sacerdoce », qui devait le porter à sa consommation en remplaçant le « sang des boucs et des taureaux » par « le sang précieux de l’Agneau immaculé » :

Le Christ est la source de tout le sacerdoce, car le prêtre de l’ancienne loi était la figure du Christ ; et le prêtre de la loi nouvelle agit en sa personne[94].

« Le Christ est le grand prêtre des biens à venir » (He 9, 11)… La consommation du sacrifice du Christ était préfigurée par ce fait que le prêtre de l’ancienne loi entrait une fois par an dans le Saint des saints, selon le Lévitique (Lv 16, 11), avec le sang des boucs et des taureaux, lesquels n’étaient pas immolés au sanctuaire, mais en dehors. Pareillement, le Christ est entré dans le sanctuaire, c’est-à-dire le ciel, et il nous a frayé la voie pour que nous entrions par la vertu de son sang, qu’il a répandu sur la terre pour nous[95].

Ainsi, tous les préceptes judiciaires et cérémoniels devaient disparaître à l’avènement de la réalité qu’ils figuraient[96] : « En parlant d’une alliance nouvelle, Dieu déclare la précédente vieillie. Or ce qui est ancien et vieilli doit bientôt disparaître » (He 8, 13).

Le prophétisme

À côté du sacerdoce, chargé d’assurer le culte et d’enseigner la loi au peuple, apparaît dès l’origine, dans le peuple élu, le prophétisme. Le rapport de ces deux éléments est symbolisé par les deux frères, Aaron et Moïse, « le plus grand des prophètes »[97] en même temps que le dépositaire de la loi.

Ainsi, dans l’Église de la première Alliance, Dieu se réservait la faculté d’intervenir en dehors des institutions légales, en suscitant des hommes chargés de d’annoncer publiquement son message ou de rappeler ses exigences. Ce sont surtout les prophètes qui, pendant des millénaires, ont orienté le peuple élu vers le plein accomplissement de son destin : la venue dans son sein du Messie promis. De cette venue, ils n’avaient reçu qu’une révélation fragmentaire et enveloppée dans l’obscurité des promesses temporelles :

Dans la révélation prophétique l’esprit du prophète est mû par l’Esprit Saint comme un instrument déficient par rapport à l’agent principal. Or le Saint-Esprit pousse l’esprit du prophète, soit à comprendre, soit à annoncer, soit à faire quelque chose ; tantôt à ces trois actes ensemble, tantôt à deux d’entre eux, tantôt à un seul. Et il peut se produire, dans chacun de ces cas, qu’il y ait chez le prophète un défaut de connaissance…  Du fait que l’esprit du prophète est un instrument déficient, même les vrais prophètes ne connaissaient pas tout ce qui, dans leurs visions, dans leurs paroles et jusque dans leurs actions prophétiques, est visé par l’Esprit[98].

Mais finalement, c’est leur témoignage pris dans son ensemble qui, joint aux miracles de Jésus, fournira à ses premiers disciples l’argument le plus fort en faveur de l’authenticité de sa mission : Prophetæ prædicaverunt nasci Salvatorem de Maria Virgine. Alors, « l’Israël de Dieu » (Ga 6, 16) aura succédé à « l’Israël selon la chair » (1 Co 10, 18). Ou plutôt, il l’aura accompli en l’élargissant aux dimensions du monde. Mais c’est qu’à l’âge du Christ promis aura succédé l’âge du Christ présent.

Conclusion sur l’âge du Christ attendu

Pendant des millénaires, Dieu a constitué progressivement, dans l’attente du Sauveur, l’Église qui devait l’accueillir et devenir son épouse. Sous ces divers régimes — régime de nature, régime de la loi —, l’Église est devenue de plus en plus visible, de plus en plus distincte de la cité terrestre. Elle a reçu, par la médiation de la loi et des prophètes, des révélations progressives, des invitations de plus en plus instantes à chercher Dieu et sa volonté. Elle a aspiré ardemment à sa venue, dont elle a connu un avant-goût dans la schekinah, déjà symbolisée dans les anges de Membré, puis présente, selon la tradition juive, en tête du peuple et au-dessus de l’arche. Elle a pressenti une alliance dans les cœurs (Jérémie, Ézéchiel), un sacrifice nouveau et universel (Malachie). Mais en tant qu’Église de la première alliance, elle n’est pas parvenue à sa consommation : « La loi n’a rien amené à sa perfection » (He 7, 19). La loi en effet demeurait ambivalente : elle indiquait le bien à accomplir, sans en donner la force. En ce sens, quoique bonne par elle-même, « la loi est intervenue pour que la faute abondât » (Rm 6, 20). Et la schekinah, que le prophète avait vu quitter le temple de Salomon avec le peuple exilé, n’était pas revenue dans le nouveau temple.

Second régime de l’Église : l’âge du Christ présent

Ce n’était pas, certes, que Dieu eût abandonné son peuple. Lors de l’Incarnation du verbe, Marie, Zacharie, Siméon saluent le fidélité du Dieu d’Israël à son alliance avec les pères, visitavit et fecit redemptionem plebi suæ :

Il est venu en aide à Israël, son serviteur,

se souvenant de sa miséricorde,

selon qu’il l’avait annoncé à nos pères

en faveur d’Abraham et de sa postérité à jamais ! (Lc 1, 54-55)

Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,

de ce qu’il a visité et délivré son peuple,

et nous a suscité une puissance de salut

dans la maison de David, son serviteur,

selon qu’il l’avait annoncé

par la bouche de ses saints prophètes des temps anciens

pour nous sauver de nos ennemis

et de la main de tous ceux qui nous haïssent.

Ainsi fait-il miséricorde à nos pères,

ainsi se souvient-il de son alliance sainte,

du serment qu’il a juré à Abraham, notre père (Lc 1, 68-73)…

Mais désormais l’alliance va embrasser toutes les nations :

Mes yeux ont vu ton salut,

que tu as préparé à la face de tous les peuples,

lumière pour éclairer les nations

et gloire de ton peuple Israël (Lc 2,30-32).

Surtout, elle va dépasser le cadre de la loi mosaïque pour instaurer une loi nouvelle : celle de « la grâce et la vérité » : « La loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité ont été accomplies par Jésus-Christ » (Jn 1, 17). Comment cela ? Grâce à la mission du Verbe.

La mission visible du Verbe au principe de l’âge du Christ présent

« Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son Fils, tiré de la femme, soumis à la Loi » (Ga 4, 4). Depuis des millénaires, l’humanité a vécu pour ainsi dire dans un état d’enfance : « Quand nous étions petits enfants, nous étions soumis aux éléments du monde » (Ga 4, 3). Elle était orientée secrètement vers la venue d’un Sauveur, mais ne connaissait pas encore son visage. Tout change quand Dieu « envoie son Fils » dans le monde : l’Incarnation n’est autre chose que la grande mission visible du Verbe dans la chair :

On peut parler de la mission d’une Personne divine, en évoquant par là, d’une part, sa procession d’origine à l’égard de la Personne qui l’envoie ; d’autre part, un nouveau mode pour elle d’exister quelque part. On dit ainsi du Fils qu’il a été envoyé en ce monde par son Père, en tant qu’il a commencé d’être en ce monde par la chair qu’il a prise, bien qu’auparavant « il fût déjà dans le monde », comme dit saint Jean (Jn 1, 10)[99].

Aspects de la présence de l’unique Médiateur à son Église

Grâce christique par contact

Dès lors, le Dieu qui jusqu’alors exerçait son influence comme de loin, par des médiations dont l’efficacité demeurait très indirecte, se rend présent en personne. Toute la vie divine que l’Église recevait auparavant par des moyens divers va désormais lui venir par une médiation unique : celle du Christ homme. En effet cet homme est en même temps Dieu, et son humanité est l’instrument conjoint de la divinité. Il est donc, dès l’instant de l’Incarnation, comblé d’une grâce[100] quasi infinie, et, par suite, source de toute grâce, (fons) omnium gratiarum[101] : il n’en est aucune qui ne découle de lui, non seulement à titre de cause méritoire, comme cela était le cas par anticipation dans les régimes précédents, mais à titre de cause efficiente instrumentale :

Le Christ influe d’une certaine manière les effets de grâce sur toutes les créatures raisonnables ; de là vient qu’il est lui-même, d’une certaine manière, le principe de toute grâce selon l’humanité, comme Dieu est le principe de tout être. C’est pourquoi, de même qu’en Dieu toute la perfection de l’être est rassemblée, de même dans le Christ on trouve toute plénitude de grâce et de vertu, non seulement pour avoir lui-même pouvoir  sur l’œuvre de la grâce, mais encore pour y amener les autres. Et c’est à ce titre qu’il offre la raison de tête[102].

Cette grâce, il la répand sur les hommes et les anges avec une liberté souveraine, et volontiers par son contact, comme il effectue le plus souvent les guérisons corporelles par contact. Le temps de la vie terrestre de Jésus est celui où Dieu entre pour la première fois en contact physique avec les hommes : ce dont les Apôtres auront à témoigner, c’est « ce qu’ils ont entendu, ce que (leurs) yeux ont vu, ce qu’(ils) ont contemplé, ce que (leurs) mains ont touché du Verbe de Vie » (1 Jn 1, 1). Contact physique qui rend, semble-t-il, l’instrument plus efficace, du fait qu’il est connaturel à l’homme et le touche directement dans ce qu’il a de plus profond. C’est dans cette perspective qu’il faut

C’est en raison de cette situation de Médiateur universel, enracinée dans sa grâce capitale, que le Christ concentre en sa personne, à un niveau transcendant, les trois fonctions de prêtre, de roi et de prophète, qui structuraient le premier peuple de Dieu en vue de le rendre fidèle à la Loi :

Les autres hommes possèdent certaines grâces particulières, mais le Christ, en tant que tête de tous, jouit de la plénitude de toutes les grâces. Et c’est pourquoi, en ce qui concerne les autres, l’un est législateur, un autre prêtre et un autre roi, mais toutes ces fonctions se réunissent dans le Christ, comme dans la source de toutes les grâces[103].

Prêtre[104]

Dans toutes les civilisations, la communauté trouve dans le prêtre choisi par Dieu un médiateur qui fait monter vers la divinité ses prières et ses offrandes, et descendre vers elle les biens divins. Aux prêtres-pères de famille de la loi de nature, aux prêtres lévitiques de la loi mosaïque, succède le prêtre unique et définitif de la nouvelle Alliance. Le Christ est — dès son Incarnation, même si les fruits de son sacrifice ne sont dispensés dans toute leur plénitude qu’après le sacrifice de la croix et la Résurrection — prêtre, en tant qu’homme :

L’office propre du prêtre est d’être médiateur entre Dieu et le peuple en tant qu’il transmet au peuple les biens divins, d’ou son nom de sacer-dos, c’est-à-dire sacra dans : « qui donne les choses saintes » ; selon Malachie (Ml 2, 7),  « c’est de sa bouche qu’on attend l’enseignement ». De plus, le prêtre est médiateur en tant qu’il offre à Dieu les prières du peuple et satisfait à Dieu en quelque manière pour les péchés ; de là cette parole : « Tout grand prêtre, pris d’entre les hommes, est établi pour intervenir en faveur des hommes dans leurs relations avec Dieu, afin d’offrir dons et sacrifices pour les péchés » (He 5, 1).

Or cela convient parfaitement au Christ. Par lui en effet, les dons de Dieu sont transmis aux hommes : « Par lui nous avons été mis en possession de grandes et précieuses promesses, afin de devenir ainsi participants de la nature divine » (2 P 1, 4). De même le Christ a réconcilié avec Dieu le genre humain, comme il est écrit aux Colossiens (Col 1, 19) : « Il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la Plénitude, et par lui de tout se réconcilier ».

Il convient donc souverainement au Christ d’être prêtre[105].

Mais ce prêtre est simultanément la victime de son propre sacrifice[106], et le Dieu auquel le sacrifice est offert. D’où l’éminente supériorité de son sacerdoce et de son sacrifice par rapport au sacerdoce et au sacrifice mosaïques :

Le Christ, lui, survenu comme grand prêtre des biens à venir, traversant la tente plus grande et plus parfaite qui n’est pas faite de main d’homme, c’est-à-dire qui n’est pas de cette création, entra une fois pour toutes dans le sanctuaire, non pas avec du sang de boucs et de jeunes taureaux, mais avec son propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle. Si en effet du sang de boucs et de taureaux et de la cendre de génisse, dont on asperge ceux qui sont souillés, les sanctifient en leur procurant la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ, qui par un Esprit éternel s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes pour que nous rendions un culte au Dieu vivant (He 9, 11-14).

Ce sacrifice unique abroge, avec la première alliance, les multiples sacrifices d’animaux de la Loi ancienne :

Il abroge le premier régime pour fonder le second. Et c’est en vertu de cette volonté que nous sommes sanctifiés par l’oblation du corps de Jésus Christ, une fois pour toutes. Tandis que tout prêtre se tient debout chaque jour, officiant et offrant maintes fois les mêmes sacrifices, qui sont absolument impuissants à enlever des péchés, lui au contraire, ayant offert pour les péchés un unique sacrifice, il s’est assis pour toujours à la droite de Dieu, attendant désormais que ses ennemis soient placés comme un escabeau sous ses pieds. Car par une oblation unique il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il sanctifie (He 10, 9-14).

Prophète

« Plein de grâce », le Verbe incarné est aussi « plein de vérité » (Jn 1, 14). C’est pourquoi il peut consommer la Révélation entamée déjà par les prophètes d’Israël :

Dieu qui a parlé autrefois à nos pères de manières multiples et diverses, en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé par son Fils, qu’il a établi son hériter en toutes choses, par qui aussi il a créé les mondes (He 1, 1-2).

Dès le début de sa vie publique, le peuple le considère comme un prophète : « Un grand prophète s’est levé parmi nous et Dieu a visité son peuple » (Lc 7), et lors de sa passion ce titre lui vaudra encore les avanies de la soldatesque : « Fais le prophète ! Qui est-ce qui t’a frappé ? » (Lc 22, 64). Le Seigneur lui-même se l’attribue indirectement : « Il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem » (Lc 13). Pierre reconnaîtra en lui le « prophète semblable à (lui) » annoncé par Moïse :

Moïse, d’abord, a dit : « Le Seigneur Dieu vous suscitera d’entre vos frères un prophète semblable à moi ; vous l’écouterez en tout ce qu’il vous dira. Quiconque n’écoutera pas ce prophète sera exterminé du sein du peuple » (Ac 3, 22-23).

De fait, comme les anciens prophètes, le Christ annonce des vérités qui dépassent la connaissance humaine, tout en partageant notre état de viateur :

On appelle prophète celui qui annonce ou qui voit ce qui est éloigné, en ce sens qu’il connaît et dit des choses qui dépassent la portée de la connaissance humaine, selon Augustin. Mais, pour être prophète, il ne suffit pas de connaître et d’annoncer ce qu’ils ignorent à des gens dont on est éloigné… Quand Dieu, les anges ou les bienheureux connaissent et annoncent des choses qui échappent à notre connaissance, cela ne relève pas de la prophétie, car ils ne partagent d’aucune manière notre état de vie. Le Christ, au contraire, avant sa passion, se trouvait dans le même état que nous, puisqu’il était non seulement compréhenseur, mais encore voyageur. Il pouvait donc, à la manière d’un prophète, connaître et annoncer les choses qui n’étaient pas à la portée des autres voyageurs. Sous ce rapport on peut dire qu’il possédait le don de prophétie[107].

Les prophètes d’Israël, cependant, recevaient des révélations partielles et en partie obscures, et ne jouissaient d’aucun accès direct à la vérité divine. Tout change avec l’Incarnation du Verbe. Désormais, c’est la Parole éternelle elle-même qui se rend présente dans la chair pour s’exprimer en mots humains : Ego ipse qui loquebar, ecce adsum (Is 52, 6)[108]. Le Christ a possédé tous les charismes, notamment les charismes d’enseignement, avec une plénitude unique, proportionnée à sa mission de révélateur :

Les charismes sont ordonnés à la manifestation de la foi et de l’enseignement spirituel. Il faut en effet que celui qui enseigne ait les moyens de manifester la vérité de son enseignement, autrement celui-ci serait inutile. Or, le Christ est le premier et le principal Maître de l’enseignement spirituel et de la foi, selon l’épître aux Hébreux (He 2, 3) : « Le message du salut, publié en premier lieu par le Seigneur, nous a été attesté par ceux qui l’avaient entendu, Dieu confirmant leur témoignage par des signes, des prodiges », etc. Il est donc manifeste que le Christ a dû, comme premier et principal Docteur de la foi, posséder excellemment tous les charismes[109].

Ces charismes lui permettaient de révéler quelque chose de ce qu’il contemplait dans sa divinité, mais aussi dans son humanité, par la fine pointe de son âme, dès le premier instant de son Incarnation, en vue de conduire les hommes à la vision bienheureuse :

Nul ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler (Mt 11, 27).

Nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est de retour dans le sein du Père, lui, a conduit à le connaître (Jn 1, 18).

Ce que j’ai entendu de mon Père, c’est cela que je dis dans le monde (Jn 8, 26).

Ce qui est en puissance est amené à l’acte par ce qui est déjà en acte ; ainsi il faut qu’un corps soit chaud pour chauffer d’autres corps. Or, l’homme est en puissance à la science des bienheureux qui consiste dans la vision de Dieu, et il se trouve ordonné à elle comme à sa fin ; créature raisonnable, en effet, il est capable de cette connaissance bienheureuse, parce qu’il est à l’image de Dieu. Et les hommes sont conduits à cette fin de la béatitude par l’humanité du Christ selon l’épître aux Hébreux (He 2, 10) : « Il convenait que, voulant conduire à la gloire un grand nombre de fils, celui pour qui et par qui sont toutes choses, rendît parfait par des souffrances le chef qui devait les guider vers leur salut ». Et c’est pourquoi il fallait que sa connaissance bienheureuse qui consiste en la vision de Dieu, convienne souverainement au Christ homme, parce que la cause doit toujours être plus parfaite que son effet[110].

Mieux encore : il est par tout lui-même, par sa beauté, par son rayonnement, par sa sagesse, par l’amour manifesté par son comportement, révélation du Dieu que Moïse lui-même n’avait pu voir que de dos, car on ne peut le voir sans mourir : Qui videt me, videt et Patrem meum (Jn 14, 9).

Roi

Surtout après les déceptions consécutives aux péchés des rois, Israël aspirait ardemment non seulement à l’avènement d’un nouveau David qui le délivrerait de la servitude, mais encore à la venue de son Dieu en personne : ce sont les psaumes du règne et les cris du prophète :

Le Seigneur est notre juge, le Seigneur est notre législateur, notre roi ; il viendra et nous sauvera… Nous sommes, depuis longtemps, des gens sur qui tu ne règnes plus et qui ne portent plus ton nom. Ah, si tu déchirais les cieux et si tu descendais ! Devant ta face les montagnes seraient ébranlées (Is 33,22 et 63, 19).

Étant Dieu, Jésus accomplit évidemment cette prophétie. Pendant sa vie publique, cependant, malgré son ascendance davidique qui rend ce titre possible, il évite le plus souvent le nom de roi, et ne brigue aucun pouvoir politique : Non eripit mortalia, qui regna dat cælestia. Cela, jusqu’à l’Ascension, alors que les Apôtres le pressent de « restaurer la royauté en Israël » (Ac 1, 6). Il ne se situe pas du côté de César, mais du côté de Dieu. Cependant, si dans son enfance il échappe au massacre des innocents, qui visait à éliminer un possible candidat au trône, il est finalement condamné comme « roi des Juifs ». Comment a-t-il donc exercé son règne au temps de sa vie terrestre ? Par ses miracles, qui prouvaient son pouvoir sur les éléments de ce monde, sans doute, mais plus encore par sa doctrine, qui préparait les fondements de l’Église de la nouvelle Alliance en suscitant la foi. Saint Thomas glose avec finesse sa réponse à la question de Pilate : « Es-tu roi ? »

Il dit : « Tu dis que je suis roi », à savoir, charnellement, or ce n’est pas de cette manière que je suis roi, mais je suis roi d’une autre manière… Il montre le mode et la raison de son règne en disant : « Moi, je suis né, et je suis venu dans le monde pour porter témoignage à la vérité »… [C’est-à-dire, selon Augustin] Je me prépare un royaume. En effet ceci ne peut s’effectuer que par la manifestation de la vérité, et cette manifestation, il ne convenait pas qu’elle fût faite par [un autre] que moi, qui suis la lumière : « Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a révélé » (Jn 1, 18)[111].

Il règne sur son royaume, poursuit l’Aquinate, comme le pasteur règne sur ses brebis : en les nourrissant. Et ceux qui appartiennent à son royaume, ce sont ceux qui sont « de la vérité », qui ont « reçu le don de Dieu, par lequel (ils croient et aiment) la vérité »[112]. C’est donc, soit dit en passant, que ce royaume existe déjà, au moins à l’état initial, au moment de la vie terrestre de son roi.

Un roi doit encore défendre son peuple contre ses ennemis, au péril de sa vie s’il le faut. C’est, comme l’a bien compris toute la tradition ancienne, ce qu’a fait notre roi, combattant non contre la chair et le sang, mais contre les puissances adverses, qu’il a finalement vaincues par sa croix — Vexilla Regis prodeunt… — et sa résurrection : « Maintenant, le prince de ce monde est jeté dehors ». Ce faisant, « élevé de terre », il a tout « attiré à » lui : victoire suprême, qui le fera reconnaître comme Rex gentium et commence à se manifester aussitôt après sa mort, quand le centurion romain le reconnaît comme « Fils de Dieu ».

L’âge des préparations du régime futur

De la présence sensible de Jésus à l’institution de la hiérarchie

Sa présence sensible aux siens, le Sauveur le sait bien, doit être de courte durée : « Encore un peu de temps, et vous ne me verrez plus ». Son influence par contact, si efficace et connaturelle à l’homme, doit-elle donc cesser ? Sans doute il a promis l’envoi d’un autre Paraclet, qui, selon le dessein de Dieu lié à l’ordre des processions divines, ne doit pas être envoyé avant son départ : « Il n’y avait pas encore d’Esprit, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7, 39)… « c’est votre intérêt que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16, 7) :

La mission du Fils est, selon l’ordre de nature, antérieure à la mission du Saint-Esprit ; de même que, dans cet ordre, l’Esprit Saint procède du Fils, et l’amour procède de la sagesse[113].

Mais précisément, cet Esprit qu’il possède en plénitude, c’est, dès son Incarnation, par son humanité qu’il le donne, et il entend continuer à le donner, en règle générale, par une médiation humaine sensible : celle de la hiérarchie. Cette hiérarchie repose sur les Apôtres, qu’il choisit avec grand soin au terme d’une nuit de prière, et surtout sur Pierre :

Or il advint, en ces jours-là, qu’il s’en alla dans la montagne pour prier, et il passait toute la nuit à prier Dieu. Lorsqu’il fit jour, il appela ses disciples et il en choisit douze, qu’il nomma apôtres : Simon, qu’il nomma Pierre, André son frère, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, Matthieu, Thomas, Jacques fils d’Alphée, Simon appelé le Zélote, Judas fils de Jacques, et Judas Iscariote, qui devint un traître (Lc 6, 12-16).

Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié (Mt 16, 18-19).

Triple fonction de la hiérarchie

Le Christ institue les Apôtres pour prolonger son action dans les trois domaines que nous avons relevés plus haut : sanctification sacramentelle (correspondant au sacerdoce), doctrine (correspondant à la prophétie), gouvernement (correspondant à la royauté). C’est ce qu’il montre bien lors de l’envoi des Apôtres en mission :

Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,18-20).

Saint Thomas commente :

Il leur enjoint une triple fonction : d’abord, d’enseigner ; ensuite, de baptiser ; enfin, de former quant aux mœurs[114].

Enseignement

Dès sa vie publique, Jésus envoie ses disciples en mission, d’abord auprès des « brebis perdues de la maison d’Israël », afin de les former à la prédication. Il leur donne alors des règles de conduite très précises, certainement inspirées par sa propre pratique :

Chemin faisant, proclamez que le Royaume des Cieux est tout proche. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Ne vous procurez ni or, ni argent, ni menue monnaie pour vos ceintures, ni besace pour la route, ni deux  tuniques, ni sandales, ni bâton : car l’ouvrier mérite sa nourriture (Mt 10, 7-11).

Il ne leur cache pas la difficulté de la tâche, mais leur promet l’assistance de l’Esprit du Père :

Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; montrez-vous donc prudents comme les serpents et candides comme les colombes. Méfiez-vous des hommes : ils vous livreront aux sanhédrins et vous flagelleront dans leurs synagogues ; vous serez traduits devant des gouverneurs et des rois, à cause de moi, pour rendre témoignage en face d’eux et des païens. Mais, lorsqu’on vous livrera, ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous (Mt 10, 16-20).

Sanctification sacramentelle

La prédication du royaume de Dieu en Jésus-Christ devra déboucher sur les sacrements, tous institués par le Christ, plus ou moins explicitement, et d’abord le baptême, institué, selon la tradition la plus antique, lors du baptême du Christ lui-même, qui a alors sanctifié les eaux par sa chair vivifiante :

Il convenait que le Christ soit baptisé. En premier lieu, selon Ambroise, « le Seigneur fut baptisé non pour être purifié mais pour purifier les eaux, afin que, purifiées par la chair du Christ, qui n’a pas connu le péché, elles aient le pouvoir de baptiser ». Et, comme le dit Chrysostome « afin qu’il les laisse sanctifiées pour ceux qui seraient baptisés dans la suite »[115].

Le Christ a voulu être baptisé pour consacrer par son baptême celui que nous recevrions[116].

Dans le baptême, il a daigné préfigurer son corps, c’est-à-dire l’Église, en laquelle on reçoit le Saint-Esprit, spécialement au moment du baptême[117].

Les sacrements tiennent de leur institution le pouvoir de conférer la grâce. Il semble donc qu’un sacrement est institué au moment ou il reçoit le pouvoir de produire son effet. Or le baptême a reçu ce pouvoir lors du baptême du Christ. C’est donc alors vraiment que le baptême a été institué, quant au sacrement lui-même. Mais l’obligation de recevoir ce sacrement ne fut imposée aux hommes qu’après la Passion et la résurrection. D’abord parce que la passion du Christ mit fin aux sacrements figuratifs, que remplacent le baptême et les autres sacrements de la loi nouvelle. Puis parce que le baptême configure l’homme à la passion et à la résurrection du Christ, en le faisant mourir au péché et renaître à une vie nouvelle dans la justice. Aussi fallait-il que le Christ souffre et ressuscite avant que soit imposée aux hommes la nécessité de se configurer à sa mort et à sa résurrection[118].

De même, la veille de sa Passion, le Christ, après avoir donné son corps et de son sang à ses Apôtres, leur transmet le pouvoir de célébrer en son nom son propre sacrifice sous le mode sacramentel, instituant par le fait même le sacrement de l’ordre : « Faites cela en mémoire de moi » :

Quant au sacrifice quotidien qui est offert dans l’Église, il n’est pas un sacrifice différent de celui du Christ, mais il en est le mémorial, commemoratio. C’est pourquoi Augustin écrit : « Le Christ est le prêtre qui offre, et il est lui-même l’oblation ; et de cette offrande et de cette oblation, il a voulu que le sacrifice de l’Église soit le sacrement quotidien »[119].

Il est très logique que ce sacrement ait été institué à la Cène, où le Christ eut son dernier entretien avec ses disciples.

En premier lieu, raison du contenu de ce sacrement. C’est le Christ lui-même qui est contenu sacramentellement dans l’eucharistie. C’est pourquoi, au moment ou le Christ, sous son aspect naturel, allait quitter ses disciples, il se légua à eux sous son aspect sacramentel, de même qu’en l’absence de l’empereur on offre son image à la vénération de ses sujets…

Ensuite, parce que, sans la foi à la passion du Christ, le salut a toujours été impossible, selon l’épître aux Romains (3, 25)… Il fallait donc qu’il y eût en tout temps chez les hommes quelque chose qui représentât la passion du Seigneur dont, sous l’Ancien Testament, la principale figure sacramentelle était l’agneau pascal, ce qui fait dire à l’Apôtre (1 Co 5, 7) : « Le Christ, notre agneau pascal, a été immolé ». Cette figure a été remplacée dans le Nouveau Testament par le sacrement d’eucharistie, qui commémore la passion passée comme l’agneau pascal avait préfiguré la passion future...[120]

Ce sont ses « paroles suprêmes », ce qui indique leur importance :

Enfin, parce que les paroles suprêmes, particulièrement lorsqu’elles sont prononcées par des amis qui s’en vont, s’imposent davantage à la mémoire, surtout parce qu’alors nous portons à nos amis une affection plus ardente. En effet, ce qui nous touche davantage s’imprime plus profondément dans le cœur. Et donc,… afin que ce sacrement fût tenu en plus grande vénération, le Seigneur l’institua au moment de quitter ses disciples. C’est ce que dit Augustin : « Le Sauveur, pour mettre plus fortement en valeur la profondeur de ce mystère, voulut l’imprimer le dernier dans les cœurs et dans la mémoire de ses disciples, qu’il allait quitter pour subir sa passion »[121].

Lors de la transfixion du Sauveur, toute la tradition patristique et médiévale a reconnu dans l’écoulement de l’eau et du sang, simultanément, le signe de la naissance de l’Église chrétienne, nouvelle ève, et le don des sacrements par lesquels elle est « fabriquée »[122].

Au soir de sa résurrection, Jésus, qui avait revendiqué hautement pour le Fils de l’homme le pouvoir de remettre les péchés[123], transmet ce pouvoir à ses Apôtres avec l’Esprit Saint en soufflant sur eux — encore un signe sensible que l’Esprit qui procède éternellement de lui selon la divinité[124] est envoyé par lui comme instrument dans son humanité. Par le ministère des Apôtres, c’est ainsi sa propre grâce capitale qui doit dériver vers nous, éliminant nos péchés sous la pression de la charité de l’Esprit Saint :

Ayant dit cela, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis ; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus » (Jn 20, 22-23).

Il faut noter que le Saint-Esprit a été d’abord envoyé sur le Christ et sous l’apparence d’une nuée à la transfiguration ; la raison en est que la grâce du Christ, qui est donnée par l’Esprit Saint, devait dériver vers nous par la propagation de la grâce dans les sacrements ; et ainsi, elle est descendue au baptême sous l’apparence d’une colombe, qui est un animal fécond ; et par l’enseignement, et ainsi il est descendu dans la nuée lumineuse ; c’est pourquoi là il apparaît comme docteur ; aussi [le Père] dit-il : « Écoutez-le ». Mais sur les Apôtres, il est descendu une première fois dans le souffle, pour désigner la propagation de la grâce, dont ils étaient eux-mêmes les ministres ; c’est pourquoi il dit : « Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis »… Et une seconde fois dans des langues de feu, pour signifier la propagation de la grâce par la doctrine… Chrysostome dit : « L’Esprit Saint fut donné aux disciples, non d’une manière générale, pour tout ; mais en vue d’un effet déterminé : remettre les péchés »…

Ensuite, on expose le fruit du don : « Ceux à qui vous aurez remis les péchés, ils sont remis ». Ce qui est l’effet qui convient au Saint-Esprit : la rémission des péchés. Car il est lui-même charité, et c’est par lui que la charité nous est donnée : « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5, 5). Or la rémission des péchés ne s’effectue que par la charité, car la charité couvre toues les fautes : « La charité couvre la multitude des péchés » (1 P 4, 8)… Le sacrement de pénitence, étant un sacrement de la Loi nouvelle, confère la grâce, comme elle est aussi conférée au baptême. Mais dans le baptême le prêtre baptise instrumentalement, et cependant il confère la grâce ; de même dans le sacrement de pénitence il absout de la peine et de la faute sacramentellement et en tant que ministre, en tant qu’il donne le sacrement dans lequel les péchés sont pardonnés[125].

Gouvernement

Cette Église constituée par la prédication et les sacrements, il faudra un jour la gouverner. Le Christ y pourvoit, essentiellement, par le choix de Pierre et des autres Apôtres. Aux Douze, il promet qu’au jour du jugement ils siégeront sur douze trônes et jugeront les douze tribus d’Israël, ce qui relève de la dignité royale (Mt 19, 28). Mais en attendant, il s’agit pour eux de « paître les agneaux et les brebis » à la suite du bon Pasteur, avec la perspective d’inévitables persécutions, mais aussi de la présence, « tous les jours jusqu’à la fin du monde », de celui qui a reçu « tout pouvoir au ciel et sur la terre » et qui ne manquera pas de leur envoyer son Esprit Saint. être docile aux Apôtres, c’est être docile au Christ, et du même coup à son Père : « Qui vous écoute m’écoute, qui vous rejette me rejette, et qui me rejette rejette Celui qui m’a envoyé » (Lc 10, 16).

Conclusion

L’âge de la présence du Christ à son Église représente évidemment pour elle un sommet : c’est alors que convergent et se concentrent toutes les grâces de l’ancienne Alliance, c’est de ce point que vont dériver toutes les grâces de la nouvelle Alliance. La rencontre visible avec Jésus confère aux saints de l’Évangile une ferveur, un rayonnement qui garderont valeur de source et d’exemple pour toutes les générations postérieures.

Cependant, sous ce régime, l’Église n’est pas encore parvenue à sa maturité définitive. Les foules se montrent versatiles, les Apôtres eux-mêmes, malgré leur foi et leur amour, s’avèrent lents à comprendre, et lâches au moment suprême. Même après la résurrection, ils se terrent au cénacle. L’heure de la  mission universelle n’est pas encore venue.

Seule la Vierge Marie, qui, en échange du don de la nature humaine, reçoit de son Fils des grâces de contact d’une intensité unique, répond pleinement à son attente. C’est en elle, à l’époque de la présence de son Fils, et particulièrement à la croix, que se concentre toute l’Église, comme nouvelle ève pleinement adaptée au nouvel Adam. Après l’Ascension, elle recevra l’eucharistie, qui pour elle renouvellera sacramentellement les neuf mois où elle a porté Jésus en elle. Lors de la Pentecôte, l’Esprit Saint descendra sur elle, comme les Apôtres, mais il produira en elle des effets bien différents, purement intérieurs :

Parmi ceux qui appartenaient à l’Église primitive, la bienheureuse Vierge a reçu, elle aussi, une mission visible du Saint-Esprit le jour de la Pentecôte. Mais bien qu’elle ait obtenu une plénitude de grâce unique, elle n’a cependant pas reçu une mission spéciale, car sa grâce n’était pas ordonnée à la plantation de l’Église par mode d’enseignement, et à l’administration des sacrements, comme ce fut le cas des Apôtres[126].

Il n’y a aucun doute que la Vierge a reçu, comme le Christ, selon un mode éminent, le don de sagesse, la grâce des miracles et aussi la grâce de la prophétie. Cependant elle n’a pas reçu toutes ces grâces, ni d’autres semblables, pour les exercer comme l’a fait le Christ, mais selon ce qui convenait à sa condition. En effet, elle a usé du don de sagesse dans sa contemplation, car « Marie gardait toutes ces paroles, les méditant dans son cœur » (Lc 2, 19). Mais elle n’avait pas à employer cette sagesse dans l’enseignement, car cela ne convenait pas aux femmes, selon l’Apôtre (1 Tm 2, 12) : « Je ne permets pas à la femme d’enseigner ». Quant aux miracles, il ne lui convenait pas d’en faire pendant sa vie parce qu’à ce moment les miracles devaient servir à confirmer l’enseignement du Christ, et c’est pourquoi faire des miracles convenait seulement au Christ et à ses disciples, messagers de sa doctrine. Aussi est-il dit de Jean-Baptiste lui-même : « Il n’a fait aucun miracle » (Jn 10, 41), afin que tous fussent attentifs au Christ. Quant au charisme de prophétie, Marie l’a exercé, comme on le voit dans son cantique : Magnificat anima mea Dominum[127].

L’âge du Saint-Esprit

De la mission du Verbe à la mission de l’Esprit

L’Incarnation, mission visible du Verbe, a établi la tête de l’Église : le Verbe incarné. La Pentecôte marquera la naissance de son corps : l’Église, dans son état pérégrinal définitif.

Par l’Ascension, le Christ se dérobe aux regards humains. Non, certes, qu’il abandonne les siens :

S’il s’est retiré, il est encore ici. Il n’a pas voulu être longtemps avec nous, et cependant il ne nous a pas abandonnés[128].

« Élevé de terre », il ne cesse pas d’agir en faveur de son Église. D’une part, il est « toujours vivant pour interpeller pour nous » (He 7, 24, cf. Rm 8, 34) : « Nous avons comme avocat auprès du Père Jésus-Christ, le Juste » (1 Jn 2, 1). S’il a gardé les cicatrices de ses blessures après sa résurrection, c’est, entre autres, « pour montrer constamment à son Père, en suppliant pour nous, quel genre de mort il avait subi pour l’humanité »[129].

D’autre part, s’il se retire, après avoir « tout consommé », c’est pour diffuser son Esprit dans tous ses membres. L’entrée du Ressuscité dans sa gloire, sa « montée » vers le Père, et la « descente » de l’Esprit, sont toujours apparues comme « deux aspects complémentaires d’un seul événement sauveur »[130]. Dès sa conception, Jésus est « le Christ », l’Oint de l’Esprit par excellence :

Dans le nom de « Christ » doivent s’entendre celui qui oint, celui qui est oint, et l’onction même dont il est oint. Le Père a oint, le Fils a été oint, dans l’Esprit qui est l’onction, ainsi que le dit le Verbe dans Isaïe (61, 1 et Lc 4, 18) : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, c’est pourquoi il m’a oint »[131].

L’effusion de cet Esprit « sur toute chair » (Ac 2, 15), inaugurant les temps eschatologiques, est son œuvre : « Si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16, 6) :

Comme il nous fut bon que Jésus vînt du ciel, il vous sera bon qu’il y revienne. Il fut bon qu’il vînt, afin de donner son sang pour nous ; il fut tout aussi bon qu’il revînt au ciel, afin de nous donner son Esprit[132].

Avant que Jésus ne fût glorifié, l’Esprit Saint ne pouvait pas être répandu sur la terre avec une telle amplitude, car cette très large effusion est elle-même la principale glorification de Jésus, aussi bien dans le ciel que sur la terre… Vraiment, c’est lui qui est le Christ de Dieu, son Élu, oint de l’Esprit Saint avec plénitude et pouvant oindre de l’Esprit saint qui il veut, quand il veut. Ô gloire éminente de Jésus ! L’Esprit Saint est donné par lui, et sans lui il n’est donné ni reçu par personne[133].

Inversement, l’Esprit « rend témoignage » à Jésus ; c’est sa doctrine qu’il rappelle et qu’il explicite sans cesse à travers les siècles :

Le Paraclet, l’Esprit Saint, que le Père enverra en mon nom, lui, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit (Jn 14,26).

Lorsque viendra le Paraclet, que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité, qui vient du Père, il me rendra témoignage (Jn 15, 26).

Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière ; car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir. Lui me glorifiera, car c’est de mon bien qu’il recevra et il vous le dévoilera (Jn 16, 13-14).

Ainsi, l’âge de l’Esprit ne succède à l’âge du Christ présent que pour dilater le règne du Christ et le porter à son plein épanouissement :

Ce qui nous sauve, c’est la puissance vivifiante en laquelle nous croyons au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Mais comme les hommes ne pouvaient absorber le tout à cause de la faiblesse de leurs âmes, qu’ils avaient contractée de par la famine, ils ont d’abord été arrachés au polythéisme par les prophètes et la loi, et accoutumés à regarder vers une déité unique ; et c’est dans cette déité unique qu’ils apprennent à connaître la puissance du Père, car ils étaient incapables, comme je l’ai dit, d’absorber la nourriture parfaite. Ensuite, par l’Évangile, le Fils unique lui-même s’est révélé à ceux qui avaient été préparés par la Loi, et après cela la nourriture parfaite de notre nature parvient jusqu’à nous, à savoir l’Esprit Saint qui est la vie[134].

C’est donc l’âge de la perfection. Il présuppose l’accomplissement intégral de la rédemption, et doit nous conduire à la « résurrection spirituelle » :

« L’Esprit n’avait pas encore été donné, car le Christ n’avait pas encore été glorifié » (Jn 7, 39). La raison pour laquelle il voulut ainsi être glorifié avant de donner l’Esprit Saint, c’est [selon Augustin], que l’Esprit Saint nous est donné en vue d’élever nos cœurs de l’amour du siècle à la résurrection spirituelle, et qu’ils courent vers Dieu totalement… Selon Chrysostome au contraire, cela ne doit pas s’entendre de la gloire de la résurrection, mais de la glorification de la passion… Or, si le Saint-Esprit n’a pas été donné avant la passion, c’est qu’il est un don, et qu’un don n’a pas dû être donné à des ennemis, mais à des amis. Mais nous, nous étions ennemis. Il fallait donc d’abord que fût offerte la victime sur l’autel de la croix, que l’inimitié fût détruite dans la chair, et qu’ainsi par la mort de son Fils nous fussions réconciliés avec Dieu, et qu’alors, une fois devenus amis, nous recevions l’Esprit Saint[135].

Est-ce pour autant un âge où la vie de l’Église serait si spiritualisée qu’elle en deviendrait invisible et comme désincarnée ? Bien au contraire. L’âge de l’Esprit est l’âge de la promulgation de la loi nouvelle. C’est l’âge de l’eucharistie et de la hiérarchie.

L’âge de la promulgation de la Loi nouvelle

Nature de la loi nouvelle

La venue du Christ en ce monde devait, disions-nous, abroger les prescriptions rituelles et judiciaires de la Loi ancienne, dont les figures étaient désormais réalisées, les prescriptions morales restant sauves et étant portées à leur perfection. C’est, dès lors, le règne de la loi nouvelle, qui accomplit en plénitude la loi ancienne :

« Je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir... Pas un iota, pas un trait de la loi ne passera que tout ne soit arrivé » (Mt 5, 17-18).

Loi nouvelle et loi ancienne sont dans le rapport du parfait à l’imparfait ; or ce qui est parfait réalise en plénitude ce qui manque à l’imparfait ; c’est ainsi que la loi nouvelle accomplit la loi ancienne en tant qu’elle supplée à ce qui manquait à celle-ci[136].

Mais qu’est-ce donc que la Loi nouvelle ? Cette loi, la « loi de la foi », ne consiste pas seulement dans un ensemble de préceptes perfectionnant ceux de la Loi ancienne. Elle est cela, mais d’une manière secondaire — nous y reviendrons. Ce qu’il y a de principal en elle, ce n’est pas un précepte de plus, c’est la grâce de l’Esprit Saint qui donne la force d’accomplir ce que l’ancienne Loi se contentait de prescrire[137] :

Comme le dit le Philosophe au ixe livre des Éthiques, « toute réalité se définit par ce qu’il y a en elle de plus important ». Or, ce qui prime dans la loi de la nouvelle alliance, ce en quoi réside toute son efficacité, c’est la grâce du Saint-Esprit, donnée par la foi au Christ. C’est donc précisément la grâce du Saint-Esprit, donnée à ceux qui croient au Christ, qui constitue principalement la loi nouvelle. Telle est manifestement la pensée de l’Apôtre (Rm 3, 27) : « Où est donc le droit de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par celle des œuvres ? Non, mais par la loi de la foi » ; car il appelle « loi » la grâce même de la foi[138].

On appelle la loi nouvelle « loi de la foi », en tant que son élément principal consiste dans la grâce intérieure qui est donnée intérieurement aux croyants ; c’est pourquoi on l’appelle grâce de la foi. Elle comporte par ailleurs, à titre secondaire, quelques réalisations (facta) d’ordre moral et sacramentel ; mais ce n’est pas en celles-ci que consiste ce qu’il y a de principal dans la loi nouvelle, comme c’était le cas dans la loi ancienne[139].

[L’Apôtre] appelle « loi de la foi » la loi écrite intérieurement, qui règle non seulement les œuvres extérieures, mais aussi les mouvements mêmes du cœur, parmi lesquels la foi est le premier : « Car on croit de cœur pour la justice », comme l’Apôtre le dira plus loin (Rm 10, 10). Et il parle aussi de cette Loi au chapitre 8: « La loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus m’a libéré du péché et de la mort »[140].

Son auteur : le Christ et/ou l’Esprit Saint ?

Saint Paul définit cette loi comme « la loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus » (Rm 8, 2). Son auteur, c’est donc simultanément le Saint-Esprit (ou la Trinité), et le Christ homme. Mais à quel titre ?

Le Christ, nouveau Moïse, bien plus, Seigneur de la loi, est assurément l’initiateur de la Loi nouvelle. C’est lui qui proclame les béatitudes, lui qui se déclare maître du sabbat, lui qui ose affirmer : « On vous a dit… Moi, je vous dis ». Toute la loi nouvelle, selon Thomas et Augustin, se trouve contenue dans le sermon sur la Montagne :

Augustin remarque dans le De sermone Domini in Monte  qu’en disant : « Quiconque entend ces paroles que je dis », le Seigneur signifie que son discours renferme au complet tous les préceptes propres à ordonner la vie chrétienne ».

Comme le montre le texte qui vient d’être cité, le discours prononcé par le Seigneur sur la montagne contient un enseignement complet de vie chrétienne. Les mouvements intérieurs de l’âme s’y trouvent parfaitement réglés. En effet, après avoir montré le but que constitue la béatitude et souligné la dignité des Apôtres appelés à promulguer la doctrine évangélique, il ordonne les mouvements intérieurs de l’homme d’abord envers lui-même, et ensuite par rapport au prochain… Enfin il enseigne la manière de mettre en pratique les leçons de l’Évangile : en implorant le secours divin ; en faisant effort pour entrer par la porte étroite de la vertu parfaite ; en se tenant en garde contre les corruptions des séducteurs. Il enseigne encore qu’il ne suffit pas de confesser la foi, de faire des miracles, ni d’écouter seulement, mais que la mise en pratique de ses commandements est indispensable à la vertu[141].

Cependant cette loi est « loi de l’Esprit de vie » (Rm 8, 2), du fait qu’elle est loi de grâce inscrite dans les cœurs, et que la grâce, œuvre exclusive de la Trinité comme cause principale, est appropriée à l’Esprit saint et sanctificateur :

« La loi de l’esprit de vie dans le Christ Jésus m’a délivré de la loi du péché et de la mort » (Rm 8, 2). Ce qui fait dire à Augustin : « Comme la loi des œuvres fut écrite sur des tables de pierre, la loi de la foi fut écrite dans le cœur des fidèles » ; et encore : « Quelles sont-elles, ces lois que Dieu lui-même a inscrites dans nos cœurs, sinon la présence même du Saint-Esprit ? »[142]

« La loi de l’Esprit de vie dans le Christ Jésus m’a libéré du péché et de la mort ». Cette loi peut être d’abord appelée Esprit Saint, et le sens serait : « La loi de l’esprit », c’est-à-dire, la Loi qui est l’Esprit. Car la Loi est donnée pour que par son intermédiaire les hommes soient amenés vers le bien… Ce que fait la loi humaine, en notifiant seulement ce qui doit être fait ; mais l’Esprit Saint, qui habite dans l’âme, non seulement enseigne ce qu’il faut faire, en illuminant l’intelligence sur ce qu’il faut accomplir, mais il incline aussi l’affection à agir avec rectitude : « Mais le Paraclet, l’Esprit Saint que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses » — c’est le premier [effet de sa mission] —, « et il vous rappellera », c’est le deuxième [effet de sa mission], « tout ce que je vous ai dit » (Jn 14, 26).

Ensuite la loi de l’Esprit peut être appelée l’effet propre de l’Esprit Saint, à savoir la foi opérant par la charité, qui enseigne intérieurement ce qu’il faut faire, selon ce verset de la première épître de saint Jean : « Son onction vous instruira de tout » (1 Jn 2, 27), et incline l’affection à agir, selon ce verset de la seconde épître aux Corinthiens (5, 14) : « La charité du Christ nous presse ». Cette loi de l’Esprit est aussi appelée loi nouvelle, soit en tant qu’elle est l’Esprit saint lui-même, soit que l’Esprit saint la grave dans nos cœurs : « Je mettrai ma loi dans vos entrailles, et je l’écrirai dans votre cœur » (Jr 31, 33)[143].

Mais la grâce du Saint Esprit est simultanément, dans l’ordre instrumental, épanchement de la grâce capitale du Christ homme :

Il ajoute : « dans le Christ Jésus », parce que cet Esprit n’est donné qu’à ceux qui sont dans le Christ Jésus. Car de même que la respiration naturelle ne parvient pas à un membre qui n’est pas en communication avec la tête, ainsi l’Esprit Saint ne parvient pas à l’homme qui n’est pas uni au Christ Tête : « À ceci nous savons qu’il demeure en nous : à l’Esprit qu’il nous a donné » (1 Jn 3, 24)[144].

Promulgation de la Loi nouvelle

Ainsi la Loi nouvelle relève, à des titres divers, à la fois de l’Esprit Saint et du Christ homme. En tant que grâce de l’Esprit Saint, elle est coextensive à l’histoire des hommes :

La Loi nouvelle, quant à ce qui en elle est principal, à savoir la grâce de l’Esprit Saint, a été donné dès le commencement du monde, ab initio mundi[145].

En tant que « bonne nouvelle du royaume » (Mt 24, 14), elle est promulguée en plusieurs étapes. Elle a pour la première fois été proclamée par le Christ, et n’a d’abord été accueillie que par une poignée d’hommes, les Apôtres.

Ceux-ci la répandent seulement lors de la « divulgation inaugurale et solennelle de la Pentecôte »[146] à Jérusalem, puis « dans les parties vitales de l’Empire où Israël est disséminé »[147] : c’est la période apostolique.

À la mort du dernier Apôtre, on entrera dans la période post-apostolique ; le dépôt révélé sera pleinement achevé, mais sa connaissance ne parviendra à l’humanité que lentement, progressivement :

Comment donc la prédication des Apôtres serait-elle achevée, completa, puisque, nous le savons assez, il y a des peuples où elle ne fait que commencer, et où elle est loin d’être achevée ?[148]

Des multitudes d’hommes l’ignorent encore, sans faute de leur part, même si le message évangélique leur a été proposé. François de Vitoria l’avait compris dès 1532 :

Il ne m’apparaît pas encore clairement que la foi chrétienne ait été jusqu’à présent suffisamment proposée et annoncée [aux Indiens], de sorte qu’ils soient tenus de l’accepter sous peine de péché. Ils ne seraient tenus de croire, en effet, que si la foi chrétienne leur était proposée avec des témoignages dignes de les persuader. Or, je n’entends pas qu’on ait fait chez eux des miracles, ni qu’on leur ait montré des exemples extraordinaires de sainteté. Au contraire, on leur a donné en spectacle des scandales multiples, des crimes horribles, des impiétés innombrables… Et pourtant de nombreux religieux et de nombreux prêtres eussent suffi à la tâche par leur vie, leur exemple, leur apostolat, s’ils n’avaient été empêchés par des hommes qui avaient en tête d’autre soucis[149].

Désormais, ceux qui ignorent encore le Christ reçoivent sa grâce d’une manière plus parfaite, non par anticipation, mais par dérivation : le Christ homme leur influe instrumentalement une participation à sa propre grâce capitale. Ils peuvent, de manière plus ou moins voilée, appartenir salutairement à l’unique Église, et, s’ils meurent dans les dispositions requises, entrer directement au ciel. Mais cette grâce christique, ils la reçoivent toujours à distance, non par la voie normale, établie par le Seigneur lui-même pour en assurer une effusion plus abondante : le contact direct assuré par la voie hiérarchique et sacramentelle.

L’âge de l’eucharistie et de la hiérarchie

L’élément principal de la Loi nouvelle consiste, disions-nous, dans la grâce du Saint-Esprit, influée instrumentalement par le Christ homme. Mais cette Loi comporte également des éléments seconds, ou secondaires, ordonnés au plein épanouissement de la grâce :

Il y a toutefois dans la loi nouvelle certaines dispositions qui préparent à la grâce du Saint-Esprit, ou qui tendent à la mise en œuvre de cette grâce. Ce sont dans la loi nouvelle des éléments en quelque sorte seconds, dont il a fallu que ceux qui croient au Christ fussent instruits, oralement et par écrit, tant pour ce qui est à croire que pour ce qui est à faire[150].

Dans la Loi nouvelle sont requis aussi certaines œuvres et certains sacrements, selon ce verset de Luc : « Et ayant pris du pain, il rendit grâces et le rompit en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19) ; et même l’observance des préceptes moraux : « Mettez la parole en pratique et ne soyez pas seulement des auditeurs qui s’abusent eux-mêmes » (Jc 1, 22)[151].

L’âge de l’Esprit Saint n’est pas seulement celui d’une grâce invisible, mais aussi de ces éléments visibles, seconds comme le moyen est second par rapport à la fin, mais néanmoins essentiels en tant que déterminés pour conduire à la fin par l’auteur même de l’ordre surnaturel.

Présence sacramentelle du Christ dans l’Esprit

Pendant sa vie terrestre, le Christ influait sa grâce en abondance sur ceux qui s’approchaient de lui avec foi : Virtus ex illo exibat, et sanabat omnes (Lc 5, 19). Après son retour au Père, il nous laisse cette « vertu » divine dans les sacrements, et sa présence corporelle dans le plus grand d’entre eux : l’eucharistie.

L’âge de l’Esprit Saint est l’âge où le Christ se rend présent à son Église, pour la nourrir et la construire, par l’eucharistie, sacrement de la Loi nouvelle par excellence, actualisant la Pâque nouvelle et succédant par le fait même à la Pâque ancienne : Novum Pascha novæ legis Phase vetus terminat.

La conversion eucharistique est opérée simultanément par le Christ, non seulement comme « un de la Trinité », mais comme homme dans la personne de qui le prêtre prononce la formule de consécration — et par la Trinité, par appropriation le Saint-Esprit, « qui plane sur les offrandes avec une grande puissance de fécondité »[152], d’où l’importance que lui accordent les Pères, les liturgies orientales et certaines liturgies occidentales dans la messe :

Il appela le pain son corps vivant, il le remplit de lui-même et de son Esprit… Et celui qui le mange avec foi mange le feu et l’Esprit… Prenez en, mangez-en tous, et mangez avec lui l’Esprit saint[153].

Nous t’invoquons, nous le prions et nous te supplions : envoie ton Esprit Saint sur nous tous et sur ces dons… afin que ceux qui y prendront part obtiennent la purification de l’âme, la rémission des péchés et le don du Saint-Esprit[154].

D’autre part, la charité qui unit l’Église, fruit principal de l’eucharistie, est, selon saint Thomas, « participation du Saint-Esprit ».

Hiérarchie au service de l’action du Christ et de l’Esprit

L’eucharistie représente « le centre et le sommet de la vie de l’Église » pèlerine[155], mais elle ne saurait être isolée de l’ensemble de la structure et de l’activité visibles de l’Église. Tel est le domaine de la hiérarchie, qui continue la mission des Douze en vertu de la succession apostolique.

La raison d’être de la hiérarchie consiste à prolonger le contact sensible du Christ dans l’univers, pour unir les hommes à la Trinité.

Aspects de la mission de la hiérarchie

C’est elle qui, par le pouvoir d’ordre, conduit instrumentalement (à titre d’instrument séparé) la grâce jusqu’aux hommes dans les sacrements, et particulièrement l’eucharistie, actualisation du sacrifice du Christ prêtre. « C’est en continuité avec l’action des Apôtres, obéissant à l’ordre du Seigneur, que l’Église célèbre l’eucharistie au long des siècles »[156].

C’est elle qui, par le pouvoir de juridiction :

·         transmet aux hommes la Parole de Dieu dans une langue humaine — c’est le sens originel de la paradwsiV —, et les prépare par cet enseignement à rencontrer le Christ par les sacrements

·         gouverne les communautés ainsi constituées, à l’image du Bon Pasteur proche de chacune de ses brebis.

Régime de la hiérarchie et âge de l’Esprit

En tout cela, la hiérarchie reste étroitement dépendante de l’Esprit sanctificateur, cause principale (avec le Père et le Fils) de la grâce conférée dans les sacrements, « Esprit de vérité », de sagesse et d’intelligence, qui illumine sans cesse les successeurs des Apôtres pour leur faire approfondir la doctrine du Christ jusqu’à la « vérité tout entière », « Esprit de conseil et de force » qui les assiste dans une mission de gouvernement qui dépasse les forces humaines.

Par ailleurs, l’activité hiérarchique de l’Église porterait peu de fruit, si l’Esprit saint — « l’onction du Saint » (1 Jn 2, 20) — ne venait mouvoir les cœurs de l’intérieur pour les rendre dociles à l’action des hommes et pour pallier ses inévitables lacunes :

Si l’Esprit n’assiste le cœur de celui qui écoute, c’est en vain que le prédicateur prend la parole… S’il n’est personne pour instruire au-dedans, c’est en vain qu’au-dehors le prédicateur se fatigue à parler… Les paroles sont incapables d’instruire, si l’âme ne reçoit l’onction de l’Esprit[157].

Conclusion : « pour irriter l’amour »

Avec l’âge de l’Esprit, l’Église a atteint son état historique définitif : « ces temps qui sont les derniers ». Elle n’a plus à attendre d’autre mission visible. Non qu’elle soit déjà comblée : mais l’objet de son attente est situé au-delà de l’histoire : exspectantes beatam spem, et adventum Domini nostri Iesu Christi. Dans cet état, la médiation des sacrements et de la hiérarchie auront disparu. Seule demeurera, pour l’éternité, celle de l’humanité sainte de son Dieu. D’ici-là, périodes d’expansion et périodes de crise peuvent bien se succéder :

« Il ne vous appartient pas de connaître les temps que le Père a choisis dans sa Providence »… Ce que vous croyez, vous avez raison de le croire, car cela arrivera. Mais quand cela arrivera, qu’importe ?[158]

Ce qui importe, pour l’Église, c’est que l’Époux revienne enfin :

Tous les siècles avant sa venue se sont écoulés parmi les plaintes amères de ce qu’il tardait à venir ; tous les siècles après sa venue achèveront de s’écouler parmi les plaintes encore plus extrêmes de qu’il s’en est si tôt allé… Telle est la condition de l’amour des voyageurs, où Dieu ne se communique qu’en se cachant ; non pour assouvir, mais pour irriter l’amour[159].


 

Table des matières

 

L’Église au cœur du dessein de Dieu   3

Processions trinitaires et économie  3

Histoire du monde et Trinité  4

L’âge du Père : un univers de création antérieur à l’Église  5

Trinité Sainte et création  5

La création, œuvre de la Trinité tout entière  5

La création appropriée au Père  6

L’âge de la grâce du Père  7

Un régime antérieur à l’Église  8

L’âge du Fils : un univers de Rédemption  9

Un âge centré sur la venue du Sauveur  9

Premier régime de l’Église : l’âge du Fils attendu   10

Des grâces christiques par anticipation  10

L’économie de la Loi de nature  12

L’économie de la première Alliance  19

Second régime de l’Église : l’âge du Christ présent 30

La mission visible du Verbe au principe de l’âge du Christ présent 31

Aspects de la présence de l’unique Médiateur à son Église  31

L’âge des préparations du régime futur  36

L’âge du Saint-Esprit 41

De la mission du Verbe à la mission de l’Esprit 41

L’âge de la promulgation de la Loi nouvelle  43

Nature de la loi nouvelle  43

Son auteur : le Christ et/ou l’Esprit Saint ?  44

Promulgation de la Loi nouvelle  46

L’âge de l’eucharistie et de la hiérarchie  47

Présence sacramentelle du Christ dans l’Esprit 47

Hiérarchie au service de l’action du Christ et de l’Esprit 48

Conclusion : « pour irriter l’amour »  49


 

L’esprit de la grâce restaure en nous l’image de Dieu dans laquelle nous avons été originellement créés[160].

 



[1] Au sens large. Stricto sensu, l’unité est plus qu’une propriété, autrement dit un accident découlant de la nature et convertible avec elle : elle est l’un des noms de l’ens, et peut se prédiquer de toutes les catégories (d’où le nom, ignoré des anciens, de « transcendantal »).

[2] Nous utilisons librement dans tout ce chapitre C. Journet, L’Église du Verbe incarné, I, 1 sq. ; III, passim ; Théologie de l’Église, p. 25-37.

[3] In I Sent, d 13, q 1, a 1.

[4] In I Sent, d 14, q 2, a 2.

[5] S. Grégoire de Nazianze, Discours théologique V, 25.

[6] S. Grégoire de Nazianze, Discours théologique V, 26. — Selon une remarque de M.-V. Leroy (Dieu, p. 155), ce texte exprime admirablement la double loi de croissance de la révélation et de la Tradition, mais le passage de l’implicite à l’explicite ne s’opère pas de la même manière dans les deux cas : le Nouveau Testament explicite l’Ancien par une révélation nouvelle, la Tradition explicite le Nouveau, sous l’influence du Saint-Esprit, sans révélation nouvelle, par élucidation et pénétration progressive de la vérité déjà présente dans le Nouveau Testament.

[7] Ia-IIæ, q 106, a 4, ad 3.

[8] Ia, q 45, a 6.

[9] Ia, q 45, a 5.

[10] III CG, 68.

[11] Ia, q 45, a 6.

[12] Ia, q 45, a 6, ad 2.

[13] Ia, q 45, a 6, ad 3.

[14] Ia, q 39, a 8.

[15] Ia, q 33, a 1.

[16] Ia, q 95, a 1.

[17] De malo, q 4, a 3, ad 1 in contrarium.

[18] C. Journet, ÉVI III, p. 269.

[19] Ia, q 95, a 4, ad 1.

[20] Cf. H. Bouëssé, Le Sauveur du monde (IV) : L’économie sacramentaire, Chambéry, 1951, p. 89.

[21] Cf. Ia, q 96, a 3-4, supra.

[22] Jean de Saint-Thomas, III, q 61, disp 23, a 2, cité par Journet.

[23] IIIa, q 61, a 2, ad 1, corps et ad 1.

[24] Cf. Ia, q 93, passim.

[25] Cf. S. Grégoire le Grand, Hom. in Evang. 19, 1 : PL 76, 1154 B ; S. Augustin, Serm. 341, 9, 11 : PL 39, 1499 s. ; S. Jean Damascène, Adv. Iconocl. 11 : PG 96, 1357, cités dans une note de LG 2.

[26] S. Augustin, De catechizandis rudibus, xxii, 39.

[27] S. Augustin, Livre des quatre-vingt trois questions, q 57.

[28] Postillæ in Psalmos, Ps. 36, n° 18.

[29] S. Augustin, Lettre 102 à Deogratias, 2e question, n° 8.

[30] Ibid., n° 12 et 15.

[31] S. Augustin, Enarr. in Ps. 36, serm. 3, n° 4.

[32] IIIa, q 6, a 3, ad 3.

[33] IIIa, q 8, a 3.

[34] S. Augustin, Rétractations, I, 13.

[35] S. Augustin, De civitate Dei, xiv, 28.

[36] S. Augustin, Enarr. in Ps. 61, n° 6 ; in Ps. 64, n° 2.

[37] C. Journet, Théologie de l’Église, p. 28.

[38] Ia, q 2, a 2, sed contra et corps.

[39] S. Augustin, De civitate Dei, XVIII, 47.

[40] IIa-IIæ, q 2, a 7, ad 3.

[41] IIa-IIæ, q 2, a 7, ad 3.

[42] Ia-IIæ, q 93, a 2.

[43] Ia-IIæ, q 94, a 2.

[44] Ibid.

[45] Ibid.

[46] C. Journet, Évi, iii, p. 392.

[47] Ia-IIæ, q 94, a 2.

[48] Ia-IIæ, q 94, a 4.

[49] Ia-IIæ, q 94, a 6.

[50] QD De Veritate, q 14, a 11, ad 1.

[51] Ia-IIæ, q 89, a 6. Cf. De malo, q 7, a 10, ad 8 : « Après avoir joui de l’usage de la raison, [un enfant] pèche mortellement, s’il ne fait pas ce qui dépend de lui pour chercher son salut. Mais s’il le fait, il obtiendra la grâce, par laquelle il sera exempté, immunis, du péché originel ».

[52] IIIa, q 60, a 5, ad 3.

[53] IIIa, q 61, a 1.

[54] IIIa, q 61, a 3.

[55] In IV Sent., q 1, a 2, qla 3, ad 2.

[56] S. Augustin, Contra Iulianum pelagianum, V, 11, n°.

[57] S. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, IV, 3.

[58] De malo, q 4, a 8, ad 12).

[59] IIa-IIæ, q 85, a 1, sed contra.

[60] IIa-IIæ, q 85, a 1.

[61] IIIa, q 73, a 5.

[62] In Ad Hebr. 12, 24, leç. 4, Marietti (1896) p. 440.

[63] IIIa, q 1, a 5.

[64] Cf. O. Lacombe, « Rencontre du christianisme avec l’hindouisme », Rythmes du monde, 1967, nn. 3-4, [142], cité par C. Journet, ÉVI III, p. 412.

[65] In Ad Rom. 1, n° 116, trad. J.-É. Stroobant de Saint-Éloy, p. 108.

[66] In Ad Rom. 1, n° 112, éd. cit. p. 106.

[67] In Ad Rom. 1, n° 147, éd. cit. p. 119.

[68] In Ad Rom. 1, n° 153, éd. cit. p. 121.

[69] O. Cullmann, Le salut dans l’histoire, p. 97.

[70] Ibid., p. 160.

[71] C. Journet, Théologie de l’Église, p. 28.

[72] Dans les développements qui suivent, nous utilisons librement, entre autres, L. Bouyer, L’Église de Dieu, chap. II, « Le peuple de Dieu », p. 214 sq.

[73] IIIa, q 70, a 4.

[74] In Ad Rom. 4, 12, leç. 2, n° 344, éd. cit. p. 193.

[75] Ia-IIæ, q 102, a 5, ad 1.

[76] IIIa, q 70, a 2.

[77] In Ad Rom. 3, 30, leç. 4, n° 320, éd. cit. p. 183.

[78] IIa-IIæ, q 104, a 4, ad 2.

[79] C. Journet, Évi III, p. 417.

[80] « Dieu le Père l’a livré à la mort en portant le décret de son Incarnation et de sa Passion, et en inspirant à sa volonté humaine le sentiment de charité qui l’a porté à endurer spontanément la Passion » (In Ad Rom. 8, 32, leç. 6, n° 713, éd. cit. p. 327).

[81] IIa-IIæ, q 85, a 1, ad 2.

[82] Romanos le Mélode, Hymne sur Abraham, SC 99, p. 161-164. — On trouve diverses variantes de cette idée dans la Tradition. Ainsi S. Thomas explique : « Cela fut une “parabole”, c’est-à-dire, une figure du Christ à venir. En effet le bélier aux cornes prises dans un buisson est l’humanité fixée à la croix, qui a souffert. Isaac, c’est-à-dire la divinité, s’échappa, quand le Christ est vraiment mort et a été enseveli » (In ad Hebr. 11, 19, leç. 4, Marietti 1896, p. 418).

[83] IIIa, q 31, a 2.

[84] Ia-IIæ, q 98, a 4, sed contra et corps.

[85] Ia-IIæ, q 100, a 1 et 3.

[86] Tertullien, Contre Marcion, IV, 16.

[87] Ia-IIæ, q 102, a 2.

[88] S. Cyrille d’Alexandrie, In Ioann. IV, 4.

[89] Ia-IIæ, q 101, a 2.

[90] Cf. Ia-IIæ, q 103, a 2.

[91] IIIa, q 62, a 6.

[92] Ia-IIæ, q 103, a 2.

[93] Cf. IIIa, q 22, a 6, corps et ad 2 : « La supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce lévitique fut préfigurée dans le sacerdoce de Melchisédech, lequel perçut la dîme sur Abraham, et en celui-ci sur le sacerdoce lévitique qui devait descendre de lui. Aussi dit-on que le sacerdoce du Christ est “selon l’ordre de Melchisédech”, à cause de la supériorité du sacerdoce véritable sur le sacerdoce légal, qui n’était que préfiguratif. — Dans le sacerdoce du Christ on peut distinguer son oblation et sa participation. Quant à l’oblation elle-même, le sacerdoce du Christ était préfiguré plus expressément par le sacerdoce légal, qui répandait le sang, que par le sacerdoce de Melchisédech, ou le sang n’est pas répandu. Mais quant à la participation à ce sacrifice et à son effet, à quoi on mesure surtout la supériorité du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce légal, elle était plus expressément préfigurée par le sacerdoce de Melchisédech qui offrait du pain et du vin lesquels, selon Augustin, symbolisent l’unité de l’Église, que constitue la participation au sacrifice du Christ ».

[94] IIIa, q 22, a 4.

[95] IIIa, q 22, a 5.

[96] Ia-IIæ, q 103, a 3.

[97] Cf.  IIa-Iiæ, q 174, a 4, sed contra et corps : « “Il ne s’est plus levé, en Israël, de prophète semblable à Moïse” (Dt 34, 10)… Sous certains rapports, tel ou tel des prophètes a été plus grand que Moïse ; mais, absolument parlant, il les surpasse tous ».

[98] IIa-IIæ, q 173, a 4.

[99] Ia, q 43, a 1.

[100] Vide supra IIIa, q 7-8 en entier.

[101] IIIa, q 22, a 1, ad 3.

[102] QD De Veritate, q 29, a 5.

[103] IIIa, q 22, a 1, ad 3.

[104] Cf. supra, IIIa, q 22.

[105] IIIa, q 22, a 1.

[106] Cf. IIIa, q 22, a 2.

[107] IIIa, q 7, a 8.

[108] S. Thomas commente (In Isaiam 52, EL p. 212) : « C’est pourquoi, en ce jour de libération, moi qui parlais en faisant des promesses, je suis présent pour les accomplir ». Et de citer Ba 3, 38 : « Après cela, il s’est fait voir sur la terre, et il a conversé avec les hommes ».

[109] IIIa, q 7, a 7.

[110] IIIa, q 9, a 2.

[111] In Ioann. 18, leç. 6, Busa p. 248.

[112] Ibid., n° 10, p. 349.

[113] IIIa, q 7, a 13.

[114] In Matthæi evangelium 28, Busa p. 227, l. 760.

[115] IIIa, q 39, a 1.

[116] IIIa, q 39, a 5.

[117] IIIa, q 39, a 6, ad 1.

[118] IIIa, q 66, a 2.

[119] IIIa, q 22, a 3, ad 2.

[120] IIIa, q 73, a 5.

[121] Ibid.

[122] per sacramenta quæ de latere Christi pendentis in cruce fluxerunt, dicitur esse fabricata ecclesia Christi (IIIa, q 64, a 2, ad 3).

[123] « “Quel est le plus facile, de dire : Tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche ? Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés, je te l’ordonne, dit-il au paralysé, lève-toi et, prenant ta civière, va chez toi”. Et, à l’instant même, se levant devant eux, et prenant ce sur quoi il gisait, il s’en alla chez lui en glorifiant Dieu » (Lc 5, 23-25).

[124] S. Thomas cite à ce propos S. Augustin (IV De Trinitate) : « Ce souffle corporel n’était pas la substance de l’Esprit Saint, mais la démonstration, par un signe approprié, que l’Esprit Saint procède non seulement du Père, mais aussi du Fils » (In Ioann. 20, leç. 4, Busa p. 355, 3e col.).

[125] In Ioann. 20, leç. 4, Busa p. 355, 3e col, et 356, 1e col.

[126] In I Sent., d 16, q 1, a 2, ad 4.

[127] IIIa, q 27, a 5, ad 3.

[128] S. Augustin, Confessions, IV, xii, 19.

[129] IIIa, q 54, a 4.

[130] L. Bouyer, Le Père invisible, p. 207-208, citant Newman.

[131] S. Irénée, Adv. Hæreses, III, 18, 3 : SC 211, p. 350-352.

[132] S. Maxime de Turin, Sermon 49 : PL 57, 633.

[133] Jean de Ford, Sur le Cantique, 18, 6 : cc cm 17, 160.

[134] S. Grégoire de Nysse, Homélie sur la Pentecôte, traduction de M.-H. Congourdeau, dans L’année en fêtes, « Bibliothèque » Migne, Paris, 2000, p. 413.

[135] In Ioann. 7, leç. 5, Busa p. 285, l. 235 sq.

[136] Ia-IIæ, q 107, a 2, sed contra et corps.

[137] « La loi est donnée pour que l’homme connaisse ce qu’il doit faire, ce qu’il doit éviter… Mais de ce que l’homme a la connaissance du péché, qu’il doit éviter en tant que défendu, il ne s’ensuit pas aussitôt qu’il l’évite — ce qui appartient à la fonction de la justice — parce que la concupiscence pervertit le jugement de la raison dans chaque œuvre à accomplir. C’est pourquoi la Loi ne suffit pas pour la justification, mais un autre remède est nécessaire pour réprimer la concupiscence » (In Ad Rom. 3, 20, leç. 2, n° 298).

[138] Ia-IIæ, q 106, a 1.

[139] Ia-IIæ, q 107, a 1, ad 3.

[140] In Ad Rom. 7, 27, leç. 4, n° 316.

[141] Ia-IIæ, q 108, a 3, sed contra et corps.

[142] Ia-IIæ, q 106, a 1.

[143] In Ad Rom. 8, n° 602-603.

[144] In Ad Rom. 8, n° 605.

[145] Cajetan, In Iam-IIæ, q 106, a 3.

[146] C. Journet, ÉVI III, p. 654.

[147] C. Journet, ÉVI III, p. 619.

[148] S. Augustin, Lettre 199 à Hesychius, n° 49.

[149] François de Vitoria, De Indis recenter inventis, cité par C. Journet, ÉVI III, p. 656.

[150] Ia-IIæ, q 106, a 1.

[151] In Ad Rom. 3, 27, leç. 4, n° 316.

[152] S. Jean Chrysostome, Homélie 24 : LM III et IV, 3e nocturne de la Fête-Dieu, année C.

[153] S. Ephrem, Homélie IV pour la semaine sainte, cité dans Ecclesia de eucharistia, n° 17.

[154] Divine liturgie de S. Jean Chrysostome, cité ibid.

[155] LG 11.

[156] Ecclesia de eucharistia, n° 27.

[157] S. Grégoire le Grand, Homélie 30 sur l’Évangile, in D. Tissot, Les Pères vous parlent de l’Évangile, t. I, p. 592-593.

[158] S. Augustin, Serm. 265 de Ascensione Domini, n° 4.

[159] Bossuet, L’amour de madeleine, cité par C. Journet, ÉVI III, p. 684.

[160] S. Augustin, De spiritu et littera, xxvii, 47, cité par S. Thomas, Ia-IIæ, q109, a 4, ad 1.