à toute époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu
a tenu pour agréable quiconque le craint et pratique la justice. Cependant, il
a plu à Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut
séparément, hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un
Peuple qui le connaîtrait selon la
vérité et le servirait dans la sainteté. C’est pourquoi il s’est choisi le Peuple d’Israël pour être son Peuple avec qui il a fait alliance et qu’il a
progressivement instruit... Tout cela cependant n’était que pour préparer et
figurer l’Alliance Nouvelle et parfaite qui serait conclue dans le Christ...
C’est la Nouvelle Alliance dans son sang, appelant un Peuple, venu des Juifs et des païens, à se
rassembler dans l’unité, non pas selon la chair, mais dans l’Esprit (LG 9, cité par le CEC, n° 781).
J |
Usqu’au concile Vatican II, l’expression « peuple de
Dieu » pour désigner l’Église était peu répandue dans le grand public, au
point qu’elle ne figure pas dans les indices
de la plupart des ouvrages ecclésiologiques préconciliaires, non plus que dans
les anciens dictionnaires[2].
Sans doute, on la trouve dans l’Écriture, surtout dans l’Ancien Testament, chez
les Pères et dans la liturgie : c’est, en un sens, « l’idée primitive
de l’Église selon la Révélation divine »[3].
Elle se répand parmi les exégètes et théologiens, catholiques et protestants, —
D. M. Koster, o. p.[4], L. Cerfaux[5],
Ernst Käsemann[6], mais aussi, dès 1937, dom
Vonier[7]
— dans les décennies qui ont précédé le concile, concurremment à celle de
« corps mystique ». Il s’agissait d’un retour à la théologie
vétéro-testamentaire, assumée dans le Nouveau Testament. Mais la formule
restait peu populaire dans le clergé paroissial et chez les simples fidèles.
Tout changea après le concile, qui lui accorde une place privilégiée. De fait,
elle « touche de plus près que les autres à l’axe fondamental de la
Révélation, au grand thème de l’Alliance et au déroulement historique du peuple
élu. De la Genèse à l’Apocalypse, cette idée est un des fils conducteurs de
l’économie du salut »[8].
Dès lors, elle se répandit comme une traînée de poudre, mais elle reçut souvent
une interprétation bien éloignée de son sens authentique. Que signifie donc
l’expression : « peuple de Dieu », appliquée à l’Église ?
Que nous enseigne-t-elle sur cette Église, et pourquoi les Pères de Vatican II
lui ont-ils accordé une telle importance ?
Le
vocabulaire conciliaire désignant l’Église, très riche, n’admet aucun
exclusivisme : c’est justement par leur pluralité et leur complémentarité
que les diverses expressions de ce mystère insondable permettent d’en prendre
une certaine connaissance :
Il ne faut pas nous étonner
si notre langage ne trouve pas de terme précis pour définir le mystère [de
l’Église]. Le Concile lui-même nous en fournit plusieurs expressions, toutes
valables il est vrai, mais toutes exigeant d’être intégrées à d’autres
expressions analogues…[9]
Parce que le nom propre qui
exprimerait toute la réalité de l’Église n’est connu que de Dieu, le langage
des hommes éprouve son inadéquation radicale à l’expression totale du
« mystère » de l’Église. Il doit donc recourir à de multiples images,
représentations et analogies, qui, d’ailleurs, ne pourront jamais désigner que
des aspects très partiels de la réalité. Si l’emploi de ces formulations doit
suggérer la transcendance du « mystère » par rapport à toute
réduction conceptuelle ou symbolique, la multiplication des expressions
permettra en outre d’éviter les excès qu’engendrerait immanquablement l’utilisation
d’une unique formulation[10].
Il
n’en est que plus nécessaire de scruter chacune de ces expressions — entre
autres celle de « peuple de Dieu » —, afin d’en découvrir la
signification intégrale, complétant les indications fournies par les
autres :
Cette idée d’une société
humaine composée de citoyens tous égaux, gouvernés par des ministères
d’autorité et de hiérarchie, terrestre et céleste à la fois, animée par
l’Esprit Saint, destinée à se répandre sur toute la terre, doit faire, de notre
part, l’objet d’une réflexion profonde et réaliste…[11]
Avant
toute étude proprement théologique, il importe de préciser le statut logique de
l’expression. Une foule d’expressions inégalement propres, analogies, images,
symboles et métaphore d’origine biblique a fait irruption au xxe siècle dans le
vocabulaire ecclésiologique. Il est clair que le mode de signifier de formules
comme société, corps, épouse, temple, troupeau, à plus forte raison filet,
lune, paradis…, appliquées à l’Église, varie considérablement. Saint Thomas
précise lui-même que l’image de la tête et du corps, appliquée au Christ et à
l’Église, est métaphorique. Au contraire, « société » se prédique de
l’Église proprement, quoique analogiquement. C’est pourquoi les Pères de
Vatican I avaient fort mal reçu l’expression de corps mystique, jugée trop
métaphorique, lui préférant la définition juridique de « société
parfaite ». Ce qui ne signifie d’ailleurs pas que les expressions prises
au sens le plus strict soient nécessairement préférables aux métaphores
bibliques, d’une richesse inépuisable, mais qu’il faut interpréter celles-ci en
fonction de leur mode de signifier.
Qu’en
est-il de l’expression « peuple de Dieu », comparée à celles que nous
avons déjà étudiées ? Faut-il l’entendre au sens strict, analogique mais
encore propre, ou métaphorique ? Assurément, « l’Église n’est au sens
strict » — ajoutons : et au sens propre : ce sont des métaphores
— « ni un bercail, ni un champ, ni une épouse, ni même un temple. Mais
elle est vraiment le peuple de Dieu »[12].
L’est-elle au sens strict, selon la même définition que celle qui s’applique au
peuple français ou au peuple allemand ? Non, sans doute. Mais il
appartient à la suite de notre étude de le confirmer.
L’expression
« peuple de Dieu » offre une signification « qui ne se livre pas
au premier examen »[14].
Pour désigner les groupes humains d’une certaine étendue, l’hébreu dispose de
deux mots signifiant la communauté de sang et une structure sociologique
stable : ‘am et goy. Mais le premier a été
progressivement réservé à Israël, et le second aux nations païennes, les goyim. On a donc senti le besoin d’un
mot spécial pour exprimer le mystère de la vocation d’Israël et son expérience
nationale unique.
De
même les LXX distinguent entre laoV, le peuple de Dieu, et eqnh, les nations : « laoV est un terme qui, dans la Septante, a
un sens surdéterminé, sens non seulement religieux mais même directement
sotériologique et destiné à trouver son accomplissement dans le Nouveau
Testament »[15].
Dans
le Nouveau Testament, il y a transfert : c’est la communauté chrétienne
qui est appelée laoV.
Le
latin chrétien emploie pour traduire laoV populus (Popule meus, quid feci tibi…), qui
« ne semble pas en mesure de traduire directement le laoV grec »[16],
et aussi plebs, qui après avoir
désigné la plèbe romaine apparaît dans la liturgie comme quasi synonyme de populus, parfois déterminé par le
possessif tuus et/ou l’adjectif sanctus : plebs tua sancta.
Selon
une remarque de dom Vonier[17],
la théologie du peuple de Dieu dans l’Ancien Testament, analogue à celle de
l’Église dans le Nouveau, définit toute l’économie des relations unissant Dieu
et son peuple dans l’ancienne Alliance. L’ancienne Loi n’est autre chose que la
théologie d’un peuple, qui ne se confond avec aucun autre. Et toutes les
faveurs spirituelles reçues par la race d’Abraham — à commencer par la grâce
sanctifiante, reçue lors de la circoncision qui agrégeait le petit Juif au
peuple saint —, n’ont d’autre raison d’être que le fait qu’elle constituait le
peuple de Dieu. « La Bible est essentiellement le livre d’un peuple…
l’histoire du peuple juif lue du point de vue de Dieu »[18].
Par
le Christ il y a passage du peuple de l’ancienne alliance au peuple de la
nouvelle alliance, ce qui implique continuité et discontinuité entre Israël et
l’Église. On doit d’abord comprendre les notions d’élection, de vocation,
d’alliance, dans l’ancien Testament, puis voir en quoi le Christ les
renouvelle : il y a accomplissement, non abolition.
Israël,
comme tous les autres peuples, possède un territoire, des citoyens, une
culture, des institutions. Dès l’origine cependant, la révélation le présente
comme un peuple unique.
La
plupart des peuples jouissent d’un territoire déterminé de manière stable,
sinon définitive. S’ils en sont éloignés, ils se dissolvent progressivement
dans leurs nations d’adoption.
Israël
ne s’est fixé en Palestine qu’après une première émigration à partir d’Ur en
Chaldée, et après un long séjour en Égypte suivi d’un périple de quarante ans à
travers le désert. Dès lors, Chanaan, de terre promise, devient la terre des
pères, qui y ont leurs tombeaux (Gen 23 ; 25, 9…). C’est la terre donnée
par Dieu en héritage, en même temps que la terre conquise de haute lutte en
accomplissement du dessein de Dieu (Jos 1, 13 ; 24, 11…). Bref, ce n’est
plus un pays païen, mais une terre sainte, résidence de Dieu (1 R 8, 15).
Jérusalem, demeure de Dieu en même temps que capitale politique, représente un
signe sensible de l’unité nationale et relieuse (cf. Ps. 121).
Israël
fut chassé de sa terre par Nabuchodonosor, puis par Trajan. Il a cependant
subsisté comme peuple, hors de son territoire, pendant des décennies, et
finalement près de deux millénaires. La dispersion n’a fait que renforcer son
attachement à sa terre : telle est l’origine de la mystique sioniste (Es
1, 2 et 7). Même les dispersés juifs n’ont jamais été totalement
déracinés : ils possèdent une patrie où leurs pères sont enterrés (Ne 2,
3) et vers laquelle ils se tournent pour prier (Dan 6, 11).
Dans
presque toutes les civilisations, les membres de la cité sont les hommes qui,
demeurant sur son territoire, sont unis par une vie sociale commune, impliquant
des droits (dont les esclaves et les étrangers étaient privés) et des devoirs
envers le bien commun. Dans les sociétés méditerranéennes anciennes, ils
étaient unis aussi par la religion, non que les croyances d’un peuple
différassent nécessairement de celles du peuple voisin, mais parce que le dieu
propre à la cité était censé solidaire de ses heurs et malheurs.
En
Israël, l’unité du peuple était fondamentalement :
—
Biologique : Les Hébreux étaient
normalement les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, dont les douze fils
sont éponymes des douze tribus. Sans doute, la race a au cours des âges
assimilé bien des éléments hétérogènes, dès la sortie d’Égypte (Ex 12, 38), au
désert (Nb 11, 14 ; Jg 4, 11) et après la conquête de Chanaan (Jos
9 ; Jg 3, 1, etc.). Mais à époque tardive on prohibe les mariages
étrangers pour maintenir la pureté de la « race sainte » (Es 9, 2)
contre les idolâtres. Pour participer aux promesses de l’alliance, il faut être
de la race d’Abraham (Is 41, 8 ; 51, 2). Malgré un certain universalisme
qui se manifeste dès la Genèse et surtout dans la seconde partie du livre
d’Isaïe, la foi commune ne suffit pas à constituer le peuple de Dieu :
Le
peuple issu d’Abraham sera le dépositaire de la promesse faite aux patriarches,
le peuple de l’élection (cf. Rm 11, 28), appelé à préparer le
rassemblement, un jour, de tous les enfants de Dieu dans l’unité de l’Église
(cf. Jn 11, 52 ; Jn 10, 16) ; il sera la racine sur
laquelle seront greffés les païens devenus croyants (cf. Rm 11, 17-18 ;
Rm 11, 24)[19].
—
Religieuse : Cependant, les
prosélytes convertis au judaïsme devenaient membres du peuple, à condition
d’adhérer à la foi en son Dieu (qui
était aussi l’unique vrai Dieu) et de se soumettre à sa loi (essentiellement par la circoncision).
Toutes
les cultures anciennes sont imprégnées de religion, mais on assiste dans les
plus raffinées d’entre elles (Grèce) à une « sécularisation », à une réinterprétation des anciens mythes
dans le sens des grandes vérités humaines et philosophiques naturelles. Dans
d’autres, la civilisation demeure religieuse, mais cette religion n’a aucune
implication morale, voire entraîne des actions contraires à la morale naturelle
(prostitution sacrée, sacrifices humains…) ; la culture profane en est
indépendante, elle se développe surtout autour du service des rois ou de la
cité. La culture moderne est presque entièrement sécularisée.
En
Israël, toute la culture repose sur la
religion du Dieu unique. La culture écrite est celle du livre par
excellence, la Bible, rédigé puis commenté au long des siècles. La langue reste longtemps la langue sacrée,
l’hébreu classique — à l’origine, la langue de Chanaan, devenue sa propre
langue. Cette unité linguistique, véhiculant une mentalité, une culture, une
conception du monde communes, constituait — et constitue encore — un puissant
facteur d’unité nationale. Or, c’est la Révélation
divine qui s’exprime en hébreu, épousant, avec le caractère concret et
dynamique de l’hébreu, les modes de pensée sémitiques.
Ensuite
on adopte l’araméen, langue du proche
Orient ancien, et la culture nationale accueille des apports
assyro-babyloniens, iraniens, grecs même. Mais même quand les Hébreux parlent
araméen, grec, ou latin, l’hébreu demeure leur langue sacrée à tous[20].
Et toujours, la révélation a effectué un filtrage dans les emprunts aux
civilisations étrangères, éliminant les éléments inassimilables, conférant aux
mots des contenus nouveaux, en rapport avec le dessein divin. Ainsi, la parole
de Dieu à son peuple, fixée dans les Écritures, s’est coulée dans un moule juif.
Les
institutions jouent un rôle primordial dans la formation morale et le maintien
de l’identité nationale de tous les peuples. C’est aussi le cas d’Israël :
Après
les patriarches, Dieu forma Israël comme son peuple en le sauvant de l’esclavage
de l’Égypte. Il conclut avec lui l’Alliance du Sinaï et lui donna, par Moïse,
sa Loi, pour qu’il le reconnaisse et le serve comme le seul Dieu vivant et
vrai, Père provident et juste juge, et qu’il attende le Sauveur promis (cf. DV 3)[21].
Les
institutions des autres peuples — même celles qui réglaient le culte, aspect
essentiel de la vie de la cité antique — ont une origine naturelle : elles proviennent des antiques coutumes des
nations, mises en forme, complétées et perfectionnées par les autorités des
cités, rois (code d’Hammourabi), sages (les sept sages de Thèbes) ou magistrats
élus (Rome).
En
Israël aussi, la race n’était pas une masse amorphe, mais une société
organisée. Jusqu’à l’Exode, les hébreux
formaient une race, une multitude inorganique, plutôt qu’un peuple. Ils
reçurent de Dieu, à une heure déterminée, des institutions définies :
Je vous délivrerai de
l’esclavage [des Égyptiens], je vous sauverai à main forte et à bras étendu. Et
je vous prendrai pour mon peuple, je serai votre Dieu, et vous saurez que je
suis le Seigneur (Ex 6, 5 et 8).
C’est
ainsi que Dieu exerce sa souveraineté sur son peuple : « Je vous ai
séparés des autres peuples, pour que vous soyez à moi » (Lev 20, 26).
Le
peuple d’Israël était structuré essentiellement par la famille et le clan, qui
survivent même au déracinement de la dispersion (Es 2 ; Ne 7), et qui
dominent beaucoup de coutumes comme le lévirat et la vengeance du sang. C’est
par ces cellules fondamentales, famille et clan, que chaque individu prenait
conscience de son appartenance sociale. Les clans étaient regroupés en tribus,
unités politiques de base. La première forme de la nation organisée consiste
dans la confédération des douze tribus liées par le pacte d’alliance (Ex 24,
4 ; Jos 24). Plus tard, la monarchie centralisée devait se superposer à
cette structure dans l’éliminer (2 Sam 2, 4 ; 5, 3). Après la ruine de la
monarchie, la confédération des tribus demeurera l’idéal des restaurateurs
juifs (Ez 48).
Aux
institutions politiques, il faut ajouter les institutions cultuelles. En
Israël, le culte du vrai Dieu constitue la fonction suprême de la nation,
désignée par divers termes techniques : hedah, nigra’, qahal, et dont l’idéal reste la communauté du
désert. Après l’exil, le peuple juif, sans être encore une véritable Église —
car son statut reste inséparable des structures temporelles — en acquiert le
trait le plus caractéristique : il s’agit essentiellement d’une communauté
cultuelle.
Toutes
ces institutions sont fondamentalement issues de la Loi, dont Moïse a jeté les
principes essentiels, et qui, en se développant, assure la permanence d’un même
esprit dans les us et coutumes (cf. Ne 8). Par la Loi, toutes les institutions
d’Israël offrent un caractère sacré,
même si elles concernent des comportements profanes, et tirent leur sens du
dessein de Dieu, « pédagogue » providentiel du peuple de l’Alliance
(cf. Gal 3, 24).
Les
similitudes rapprochant Israël des autres peuples s’expliquent aisément non
seulement par les lois sociologiques qui gouvernent toutes les sociétés
humaines, mais aussi par la volonté divine d’implanter fermement les caractères
surnaturels de son peuple dans un terreau naturel. Mais qu’en est-il de ses
spécificités ?
C’est
que ce peuple est le peuple de Dieu.
Plutôt qu’un « décentrement horizontal
sur la communauté »[22],
l’expression « peuple de Dieu » exprime dans la Bible « la parenté avec Dieu, le lien
entre Dieu et celui qui est désigné comme peuple de Dieu, donc la direction verticale »[23] :
c’est le génitif « de Dieu » qui donne sa portée spécifique et définitive à
l’expression en la situant dans son contexte biblique d’apparition et de
développement. Ceci a pour conséquence qu’une interprétation du terme
« peuple » dans un sens exclusivement biologique, racial, culturel,
politique ou idéologique doit être radicalement exclue. Le peuple de Dieu
procède « d’en haut », du
dessein de Dieu, c’est-à-dire de l’élection, de l’alliance et de la mission[24].
Cette
« direction verticale », fondement de l’originalité du peuple
d’Israël, se manifeste dans l’élection, la vocation et l’Alliance dont il
bénéficie.
L’expérience
de l’élection est celle d’un destin singulier, différent de tout autre, dû non
à un concours aveugle de circonstances ou à un effort purement humain, mais à
un libre choix, une initiative souveraine de Dieu.
Si
Israël existe comme peuple, c’est que Dieu l’a choisi (Dt 4, 20 ; 7, 6-8)
et appelé (Is 48, 12), non en raison de son nombre, de sa force ou de ses
mérites (Dt 8, 17 ; 9, 4), mais par amour :
tu es un peuple consacré à Yahvé ton Dieu ; c’est toi que Yahvé ton
Dieu a choisi pour son peuple à lui, parmi toutes les nations qui sont sur la
terre. Si Yahvé s’est attaché à vous et vous a choisis, ce n’est pas que vous
soyez le plus nombreux de tous les peuples : car vous êtes le moins
nombreux d’entre tous les peuples. Mais c’est par amour pour vous et pour
garder le serment juré à vos pères, que Yahvé vous a fait sortir à main forte
et vous a délivrés de la maison de servitude, du pouvoir de Pharaon, roi
d’Égypte (Dt 7, 6-8).
Quand
Israël était jeune, je l’aimai, et d’Égypte j’appelai mon fils (Os 11, 1).
Il l’a racheté et délivré lors de
l’Exode (Dt 6, 12 ; 7, 8 ; 8, 14…), le constituant ainsi en nation
indépendante, le « créant » (Is 43, 15), le formant comme un enfant
dans le sein maternel (Is 44, 2-24). Aussi la conscience d’une totale
dépendance vis-à-vis de Dieu accompagne-t-elle la conscience du peuple comme
tel.
C’est
ensuite l’Alliance, acte de fondation du peuple élu, pacte sacré, scellé dans
le sang d’un sacrifice, où les douze tribus s’engagent à accomplir la
Loi :
Moïse
mit par écrit toutes les paroles de Yahvé puis, se levant de bon matin, il
bâtit un autel au bas de la montagne, et douze stèles pour les douze tribus
d’Israël. Puis il envoya de jeunes Israélites offrir des holocaustes et immoler
à Yahvé de jeunes taureaux en sacrifice de communion. Moïse prit la moitié du
sang et la mit dans des bassins, et l’autre moitié du sang, il la répandit sur
l’autel. Il prit le livre de l’Alliance et il en fit la lecture au peuple qui
déclara : « Tout ce que Yahvé a dit, nous le ferons et nous y
obéirons ». Moïse, ayant pris le sang, le répandit sur le peuple et
dit : « Ceci est le sang de l’Alliance que Yahvé a conclue avec vous
moyennant toutes ces clauses » (Ex 24, 4-8).
Dès lors, Dieu est le Dieu d’Israël, Israël est le peuple de Dieu (Dt 29, 12 ; Lev 26,
12 ; Jr 7, 23 ; Ez 11, 20…) : peuple saint, consacré au
Seigneur, voué à son service, témoin du Dieu unique (Is 44, 8), médiateur entre
Dieu et l’humanité.
Cette
médiation implique trois aspects fondamentaux : Israël est une peuple de
prêtres, de prophètes et de rois.
Il
existait en Israël trois institutions complémentaires : prêtres, prophètes
et rois. Le prêtre, chargé à
l’origine de l’enseignement de la loi et du culte, assume en outre après l’exil
(c’est le « prêtre oint » de Lev 4, 3.5.16 ; 2 Mac 1, 10) un
rôle de gouvernement.
Le roi guide son peuple comme son chef
institutionnel, militaire, politique et religieux. Après la déception causée
par les oints régnants et l’exil, on attend un roi futur (Ps, 2, etc.), un
roi-prêtre (Ps 109), ou plus rarement — à Qumran — deux messies, l’un roi,
l’autre prêtre.
Dès
les origines de la monarchie, un prophète
apparaissait à côté du roi pour le conseiller et l’avertir de la part du
Seigneur, porter une parole de Dieu adaptée à une situation particulière, où il
est responsable du salut de ses frères. Le poids de sa mission (Jr 4, 19), son
apparente stérilité (Is 49, 4) le remplissent souvent d’amertume (cf. Ez 3, 14
sq.). La mission du Serviteur, aboutissement de la lignée des prophètes, se
consomme dans le silence de l’agneau qu’on abat (Is 53, 7) : c’est ainsi,
par sa mort, qu’il sauve les pécheurs pour lesquels il intercède (Is 53, 5. 11
sq.).
à mesure que se développait la théologie du peuple de Dieu, c’est au peuple
tout entier qu’on a attribué la triade prêtre, prophète, roi.
Médiateur
entre Dieu et les autres peuples, le peuple de Dieu compte bien, après le
jugement qui accordera la royauté au Messie promis, être dépositaire du royaume
ainsi établi (Dn 7, 14). Mais ce royaume, promis aux « justes »,
revêtira un aspect transcendant :
« Ils [les justes] jugeront les nations et domineront sur les peuples, et
le Seigneur régnera sur eux à jamais »
(Sg 3, 8).
Ce
royaume en effet sera essentiellement sacerdotal :
Je vous
tiendrai pour un royaume de prêtres, une nation sainte (Ex 19, 6).
Mais
vous, vous serez appelés prêtres de Yahvé, on vous nommera ministres de notre
Dieu (Is 61, 6).
Israël
est le Peuple sacerdotal de Dieu (cf.
Ex 19, 6), celui qui « porte le Nom du Seigneur » (Dt 28,
10). C’est le peuple de ceux « à qui Dieu a parlé en premier »[25],
le peuple des « frères aînés » dans la foi d’Abraham[26].
C’est à titre de peuple prophétique qu’Israël est tout
entier peuple des « oints » du Seigneur : « Ne touchez pas à qui m’est consacré ; à mes
prophètes ne faites pas de mal » (Ps
105, 15).
à la fin
des temps, les prophètes attendent une effusion de l’Esprit Saint sur
« toute chair » ; il fera prophétiser les « fils et les
filles » d’Israël, et jusqu’à leurs esclaves :
Après
cela je répandrai mon Esprit sur toute chair. Vos fils et vos filles
prophétiseront, vos vieillards auront des songes, vos jeunes gens, des visions.
Même sur les esclaves, hommes et femmes, en ces jours-là, je répandrai mon
Esprit (Jl 3, 2).
De l’enseignement de l’Ancien
Testament sur le peuple de Dieu, nous retiendrons essentiellement les données
suivantes.
La théologie du premier peuple de
Dieu nous éclaire en premier lieu sur le dessein divin du salut. Dieu a voulu sauver et sanctifier les hommes,
non pas isolément, individuellement, sans aucune connexion mutuelle, mais comme
communauté : en faisant d’une « humanité dispersée » un « peuple
uni » à Dieu et autour de Dieu :
La définition dense et
féconde que le Concile a faite sienne : Peuple de Dieu… nous rappelle que
l’initiative de rassembler une humanité
dispersée ou autocéphale pour en
faire un peuple, uni et multiple, libre et docile, sage et humble, fort et
sans défense, uni dans la foi, l’espérance et la charité, dérive de Lui
toujours et par lui se justifie… un peuple qui le connaîtrait selon la vérité
et le servirait selon la sainteté[27].
En
réalité, c’est le peuple de Dieu tout entier, et non chacun de ses membres
individuellement, qui est, comme partenaire de Dieu, le sujet de l’ancien
Testament.
Au sein de cette communauté, les
membres étaient-ils égaux ou inégaux ?
Les
Hébreux avaient une conscience aiguë d’une égalité fondamentale entre tous les
membres du peuple d’Israël, aaronides, lévites et membres des autres tribus,
égalité due à leur « sainteté »
à tous, à leur égale appartenance au peuple consacré à Dieu. Lors des grandes
assemblées du peuple, c’étaient tous et chacun qui étaient conviés à exprimer
leur assentiment à l’Alliance. Toutes les familles étaient également tenues de
célébrer la Pâque, de faire circoncire les petits garçons, de racheter les
premiers nés, de se soumettre aux lois de pureté. Et finalement, les promesses
de restauration, de bonheur paradisiaque pour la fin des temps, concernait tout
le peuple, à égalité et sans exception.
Par
ailleurs, les prophètes crient leur indignation devant l’exploitation des
pauvres par les riches, les inégalités économiques excessives et
l’irresponsabilité scandaleuse des nantis face aux malheurs de la
communauté :
Malheur à ceux qui ajoutent maison à maison,
Et qui joignent champ à champ,
Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’espace,
Et qu’ils habitent seuls au milieu du pays ! (Is 5, 8)
Comme une cage est remplie d’oiseaux,
Leurs maisons sont remplies de fraude ;
C’est ainsi qu’ils deviennent puissants et riches.
Ils s’engraissent, ils sont brillants
d’embonpoint ;
Ils dépassent toute mesure dans le mal,
Ils ne défendent pas la cause, la cause de
l’orphelin, et ils prospèrent
Ils ne font pas droit aux indigents.
Ne châtierais-je pas ces choses-là, dit Yahvé,
Ne me vengerais-je pas d’une pareille nation ?
(Jr 5, 27-29)
Le
livre des Nombres nous raconte
comment, forts de la certitude qu’en Israël tous sont saints, certains notables
— y compris un lévite, Koré — s’étaient révoltés contre l’autorité de Moïse et
d’Aaron, qu’ils jugeaient usurpée :
Koré,
fils de Jitsehar, fils de Kehath, fils de Lévi, se révolta avec Dathan et
Abiram, fils d’Éliab, et On, fils de Péleth, tous trois fils de Ruben. Ils se
soulevèrent contre Moïse, avec deux cent cinquante hommes des enfants d’Israël,
des principaux de l’assemblée, de ceux que l’on convoquait à l’assemblée, et
qui étaient des gens de renom. Ils s’assemblèrent contre Moïse et Aaron, et
leur dirent : C’en est assez ! car toute l’assemblée, tous sont saints, et le Seigneur est au milieu
d’eux. Pourquoi vous élevez-vous
au-dessus de l’assemblée du Seigneur ? (Nb 16, 1-3)
Au
sein du peuple d’Israël, il existait pourtant de toute évidence une hiérarchie
non seulement sociale et économique, mais politique et cultuelle. Hiérarchie
établie par Dieu, qui exprime sa condamnation de la révolte envers l’autorité
légitime par la mort tragique des fauteurs de trouble :
La
terre ouvrit sa bouche, et les engloutit, eux et leurs maisons, avec tous les
gens de Koré et tous leurs biens. Ils descendirent vivants dans le séjour des
morts, eux et tout ce qui leur appartenait ; la terre les recouvrit, et
ils disparurent au milieu de l’assemblée. Tout Israël, qui était autour d’eux,
s’enfuit à leur cri ; car ils disaient : « Fuyons, de peur que
la terre ne nous engloutisse ! »
(Nb 16, 32-34)
Ce sont ensuite les murmurateurs
qui sont consumés par une flamme sortie de Dieu, jusqu’à ce que le grand prêtre
en arrête les ravages par son sacrifice :
Yahvé
parla à Moïse, et dit : « Retirez-vous du milieu de cette assemblée,
et je les consumerai en un instant ». Ils tombèrent sur leur visage ;
et Moïse dit à Aaron : « Prends le brasier, mets-y du feu de dessus
l’autel, poses-y du parfum, va promptement vers l’assemblée, et fais pour eux
l’expiation ; car la colère de Yahvé a éclaté, la plaie a commencé ».
Aaron prit le brasier, comme Moïse avait dit, et courut au milieu de
l’assemblée ; et voici, la plaie avait commencé parmi le peuple. Il offrit
le parfum, et il fit l’expiation pour le peuple. Il se plaça entre les morts et
les vivants, et la plaie fut arrêtée. Il y eut quatorze mille sept cents
personnes qui moururent de cette plaie, outre ceux qui étaient morts à cause de
Koré (Nb 16, 44-49).
Du fait de son appartenance au
peuple saint, tout Israélite jouissait d’une égale « sainteté »
radicale, même si la diversité des fonctions établissait par ailleurs une
hiérarchie bien définie, non moins sacrée. Mais qu’en était-il de qui
n’appartenait pas au peuple de Dieu, des goyim ?
Alors
que les récits de la création nous montrent dans l’unique couple des origines
la source de toute l’humanité, que l’alliance avec Noé demeure universelle, le
récit de la tour de Babel exprime la confusion des langues et la division des
peuples :
Et
Yahvé les dispersa loin de là sur la face de toute la terre ; et ils
cessèrent de bâtir la ville. C’est pourquoi on l’appela du nom de Babel, car
c’est là que Yahvé confondit le langage de toute la terre, et c’est de là que
Yahvé les dispersa sur la face de toute la terre (Gen 11, 8-9).
Dès lors, ce sont les seuls
descendants d’Abraham qui appartiennent, en principe, au peuple élu. Cependant,
si Israël jouit de tels privilèges, ce n’est pas pour lui seul : il est un
peuple témoin. Toutes les nations
doivent se joindre à lui (Is 2, 2 ; Ps 46, 10) pour glorifier Dieu (Is 45,
14-15. 23) et avoir part aux bénédictions d’Abraham (Gen 12, 3 ; Jr 4,
2 ; Sir 44, 21). La mise à part du peuple hébreu apparaît ainsi comme une
étape nécessaire mais peut-être provisoire (seconde partie du livre d’Isaïe),
jusqu’à la restauration de l’universalisme primitif — qui, pour l’ensemble des
Juifs comme pour la seconde partie du livre d’Isaïe, devait rester centré sur Israël, et particulièrement
sur Sion, à laquelle toutes les nations diront : « Mère » (Ps
86) :
Vous tous,
peuples, battez des mains !
Poussez vers Dieu des cris de joie !
Car Yahvé, le Très-Haut, est redoutable,
Il est un grand roi sur toute la terre.
Il nous assujettit
des peuples,
Il met des nations
sous nos pieds…
Chantez à notre roi, chantez !
Car Dieu est roi de toute la terre :
Chantez un cantique !
Dieu règne sur les nations,
Dieu a pour siège son saint trône.
Les princes des peuples
se réunissent
Au peuple du Dieu d’Abraham… (Ps 46).
On sait que les prophètes
attendaient de la miséricorde divine une purification radicale de son peuple,
dont il changerait le cœur en versant sur lui l’eau pure de son Esprit (Ez 36,
26), et en en éliminant les pécheurs pour ne garder qu’un reste humble et juste
(Is 10, 20 sq. ; So 3, 13). Avec ce « peuple saint » (Is 62,
12), il conclurait une alliance nouvelle (Jr 31, 31) et universelle, dont le
mystérieux Serviteur de Dieu serait le médiateur (Is 42, 6) :
Par les
prophètes, Dieu forme son peuple dans l’espérance du salut, dans l’attente
d’une Alliance nouvelle et éternelle destinée à tous les hommes (cf. Is 2,
2-4), et qui sera inscrite dans les cœurs (cf. Jr 31, 31-34 ;
He 10, 16). Les prophètes annoncent une rédemption radicale du Peuple de
Dieu, la purification de toutes ses infidélités (cf. Ez 36), un salut qui
inclura toutes les nations (cf. Is 49, 5-6 ; Is 53, 11). Ce
seront surtout les pauvres et les humbles du Seigneur (cf. So 2, 3) qui
porteront cette espérance. Les femmes saintes comme Sara, Rébecca, Rachel,
Miryam, Débora, Anne, Judith et Esther ont conservé vivante l’espérance du
salut d’Israël. La figure la plus pure en est Marie (cf. Lc 1, 38)[28].
Entre
l’ancien peuple et le peuple nouveau, il existe à la fois une continuité
indéniable et une discontinuité radicale. De l’un à l’autre, on passe d’un
pacte d’amitié avec un seul peuple, à une communion universelle et
surnaturelle :
En adoptant la définition de
« Peuple de Dieu », le concile, avec un souvenir pieux et cordial,
relie l’Église à l’économie de l’Ancien Testament, dans lequel est célébrée
l’alliance privilégiée, établie par Dieu avec Israël, en préparation de la
nouvelle Alliance accomplie par le Christ : il ne s’agit plus d’un simple
pacte d’amitié mais d’une communion. Il ne s’agit plus d’un pacte limité à une
seule race, mais accessible à tous les hommes, membres d’un nouveau corps
mystique, revêtus d’une personnalité surnaturelle : « Vous êtes une
race élue, sacerdoce royal, nation sainte, peuple que Dieu s’est acquis »
(I P 2, 9)[29].
Cette
discontinuité dans la continuité concerne précisément les trois spécificités du
peuple élu : l’élection, la vocation et l’alliance.
Dieu
avait élu les descendants d’Abraham pour les constituer en peuple saint. Saint
Pierre, on l’a vu, applique la notion d’élection au populus acquisitionis (1 P 2, 9) : l’Église.
Au
point de départ de l’Église de Jésus se trouve l’élection divine, concrétisée
par le choix des Douze : le
Seigneur veut accomplir son œuvre en ayant « avec lui ceux qu’il
voulait » (Mc 3, 13 sq.). Les Douze représentent les douze tribus du
nouveau peuple, qui a pour origine le choix du Christ (Lc 3, 13 ; Jn 6,
70), du Père (Jn 6, 37 ; 17, 2) et de l’Esprit Saint (Ac 1, 2) :
« Ce n’est pas vous qui m’avez choisis, mais c’est moi qui vous ai
choisis » (Jn 15, 16). L’élection de Matthias
(Ac 1, 24) et celle de Paul (Ac 9,
15) montrent que Dieu entend bâtir son Église sur les témoins qu’il a établis.
Après
la Pentecôte, l’Église continue à vivre sous la dépendance des choix divins (Ac 6, 3… 6) : si l’Église d’Antioche met à part Paul
et Barnabé, c’est que l’Esprit a désigné ceux qu’il appelle à son œuvre :
Pendant
qu’ils servaient le Seigneur dans leur ministère et qu’ils jeûnaient, le
Saint-Esprit dit : « Mettez-moi à part Barnabé et Saul pour l’œuvre à
laquelle je les ai appelés ». Alors, après avoir jeûné et prié, ils leur
imposèrent les mains, et les laissèrent partir (Ac 13, 3).
Mais c’est surtout
l’Église tout entière, chaque Église particulière — comme la « dame
élue » de la seconde épître de saint Jean — et chacun dans l’Église, qui
est l’objet d’une élection :
Vous,
au contraire, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte,
un peuple acquis, afin que vous annonciez les vertus de celui qui vous a
appelés des ténèbres à son admirable lumière, vous qui autrefois n’étiez pas un
peuple, et qui maintenant êtes le peuple de Dieu, vous qui n’aviez pas obtenu
miséricorde, et qui maintenant avez obtenu miséricorde (1 P 2, 10).
Le don de la foi, l’accueil de la parole ne s’explique ni
par la race, ni par la naissance, la puissance ou la science, mais par un choix
gratuit. Les « élus » (Rm 16, 13 ; 2 Tm 2, 10) sont choisis
parmi les Juifs et les païens. Ce caractère universel
est évident dès l’épisode de la Pentecôte, emblématique de tout l’avenir de
l’Église : c’est de la race humaine tout entière que sont élus et appelés
à faire partie du peuple de Dieu les rescapés des nations dispersées depuis
l’épisode de Babel (Is 66, 18 ; Za 14, 17), qui tous reçoivent la bonne
nouvelle dans leur propre langue grâce au Saint-Esprit :
Ils
furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues,
selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. Or, il y avait en séjour à
Jérusalem des Juifs, hommes pieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel.
Au bruit qui eut lieu, la multitude accourut, et elle fut confondue parce que
chacun les entendait parler dans sa propre langue. Ils étaient tous dans
l’étonnement et la surprise, et ils se disaient les uns aux autres :
Voici, ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ? Et comment
les entendons-nous dans notre propre langue à chacun, dans notre langue
maternelle ? Parthes, Mèdes, Élamites, ceux qui habitent la Mésopotamie,
la Judée, la Cappadoce, le Pont, l’Asie, la Phrygie, la Pamphylie, l’Égypte, le
territoire de la Libye voisine de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs
et prosélytes, Crétois et Arabes, comment les entendons-nous parler dans nos
langues des merveilles de Dieu ? (Actes
2, 4-11)
L’élection
divine se réalise et se manifeste par la vocation. L’Église n’est pas seulement
élue, eklekth (2 Jn
1), mais appelée, convoquée, ekklhsia (1 Co 1, 2).
Les
scènes de vocation, dans l’ancien comme dans le nouveau Testament, comptent
parmi les plus impressionnantes de l’Écriture. L’Évangile ne dit pas que Jésus
ait reçu une vocation — ce qui impliquerait en lui la prise de conscience d’un
appel nouveau, un changement d’existence : dès son enfance (Lc 2, 49) et
pendant toute sa vie, il sait d’où il vient, où il demeure et où il va :
dans le sein du Père (Jn 8, 14 ; 13, 1 ; 15, 10 ; 16, 28…). En
revanche, il multiplie les appels, celui des Douze, mais aussi celui d’autres
disciples (Mt 10, 21 ; Lc 9, 59-62). Toute sa vie n’est qu’un appel à le
suivre : « Si quelqu’un veut venir après moi… » (Mt 16,
24 ; Jn 7, 16). « Beaucoup sont appelés », et si
« peu » — un nombre moindre — « sont élus » (Mt 22, 1-14),
c’est que certains restent sourds à cet appel.
De
fait, l’Église naissante a toujours considéré l’adhésion à la
« voie » nouvelle non comme le résultat inéluctable de l’appartenance
à une cité ou à une race, mais comme une réponse à un appel : les
chrétiens sont « saints » non de naissance, mais « par
vocation » (Ro 1, 1. 7 ; 1 Co 1, 1 sq.) : Videte vocationem vestram, fratres… (1 Co 1, 26).
La
vie chrétienne est une vocation, parce qu’elle est un appel à une vie nouvelle,
surnaturelle, vie d’enfant du Père par le Fils et dans l’Esprit. Et comme il y
a un seul Dieu, un seul corps du Christ, un seul Esprit, il y a place dans
l’Église pour des vocations diverses (1 Co 4, 12), épanouissements
complémentaires de l’unique vocation chrétienne en vue du bien commun.
Israël était lié à Dieu par
l’alliance mosaïque, gravée sur des tables de pierre, scellée par un sacrifice
d’animaux. L’Église,
elle aussi, est liée indissolublement à son Seigneur, comme son peuple, par une
« alliance nouvelle et éternelle » qui accomplit et dépasse toutes les
espérances d’Israël.
Les quatre récits de l’institution
de l’eucharistie emploient le nom diaqhkh,
« alliance » (ou « disposition », ou
« testament ») dans un contexte d’une importance unique. Le
« sang » de cette « alliance » (cf. Ex 24, 8) est celui du
sacrifice de la croix, anticipé à la Cène et actualisé dans chaque eucharistie,
qui permet aux fidèles d’y prendre part : « Cette coupe est la
nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous » (Lc 22, 20 et 1 Co 11, 25). Il s’agit de l’alliance nouvelle
annoncée par les prophètes, et qui constitue le nouveau peuple de Dieu :
« Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu » (Jr 31, 33 ;
32, 38 ; Ez 36, 28 ; 37, 27). Alliance écrite, non sur la pierre —
donc extérieure à l’homme —, mais par l’Esprit Saint, dans les cœurs, donc
intériorisée :
Voici,
les jours viennent, dit Yahvé,
Où je ferai avec la maison d’Israël et la maison de
Juda
Une alliance nouvelle,
Non comme l’alliance que je traitai avec leurs pères,
Le jour où je les saisis par la main
Pour les faire sortir du pays d’Égypte,
Alliance qu’ils ont violée,
Quoique je fusse leur maître, dit Yahvé.
Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison
d’Israël,
Après ces jours-là, dit Yahvé :
Je mettrai ma loi au dedans d’eux,
Je l’écrirai dans leur cœur ;
Et je serai leur Dieu,
Et ils seront mon peuple. (Jr 31,31-33).
C’est
vous qui êtes notre lettre, écrite dans nos cœurs, connue et lue de tous les
hommes. Vous êtes manifestement une lettre du Christ, écrite, par notre
ministère, non avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non sur des
tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs (2 Co 3, 2-3).
Saint Paul remarque que, même avant
l’alliance mosaïque, il existait déjà une diaqhkh, énoncée en bonne et due forme dans la promesse faite à
Abraham. le Christ est l’accomplissement de cette promesse, et c’est pourquoi
le salut se réalise par la foi (vive au Christ), non par la loi (juive) :
Le
Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, étant devenu malédiction
pour nous — car il est écrit : « Maudit quiconque est pendu au bois »
—, afin que la bénédiction d’Abraham eût pour les païens son accomplissement en
Jésus-Christ, et que nous reçussions par la foi l’Esprit qui avait été promis.
Frères (je parle à la manière des hommes), une disposition, diaqhkh, en bonne forme, bien que
faite par un homme, n’est annulée par personne, et personne n’y ajoute. Or les
promesses ont été faites à Abraham et à sa postérité. Il n’est pas dit :
et aux postérités, comme s’il s’agissait de plusieurs, mais en tant qu’il
s’agit d’une seule : et à ta postérité, c’est-à-dire, au Christ. Voici ce
que j’entends : une disposition, que Dieu a confirmée antérieurement, ne
peut pas être annulée, et ainsi la promesse rendue vaine, par la loi survenue
quatre cent trente ans plus tard. Car si l’héritage venait de la loi, il ne
viendrait plus de la promesse ; or, c’est par la promesse que Dieu a fait
à Abraham ce don de sa grâce (Gal 3,
13-18).
Sans doute, l’alliance mosaïque
venait de Dieu, mais elle s’inscrivait dans une « disposition » plus
large et toute gratuite. Dans la nouvelle alliance les péchés sont enlevés (Ro
11, 27) ; Dieu habite parmi les hommes, et même en eux (2 Co 6, 16) ;
il change les cœurs, et met en eux son Esprit (Ro 5, 5 ; 8, 4-16) ;
c’est une alliance dans l’Esprit (2 Co 3, 6) ; une alliance de liberté
(Gal 4, 24) ; une alliance universelle, qui refait l’unité du genre
humain :
Vous,
autrefois païens dans la chair, appelés incirconcis par ceux qu’on appelle
circoncis et qui le sont en la chair par la main de l’homme, souvenez-vous que
vous étiez en ce temps-là sans Christ, privés du droit de cité en Israël,
étrangers aux alliances de la promesse, sans espérance et sans Dieu dans le
monde. Mais maintenant, en Jésus-Christ, vous qui étiez jadis éloignés, vous avez
été rapprochés par le sang du Christ. Car il est notre paix, lui qui des deux
n’en a fait qu’un, et qui a renversé le mur de séparation, l’inimitié, ayant
anéanti par sa chair la loi des ordonnances dans ses prescriptions, afin de
créer en lui-même avec les deux un seul homme nouveau, en établissant la paix,
et de les réconcilier, l’un et l’autre en un seul corps, avec Dieu par la
croix, en détruisant par elle l’inimitié. Il est venu annoncer la paix à vous
qui étiez loin, et la paix à ceux qui étaient près ; car par lui nous
avons les uns et les autres accès auprès du Père, dans un même Esprit. Ainsi
donc, vous n’êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors ; mais vous
êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. Vous avez été édifiés
sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la
pierre angulaire. En lui tout l’édifice, bien coordonné, s’élève pour être un
temple saint dans le Seigneur. En lui vous êtes aussi édifiés pour être une
habitation de Dieu en Esprit (Ep 2, 11-20 ; cf. 1 P 2, 6-10).
L’épître aux Hébreux présente les
mêmes éléments de manière assez différente. Par la croix, Jésus est entré dans
le sanctuaire du ciel. Aussi la nouvelle alliance annoncée par Jérémie (31,
31-34) se réalise-t-elle (He 8, 8-12). Il s’agit d’une « alliance
meilleure » (He 8, 6 ; 12, 24), du fait qu’elle est scellée, non dans
le sang des animaux (cf. Ex 24, 8), mais dans celui d’un « Agneau
immaculé, le Christ» (1 P 1, 19):
Moïse,
après avoir prononcé devant tout le peuple tous les commandements de la loi,
prit le sang des veaux et des boucs, avec de l’eau, de la laine écarlate, et de
l’hysope ; et il fit l’aspersion sur le livre lui-même et sur tout le
peuple en disant : « Ceci est le sang de l’alliance que Dieu a
ordonnée pour vous ». Il fit pareillement l’aspersion avec le sang sur le
tabernacle et sur tous les ustensiles du culte. Et presque tout, d’après la
loi, est purifié avec du sang, et sans effusion de sang il n’y a pas de pardon (He 9, 19).
Cette « alliance
meilleure » rend la première caduque (He 8, 13) « alors que celle-ci
était imparfaite et figurative, l’alliance nouvelle est parfaite et assure
l’accès auprès de Dieu (He 10, 1-22). Sans doute, on rappelle des événements de
l’ancienne alliance préfigurant l’alliance nouvelle : le nouveau peuple
doit, pour « entrer dans le repos » divin que préfigurait la terre
promise (He 4, 9), sortir de Babylone, la cité du mal (Ap 18, 4) et se
rassembler à Jérusalem, cité de Dieu (Ap 21, 3). Cependant la nouvelle alliance
n’accomplit pas seulement la première ; elle la dépasse radicalement.
C’est pourquoi la notion de peuple de Dieu ne suffit pas, à elle seule, à
exprimer toute la spécificité du nouveau peuple de Dieu.
Pour dépasser l’unilatéralisme de
l’ecclésiologie post-tridentine, il importait sans doute de rétablir le
caractère historique et l’aspect de cheminement de l’Église terrestre, comme
peuple de Dieu pérégrinant dans les peines et les faiblesses. Mais on risquait
de tomber dans une vision unilatérale opposée : assimiler purement et
simplement le nouveau peuple de Dieu à celui de la première alliance. Or en
accomplissant les promesses, le Christ est devenu « grand prêtre des biens
à venir » (He 9, 11), dont la Loi ancienne ne procurait que l’ombre. En
effet, il n’est pas seulement le messie
attendu par Israël, mais la seconde personne de la Trinité. Par conséquent, le
peuple qui est son « corps » est élevé à un niveau transcendant,
au-delà de tout ce que les prophètes pouvaient espérer pour leur nation. On ne
saurait le limiter, selon les perspectives de la plupart des prophètes d’Israël[30],
à sa seule dimension terrestre[31].
Il n’appartient pas à ce monde (Jn 18, 36). Sa patrie, son droit de cité (politeuma) est dans les cieux (He 3, 11 ; Phil 3, 20). Au
terme du temps, la Jérusalem d’en-haut, notre mère (Gal 2, 6), « descendra
du ciel d’auprès de Dieu » (Ap 21, 1 sq.). Non seulement le peuple
définitif embrassera au ciel « toutes les tribus, peuples, nations et
langues » (Ap 5, 9 ; 7, 9 ; 11 , 9 ; 13, 7 ; 14,
6), mais dès à présent il n’est « ni grec ni juif » (Gal 3,
28) : c’est un tertium genus totalement
transcendant. Finalement, le péché sera totalement éliminé (Ap 21, 27), ainsi
que la douleur et la mort (Ap 21, 4), et toutes les « synagogues de
Satan » (Ap 2, 9, 3, 9). Seule subsistera la « demeure de Dieu avec
les hommes » (Ap 21, 3) dans un univers nouveau (21, 5).
Encore la dimension eschatologique
du nouveau peuple n’est-elle pas limitée exclusivement au temps de la
parousie : dès à présent, le peuple de Dieu ne se trouve pas seulement sur
la terre — c’est l’aspect suggéré en premier lieu par des expressions comme
« peuple de Dieu en marche » — mais encore au ciel, où ses membres ne
sont plus en chemin, « viateurs », mais « compréhenseurs »,
parvenus au terme. C’est là que se trouve, avec son âme et son corps glorifié,
son chef, le Christ, en compagnie de sa Mère. Les anges s’y tiennent aussi, depuis
leur passage de la grâce à la gloire, et ils s’y emploient à favoriser le salut
des hommes, comme des ministratorii
spiritus, des « esprits chargés d’un ministère, envoyés en service
pour ceux qui doivent hériter du salut » (He 1, 14). Enfin, les martyrs — représentatifs de tous les saints
—, qui y attendent avec impatience leurs « compagnons de service et leurs
frères » encore retenus sur cette terre (Ap 6, 9-11).
La triade prêtre-prophète-roi ne
figurait dans l’ancien Testament qu’à l’état initial, plutôt comme une attente
et une promesse d’avenir que comme une réalisation immédiatement tangible.
Qu’en est-il dans le nouveau ?
Les trois figures de l’Oint connues
de l’ancien peuple convergent miraculeusement, de manière totalement
inattendue, dans le Christ Jésus.
Jésus, fils et successeur de David, est dès son enfance
(Lc 1, 33 ; Mt 2, 2), et de son propre aveu (Jn 18, 37) comme de celui ses
disciples (Jn 1, 49) et de Pilate lui-même, roi, le « roi de
justice » du psaume (Ps 44, 7=He 1, 8-9), et non seulement « roi des
Juifs » (Jn 19, 19 sq.), comme le prétendait ce dernier. C’est même le
motif de sa condamnation par le sanhédrin. Dans nombre de paraboles, il
apparaît de manière transparente comme le « fils du roi », dont on
célèbre les noces, mais qui est mis à mort par les « vignerons
homicides » quand il vient, sur l’ordre de son père, tenter de ramasser
les fruits de la vigne paternelle.
Seulement, son royaume n’est « pas
de ce monde » (Jn 18, 36). Au cours de sa vie terrestre, il n’est
« pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon
pour la multitude » (Mc 10, 45). Lors
de sa passion, les assistants s’acharnent à railler cette royauté dérisoire (Mc
27, 42 ; Lc 23, 37) — même si le bon larron le prie de « se souvenir
de lui quand il viendra dans son royaume » (Lc 23, 42).
même après le
triomphe de la résurrection, il n’est pas question pour lui de restaurer une
royauté terrestre au profit d’Israël (Ac 1, 6). Si le Père « arrache [les
chrétiens] à l’empire des ténèbres pour les transférer dans le royaume de son
Fils » (Col 1, 13), c’est pour leur accorder par lui « la
rédemption » (ibid.), « la
fin de [leur] foi : le salut de [leurs] âmes » (1 P 1, 9).
« Roi des rois et Seigneur des Seigneurs » (Ap
17, 14 ; 19, 16, etc.), il luttera lors de la parousie comme Verbe de Dieu
au manteau taché de son sang (Ap 19, 13)— c’est là sa pourpre royale — contre
les forces du mal, anéantira l’Antichrist (2 Th 2, 9), et remettra finalement
son royaume à son Père, « afin que Dieu soit tout en tous » :
Ensuite
viendra la fin, quand il remettra le royaume à celui qui est Dieu et Père,
après avoir détruit toute domination, toute autorité et toute puissance. Car il
faut qu’il règne jusqu’à ce qu’il ait mis tous les ennemis sous ses pieds. Le
dernier ennemi qui sera détruit, c’est la mort. Dieu, en effet, a tout mis sous
ses pieds. Mais lorsqu’il dit que tout lui a été soumis, il est évident que
celui qui lui a soumis toutes choses est excepté. Et lorsque toutes choses lui
auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à celui qui lui a
soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous (1 Co 15, 24-28).
Qu’il soit prêtre, plusieurs détails des Évangiles
l’insinuent — par exemple, en saint Jean, la robe sans couture tirée au sort
par les bourreaux, et surtout l’affirmation selon laquelle il se
« sanctifie (= sacrifie) lui-même pour » nous sur la croix, ce qui
relève de l’office du prêtre. Cela, en offrant « non le sang des boucs et
des taureaux » (He 9, 12-13), mais « le sang précieux d’un agneau
sans tache et immaculé » (1 P 1, 19) : son « propre sang »
(He 9, 12). Le caractère évidemment sacrificiel de la Cène, présentée comme le
sacrifice de la nouvelle Alliance, le suppose. Toute l’épître aux Hébreux tend
à le confirmer, en nous montrant dans le Christ le « grand prêtre [pris]
d’entre les hommes » par excellence (cf. He 5, 1-5), le « prêtre
selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 109, 4=He 7, 1) supérieur aux prêtres
de l’ancienne Loi :
Ceux-là
sont devenus prêtres en grand nombre, parce que la mort les empêchait de
durer ; mais lui, du fait qu’il demeure pour l’éternité, il a un sacerdoce
immuable. D’où il suit qu’il est capable de sauver de façon définitive ceux qui
par lui s’avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en leur
faveur. Oui, tel est précisément le grand prêtre qu’il nous fallait, saint,
innocent, immaculé, séparé désormais des pécheurs, élevé plus haut que les
cieux, qui ne soit pas journellement dans la nécessité, comme les grands
prêtres, d’offrir des victimes d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour
ceux du peuple, car ceci il l’a fait une fois pour toutes en s’offrant
lui-même. La Loi, en effet, établit comme grands prêtres des hommes sujets à la
faiblesse ; mais la parole du serment — postérieur à la Loi — établit le
Fils rendu parfait pour l’éternité (He 7, 23-28).
Enfin, Jésus propose « comme ayant autorité et non
comme les scribes » (Mc 1, 22) un enseignement spéculatif — car« nul
ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui il plaît au Fils de le
révéler » (Mt 11, 27) — et pratique (Mt 3, 2 ; 10, 21 ; Mt 5,
28 ; 7, 13) d’une sagesse et d’une élévation uniques. Aussi est-il reconnu
par beaucoup — ainsi, la Samaritaine — comme un prophète. Mais, comme les prophètes de jadis, il voit son message
refusé (Mt 13, 13 sq.), rejeté par cette Jérusalem qui tue les prophètes (Mt
23, 37 sq.). Aussi le diacre Philippe (Ac 26, 40) et saint Pierre (1 P 1, 19
etc.) lui appliquent-ils la prophétie d’Isaïe sur le Serviteur souffrant.
Ainsi se concilient des aspects en apparence
inconciliable : sacerdoce (normalement réservé à la tribu d’Aaron) et
tribu royale de David ; souffrance, mort et gloire. Le Christ est tout
cela, parce qu’il est plus que tout cela,
il dépasse infiniment l’espérance d’Israël que cependant il comble : il
est non seulement l’Oint de Dieu, mais le Fils du Dieu vivant, « Seigneur
de gloire », Verbe sorti du Père, retourné au Père et demeurant toujours
dans le sein du Père, et, depuis son Incarnation, « unique Médiateur entre
Dieu et les hommes ».
On retrouve une doctrine
équivalente, sous une forme allusive, dans des passages évangéliques où elle
n’apparaît pas immédiatement.
Ainsi, dans la réponse du Seigneur
aux incompréhensions de Thomas et Philippe :
Thomas
lui dit : « Seigneur, nous ne savons où tu vas ; comment
pouvons-nous en savoir le chemin ? »
Jésus
lui dit : « Je suis le chemin, la vérité, et la vie. Nul ne vient au
Père que par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Et
dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu ».
Philippe
lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père, et cela nous
suffit ».
Jésus
lui dit : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne m’as
pas connu, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père ; comment
dis-tu : “Montre-nous le Père” ? Ne crois-tu pas que je suis dans le
Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que je vous dis, je ne les
dis pas de moi-même ; et le Père qui demeure en moi, c’est lui qui fait
les oeuvres. Croyez-moi, je suis dans le Père, et le Père est en moi » (Jean 14,5-11).
Jésus est, dans son humanité,
« chemin », « chemin
nouveau et vivant » (He 10, 19 sq.), qui par son sang ouvre à son peuple
l’accès du vrai sanctuaire, médiateur nécessaire et parfait entre Dieu et les
hommes, à bien plus forte raison que les oints de l’ancien Testament — car il
l’est non accidentellement mais ontologiquement, en vertu de son union
hypostatique, racine de sa grâce capitale.
il est
non seulement véridique à la manière des vrais prophètes, mais « vérité », comme parfaite Image (Col
1, 15) et Parole de Dieu — Sermo tuus
veritas est (Jn 17, 17, cf. 1 Jn 1, 8 et 10). Il l’est aussi comme Verbe
incarné révélateur du Père qu’il a « vu » et à la manifestation
duquel il conduit, ekeinoV exhghsato, ipse enarravit (Jn 1, 18),
parce qu’il vient d’auprès de lui et qu’après être retourné à lui (Jn 16, 28),
il est « [de retour] dans [son] sein, eiV ton
kolpon tou patroV » (ibid.) : « Non que personne
ait vu le Père, sinon celui qui vient d’auprès de Dieu : celui-là a vu le
Père » (Jn 6, 46).
Il est « vie », comme Verbe éternel possédant la vie de toute éternité
(Jn 1, 4), et « Verbe de vie » (1 Jn 1, 1), parole adressée aux
hommes pour les faire vivre, par son Incarnation rédemptrice.
Selon Matthieu 23, les titres de
« rabbi, père, chef » (ou : « directeur ») sont
réservés au Christ, ou, pour le second terme, au Père :
« Sur
la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens : faites
donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur
leurs actes : car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux
et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer
du doigt. En tout ils agissent pour se faire remarquer des hommes. C’est ainsi
qu’ils font bien larges leurs phylactères et bien longues leurs franges. Ils
aiment à occuper le premier divan dans les festins et les premiers sièges dans
les synagogues, à recevoir les salutations sur les places publiques et à
s’entendre appeler Rabbi par les gens. Pour vous, ne vous faites pas appeler
Rabbi (rabbi) : car vous n’avez qu’un Maître
(didaskaloV), et
tous vous êtes des frères. N’appelez personne votre Père sur la terre :
car vous n’en avez qu’un, le Père céleste. Ne vous faites pas non plus appeler
directeurs (ou chefs, kaqhghtai)[32] : car vous n’avez qu’un
Directeur, le Christ » (Mt 23,
2-10).
Le vrai, le seul maître, au sens le
plus fort, c’est le Christ. C’est lui qui enseigne son peuple, un peuple de
« frères » qui, face à la vérité divine, ont par eux-mêmes,
antérieurement à la Révélation, tous également besoin de sa doctrine et de sa
direction.
Le Seigneur ne se désigne pas
lui-même comme père, de crainte d’empiéter sur les prérogatives de son propre
Père. Mais il s’agissait d’un titre honorifique accordé aux docteurs, aux maîtres, en même temps qu’au
Messie, « père
du siècle à venir »
(Is 9, 6), et une tradition assez largement représentée le lui a également
appliqué.
Toutes ces prérogatives de l’unique
Médiateur, déjà accordées dans quelque mesure au premier peuple élu, et qui
agissaient par contact en plénitude au cours de sa vie terrestre, ont-elles
disparu de ce monde avec l’Ascension, et le peuple nouveau ne peut-il donc en
bénéficier ? La conclusion de l’évangile de saint Matthieu vient répondre
à cette question.
Le premier évangile s’achève en
Galilée, sur la montagne où le Seigneur avait donné rendez-vous à ses
disciples. Ses dernières paroles offrent une importance capitale pour l’avenir
de l’Église :
Jésus,
s’étant approché, leur parla ainsi : « Tout pouvoir m’a été donné
dans le ciel et sur la terre. Allez, de toutes les nations faites des
disciples, docete omnes gentes, maqhteusate
panta ta eqnh,
les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur, didaskonteV, à observer tout ce que je
vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du
monde (Mt 28, 18-20).
De son pouvoir sans limites, le
Sauveur tient la possibilité de faire participer ses disciples à ses
privilèges. Comme le Christ était un maître qui réunissait et formait des
disciples, les apôtres sont appelés à réunir et à former des disciples — non
pour eux-mêmes, mais pour leur unique Maître —, à une échelle bien
supérieure : celle du monde entier. Ils doivent transmettre à tous
l’enseignement dogmatique et pratique de Jésus, et leur donner par le baptême
une participation à la vie trinitaire que le Sauveur était venu leur apporter.
Pour accomplir cette œuvre dépassant évidemment les forces humaines, ils
peuvent compter sur la présence secourable et permanente de Jésus sans aucune
limite de temps, alors même qu’il va les quitter visiblement. Ainsi l’évangile
sera prêché, la vie divine communiquée, non seulement de loin, par un Christ
qui échappe pour toujours à nos prises, mais par contact direct avec des
membres du peuple de Dieu, ses vicaires, qui eux-mêmes bénéficient toujours de
la présence active de leur unique Seigneur.
Si le Seigneur recourt ainsi à ses
vicaires pour poursuivre sa mission de roi, prêtre et prophète, c’est pour le
bien de son peuple tout entier. Comme le concile Vatican II l’a relevé avec
vigueur, sans avoir toujours été bien compris, c’est toute l’Église qui, pour
le Nouveau Testament, participe du caractère sacerdotal, royal et prophétique
du Christ, sans détriment de la spécificité des « vicaires » de
celui-ci.
saint
Pierre et saint Jean contemplent dans le peuple nouveau la réalisation parfaite
de l’éblouissante formule de l’Exode (19, 6) : « un royaume de
prêtres et une nation sainte ». Mais ce royaume n’est plus réservé à une
nation particulière : il est ouvert à tous les peuples. Pour le Nouveau
Testament, tous les baptisés, à quelque race qu’ils appartiennent, sont des
consacrés. Le Christ a
racheté
pour Dieu par (son) sang des hommes de toute tribu, de toute langue, de tout
peuple, et de toute nation ; (il a) fait d’eux un royaume et des prêtres
pour notre Dieu, et ils régneront sur la terre (Ap 5, 10).
Dès lors, Pierre voit dans les
chrétiens issus de la gentilité eux-mêmes « un sacerdoce saint » (1 P
2, 5) :
Vous
êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple [que Dieu
s’est] acquis, afin d’annoncer les vertus de celui qui vous a appelés des
ténèbres à son admirable lumière, vous qui autrefois n’étiez pas un peuple, et
qui maintenant êtes le peuple de Dieu, vous qui n’aviez pas obtenu miséricorde,
et qui maintenant avez obtenu miséricorde
(1 P 2, 9-10).
En quoi consiste donc ce
sacerdoce ? Selon saint Pierre, à « offrir des victimes spirituelles,
agréables à Dieu par Jésus-Christ » (1P 2, 5), et à « annoncer les
vertus de celui qui [nous] a appelés des ténèbres à son admirable
lumière » (v. 10). Et saint Paul
d’exhorter les Romains :
Je vous
exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos corps en hostie
vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel
(littéralement « raisonnable », thn logikhn
latreian umwn)
que vous avez à rendre. Et ne vous modelez pas sur le monde présent, mais que
le renouvellement de votre jugement vous transforme et vous fasse discerner
quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est
parfait (Ro 12, 1-2).
C’est ainsi toute la vie du
chrétien, jusqu’aux activités en apparence les plus profanes, comme de manger
et de boire, qui devient un culte « en esprit et en vérité »,
pleinement sacerdotal en tant que c’est au prêtre qu’il appartient
d’« offrir des dons et des sacrifices » (He 5, 1) :
Tout ce
que vous dites, tout ce que vous faites, que ce soit au nom de notre Seigneur
Jésus Christ, rendant grâces à Dieu par lui (Col 3, 17).
Ce culte s’exprime sensiblement par
l’offrande à Dieu d’un « sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit de
lèvres qui confessent son nom » (He 13, 15),
par des
psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant à Dieu dans vos
cœurs sous l’inspiration de la grâce. Et quoi que vous fassiez, en parole ou en
œuvre, faites tout au nom du Seigneur Jésus, en rendant par lui des actions de
grâces à Dieu le Père (Col 3, 16-17).
Il prouve son
authenticité par la charité fraternelle : « N’oubliez pas la
bien-faisance et la libéralité, car c’est à de tels sacrifices que Dieu prend
plaisir » (He 13, 15).
Tel est le fruit de la
« première résurrection », le baptême : ceux qui exercent ce
sacerdoce échappent à la « seconde mort », la mort éternelle :
Heureux
et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! La seconde mort
n’a point de pouvoir sur eux ; mais ils seront prêtres de Dieu et du
Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans (Ap 20, 6).
à côté
des apôtres, grands prêtres de la nouvelle Alliance, et des didascales, il
existait dans la communauté primitive — et il a toujours existé dans l’Église —
des charismes apparentés à la prophétie : don de prononcer des paroles de
sagesse et des paroles de science, prophétie proprement dite — dont la présence
est amplement attestée dans les Actes des
apôtres (11, 27-28, etc.) —, discernement des esprits, interprétation des
paroles ou de la glossolalie (1 Co 12, 8. 10). Mais c’est tout le nouveau
peuple qui participe, non seulement à la fonction sacerdotale, mais à la
fonction prophétique du Christ, en tant qu’il « connaît la vérité »
(1 Jn 2, 20), et qu’il doit la répandre autour de lui. à quel titre ?
C’est que les fidèles ont reçu des
apôtres « non une parole humaine, mais véritablement la parole de
Dieu » (cf. 1 Th 2, 13). Davantage :
à la suite du Christ, le Messie, l’Oint par excellence, ils ont reçu, par le
baptême et la chrismation, « l’onction du Saint » (1 Jn 2, 20), la
consécration de l’Esprit Saint, qui demeure en eux, avec le Père et le Fils,
comme une lumière, et leur fait discerner de l’intérieur, par un certain sens
surnaturel de la foi, « tout » (ibid.)
ce qui s’harmonise avec l’essentiel de la Révélation : la venue dans la
chair du Verbe de Dieu.
Dès lors, ce peuple doit non
seulement offrir à Dieu pour lui-même un culte « raisonnable », mais,
comme les prophètes de l’ancienne alliance, témoigner de la vérité devant les
hommes, et d’abord devant les frères :
Que la
parole du Christ habite parmi vous abondamment ; instruisez-vous et
exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse (Col 3, 16).
Si Mt 28, 18-20, que nous avons
analysé plus haut, s’adresse d’abord aux apôtres, les autres chrétiens n’en
sont certainement pas exclus : si tous ne peuvent partir en mission aux
extrémités de la terre, c’est à tous que le Christ enjoint de ne pas avoir
« honte de lui devant les hommes » (Lc 9, 25), à tous que Pierre
écrit :
Heureux
d’ailleurs quand vous souffririez pour la justice ! N’ayez d’eux aucune
crainte et ne soyez pas troublés. Au contraire, sanctifiez dans vos cœurs le
Seigneur Christ, toujours prêts à la défense, apologian, contre quiconque vous
demande raison de l’espérance qui est en vous. Mais que ce soit avec douceur et
respect, en possession d’une bonne conscience, afin que, sur le point même où
l’on vous calomnie, soient confondus ceux qui décrient votre bonne conduite
dans le Christ (1P 3, 14-16).
Quant aux charismes particuliers,
il n’est pas question de les brimer systématiquement, ce qui équivaudrait à
« éteindre l’Esprit » (1 Th 5, 19), mais de les situer à leur vraie
place : l’Esprit Saint, « répartissant ses dons à son gré en
chacun » (1 Co 12, 11), le fait « toujours pour le bien
commun » (1 Co 12, 7). Il importe dès lors, non certes de
« mépriser les prophéties », charisme d’une utilité supérieure (cf. 1
Co 14, 1-5), mais de « tout éprouver pour retenir ce qui est bon » (1
Th 5, 20-21) — étant entendu que la charité constitue le don le plus
excellent (cf. 1 Co 13, 1), et l’un de ceux dont l’efficacité apostolique est
la plus remarquable : « à
ceci tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de
l’amour les uns pour les autres » (Jn
13, 35).
Tous les auteurs du nouveau Testament
exhortent leurs correspondants à « tenir ce qu’[ils ont] » (Ap 2,
25 ; 3, 11, etc.), à « garder » jalousement « le
dépôt » (1 Tim 6, 20) de « la foi transmise aux saints une fois pour
toutes » (Jude 1, 3) :
Quand
nous-mêmes, quand un ange du ciel annoncerait un autre Évangile que celui que
nous vous avons prêché, qu’il soit anathème ! Nous l’avons dit
précédemment, et je le répète à cette heure : si quelqu’un vous annonce un
autre Évangile que celui que vous avez reçu, qu’il soit anathème ! (Gal 1, 8-9)
En même temps, on assiste dès les
origines à une explicitation progressive du dépôt révélé : le Seigneur
lui-même fait découvrir petit à petit à ses disciples sa véritable identité et
sa mission, et leur promet que « le consolateur, l’Esprit Saint, que le
Père enverra en (son) nom, (leur) enseignera toutes choses, et (leur)
rappellera tout ce (qu’il leur a) dit » (Jn 14, 26) :
J’ai
encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter
maintenant. Quand le consolateur sera venu, l’Esprit de vérité, il vous
conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il
dira tout ce qu’il aura entendu, et il vous annoncera les choses à venir. Il me
glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera. Tout
ce que le Père a est à moi ; c’est pourquoi j’ai dit qu’il prend de ce qui
est à moi, et qu’il vous l’annoncera (Jn
16, 12-13) .
De fait, dès la Pentecôte, on
assiste chez Pierre et les autres apôtres à une transformation spectaculaire.
Immédiatement, selon les Actes des
Apôtres (2, 14 sq., etc.), Pierre présente l’essentiel de la foi chrétienne
avec une fermeté et une intelligence spirituelle des Écritures qui suscite la
stupéfaction. Un peu plus tard, c’est le tour de Paul, de Jean et des autres
apôtres et hagiographes d’apporter des compléments des plus substantiels au
kérygme primitif, en sorte que la Révélation ne s’achève qu’à la mort du
dernier d’entre eux.
Par ailleurs, il est inutile
d’insister sur la parrhsia avec laquelle
les disciples, en dignes successeurs des grands prophètes, refusent de taire la
vérité du Christ et la portent finalement aux extrémités du monde connu.
« Le Peuple de Dieu participe
enfin à la fonction royale du Christ »[33].
Le Seigneur avait promis aux apôtres : « Je dispose pour vous du
royaume, et vous siégerez sur des trônes pour juger les douze tribus
d’Israël » (Lc 22, 29 sq.). Et c’est à toute l’Église de Corinthe que
saint Paul rappelle que « les saints jugeront le monde » (1 Co 6, 2),
prérogative liée au pouvoir politique dans la cité antique.
Comme « le Christ ne gouverne
l’univers que pour les prédestinés à cette béatifiante vision de la Trinité, de
même la mission royale du peuple de Dieu consiste à se diriger lui-même, et à
aider tous les hommes à se diriger vers la béatitude éternelle pour y être
« consommés dans l’unité de la Trinité »[34].
Et de même que pendant sa vie terrestre, « le Christ, Roi et Seigneur de
l’univers, a exercé sa royauté en attirant à soi tous les hommes par sa mort et
sa Résurrection » (cf. Jn 12, 32)[35],
de même « le peuple de Dieu réalise sa “dignité royale” en vivant
conformément à cette vocation de servir avec le Christ »[36] :
nul ne siégera à sa droite ni à sa gauche s’il ne boit au calice de sa passion
(Mt 20, 22-23).
En fait, une partie considérable de
ce peuple — notamment les martyrs, mentionnés explicitement par l’Apocalypse —
se trouve déjà avec le Christ dans son royaume, et a hâte de voir la
consommation finale :
Je vis
sous l’autel les âmes de ceux qui avaient été immolés à cause de la parole de
Dieu et à cause du témoignage qu’ils avaient rendu. Ils crièrent d’une voix
forte, en disant : « Jusques à quand, Maître saint et véritable,
tardes-tu à juger, et à tirer vengeance de notre sang sur les habitants de la
terre ? » Une robe blanche fut donnée à chacun d’eux ; et il
leur fut dit de se tenir en repos quelque temps encore, jusqu’à ce que fût
complet le nombre de leurs compagnons de service et de leurs frères qui devaient
être mis à mort comme eux (Ap 6, 9-11).
Pour l’instant, notre royauté,
comme notre « vie, est cachée avec le Christ en Dieu ». Un jour — le
dernier —, « le Christ, (notre) vie, apparaîtra, et (nous apparaîtrons
nous) aussi « avec lui dans la gloire » (Col 3, 4). Tout membre du
peuple royal « qui vaincra », le Christ le fera « asseoir avec
(lui) sur (son) trône, comme (lui, il a) vaincu et (s’est)assis avec (son) Père
sur son trône » (Ap 3, 21).
dans un
article de L’homme nouveau, l’abbé
Carmignac a pu douter que la notion de peuple de Dieu ait joué un rôle
considérable dans l’Écriture. Sans doute conviendrait-il de nuancer cette
position, mais elle contient une part de vérité.
Dans l’ancien Testament, à partir
de l’alliance du Seigneur avec Abraham, le peuple de Dieu se confond avec le
peuple hébreu, l’ensemble des enfants d’Israël et de ceux qui s’y étaient
intégrés au cours des âges par le signe de la circoncision. La foi et la loi,
d’un caractère unique et très supérieur à celles des peuples voisins, y sont
inséparablement liées à des structures sociales, politiques, culturelles très
particulières, sans doute, mais comparables sur certains points à celles des
autres peuples. On peut prédiquer le mot « peuple » quasi univoquement
d’Israël et des autres nations — en donner une définition unique, quoique un
peu large et ne tenant pas compte d’un facteur foncièrement original qui fait
que ce peuple est déjà en réalité autre chose qu’un peuple de ce monde :
son alliance avec le Dieu vivant, qui à la fois le ferme sur lui-même en le
séparant de tous les autres peuples, et l’ouvre en espérance à l’universalité.
à cette
époque, c’est autour de la notion de « peuple de Dieu » que
s’organisent tous les aspects de la vie de la communauté que Dieu s’est choisie
comme partenaire dans son dessein d’amour, en préparation d’une alliance avec
toute l’humanité. Il est donc difficile de contester son importance. Mais il
est vrai qu’elle ne connote aucune des harmoniques affectives qu’on a vues
depuis lors dans le mot « peuple », mais essentiellement la relation
privilégiée d’un groupe humain particulier à Dieu.
Dans le nouveau Testament,
l’expression est plus rare. Elle exprime la continuité qui unit l’Église
pèlerine à Israël, le peuple en marche vers la terre promise : comme
Israël, l’Église est la communauté des hommes choisis par Dieu pour conclure
avec lui une alliance nouvelle. Mais cette alliance est éternelle, et elle est
conclue dans le sang du Verbe incarné, crucifié et ressuscité. De la notion de
peuple, on ne garde plus que l’idée d’une communauté humaine structurée,
regroupant individus et groupes humains en vue d’un destin commun. Mais cette
communauté est constituée d’hommes issus de toutes les nations, et une grande
partie d’entre eux n’est plus « en marche », mais déjà parvenue à la
vie bienheureuse. La compréhension du mot « peuple » a donc perdu la
notion de communauté nationale, politique, et, dans une certaine mesure,
culturelle. Il est pris dans un sens propre, mais analogique, et relativement large :
on ne peut établir un parallèle entre les peuples-nations et le nouveau peuple
de Dieu sans trahir profondément le sens de ce dernier. Les auteurs l’emploient
souvent pour souligner la consistance et la dignité de la nouvelle communauté,
héritière de toutes les prérogatives d’Israël, transposées du plan de la
promesse à celui de la réalisation, du domaine matériel au domaine spirituel,
de la dimension nationale à la dimension universelle, de la perspective du
temps à celle de l’éternité. L’expression « peuple de Dieu » nous
instruit surtout par la triade prêtre-prophète-roi à laquelle elle est liée.
Mais on ne peut dire qu’elle joue le rôle central que d’aucuns ont voulu lui
attribuer.
Alors que les thèmes de l’Église
comme, corps et épouse du Christ, temple du Saint-Esprit, mère des fidèles,
n’ont jamais cessé d’informer la pensée chrétienne, des premiers siècles à nos
jours, le thème du peuple de Dieu, bien présent chez les premiers Pères, se
raréfie considérablement après l’efflorescence des Pères des ive et ve siècles, jusqu’au xxe siècle — même si des
notions connexes, notamment les qualités de prêtre, prophète, roi, subsistent
sous une forme ou sous une autre au moins jusqu’à la réforme.
Par ailleurs, il s’agit d’une
tradition complexe, à la fois biblique et dogmatique, où les points de vue
divers peuvent entraîner des affirmations bien différentes. Il nous faudra
tenir compte de cette complexité, dans la mesure du possible en un domaine
d’autant jusqu’à présent assez mal connu.
Nous nous limiterons à une brève
enquête sur les premiers Pères et les trois Pères latins de l’âge d’or :
Ambroise, Jérôme et Augustin.
Il est très significatif que le mot
laoV
apparaisse un grand nombre de fois chez l’un des tout premiers auteurs
chrétiens, Clément de Rome. En quel sens ?
Chez
Clément, le mot laoV désigne presque toujours directement l’ancien
peuple, que l’on se trouve ou non dans une citation de l’Ancien Testament, mais
toujours une application au nouveau peuple est suggérée ou sous-entendue[37].
Il ne désigne l’Église directement qu’une seule fois, dans sa grande prière
finale[38],
mais le troisième pape présente souvent l’Église comme le nouvel Israël, et lui
donne les appellations caractéristiques de l’ancien peuple : « peuple
particulier », « part d’élection »[39],
« portion sainte »[40].
On notera chez lui le premier
emploi connu du mot « laïc » au sens de : « non
prêtre », membre du peuple par opposition au clergé : « Celui
qui est laïc, est lié par les préceptes propres aux laïcs » [41],
dans le contexte d’un développement sur la belle ordonnance lévitique :
dans l’Église, chacun doit exercer sa fonction propre et s’y tenir.
Même
lorsqu’il n’emploie pas l’expression « peuple de Dieu », l’idée de la
succession des deux peuples est partout présente chez Justin. Le vrai peuple de
Dieu, l’Israël selon l’esprit, la descendance d’Abraham, Isaac et Jacob[42],
c’est l’Église, annoncée par mille passages de l’Écriture. Ainsi, déjà, dans la
Ie Apologie, où Justin applique à l’expansion chrétienne Isaïe 2, 3-4[43].
Tel est surtout l’objet des chapitres 109-142 du Dialogue avec Tryphon. La prophétie de Michée (4, 1-7) annonçait
déjà la vocation des gentils[44] ;
elle est d’ores et déjà partiellement réalisée, malgré les persécutions,
« et le reste de la prophétie se réalisera au second avènement » du
Sauveur[45].
L’Église, préfigurée par Rahab la prostituée sauvée par le cordeau d’écarlate[46],
est « le peuple d’une seconde circoncision », annoncée par Josué et
accomplie par Jésus-Christ[47] :
la circoncision du cœur[48].
Les chrétiens, qui confessent leur foi jusqu’au martyre, sont les vrais
héritiers d’Abraham. Jacob préfigure le Christ, Lia, l’ancien peuple, Rachel,
le peuple nouveau :
Il sert
Laban pour ses filles, et, trompé sur la plus jeune, il sert de nouveau sept
années. Mais Lia, c’est votre peuple et la Synagogue ; Rachel, c’est notre
Église[49]…
Origène
définit parfois l’Église comme « peuple des croyants »[50],
par référence au premier peuple de Dieu. Le premier, il emploie l’expression
connexe, typiquement gréco-latine, de « cité de Dieu » sur la terre[51].
Cette cité coexiste provisoirement avec l’État, et ses lois « sont en
harmonie avec le gouvernement établi dans chaque pays »[52].
Mais elle finira par prévaloir sur l’État séculier.
Les emplois du mot
« peuple », significatifs de sa pensée, sont plus complexes chez
saint Ambroise. Comme pour toute la Tradition, il existe pour lui deux peuples :
l’ancien et le nouveau, et le nouveau — le plus jeune — a le pas sur
l’ancien :
Il y a un mystère du fait
[que Marie] est confiée à Jean, le plus jeune de tous... Il s’agit ici du
mystère de l’Église. Auparavant unie au peuple ancien, en apparence, non effectivement,
après avoir enfanté le Verbe et l’avoir semé dans les corps et dans les âmes
des hommes, par la foi à la croix et à la sépulture du corps du Seigneur, elle
a, sur l’ordre de Dieu, choisi la société du peuple le plus jeune[53].
L’Église peut se considérer, soit
dans chaque âme, soit dans la totalité des « peuples » qu’elle
embrasse, soit dans ses ministres, surtout dans le domaine des sacrements. En
un sens, elle se confond avec le peuple de Dieu, mais la hiérarchie qui enfante
ses enfants par le baptême et les nourrit par le lait de la parole de Dieu et
de l’eucharistie ne se confond pas avec « le peuple » — l’ensemble
des laïcs—, ni, à plus forte raison, avec « les peuples » (au sens
profane) d’où sont issus les membres de l’Église :
Vierge, elle nous nourrit non
d’un lait matériel, mais de celui avec lequel l’Apôtre nourrit l’enfance d’un
peuple encore en croissance (cf. 2 Co 3, 2). Quelle épouse a plus d’enfants que
la sainte Église, vierge en ses mystères, mère dans les peuples qui sont à elle ?
Sa fécondité, l’Écriture même en témoigne : « Car les enfants de la
délaissée, est-il dit, sont plus nombreux que ceux de celle qui a un
mari » (Is 54, 1 ; Gal 4, 27). Notre mère n’a pas de mari, mais elle
a un Époux, car l’Église, soit qu’on la considère dans tous les peuples, soit
dans chaque âme individuelle, contracte un mariage spirituel avec le Verbe de
Dieu comme avec son Époux, sans la moindre atteinte à sa pureté, exempte de
tout contact, spirituellement féconde[54].
Parfois, Ambroise emploie l’expression
au sens originel global : le nouveau peuple, c’est l’Église, sans distinction entre prêtres et laïcs :
Ce peuple rassemblé à partir
d’étrangers et qui, avant d’être plongé dans le fleuve mystique, était lépreux
et souillé, est lavé par le baptême des taches du corps et de l’esprit. Alors
il n’est plus une lèpre, il a commencé d’être une vierge immaculée et sans
rides[55].
Mais bien souvent, le pasteur
d’âmes qu’est l’évêque de Milan contredistingue déjà le clergé et le peuple
qu’il est chargé de « pêcher », puis d’instruire et de protéger de
l’hérésie, notamment par la liturgie :
Qui pourrait, sans Dieu,
pêcher ce peuple, alors surtout que tant de tempêtes et d’orages de ce monde
s’y opposent ? Mais quand il le veut, le Seigneur a ordonné de jeter les filets,
et une multitude de poissons sont pris. On remplit non seulement une barque,
mais une seconde, car le peuple sans tache remplit plusieurs églises[56].
C’est alors qu’on institua
que les hymnes et les psaumes seraient chantés à la manière des Orientaux [alternés
à deux chœurs], de crainte que le peuple se laisse abattre par l’ennui et la
tristesse[57].
Chez saint Jérôme, l’idée du
passage du premier au second peuple est constante :
Dieu a réservé la première
bénédiction aux Juifs à qui a été confiée la parole de Dieu, annoncée la
promesse, donnée la loi, pour qui a été établie l’Alliance. Mais parce qu’ils
ont refusé de croire, c’est à Jacob, le peuple
cadet, que la bénédiction a été transférée[58].
Les deux voleurs figurent les
deux peuples : le Juif et le Gentil. Tous deux ont d’abord blasphémé le
Seigneur, mais ensuite l’un des deux, étonné par la grandeur de ses miracles, a
fait pénitence et continue encore aujourd’hui de réprimander les Juifs
blasphémateurs[59].
à la première heure sont appelés Adam, Abel,
Seth ; à la troisième, Noé ; à la sixième, Abraham ; à la
neuvième, Moïse ; à la onzième, le peuple des Gentils, à qui il est
dit : « Pourquoi restez-vous ici toute la journée dans
l’oisiveté ? » à cela
le peuple répond : « Parce que personne ne nous a engagés ». Que
cette dernière heure soit l’avènement de notre Sauveur, l’Apôtre Jean en
témoigne par ces paroles : « Frères, cette heure est la dernière. En
effet… l’Antéchrist est venu… C’est pourquoi nous savons que cette heure est la
dernière »[60].
« Un homme avait deux
fils ». Par « homme », il faut entendre :
« Dieu »… Quant à l’expression : « deux fils »,
presque toutes les Écritures sont pleines du mystère de la vocation des deux
peuples[61]…
Le veau gras a été immolé
pour le peuple des Gentils et un sang précieux a été répandu, sur lequel Paul,
dans l’épître aux Hébreux, disserte avec une grande plénitude… Le Christ a
décidé que ce peuple grandirait ; il est mort pour que ce peuple
vive ; il est descendu aux enfers pour que ce peuple monte au ciel. Pour
Israël, nul labeur comparable. C’est pourquoi il est jaloux de son jeune frère,
en voyant qu’après avoir dissipé sa fortune avec des filles et des pourvoyeurs,
il reçoit l’anneau, et la robe recouvre sa dignité d’autrefois[62].
Le
nouveau peuple est ouvert à toutes les nations païennes :
à la prédication du mystère du salut, les nations
accourent, et, malgré leur nombre et leur diversité, il n’y a plus qu’un
peuple, une voix à l’unisson[63].
Cependant,
les membres de l’ancien ne sont pas exclus, loin de là : des Juifs et des
gentils, « un seul peuple de fidèles s’est formé »[64] :
Le premier peuple d’Israël
n’est pas absolument rejeté, puisque la primitive Église s’est formée des Juifs
et des Apôtres[65].
Justice et paix se sont
embrassées, Miséricorde et Vérité ont fait amitié, le peuple des Gentils et
celui des Juifs sont sous un même pasteur, le Christ[66].
Bien
plus, tous les hommes, y compris les Juifs, sont appelés à y entrer un
jour :
Le peuple chrétien sera comme
une couronne de gloire dans la main du Seigneur et comme un diadème royal dans
la main de son Dieu, lorsque l’universalité des fidèles sera la couronne de
l’Église[67].
Vous tous qui croyez en
Jésus-Christ… dites aux branches brisées et à l’ancien peuple rejeté :
« mon peuple », parce qu’il est votre frère, et « objet de
miséricorde », parce qu’il est votre sœur. En effet, lorsque sera rentrée
la plénitude des Gentils, alors tout Israël sera sauvé[68].
Ce
peuple nouveau est conduit par la « loi spirituelle » et le
« sacerdoce spirituel » :
« Tu as conduit ton
peuple comme un troupeau de brebis, par la main de Moïse et d’Aaron »…
C’est ce qu’il a fait, c’est ce qu’il fait quotidiennement au milieu de nous,
par la main de Moïse, la Loi… et d’Aaron, le sacerdoce… C’est donc par ta loi
spirituelle et par ton sacerdoce spirituel que tu nous as conduits, nous ton
peuple[69].
Ce
« sacerdoce spirituel » ne s’oppose assurément pas pour Jérôme au
sacerdoce ministériel, qui édifie l’Église, et pour lequel il nourrit, au moins
en théorie, le plus grand respect :
Car l’Église… étant
construite de pierres vivantes, ceux que nous venons d’énumérer [les différents
degrés de la hiérarchie]… ont pour fonction, selon la grâce qui leur a été
donnée et les ministères qui leur ont été confiés, d’édifier l’Église de
Jésus-Christ, car c’est de ce peuple soumis que l’Église est construite[70].
Même si l’ecclésiologie de saint
Augustin est d’abord une ecclésiologie du corps mystique, et du Christ total,
on trouve dans son œuvre un grand nombre d’éléments éclairants pour notre
propos. Et d’abord, une définition du peuple.
Le rhéteur africain reprend à
plusieurs reprises la définition du peuple que Cicéron met dans la bouche de Scipion [71].
Définition de type logique, avec un genre (société) et une double quasi différence
spécifique (droits reconnus et intérêts communs) :
Le
peuple n’est point un assemblage d’individus mais une société[72]
fondée sur des droits reconnus et sur
la communauté des intérêts[73].
Ailleurs, il en propose une autre,
dont la différence spécifique est prise dans l’ordre de la fin de la
réunion : jouir de ce qu’on aime. Cette seconde définition, aux critères
moins juridiques, ouvre la voie à une connaissance de chaque peuple
individuellement ; elle n’élimine pas la première, qui permet aussi de
juger de la valeur d’un peuple d’après celle des « intérêts » qui
l’unissent :
Le
peuple est une réunion d’êtres raisonnables, qui s’unissent afin de jouir
paisiblement ensemble de ce qu’ils aiment. Pour savoir ce qu’est chaque peuple,
il faudra examiner ce qu’il aime. Toutefois, quelque chose qu’il aime, du
moment qu’il y a une réunion, non de bêtes, mais de créatures raisonnables
unies par la communauté des mêmes intérêts, on peut fort bien la nommer un
peuple, lequel sera d’autant meilleur que les intérêts qui le lient sont plus
nobles, et d’autant plus mauvais qu’ils le seront moins. Suivant cette
définition, le peuple romain est un peuple, et son gouvernement est sans aucun
doute une république [de même les Athéniens, les Égyptiens, les Assyriens][74].
Le peuple diffère de la foule,
autre espèce de multitude, par l’unité, ce qui le rapproche de la
Trinité :
Prends l’unité, c’est un
peuple. ôte l’unité, c’est une
foule. En effet, qu’est-ce que la foule, turba,
sinon une multitude en désordre (turbata,
troublée) ? Écoutez l’Apôtre : « Je vous prie, mes frères »
— il parlait à la multitude, mais il voulait en faire l’unité — « je vous
en prie, ayez en vous les mêmes sentiments, n’ayez pas de division entre
vous ; soyez parfaits dans le même esprit et la même pensée » (Ph 2,
2). Car l’unité, unum, est
nécessaire, cette unité suprême où le Père, le Fils et l’Esprit sont un[75].
Comme il y a deux cités, il y a
deux peuples ou groupes de peuples bien différents : le peuple de Dieu et
les peuples de la terre. Ces derniers sont privés de la vie bienheureuse, mais
peuvent jouir d’une certaine paix à laquelle les chrétiens doivent concourir,
car ils y ont tout intérêt :
De même que l’âme est la vie
du corps, Dieu est la vie bienheureuse de l’homme. De là vient cette parole des
saintes lettres aux hébreux :
« Heureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu ! » (Ps 143,
15). Malheureux donc le peuple qui ne connaît pas ce Dieu ! Il ne laisse
pas pourtant de jouir d’une certaine paix, qui n’a rien de blâmable en
elle-même ; mais il n’en jouira pas à la fin, parce qu’il n’en use pas
bien avant la fin. Or nous chrétiens, c’est notre intérêt qu’il jouisse de la
paix pendant cette vie ; car, tant que les deux cités sont mêlées ensemble,
nous profitons aussi de la paix de Babylone, tout en étant affranchis de son
joug par la foi, et ne faisant qu’y passer comme des voyageurs. C’est pour cela
que l’Apôtre avertit l’Église de prier pour les rois et les puissants du
siècle, afin, dit-il, « que nous menions une vie tranquille en toute piété
et chasteté » (1 Tim 2, 2)[76]
.
Ailleurs, Augustin distingue deux
peuples : celui des fidèles et celui des infidèles, celui des prédestinés
et celui des réprouvés, qui sont actuellement mêlés et ne seront séparés qu’au
dernier jour :
Il y a
un peuple né pour subir la colère de Dieu, et connu à l’avance. Car ceux qui
doivent croire, comme ceux qui ne doivent pas croire, Dieu les connaît tous.
Ceux qui persévéreront dans la foi, et ceux à qui il arrivera d’en déchoir,
Dieu les connaît encore… Dans l’Esprit de Dieu, Jean voyait les deux peuples
divisés, tandis que dans la réalité ils sont actuellement mêlés ensemble, et ce
qui n’est pas encore séparé par les distances, il le sépare en son esprit. Il
les séparait en pensée, il les voyait formant deux peuples, le peuple des
fidèles et le peuple des infidèles[77].
On
peut cependant discerner le peuple fidèle, en particulier, par l’amour de
l’unité. Ainsi, dans le jugement de Salomon, la vraie mère est celle qui
préfère renoncer à un faux honneur plutôt que de « diviser ses membres
fidèles par la gloire du schisme »[78].
Le
peuple de Dieu lui-même, on le verra, est unique, mais il a connu deux états :
celui du peuple ancien et celui du nouveau peuple, le premier préfigurant le
second. Dans celui-ci, à la différence du premier peuple, les païens sont
accueillis dans l’unité :
« Pierre vit le ciel
ouvert, et un objet semblable à une grande nappe, nouée aux quatre coins, en
descendre à terre »… Cette nappe signifie l’Église. Les quatre coins par
lesquels elle est suspendue signifient les quatre parties du monde, sur
lesquelles s’étend l’Église catholique, qui est répandue partout [à la
différence du donatisme !]. Celui qui veut s’en aller à part, et se couper
de l’ensemble, ne se rattache pas au mystère des quatre coins…
Les animaux sont les nations…
Pierre reçoit désormais les nations purifiées, dont les péchés sont pardonnés…
Déjà Dieu les avait purifiés, puisqu’il avait accepté leurs aumônes… Et ils
passeraient dans le corps [du Christ], comme dans la nouvelle vie de la
communion de l’Église[80].
Cette
distinction correspond à celle des âges de la vie de chacun de nous :
Pourquoi les enfants d’Israël
offraient-ils des animaux en sacrifice ? parce qu’il y a aussi des
sacrifices spirituels, dont ce peuple charnel devait présenter les images, afin
que le peuple esclave figurât le peuple nouveau. Cette différence des deux
peuples se remarque dans chacun de nous, en ce que chacun est forcé d’agir
selon le vieil homme, dès le sein de sa mère jusqu’à l’adolescence, époque où
l’on n’est plus assujetti aux inclinations de la chair, mais où la volonté peut
se porter aux choses spirituelles et être intérieurement régénérée. Or ce que
la nature et la discipline opèrent dans l’homme bien élevé, il était très
convenable que la divine Providence le reproduisît proportionnellement dans
tout le genre humain[81].
La
ruine d’Israël doit mettre les chrétiens en garde contre l’orgueil :
Vois où sont étendus ceux qui
étaient orgueilleux ; vois où tu as été enté, toi qui gisais à terre. Et
toi, prends garde à l’orgueil, de peur de mériter d’être coupé[82].
Avec
toute la Tradition, saint Augustin voit dans l’Écriture une luxuriante typologie
des deux peuples, l’ancien et le nouveau :
Ces deux fils [Jacob et Ésaü]
représentent les deux peuples ; et l’unité de bénédiction désigne l’unité
de l’Église. Or ces deux peuples sont aussi figurés dans Jacob ; mais ils
le sont d’une autre manière…
Les deux peuples sont donc
les deux chevreaux, les deux bergeries, les deux murs ; ils sont aussi les
deux aveugles qui étaient assis sur la route, les deux barques que l’on chargea
de poisson ; et l’Écriture nous parle souvent de ces deux peuples. Mais en
jacob ils se réunissent pour n’en
former qu’un seul[83].
Dans l’Ancien Testament, le peuple
de Dieu à proprement parler, en tant que peuple était limité à Israël ; ce
qui n’empêchait pas certains païens de servir le vrai Dieu, voire de
prophétiser l’Incarnation rédemptrice, et d’être ainsi incorporés au peuple des
prédestinés par la foi au Christ à venir, comme nous le sommes par la foi au
Christ déjà venu :
Il y a eu probablement parmi
les autres peuples des hommes à qui ce mystère [de l’Incarnation rédemptrice] a
été révélé, et qui ont été poussés à le prédire, soit qu’ils aient participé à
la même grâce que les prophètes hébreux, soit qu’ils en aient été instruits par
les démons, qui, nous ne savons, ont confessé Jésus-Christ présent, alors que
les Juifs ne le connaissaient pas. C’est pourquoi je ne crois pas que les Juifs
eux-mêmes osent soutenir que nul, hors de leur race, n’a servi le vrai Dieu
depuis l’élection de Jacob et la réprobation d’Ésaü[84].
à la vérité, il n’y a point eu d’autre peuple que le peuple israélite qui ait été
proprement appelé peuple de Dieu[85], mais ils ne
peuvent nier qu’il y ait eu parmi les autres nations quelques hommes dignes
d’être appelés de véritables Israélites, en tant que citoyens de la céleste patrie…
Je ne doute point que ce ne soit un effet de la Providence de Dieu de nous
avoir appris par l’exemple de Job qu’il peut y avoir parmi les membres des
autres peuples des membres de la Jérusalem spirituelle. Mais il faut croire que
cette grâce n’a été accordée qu’à ceux à qui « l’unique Médiateur entre
Dieu et les hommes, Jésus-Christ qui est homme », a été révélé, et que son
Incarnation leur était prédite avant qu’elle n’arrivât, comme elle nous a été
annoncée depuis qu’elle est arrivée, en sorte qu’une seule et même foi conduise
par lui à Dieu tous ceux qui sont prédestinés pour être sa cité, sa maison et
son temple[86].
Qu’en
est-il dans le second peuple ? Augustin distingue entre ceux qu’on
« range dans le peuple de Dieu », selon des critères externes (les
sacrements), et ceux qui, parmi ceux-ci, mènent une vie digne de leur appel, et
reçoivent effectivement la divine miséricorde :
« ô Dieu, nous avons ressenti ta
miséricorde au milieu de ton peuple ». N’est-ce point ton peuple, ô Dieu,
qui a ressenti ta miséricorde, et comment l’avons-nous « ressentie au
milieu de ton peuple » ? Comme si autres étaient ceux qui l’ont
ressentie, et autres ceux au milieu desquels ils l’ont ressentie…
En cette vie, on range dans
le peuple de Dieu tous ceux qui participent aux sacrements, quoique tous
n’aient point la même part à sa miséricorde. Tous ceux qui reçoivent le
sacrement du baptême sont appelés chrétiens, mais tous ne vivent pas d’une
manière digne de ce sacrement. Car il en est plusieurs dont l’Apôtre dit qu’ils
« ont l’apparence de la piété, sans l’avoir en réalité » (2 Tim 3,
5). Néanmoins cette apparence de piété leur donne un rang dans le peuple de
Dieu, de même que, quand on bat le blé dans l’aire, la paille y tient une place
comme le froment. Mais aura-t-elle sa place dans le grenier ?
C’est au milieu de ce peuple
mauvais qu’habite le peuple de Dieu, qui a ressenti les effets de sa
miséricorde. Il vit d’une manière digne de cette miséricorde, car il écoute, il
retient, il pratique ce conseil de saint Paul : « Nous vous
enjoignons et nous vous conjurons de ne pas recevoir en vain la grâce de
Dieu » (2 Co 6, 1). Celui-là donc reçoit à la fois le sacrement et la
miséricorde de Dieu qui ne reçoit pas en vain la grâce de Dieu. Est-ce un
obstacle pour lui d’habiter au milieu d’un peuple insubordonné, jusqu’à ce que
le van passe dans l’aire, et que les bons soient séparés des méchants ?
Est-ce un obstacle d’habiter chez ces peuples ? Qu’il s’efforce d’être de
ceux qui sont appelés firmament, en recevant la divine miséricorde, qu’il soit
comme un lis au milieu des épines…[87]
Quant
aux autres, leur appartenance au peuple de Dieu n’est que de l’ordre du sacramentum, et elle n’est pas
salutaire :
Donc ceux qui ont part aux
sacrements sans mener une vie pure, sont appelés enfants de Dieu sans être
enfants de Dieu : on dit qu’ils sont à lui et ils lui sont
étrangers ; à lui à cause du sacrement ; étrangers à cause de leurs
vices[88].
Mais
alors, ceux qui, parmi le peuple, gardent effectivement les commandements et
sont sauvés, sont-ils si rares, « un ou deux, bien peu du moins »[89],
que leur nombre soit « tellement petit qu’il en deviendrait nul », ce
qui équivaudrait à un échec du Seigneur ? Ou bien, Dieu sauve-t-il
l’immense foule des pécheurs malgré eux ? Non, « au milieu de ce
peuple insensible à la divine miséricorde, plusieurs ressentent les effets de
cette miséricorde ». Et que les Donatistes ne s’arrogent pas ce privilège,
sous prétexte qu’ils vivent « loin de la foule et dans la
justice » : selon la suite du psaume, la louange de Dieu est répandue
« dans toute la terre » [90] :
C’est à juste titre qu’on
appelle [le peuple de Dieu] « Église tirée des nations »… Le Seigneur
a dit : « Un peuple que je ne connaissais pas s’est mis à mon
service ; dès qu’il m’a entendu, il a obéi »… Ceux à qui les
prophètes n’avaient pas été envoyés, c’est eux qui ont été les premiers à
entendre et à comprendre les prophètes[91].
Par
ailleurs, la droite de Dieu est « pleine de justice » : ceux qui
se tiendront à la droite du juge seront donc nombreux, et formeront une
plénitude, comme le bon grain dans l’aire[92].
Cette
universalité du « peuple des saints » n’est pas seulement de l’ordre
de l’espace, mais encore de l’ordre du temps ; elle concerne
non pas l’Église qui est ici
seulement, mais celle qui est ici, et celle qui est par toute la terre ; et pas seulement l’Église qui vit maintenant,
mais, depuis Abel jusqu’à ceux qui vivront jusqu’à
la fin du monde, et qui croiront dans le Christ, tout le peuple des saints
qui ne font qu’une cité. Cette cité est le corps du Christ[93].
Ainsi les Macchabées sont
considérés comme les homologues des martyrs chrétiens :
Ils
sont morts pour le Christ que l’Évangile a manifesté… pour le nom du Christ
encore caché sous la loi. Les uns et les autres [les Macchabées comme nos
martyrs] appartiennent au Christ. Le Christ les aide les uns et les autres dans
leur combat. Le Christ les a couronnés les uns et les autres. Les uns et les
autres ont servi le Christ[94].
Ce peuple, ou cette cité, durera
éternellement :
Peut-être
que cette cité qui a dominé le monde sera un jour renversée, contrairement à la
parole : « Dieu l’a fondée pour toujours » ? Si Dieu l’a
fondée pour toujours, comment peux-tu craindre la chute de celui qui la
soutient ?[95]
On constate donc une grande
complexité dans la notion de « peuple de Dieu » chez Augustin. Il n’y
a, en réalité, depuis le commencement qu’une seule Église, un seul peuple, constitué par ceux qui croient au Christ, à venir
ou déjà venu, et désirent sa manifestation :
« Mon
âme défaille de désir en ton salut, et j’ai espéré en ta parole » (Ps.
118, 81). Qui dit cela ? N’est-ce pas cette « race choisie », ce
« sacerdoce royal », cette « nation sainte », ce
« peuple acquis » (cf. 1 P 2, 9) depuis l’origine du genre humain
jusqu’à la fin de ce siècle, ceux qui en leur temps ont vécu, vivent et vivront
ici-bas dans le désir du Christ ?… Ce désir vient de l’amour de la
manifestation du Christ… Les premiers temps de l’Église, avant l’enfantement de
la Vierge, eurent leurs saints qui désiraient voir l’avènement de son
Incarnation. Les temps d’aujourd’hui, qui suivent son ascension, ont aussi
leurs saints, qui désirent sa venue pour le jugement des vivants et des morts[96].
Sous l’ancienne Alliance, même s’il
comprenait aussi invisiblement les « bons païens » qui attendaient le
Sauveur, le peuple de Dieu s’identifiait essentiellement au peuple d’Israël.
Sous la nouvelle Alliance, tous les baptisés lui appartiennent de droit, mais
ceux qui ne vivent pas conformément à la foi de leur baptême lui sont, sous un
certain rapport, étrangers. Ce peuple n’est autre chose, in re, que l’Église universelle dans le temps et dans l’espace, la
cité de Dieu et le corps du Christ. Mais ses membres lui sont inégalement
intégrés.
Comme
l’appellation de « peuple de Dieu » appliquée à l’Église,
l’attribution à ce peuple dans son ensemble, et non seulement de tel de ses
membres, de la triade prêtre-prophète-roi, pour exprimer les divers aspects de
la grâce du chrétien, demeure assez fréquente dans la tradition patristique. Au
sein de cette triade cependant, le thème du sacerdoce, le plus important des
trois munera du Christ, apparaît
souvent seul, ou accompagné de la seule royauté, et il finira par éliminer les
autres.
Dans
certains rites du baptême et de la chrismation, les Pères voient le symbole de
l’association des chrétiens au sacerdoce du Christ, le baptême étant considéré
comme une « consécration à Dieu » ordonnant à une certaine forme de
sacerdoce[98]. Comment interpréter ce
fait historique incontestable mais parfois mal compris ?
Et
d’abord, en quoi consiste le sacerdoce commun des fidèles ? Le sacerdoce
étant ordonné par définition au sacrifice, quel est le sacrifice qu’ils
offrent ? Les Pères l’expriment en des termes assez variés, mais son
contenu essentiel ne laisse place à aucun doute : le sacerdoce commun vise
à offrir en sacrifice spirituel l’homme
lui-même et toute son activité. Le prêtre
y est donc identique à la victime :
Nous recevons l’onction pour
un sacerdoce saint, nous offrant nous-mêmes à Dieu pour un sacerdoce spirituel[99].
C’est nous-mêmes que nous
devons offrir à Dieu en sacrifice ; bien plus, offrons aussi chaque jour
toute notre activité[100].
Pour
Tertullien, il s’agit essentiellement de la prière :
[La prière] est l’offrande
spirituelle qui a aboli tous les anciens sacrifices… Il est écrit :
« Viendra le moment où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et
en vérité », et le Père cherche ces adorateurs. Nous sommes les vrais
adorateurs et les vrais prêtres, car, en priant en esprit, en esprit aussi nous
offrons notre prière à Dieu comme une hostie qui lui est due et qu’il accepte.
Il a demandé cette offrande et il l’agrée[101].
Il mentionne
cependant aussi le « sacerdoce du veuvage »[102],
cependant que saint Cyprien évoque le « sacerdoce du martyre »[103].
De même Origène,
sans négliger la primauté absolue de la charité, songe à la pauvreté, à la chasteté et surtout au martyre :
Chacun de nous a en lui son
holocauste, et il embrase l’autel de son holocauste pour qu’il brûle toujours.
Pour moi, si je renonce à tout ce que je possède, si je prends ma croix et suis
le Christ, j’offre un holocauste à l’autel de Dieu ; ou « si je livre
mon corps aux flammes », en ayant la charité, et obtiens la gloire du
martyre, je m’offre en holocauste à l’autel de Dieu. Si j’aime mes frères
jusqu’à « donner ma vie pour mes frères », si « pour la justice
et la vérité je lutte jusqu’à la mort », j’offre un holocauste à l’autel
de Dieu. Si « je fais mourir mes membres » à toute convoitise de la
chair, si « le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde, j’offre
un holocauste à l’autel de Dieu, et je deviens moi-même le prêtre de ma victime[104].
Saint
Augustin commente à maintes reprises le parallèle du psaume 50e
entre les « holocaustes et sacrifices », dont Dieu ne veut pas, et le
« cœur contrit et humilié » qu’il agrée :
Tu voulais offrir, comme tes
pères, des animaux immolés, ce qu’on appelait des sacrifices. « Si tu
avais voulu un sacrifice, je t’en aurais bien offert ». Ce n’est donc pas
cela que tu cherches, et pourtant, c’est un sacrifice que tu cherches… Ainsi
donc, parce que tu ne prendras pas plaisir aux holocaustes, tu resteras sans
sacrifice ? pas du tout ! « Le sacrifice pour Dieu, c’est un
cœur contrit et humilié, Dieu ne le méprise pas ». Tu possèdes de quoi
offrir. N’inspecte pas un troupeau, n’arme pas des navires et ne franchis pas
la mer jusque dans des régions lointaines pour en rapporter des aromates.
Cherche dans ton cœur ce qui peut plaire à Dieu. Il faut briser ton cœur. Ne
crains pas qu’il en meure ! On te le dit ici : « Ô Dieu, crée en
moi un cœur pur ». Pour que soit créé un cœur pur, il faut briser un cœur
impur[105].
Ce
n’est pas que Dieu refuse les sacrifices : il demande la miséricorde,
véritable sacrifice spirituel, préfiguré par les sacrifices d’animaux :
Le sacrifice est donc un
sacrement, c’est-à-dire un signe sacré et visible du sacrifice invisible… En disant
que Dieu ne veut pas de sacrifices, le prophète fait voir en même temps qu’il
en est un qui est exigé de Dieu. Il ne veut point le sacrifice d’une bête
égorgée, mais celui d’un cœur contrit. Ainsi ce que Dieu ne veut pas, selon le
prophète, est ici la figure de ce que Dieu veut. Dieu ne veut pas les
sacrifices, mais seulement au sens où les insensés s’imaginent qu’il les veut,
c’est-à-dire pour y prendre plaisir et s’y satisfaire lui-même… Dieu ne demande
pas les sacrifices charnels pour eux-mêmes, mais comme figures des sacrifices
véritables… Or le sacrifice véritable, c’est la miséricorde ; ce qui fait
dire à l’Apôtre : « C’est par des tels sacrifices que l’on se rend
agréable à Dieu »[106].
Et de
donner une définition très large du sacrifice qui sera reprise par toute la
tradition postérieure, en particulier saint Thomas :
Ainsi, le vrai sacrifice, c’est toute œuvre accomplie pour s’unir à Dieu d’une
sainte union, c’est-à-dire toute œuvre qui se rapporte à cette fin suprême
et unique où réside le bonheur. C’est pourquoi la miséricorde envers le
prochain elle-même n’est pas un sacrifice, si on ne l’exerce en vue de Dieu. Le
sacrifice en effet, bien qu’offert par l’homme, est chose divine, comme
l’indique le mot lui-même, qui signifie : « action sacrée ». Ainsi
l’homme même consacré et voué à Dieu est un sacrifice, en tant qu’il meurt au
monde pour vivre en Dieu[107].
Saint
Pierre Chrysologue enfin, commentant Ro 12, donne une excellente synthèse sur
le sacrifice spirituel, dans lequel il voit le « sommet du sacerdoce »,
rendu accessible à tous les hommes. Dans ce sacrifice, l’homme s’offre
lui-même, comme prêtre et victime. L’offrande consiste essentiellement dans la
prière (l’encens), l’accueil de l’Esprit Saint (le glaive), la disposition
intérieure au sacrifice (l’autel) :
Écoutons l’adjuration de
l’Apôtre : « Je vous adjure d’offrir vos corps ». L’Apôtre, par
cette demande, a fait accéder tous les hommes au sommet du sacerdoce :
offrir vos corps comme un sacrifice vivant. Quelle fonction sans précédent que
celle du sacerdoce chrétien ! L’homme y est lui-même la victime et le
prêtre, l’homme n’a pas à rechercher au dehors ce qu’il doit immoler à
Dieu ; l’homme apporte avec lui et en lui ce qu’il doit offrir pour
lui-même à Dieu en sacrifice ; la victime demeure la même, tandis que le
prêtre reste aussi le même ; la victime qu’on frappe reste vivante, et le
prêtre ne meurt pas, puisqu’il doit officier… Sois le sacrifice et le prêtre de
Dieu. Ne néglige pas le don que t’a concédé la souveraineté divine… Fais brûler
sans cesse l’encens de la prière, empoigne le glaive de l’Esprit ; fais de
ton cœur un autel. Et ainsi, présente ton corps à Dieu, offre le sans crainte
en sacrifice. Dieu désire la foi, et non la mort ; il a soif de prière,
non de sang ; il se laisse réconcilier par le bon vouloir, et non par le
meurtre[108].
Le
sacerdoce spirituel, tout en étant bien personnel, offre une dimension
communautaire : c’est, dit Origène, parce que nous sommes « une race sacerdotale » que nous avons
« accès au sanctuaire »[109].
Ce sacerdoce s’identifie, dira Augustin[110],
à l’Église elle-même, et les efforts
de chacun contribuent à la construction de ce temple qu’est l’Église :
améliorer son âme, c’est polir « une pierre vivante et spirituelle pour le
temple saint où Dieu habitera »[111].
C’est,
disions-nous, par l’onction du baptême ou de la chrismation que les baptisés
accèdent au sacerdoce royal. Ce rite est hérité du rituel juif, où l’onction
d’huile conférait la royauté ou le sacerdoce. De fait, un grand nombre de Pères
rattachent le sacerdoce commun des fidèles, reçu au baptême, au sacerdoce
lévitique, expliquant l’onction post-baptismale ou chrismale par l’onction des
prêtres et des rois, en relation avec 1 P 2, 5-6 et Ap 1, 6 ; 5, 10 et 20,
6. Ainsi, dès la fin du second siècle, Tertullien rapproche explicitement
l’onction de l’initiation chrétienne de celle d’Aaron :
à la sortie du bain, nous recevons une onction
d’huile bénite, conformément à la discipline antique. Selon celle-ci, on avait
coutume d’élever au sacerdoce par une onction d’huile versée d’une corne :
ainsi Aaron fut oint par Moïse. Et notre nom de « Christ » vient de
là, de crisma qui signifie
« onction » et qui donne aussi son nom au seigneur[112].
Ce
rapprochement est très répandu au ive
siècle, en Orient comme en Occident :
Il est nécessaire que vous
sachiez que de cette chrismation le symbole se trouve dans l’ancienne Écriture.
En effet, quand Moïse communique à son frère l’injonction de Dieu et l’établit
grand-prêtre, après l’avoir baigné dans l’eau, il le chrisma, et celui-ci fut
appelé Christ, en vertu de cette chrismation évidemment figurative. De même, le
grand-prêtre, en élevant Salomon à la royauté, le chrisma, après l’avoir fait
baigner à Gihon. Mais ces choses leur arrivaient en figure ; pour vous, ce
n’est pas figure, mais réalité, puisque c’est celui qui fut chrismé de l’Esprit
Saint que véritablement remonte le principe de votre salut[113].
Après cela, n’est-ce pas, tu
es monté près de l’évêque. Pense à ce qui a suivi. N’est-ce pas ce que dit
David : « Comme de l’onguent sur la tête qui descend sur la barbe,
sur la barbe d’Aaron »… Pourquoi dans la barbe d’Aaron ? Pour que tu
deviennes « une race élue, sacerdotale, précieuse ». Car nous sommes
tous oints de la grâce spirituelle pour former le royaume de Dieu et un
sacerdoce[114].
Jean
Diacre donnera encore une lumineuse synthèse de la même doctrine :
Dès que le baptisé a revêtu
les vêtements blancs, sa tête est ointe du saint chrême, afin que l’on
comprenne que la royauté et le mystère du sacerdoce sont réunis en lui. Jadis
les prêtres et les princes étaient oints d’huile, afin que les premiers offrent
des sacrifices, et que les seconds commandent au peuple. Pour mieux exprimer
l’idée du sacerdoce, la tête de celui qui est né à nouveau est ornée d’un
linge. En effet, les prêtres de l’ancien temps ornaient toujours leur tête d’un
voile[115].
Et
Origène d’exprimer en termes inspirés du rituel lévitique sa soif ardente du
martyre, entendu comme le sacrifice suprême :
Penses-tu que mon Seigneur,
le véritable pontife, daignera recevoir de moi aussi une part de la
« composition d’or fin » pour la porter avec lui au Père ?
Penses-tu qu’il trouve en moi une toute petite flamme et mon holocauste allumé,
pour qu’il daigne avec cela « remplir de ses charbons son encensoir »
et par eux offrir à Dieu le Père « une suave odeur » ?[116]
C’est
dire que, pour les Pères, le sacerdoce commun des fidèles n’est pas un
sacerdoce au rabais, mais, en un sens, l’extension à tout le peuple de Dieu des
privilèges réservés sous l’ancienne loi au roi et au grand-prêtre[117].
Bien plus, le sacerdoce royal des fidèles l’emporte de beaucoup sur le
sacerdoce lévitique. Saint Augustin interprète 1 Sam 2, 36 comme la prière d’un
descendant de l’ancien sacerdoce venu au Christ ; le sacerdoce (royal)
désigne l’Église elle-même, le « pain », celui du sacrifice
eucharistique ; la moindre participation du sacerdoce royal chrétien est
préférable au sacerdoce lévitique, car le nouveau sacerdoce n’est plus selon
l’ordre d’Aaron, mais de Melchisédech :
« Accorde-moi pour
manger du pain une part de ton sacerdoce ». Je ne désire pas une place
dans les honneurs de mes pères : ils ne sont rien. Fais moi participer à
ton sacerdoce ! Car j’ai choisi d’être méprisé dans la maison de Dieu ;
je désire être un membre, si effacé et modeste soit-il, de ton sacerdoce.
« Sacerdoce » désigne ici le peuple lui-même, dont le prêtre est
« le médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus-Christ »,
peuple dont parle l’apôtre Pierre : « peuple saint, sacerdoce royal ».
Bien que certains aient traduit : « de ton sacrifice », et non
« de ton sacerdoce », cela n’en signifie pas moins le peuple chrétien[118].
Mais
alors, le sacerdoce royal n’enlève-t-il pas toute raison d’être au sacerdoce
ministériel ?
On a
prétendu que les premiers siècles chrétiens n’avaient reconnu aucun caractère
sacerdotal à la fonction des chefs de l’Église. Une telle affirmation s’avère
difficilement soutenable
Déjà à la fin du
premier siècle Clément de Rome, rapprochant episkoph et sacerdoce, interprète le ministère des chefs de la
communauté chrétienne dans la ligne du sacerdoce de l’Ancien Testament[119]. Il donne en exemple le cas d’Aaron, désigné
par Dieu pour porter le « Nom glorieux » du fait que sa baguette
« avait non seulement bourgeonné mais porté du fruit »[120]. Peu après, saint Ignace spécifie que
l’offrande du sacrifice eucharistique — acte sacerdotal par excellence —
revient à l’évêque et à son presbyterium uni à lui[121].
Au iie siècle, les
ministres sont appelés prêtres, lévites, voire grands prêtres ; Tertullien
applique les attributs sacerdotaux lévitiques au sacerdoce chrétien, et
présente les institutions ecclésiales comme la réalisation définitive de ce qui
se préparait en Israël. Au iiie
siècle, la Tradition apostolique
exclut le diaconat des degrés du sacerdoce (ministériel), lié à
l’eucharistie : « [Le diacre est ordonné] non pour le sacerdoce, mais
pour le service de l’évêque »[122].
le sacerdoce désigne évidemment
ici le pouvoir et la mission d’offrir le sacrifice de l’autel in persona Christi.
Au ive et au ve siècles, on tend à
réserver de plus en plus le mot sacerdotium
au sacerdoce ministériel. Sacerdos, iereuV, désignent régulièrement
l’évêque — par exemple chez saint Ambroise et saint Jean Chrysostome —, parfois
aussi le prêtre. Ainsi, selon saint Augustin, ce sont désormais les évêques et
les prêtres (ordonnés) que l’on appelle proprement[123]
prêtres, sacerdotes :
Si, après avoir dit :
« Sur eux la seconde mort n’aura point de pouvoir », il ajoute :
« mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ et régneront pendant mille
ans », cela certes n’a pas été dit seulement des évêques et des prêtres,
ceux que maintenant on appelle proprement prêtres dans l’Église : non utique de solis episcopis et presbyteris
dictum est, qui proprie iam vocantur in Ecclesia sacerdotes[124].
Saint
Grégoire de Nazianze, saint Ambroise, saint Jean Chrysostome consacrent des
écrits au sacerdoce des évêques ou des prêtres du second ordre. Saint Jean
Chrysostome en particulier, on l’a vu, considère la célébration du sacrifice
eucharistique comme une fonction céleste, exigeant un une pureté
angélique :
Le sacerdoce s’exerce sur la
terre, mais il a sa place parmi les choses célestes… Il faut que le prêtre,
comme s’il était dans les cieux en compagnie des puissances célestes, leur soit
égal en pureté[125].
Autre
pouvoir qui n’est accordé ni aux anges ni aux archanges : celui de
remettre les péchés :
À ceux qui habitent la terre
et qui en font leur séjour, la charge d’administrer les choses des cieux a été
confiée et ils ont reçu un pouvoir que Dieu n’a donné ni aux anges, ni aux
archanges. N’est-ce pas à eux qu’il a été dit : « Tout ce que vous
lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la
terre sera délié dans les cieux » ? Les puissants de la terre ont le
pouvoir d’enchaîner, mais les corps seulement ; tandis que ce lien-ci
concerne l’âme et passe par les cieux, et tout ce que les prêtres font ici-bas,
Dieu le sanctionne là-haut. Le maître confirme la sentence de ses serviteurs.
Et que leur a-t-il donné
d’autre, sinon toute puissance céleste ? « Ceux à qui vous remettrez
les péchés, qu’ils leur soient remis, et ceux à qui vous les retiendrez, qu’ils
soient retenus »[126].
Il
serait donc non seulement paradoxal, mais contraire au sens obvie des textes,
de soutenir que, pour la tradition antique, le seul sacerdoce est le sacerdoce
commun des fidèles, le ministère hiérarchique ne présentant aucun caractère
spécifiquement sacerdotal. Mais comment les Pères pouvaient-ils concevoir la
coexistence de ces deux sacerdoces dans l’Église ?
·
Nette
distinction
Chez
les Pères orthodoxes, les deux sacerdoces demeurent toujours bien distincts.
Jamais il n’est question d’attribuer à un laïc, sur la base de sa consécration
baptismale, la présidence de l’eucharistie, qui relève d’un autre sacerdoce. Du
croyant, on ne dit pas qu’il est « un prêtre », mais qu’il a part au
sacerdoce du peuple saint, et peut par conséquent participer à ses activités
liturgiques :
L’évêque n’oindra que la tête
[du baptisé] lors de l’imposition des mains, comme on faisait autrefois pour
les rois et les prêtres ; non pas
que maintenant les baptisés soient ordonnés prêtres [au sens ministériel],
mais parce qu’à la suite du Christ ils sont des chrétiens, un sacerdoce royal
et une nation sainte, l’Église de Dieu, la colonne et le support de la chambre
nuptiale, eux qui jadis n’étaient pas le peuple et qui maintenant sont
bien-aimés et élus[127].
Chez
les moines d’Orient, l’ordination sacerdotale, souvent évitée parce qu’elle
entraînait normalement des responsabilités pastorales, est parfois conférée à
titre honorifique par un évêque qui désire récompenser les mérites d’un
religieux exemplaire[128].
C’est donc qu’elle est tenue en haute estime. Par ailleurs, Nicétas d’Ancyre se
plaindra dans un discours sur Les Synodes
du fait qu’à cause de l’incurie des clercs, « le peuple est devenu prêtre
et les prêtres peuple ».
·
Unité
organique
Cependant
les Pères songent nullement à opposer les deux sacerdoces, mais montrent leur
unité d’ordre dans le corps du Christ autour de l’eucharistie. La synaxe
eucharistique ne met pas en présence un prêtre ordonné et des prêtres laïcs,
mais rassemble le corps ecclésial tout entier autour de l’eucharistie, oblation
pure de l’Église, réalisée grâce à l’intervention du ministre :
L’oblation de l’Église, que
le Seigneur nous a appris à lui offrir dans le monde entier, est réputé
sacrifice pur auprès de Dieu et lui est agréable… Ce n’est pas la notion
d’oblation qui a été blâmée… L’espèce seule en a été changée… Cette oblation,
l’Église seule l’offre pure au Créateur, en lui offrant avec action de grâces
ce qui provient de sa création… Le pain qui vient de la terre, après avoir reçu
l’invocation du Seigneur, n’est plus du pain ordinaire, mais l’eucharistie,
constituée de deux choses : l’une céleste et l’autre terrestre ; de
la même manière, nos corps, qui participent aussi à l’eucharistie, ne sont plus
corruptibles, mais comportent l’espérance de la résurrection[129].
Alors
que sous l’ancienne loi certaines parties des victimes étaient réservées aux
prêtres et aux lévites, tous participent, quoique de manière différente, dans
l’unique corps du Christ, à l’unique sacrifice de la nouvelle alliance :
Toute différence disparaît
entre le prêtre et le fidèle dans la participation aux mystères divins. Nous y
prenons tous, en effet, une part égale[130].
Il n’en va plus dorénavant comme dans la loi ancienne. Le peuple ne pouvait pas
alors se nourrir de la même nourriture que le prêtre. Aujourd’hui, tous nous
mangeons le même corps, buvons au même calice…
Vous tous, donc, simples
fidèles, prenez bien garde ! N’oubliez pas que nous formons ensemble un seul corps, et que nous ne différons les uns des autres que comme les membres diffèrent
des membres. Ne laissez pas aux seuls prêtres tout le souci de l’Église,
aimons-la tous comme notre corps commun… Il nous faut être tous dans l’Église
comme dans une maison commune ; nous devons y être affectionnés, comme si
nous ne formions tous qu’un seul corps. Nous n’avons qu’un même baptême, une
même table, une même source, une même création, et aussi un seul Père[131].
Aussi
bien, le chrême de l’initiation chrétienne est le même que celui de
l’ordination sacerdotale :
Envoie ton Esprit saint sur cette onction glorieuse et
bénie… manifestée par la loi et de nouveau en cette manière dans le Nouveau
Testament, afin que par lui fussent oints les rois, les grands prêtres et les
prophètes, de Moïse jusqu’à Jean … Par lui, en effet, ont été oints les apôtres
et tous les saints enfants qui naissent au nom du Christ, pour venir à
l’onction de la régénération. Par lui aussi sont oints les évêques et les
autres prêtres, jusqu’à aujourd’hui… Signe-les de ton sceau… afin qu’ils soient
pour toi un peuple saint par notre onction[132].
Seul
parmi les Pères, Tertullien montaniste revendique pour le sacerdoce commun le
pouvoir de présider le sacrifice eucharistique :
Nous, laïcs, ne sommes-nous
pas prêtres ? Il est écrit : « Il nous a faits rois et prêtres
pour Dieu son Père » (Ap 1, 6). Ce qui différencie l’ordre et le peuple,
c’est l’investiture de l’Église et l’honneur, consacré par le droit, de siéger
dans l’assemblée. Cela est si vrai que là où il n’y a pas d’assemblée
sacerdotale, vous offrez [le sacrifice de l’autel], vous baptisez, vous êtes
prêtres, seuls, pour votre compte. d’ailleurs,
là où il y en a trois, fussent-ils laïcs, là est l’Église[133].
Avant
cette époque, le prêtre de Carthage attribuait avec une indignation méprisante
la confusion des ordres ecclésiastiques aux seuls hérétiques :
Ils jettent les choses
saintes[134] aux chiens et les perles
(du reste fausses) aux pourceaux. Pour eux, la simplicité consiste à renverser
la discipline… Chez les femmes hérétiques elles-mêmes, quelle impudence !
N’osent-elles pas enseigner, disputer, exorciser, promettre des guérisons,
peut-être même baptiser[135] ?
Leurs ordinations[136]
se font au hasard, sans sérieux, sans suite ; ils installent tantôt des
néophytes, tantôt des hommes engagés dans le siècle, tantôt nos apostats pour
se les attacher par l’ambition, puisqu’ils ne le peuvent par la vérité… Aussi
ont-ils aujourd’hui un évêque, demain, un autre ; aujourd’hui est diacre
tel qui demain sera lecteur ; aujourd’hui est prêtre tel qui demain sera
laïc. Ils chargent même des laïcs de fonctions sacerdotales[137].
C’est
dire qu’on ne peut s’appuyer sur l’exemple des Pères orthodoxes pour attribuer
aux laïcs les fonctions propres au sacerdoce ministériel.
En
réalité, c’est dans leur racine commune, le sacerdoce du Christ, qu’il faut
comprendre le rapport unissant au sein du peuple de Dieu les deux sacerdoces.
Avec un sens très sûr des intentions profondes des auteurs sacrés, les Pères
ont tous, dès l’origine, donné de la Croix une interprétation sacrificielle et
sacerdotale. L’unique sacrifice, le sacrifice où le roi-prêtre selon l’ordre de
Melchisédech s’offre lui même comme victime, le sacrifice qui abolit tous ceux
qui l’avaient précédé et préfiguré, c’est celui du Verbe incarné :
Notre Seigneur, qui n’était
pas un homme mais le LogoV saint et divin de
Dieu, Fils de Dieu engendré sans commencement et hors du temps, existant
toujours avec le Père, est devenu pour nous homme du sein de Marie, et sans
semence virile ; et il offre au Père une offrande sacerdotale, après en
avoir pris la matière du sein de l’humanité, afin qu’il soit établi pour nous
prêtre selon cet ordre de Melchisédech qui n’a pas de succession ; car le
Christ continue d’offrir pour nous à jamais ces dons, après s’être offert
lui-même sur la croix, afin de supprimer les sacrifices de l’ancienne alliance
en offrant pour le monde entier un sacrifice plus parfait et vivant ;
c’est lui qui est victime, lui qui est hostie, lui qui est prêtre, lui qui est
Dieu, lui qui est homme, lui qui est roi, lui qui est grand prêtre, lui qui est
brebis, lui qui est agneau, devenu qu’il est tout en toutes choses pour nous,
afin qu’il devienne de toutes façons notre vie, et afin d’établir à jamais la
fermeté inébranlable de son sacerdoce[138].
« Pour eux, je me
consacre moi-même ». Autrement dit : je m’offre comme une très pure
victime d’agréable odeur. En effet, ce qui était consacré, ce qu’on appelait
saint ou sacré, selon la Loi, c’est ce qui était apporté à l’autel. Le Christ a
donc donné son propre corps pour la vie de tous, et en retour il a implanté sa
vie en nous[139].
Ainsi,
le sacerdoce royal chrétien ne peut constituer qu’une participation au
sacrifice du Christ, sacrifice « spirituel » par excellence, non
qu’il exclue la chair, mais parce qu’il s’accomplit dans un don total de la vie
et non par une offrande rituelle Si tous les chrétiens, à la différence des
membres du premier peuple élu, sont oints du chrême qui fait d’eux des prêtres,
c’est qu’ils sont tous membres de l’unique grand Prêtre de la nouvelle
alliance, victime de son propre sacrifice, qui leur donne part à son
onction :
Vous avez été baptisés dans
le Christ, et vous avez revêtu le Christ ; vous avez donc été configurés
au Fils de Dieu. Puisque vous êtes maintenant participants du Christ, vous êtes
à juste titre appelés vous-mêmes « christs », et c’est de vous que
Dieu disait : « Ne touchez pas à mes christs »[140].
Non seulement notre chef a
reçu l’onction, mais aussi nous qui sommes son corps. Il est donc notre roi,
puisqu’il nous dirige et nous gouverne ; il est prêtre, parce qu’il
intercède pour nous. Il est encore le seul prêtre qui soit en même temps
victime. la victime du sacrifice qu’il offrit à Dieu n’est autre, en effet, que
lui-même ; et il n’eût pu trouver en dehors de lui-même une victime
raisonnable, très pure, capable de nous racheter par l’effusion de son sang,
comme l’agneau sans tache, et de nous incorporer à lui comme ses membres, et de
faire avec lui un seul et même Christ. C’est pourquoi tous les chrétiens
participent à l’onction, alors que dans l’ancien Testament elle était l’apanage
de deux personnes. D’où il suit que nous sommes le corps du Christ, puisque
nous avons tous reçu l’onction, et que nous sommes tous en lui des christs et
un seul Christ, car la tête et les membres composent le Christ dans son
intégrité. Cette onction doit perfectionner la vie spirituelle qui nous est
promise[141].
De même que nous disons que
tous sont christs ou oints en raison du chrême mystique, ainsi tous sont prêtres parce qu’ils sont les
membres d’un seul prêtre : c’est d’eux que l’apôtre Pierre dit :
« Peuple saint, sacerdoce royal ». Certes, bien qu’en peu de mots et
en passant, il a suggéré que le Christ est Dieu en disant : « prêtres
de Dieu et du Christ », c’est-à-dire du Père et du Fils ; le Fils
toutefois, à cause de sa forme d’esclave et en tant que fils de l’homme, a été
institué prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech[142].
C’est
par le Christ que nous offrons nos sacrifices spirituels :
« En toute circonstance,
offrons à Dieu un sacrifice de louange, c’est-à-dire l’acte de foi qui sort de
nos lèvres en l’honneur de son nom ». C’est dons par lui que nous offrons
le sacrifice de louange et de prière, parce que c’est par sa mort que nous
avons été réconciliés avec Dieu, alors que nous étions ses ennemis. C’est par
lui en effet qui a daigné devenir victime pour nous, que notre victime peut
être agréée par Dieu… Nous n’aurions pas pu offrir une victime si le Christ ne
s’était pas fait victime pour nous : c’est en lui que la nature de notre
humanité est le véritable sacrifice qui donne le salut[143].
Corrélativement,
tous les chrétiens sont appelés à participer au sacrifice de la croix en
apportant leur part à la passion du Christ total :
La passion du Christ n’est
pas seulement dans le Christ, ou plutôt elle n’est que dans le Christ ; si
nous considérons dans le Christ la tête et le corps, la passion du Christ n’est
que dans le Christ… à ce trésor
commun nous versons chacun ce que nous devons, et selon nos forces nous offrons
tous notre part ; la mesure de la passion ne sera pleine que quand le
monde sera fini[144].
Le
sacerdoce du Christ, centré sur le sacrifice de sa propre vie, n’exclut
cependant pas tout ordre à la liturgie.
à la Cène, le Sauveur a anticipé le sacrifice de la croix par
l’institution de l’eucharistie, qui permet aux fidèles de s’unir concrètement à
son corps et à son sang, en vue précisément d’entrer dans sa propre offrande.
Ce sacrifice sacramentel a été confié aux apôtres pour qu’ils le célèbrent en
mémorial. Les Pères montrent souvent comment l’offrande eucharistique perpétue
le sacrifice du Christ [145] :
Lorsque l’on offre des
sacrifices [l’eucharistie], on accomplit l’ordre que notre Seigneur nous a
donné, selon ce que dit saint Paul… Ce sacrifice est donc offert pour que la
mort du seigneur soit annoncée,
et que l’on fasse mémoire de lui, qui a donné sa vie pour nous[146].
D’où la grandeur inégalable du sacerdoce ministériel, qui
procure le sacrifice eucharistique :
Lorsque tu vois le Seigneur
immolé et gisant et le prêtre qui se tient debout, penché au-dessus de la
victime en priant et tout empourpré de ce sang précieux, penses-tu être encore
parmi les hommes et vivre sur la terre, mais ne crois-tu pas avoir émigré dans
les cieux, et, repoussant toute pensée charnelle, ne vois-tu pas autour de toi,
avec ton âme seule et comme un pur esprit, ce qu’on voit dans les cieux ?[147]
De
même, le gouvernement des âmes tire sa grandeur de ce qu’il constitue un
singulier témoignage d’amour pour le Christ roi :
Quel
plus grand avantage pourrait exister, dis-je, que celui d’apparaître comme
faisant ce que le Christ lui-même a dit être une preuve d’amour envers
lui ?…[148]
Tout
en distinguant sans aucune équivoque possible les deux sacerdoces, les Pères ne
songent pas un instant à les opposer, ou à exalter l’un aux dépens de l’autre
de manière unilatérale. Pourquoi ? Fondamentalement, c’est qu’ils
envisagent le sacerdoce royal comme le sacerdoce ministériel dans la perspective globale du corps du Christ.
Dans ce corps, le sacerdoce du Christ,
prêtre et victime, est participé
diversement, mais en vue d’un sacrifice
unique et universel, représenté par l’eucharistie :
—
au plan du sacrifice spirituel, du don de soi à Dieu, qui
peut aller jusqu’au martyre, preuve suprême d’amour. Ce sacerdoce « dans
l’ordre de Melchisédech », transcendant le sacerdoce lévitique, est
accessible à tout baptisé en raison de l’onction qui a fait de lui un autre
christ dans le Christ total.
—
Au plan du rite, le sacerdoce ministériel, en consacrant l’eucharistie et
en remettant les péchés, permet précisément aux membres du corps d’entrer dans
le sacrifice de leur Chef en s’unissant à sa chair vivifiante. Il est donc la
condition normale de la réalisation du sacrifice spirituel par le sacerdoce
royal.
Ainsi,
notre Chef offre inséparablement au Père son propre corps et son corps
mystique, la « cité rachetée », sacramentellement dans le temps
présent par l’eucharistie et réellement jusque dans l’éternité :
Cette cité rachetée tout
entière, c’est-à-dire l’assemblée et la société des saints, est offerte à Dieu
comme un sacrifice universel par le Grand Prêtre qui, sous la forme d’esclave,
est allé jusqu’à s’offrir pour nous dans sa passion, pour faire de nous le
corps d’une si grande Tête. C’est en effet cette forme qu’il a offerte, en elle
qu’il s’est offert, parce que c’est grâce à elle qu’il est Médiateur, en elle
qu’il est prêtre, en elle qu’il est sacrifice… Tel est le sacrifice des
chrétiens : « à plusieurs, n’être qu’un dans le Christ ». Et ce
sacrifice, l’Église ne cesse de le reproduire dans le sacrement de l’autel bien
connu des fidèles, où il lui est montré que dans ce qu’elle offre, elle est
elle-même offerte[149].
Dans
cette perspective, le sacerdoce ministériel jouit bien d’un pouvoir, non au sens moderne de
domination d’autrui, mais de faculté de consacrer le corps et le sang du Christ
afin de le donner à ses frères pour leur permettre d’unir concrètement leur
sacrifice spirituel à celui du Christ total. Nul semble-t-il, hormis les
hérétiques, ne songe à le revendiquer pour les laïcs.
Les
Pères n’ignoraient pas, bien entendu, l’existence permanente du charisme
prophétique dans l’Église. Par ailleurs, ils affirment avec la dernière
énergie, contre le césaro-papisme et l’illuminisme, l’autorité du magistère des
évêques unis à Rome, sur lequel nous reviendrons longuement. Mais qu’en est-il
du don de prophétie dans le peuple de Dieu en général ?
Sans
toujours employer le mot ambigu de prophétie, les Pères ont vivement
conscience, avec Joël (3, 2) et saint Pierre (Ac 2, 19 ), que la nouvelle
alliance est le temps où Dieu lui-même se révèle intérieurement, non seulement
à quelques inspirés, mais à tous les croyants :
« Il est écrit dans les
prophètes : “Ils seront tous enseignés par Dieu” »… Pourquoi ai-je
dit cela ?… Tous les sujets de ce royaume recevront de Dieu leur
enseignement, ils ne le recevront pas des hommes. Et même s’ils le reçoivent
des hommes, l’intelligence qu’ils en ont, leur est donnée au-dedans, elle
étincelle au-dedans, elle est dévoilée au-dedans[150].
Il le
fait, comme l’enseigne saint Jean, en leur envoyant son Esprit par l’onction de
l’initiation chrétienne :
« Quant à vous, vous
avez reçu l’onction venant du Saint, afin que vous soyez manifestés à
vous-mêmes ». L’onction spirituelle, c’est le Saint-Esprit lui-même, dont
le signe sacramentel réside dans l’onction visible[151].
Jean dit que tous ceux qui ont reçu cette onction du Christ reconnaissent les
mauvais et les bons ; il n’est pas besoin qu’on le leur enseigne, car
l’onction même le leur enseigne[152].
L’effet sacramentel de
l’onction, c’est la vertu invisible elle-même, l’onction invisible, l’Esprit saint[153].
Cette
onction est par elle-même absolument digne de foi :
Cette même onction, dit Jean,
« est véridique » : autrement dit, l’Esprit même du Seigneur qui
instruit les hommes ne peut mentir[154].
Ce
n’est pas que l’enseignement des pasteurs devienne pour autant inutile, mais il
n’est véritablement fécond que si Dieu parle en même temps à l’intime du cœur
des fidèles. Saint Augustin y revient à maintes reprises :
Que font les hommes qui
enseignent au dehors ? Que fais-je moi-même, maintenant que je
parle ? je porte dans vos oreilles le bruit de mes paroles. Si donc celui
qui est au-dedans ne l’explique, à quoi bon dire, à quoi bon parler ?
Celui qui cultive l’arbre est au-dehors, le Créateur est au-dedans. Celui qui
plante et celui qui arrosent travaillent du dehors : c’est ce que nous
faisons, nous. « Mais ni celui qui plante n’est rien, ni celui qui arrose,
mais Dieu qui donne la croissance » (1 Co 3, 7). C’est le sens des
mots : « Ils seront tous enseignés par Dieu »[155].
Il
développe surtout sa pensée dans son commentaire de la 1e épître de
saint Jean :
« Et vous n’avez pas besoin qu’on vous
enseigne, parce que son onction vous enseigne toutes choses ». Que faisons-nous
donc, mes frères, en vous enseignant ? Si son onction vous enseigne toutes
choses, nous travaillons comme en pure perte ! Pourquoi tant élever la
voix ? Il nous suffit d’abandonner vos cœurs à son onction, et son onction
vous instruira. Mais… je demande à Jean : Possédaient-ils l’onction, ceux
à qui tu parlais ? Tu dis : « Son onction vous enseigne toutes
choses ». Pourquoi dès lors écrire cette lettre ? Pourquoi, toi, les
enseigner ? Les instruire ? Les édifier ?
Il y a là, mes frères, un
grand mystère à méditer : le son de nos paroles frappe vos oreilles, le
Maître est au-dedans[156].
N’allez pas croire qu’on apprenne quelque chose d’un autre homme. Nous pouvons
attirer votre attention par le bruit de notre voix : si au-dedans n’est
pas celui qui instruit, vain est le bruit de nos paroles. En voulez-vous une
preuve, frères ? N’avez-vous pas tous entendu ce sermon ? Combien
sortiront d’ici sans avoir rien appris ? Autant qu’il dépend de moi, j’ai
parlé à tous ; mais ceux à qui cette onction ne parle pas au-dedans, ceux
que l’Esprit saint n’instruit pas
au-dedans, s’en vont sans avoir rien appris. Les enseignements extérieurs sont
une aide, une invitation à faire attention. C’est au ciel qu’est la chaire de
celui qui instruit les cœurs…. Qu’il parle donc, lui, au-dedans, là où nul
homme ne pénètre ; car même si quelqu’un est à tes côtés, personne n’est
dans ton cœur. Mais non ! Qu’il n’y ait pas « personne » dans
ton cœur ! Que le Christ soit dans ton cœur ; que son onction soit
dans ton cœur, afin que ton cœur ne soit pas altéré dans le désert, sans
sources qui l’abreuvent. C’est donc le Maître intérieur qui instruit, c’est le
Christ qui instruit, c’est son inspiration qui instruit. Là où ne sont pas son
inspiration et son onction, c’est en vain que retentissent les paroles…
Que nous plantions, que nous
arrosions par nos paroles, ce n’est pas nous qui sommes quelque chose, mais
celui qui donne la croissance, Dieu, autrement dit l’onction de celui qui vous
enseigne sur toutes choses[157].
C’est,
précise saint Grégoire le Grand, l’Esprit, le Maître intérieur, qui révèle à
certains et non à d’autres le sens de la parole entendue :
« Il vous enseignera toutes
choses ». Car si cet Esprit n’assiste le cœur de celui qui écoute, c’est
en vain que le prédicateur prend la parole. Nul ne doit donc jamais attribuer à
l’homme qui enseigne l’intelligence qu’il a de sa parole ; car s’il n’est
personne pour instruire au-dedans, c’est en vain qu’au-dehors le prédicateur se
fatigue à parler. Ainsi vous entendez tous pareillement l’unique voix de celui
qui parle, et pourtant vous n’avez pas tous une égale intelligence des paroles
que vous entendez. Pourquoi donc, la parole étant la même pour tous,
l’intelligence en est-elle différente dans vos cœurs, sinon parce qu’au moment
où la parole de l’orateur s’adresse à tous sans distinction, il est un maître intérieure qui en révèle plus
particulièrement le sens à quelques uns ? C’est encore de cette onction de
l’Esprit que parle saint Jean lorsqu’il dit : « Son onction vous
enseignera toutes choses » (1 Jn 2, 27)[158].
Et de
s’extasier sur la puissance et la rapidité de l’action du saint Esprit :
Oh, quel artisan que cet
Esprit ! Il n’a besoin d’aucun délai pour instruire de ce qu’il veut
enseigner. à peine a-t-il touché
l’esprit qu’il instruit, que par son seul contact il réalise cet enseignement.
Car il transforme l’esprit humain dès qu’il y met sa lumière : il ôte en
un instant ce qui y était et en un instant il met ce qui n’y était pas[159].
La
révélation de la Vérité est réservée à ceux qui aiment et le prouvent par leurs
œuvres :
La splendeur d’une
« vision manifeste » est donc la révélation de la Vérité aimée. Et
cette vérité qui se manifeste à l’amour qui le mérite, se cache à juste titre à
ceux qui sont tièdes à faire le bien, car l’amour se reconnaît non aux
sentiments éprouvés mais à l’ardeur à bien agir[160].
Elle
est souvent accordée aux enfants, aux simples et aux petits, qui parfois
instruisent les sages des mystères divins :
Le Seigneur s’adresse
toujours à la simplicité : c’est avec elle qu’il choisit de parler et de
s’entretenir… Constatant qu’il n’avait pas obtenu que Dieu lui parlât
directement, [Héli] pria l’enfant [Samuel] de lui révéler le mystère divin. Et
la simplicité se fit interprète entre la divinité et l’expérience, et l’enfance
accepta de répondre. la science
de Dieu fut ainsi révélée à un tout jeune enfant, ignorant encore ce qui occupe
les hommes, parce que le Seigneur fait sa demeure chez les innocents et
s’entretient avec les simples. Il choisit les ignorants qui ne s’imaginent pas
que la parole reçue est leur parole, mais qui reconnaissent celui qui l’a dite
et en rendent grâces… Voilà pourquoi, en tout premier lieu, on voit Dieu
rejeter la ruse et choisir la simplicité[161].
Grâce
aux dons de sagesse, de science et d’intelligence, la doctrine progresse dans
l’Église, sans aucune altération, mais dans l’identité substantielle du donné
de la foi :
Peut-être dira-t-on :
« La doctrine chrétienne n’est susceptible d’aucun progrès dans l’Église
du Christ » ? Certes, il faut qu’il y en ait un, et
considérable ! Qui serait assez ennemi de l’humanité, assez hostile à Dieu
pour essayer de s’y opposer ? Mais sous réserve que ce progrès constitue
vraiment pour la foi un progrès et non une altération : le propre du
progrès étant que chaque chose s’accroît en demeurant elle-même, le propre de
l’altération, qu’une chose se transforme en une autre. Donc, que croissent et
que progressent largement l’intelligence, la science, la sagesse, tant celle
des individus que de la collectivité, tant celle d’un seul homme que de
l’Église tout entière, au cours des âges et des générations ; mais à
condition que ce soit exactement selon leur genre propre, c’est à dire dans le
même dogme, dans le même sens et dans la même pensée, eodem sensu eademque sententia[162].
Comme
celle de saint Augustin, et celle de tous les maîtres du xiiie siècle,
l’ecclésiologie de saint Thomas est, nous l’avons vu, fondamentalement une
ecclésiologie du corps mystique, centrée sur l’influx de la grâce capitale de
notre Chef sur ses membres. Autant dire qu’on ne trouve chez le docteur commun
aucun développement systématique sur le peuple de Dieu. Néanmoins, l’expression
« peuple de Dieu » est relativement fréquente chez lui (quelque
quatre vingt cinq emplois, en comptant ceux de la Catena aurea qui sont des citations patristiques). Une étude
systématique du contexte de ces occurrences[163]
permet, sinon une étude exhaustive — car bon nombre de textes peuvent évoquer
le peuple de Dieu sans employer l’expression —, du moins une induction fondée
sur une énumération suffisante.
En
dehors de la catena aurea (surtout sur saint Matthieu), on trouve
l’expression essentiellement dans un groupe d’œuvres nettement délimité.
·
Le Commentaire sur le IVe livre des
Sentences, où l’expression apparaît toujours au traité des sacrements,
presque toujours (une seule exception) dans le contexte de l’appartenance au
peuple de Dieu, ancien (par la circoncision) ou nouveau (par le caractère
baptismal, qui agrège définitivement au peuple de Dieu et habilite à recevoir
les autres sacrements).
·
La Somme de théologie (Ia-IIæ, IIa-IIæ et IIIa Pars, de manière
dispersée)
Dans la Ia-IIæ, la notion de peuple de Dieu est
limitée au traité de la loi, loi en
général et loi ancienne. L’expression désigne toujours l’ancien peuple.
Dans la IIa-IIæ, au traité de la religion. Il ne
s’agit du peuple de Dieu comme tel
qu’une fois, pour dire que ses coutumes ont force de loi (citation de saint Augustin
maintes fois reprise ailleurs)[164].
Les autres occurrences opposent peuple/prêtre, celui-ci étant médiateur entre
Dieu et les hommes pour la prière et les sacrifices.
Dans la IIIa Pars, les emplois de
l’expression sont très divers. On la trouve dans deux contextes
principaux : l’ancien peuple, et le nouveau peuple dans sa relation aux
prêtres, ses médiateurs.
·
Dans Contra Impugnantes, où Thomas cherche à
justifier la mission des religieux mendiants dans l’Église par comparaison avec
les structures du peuple d’Israël.
·
Dans De regimine principum, où c’est le
peuple confié au roi qui est désigné comme peuple de Dieu.
·
Le Commentaire sur Isaïe retient surtout la
dignité du peuple de Dieu, dont Dieu se fait étroitement solidaire.
·
Le Commentaire sur les psaumes
insiste particulièrement sur le rapport entre l’ancien peuple et le nouveau.
·
De même, le Commentaire sur saint
Matthieu, dans une perspective plus concrète et historique.
·
Le Commentaire sur les épîtres de saint Paul (aux Romains, 1e
et 2e aux Corinthiens et épître aux Hébreux) offrent un riche
enseignement sur le passage de l’ancien peuple au nouveau, et de celui-ci à
l’Église du ciel.
Mais
d’abord, qu’est-ce pour saint Thomas qu’un peuple en général et le peuple de
Dieu en particulier ?
Saint
Thomas donne plusieurs définitions du peuple en général, selon l’objet de la
discussion.
Ainsi,
cherchant dans la Ia Pars quelque
intelligence du mystère de la Trinité, il retient comme définition des noms
collectifs la pluralité des suppôts
et l’unité d’ordre. Par exemple, il
définit le peuple comme une multitude d’hommes (genre), unie par un ordre
(différence spécifique, qui à vrai dire conviendrait à toute société humaine) :
Dans sa
signification, le nom collectif implique deux choses : une pluralité de
suppôts, et une certaine unité entre eux, qui est l’unité d’un ordre. Un
peuple, par exemple, est une multitude d’hommes soumis à un certain ordre[165].
Au traité de la loi, il cite une
définition d’Augustin[166],
moins métaphysique et plus juridique, que nous avons déjà relevée. La
différence spécifique — unité d’ordre — est précisée : elle concerne
l’unité de droit et d’intérêts :
Augustin
cite cette définition du peuple par Cicéron : « C’est la multitude
rassemblée par les liens de l’unité de droit et de la communauté d’intérêts. »
Cela suppose essentiellement entre les citoyens des rapports réglés par de
justes lois[167].
Dans le commentaire sur l’épître
aux Hébreux enfin, Thomas s’interroge directement sur la notion de peuple de
Dieu. Il commence par rappeler, en l’abrégeant quelque peu, selon son habitude,
la définition d’Augustin citée plus haut :
« Un
peuple est le rassemblement d’une multitude, associée par un accord sur le
droit et la communauté des intérêts » : Populus est cœtus multitudinis, iuris
consensu et utilitatis commune sociatus[168].
Cette
définition convient aux peuples de la terre, mais aussi au peuple de Dieu, avec
les transpositions nécessaires. Si le droit sur lequel des hommes s’accordent
n’est autre que la loi divine, si le
bien commun en vue duquel ils coopèrent qui n’est autre que Dieu, le peuple qu’ils constituent est
le peuple de Dieu : Quando ergo consentiunt in ius divinæ legis,
ut sint ad invicem utiles et tendant in Deum, tunc est populus Dei. Et de
citer l’Apocalypse (chap. 21) : « Ils seront son peuple, et Dieu
lui-même sera leur Dieu avec eux ». Si l’Église est le peuple de Dieu,
Dieu est son Dieu, et même son « Dieu avec elle », son Emmanuel. Le
peuple de Dieu appartient à Dieu, et Dieu lui appartient : la possession —
si l’on ose ainsi parler, de par la volonté divine — est mutuelle et exclusive.
Mais, parmi tous les peuples, quel
est ce peuple régi par la loi divine et uni par la coopération en vue de
l’union à Dieu ? S’identifie-t-il à Israël, à l’Église chrétienne, ou à
quelque autre groupe humain ? La réponse à cette question requiert de
multiples nuances.
Avant le Christ, il s’agissait sans
aucun doute — quoi qu’il en soit des « bons païens » qui pouvaient
être sauvés individuellement par la foi au Christ à venir — des descendants d’Abraham,
Isaac et Jacob[169],
peuple particulier[170]
de Dieu, distingué de tout autre par la circoncision[171]
(qui enlevait le péché originel)[172]
et d’autres lois devenues nécessaires quand le peuple d’Israël s’était multiplié[173].
Dieu le protégeait[174],
abattait ses ennemis par le glaive[175],
châtiait les grands qui le dépouillaient, illos qui populo Dei iungebantur
prælationis iure, et ipsum tamen rebus spoliabant [176], et les
faux prophètes qui le détournent de Dieu en le trompant par le fausses
espérances humaines, illos qui dant populo Dei occasionem peccandi,
dum per confidentiam auxilii eorum de Dei confidere non curabant [177]. Dieu ne l’a pas rejeté pour
toujours[178].
Néanmoins, après le châtiment de l’Égypte, cinq de ses
villes, qui parlent une langue proche de celle des Hébreux — linguam cananeam, quæ confinis
est linguæ Iudæorum, ut in lingua etiam conveniant cum populo Dei — invoquent Dieu. L’Égypte se convertit, offre
des sacrifices et des oblations, et reçoit, avec la rémission de ses péchés, la
bénédiction divine, « parce que par les Apôtres le monde entier a reçu la
bénédiction de Dieu ». Ainsi, le prophète lui-même n’ignore pas que les
autres peuples de la terre sont appelés à entrer dans le peuple de Dieu, qui
reste son « héritage, car le Christ y est né et y a accompli les mystères
de notre salut » [179].
C’est, selon notre docteur, la figure de la gentilité intégrée à l’Église.
De fait, si l’expression
« peuple de Dieu » désigne chez saint Thomas, dans la majorité des
cas, l’ancien peuple de Dieu, souverainement cher à Dieu, populus Deo dilectissimus, par comparaison aux autres peuples
antérieurs au Christ, c’est, bien souvent, en tant que ce peuple préfigurait le
nouveau peuple, l’Église chrétienne — qui lui est plus chère encore[180].
Le parallélisme est particulièrement frappant dans le Scriptum, où les considérations sur
l’ancien peuple et son signe distinctif, la circoncision, n’ont pour but que
d’introduire la doctrine du baptême, dont le caractère « distingue le
nouveau peuple de Dieu du non peuple de Dieu », quod
per ipsum distinguitur populus dei a non populo dei[181], et agrège à celui-ci, l’Église, de manière en un sens
définitive, du fait qu’il est indélébile[182].
Dans le Contra impugnantes, il est toujours question, directement ou comme
point de comparaison, de l’Église : si l’on évoque les messagers non
prêtres envoyés au peuple de Dieu au livre d’Esther[183],
c’est par comparaison avec les religieux mendiants. Ceux-ci, entre autres à
cause de leur mobilité[184],
sont particulièrement appelés à « porter du fruit dans le peuple de
Dieu »[185].
Le peuple de Dieu,
c’est parfois aussi, chez saint Thomas, le peuple chrétien, la chrétienté qui a
des besoins très concrets à satisfaire, sous peine de disparaître. Ainsi, dans
le Commentaire sur saint Matthieu,
quand le Seigneur dit de ne pas se soucier du lendemain, « il
n’entend pas qu’on ne doive pas se soucier de l’avenir ; s’il en était
ainsi en effet, le peuple de Dieu périrait, car il ne faudrait pas rassembler
en été de quoi manger en hiver » [186].
La perspective de Thomas s’avère à la fois très concrète et très
spirituelle : c’est parce que ce peuple appartient à Dieu qu’il importe à
tout prix d’assurer sa survie.
Les
modernes pourront cependant s’étonner que saint Thomas semble assimiler
implicitement ou explicitement le peuple confié à un prince chrétien au « peuple
de Dieu », et le prince lui-même aux pasteurs de ce peuple. Ainsi, dans De regimine principum, il évoque
l’exemple d’Églon, mettant à mort le roi de Moab, « qui soumettait le
peuple de Dieu à une lourde servitude »[187],
à propos du problème du régicide. Et si Dieu a récompensé même de mauvais rois
qui faisaient son œuvre sans le savoir,
que fera-t-il pour les bons
rois, qui régissent le peuple de Dieu avec une intention pieuse, et combattent
ses ennemis ? Assurément, on leur promet, non une récompense terrestre,
mais éternelle, consistant en [Dieu] lui-même, puisque Pierre dit aux pasteurs
du peuple de Dieu : « Paissez le troupeau de Dieu… »[188]
Dans
une société dont presque tous les membres appartenaient à l’Église, un tel fait
est moins surprenant : matériellement, le peuple confié à un roi est
identique au « peuple chrétien » confié aux évêques du même
territoire, et ultimement au pape lui-même[189]. Pour saint Thomas, la grandeur du prince chrétien, c’est justement que ceux
qu’il a à gouverner, ce sont les membres d’un peuple qui appartient à Dieu, et,
que, dans son ordre qui est l’ordre temporel, il doit régir « avec une
intention pieuse » : en vue de le conduire à Dieu. C’est pourquoi, sans
confusion entre le temporel et le spirituel, on peut le comparer aux chefs
religieux des communautés auxquels s’adresse saint Pierre, et il aura la même
récompense.
Inversement, ce
serait un sacrilège de confier le gouvernement du peuple chrétien à un prince
non chrétien :
Le
peuple chrétien est un peuple saint, sanctifié par la foi et les sacrements du
Christ. « Vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés », dit l’Apôtre (1
Co 6, 11) . Et S. Pierre lui fait écho (1 P 2, 9) : « Vous êtes
une race choisie, une nation sainte, un peuple acquis. » C’est faire offense au
peuple chrétien que de mettre à sa tête des infidèles, et il est raisonnable
d’appeler sacrilège cette irrévérence à l’égard d’une sainteté véritable[190].
Avec
toute la tradition patristique, saint Thomas reconnaît dans l’ancien peuple de
Dieu, Israël, la figure de l’Église. Les attestations en sont innombrables, dès
l’époque des Sentences et jusqu’aux
dernières années de notre auteur.
Ainsi,
dans le prologue de son Commentaire sur
les Psaumes, notre docteur affirme d’emblée de la « persécution qui
sévit contre tout le peuple de Dieu » doit s’interpréter comme la
persécution du Christ total :
David au cours de son règne
prie face à une double persécution, contra
duplicem impugnationem vel persecutionem orat. En premier lieu, face à la
persécution qui sévit contre tout le peuple de Dieu, contra totum populum dei…
Et c’est pourquoi ce livre expose d’abord les psaumes qui concernent la
première persécution de David, en tant que ceux-ci signifient la persécution
contre le Christ et l’Église »[191].
Dans
le Commentaire sur la 1e
épître aux Corinthiens, cependant, le parallélisme établi entre
l’immolation de l’agneau pascal et celle du Christ exprime bien la complexité
de la notion de peuple de Dieu ; des deux côtés, une victime est sacrifiée
par les fils d’Israël pour libérer le peuple de Dieu, mais la première fois les
fils d’Israël s’identifient quasi adéquatement au peuple de Dieu, non la
seconde :
De même que l’agneau pascal
était immolé par les fils d’Israël, a
filiis israel, pour que le
peuple de Dieu fût libéré, ut populus dei liberaretur, par l’ange
exterminateur, de même le Christ a été mis à mort par les fils d’Israël, a filiis israel,
afin que par son sang le peuple de Dieu fût libéré, populus dei liberaretur,
des attaques du diable et de la servitude du péché par le baptême comme à
travers la Mer Rouge[192].
Comment
donc concilier l’attribution de l’expression « peuple de Dieu » à
l’ancien Israël à l’Église chrétienne ? Comment le passage de l’un à
l’autre peuple s’est-il effectué, et comment rendre compte de leur unité
ultime ?
Le
baptême est appelé « sacrement de la foi » parce qu’il comporte une
profession de foi, et que par lui l’homme est agrégé à la société des croyants.
Or, notre foi est la même que celle des anciens Pères, dit l’Apôtre (2
Co 4, 13) : « C’est animés du même esprit de foi que nous
croyons ». Mais la circoncision était comme une profession de foi ; aussi
par la circoncision les anciens étaient-ils incorporés à la communauté des
croyants. Ainsi est-il évident que la circoncision était une préparation et une
figure du baptême, puisque, pour les anciens Pères, tout était une figure de
l’avenir (1Co 10, 11), de même que leur foi avait l’avenir pour objet[193].
Déjà
dans le Commentaire sur saint Matthieu,
saint Thomas montre que la prédication du Christ met fin à l’exclusivité des
privilèges d’Israël : à présent, le peuple
de Dieu s’étend, grâce au Christ, à toutes les nations.
« Il annoncera le salut
aux nations », c’est-à-dire, il enseignera aux nations les jugements de
Dieu. Autrefois les Juifs se glorifiaient d’être le peuple particulier de Dieu,
antiquitus gloriabantur iudæi se esse populum dei peculiarem ; aussi
disaient-ils (Ps 97, 20) : « Il n’en a pas fait autant pour toute
nation, et il ne leur a pas manifesté ses jugements ». Mais cela a été dit
aux nations. C’est pourquoi « il annoncera aux nations »[194].
Commentant
la 1e épître aux Corinthiens,
le docteur commun note au passage que l’on entrait essentiellement dans
l’ancien peuple de Dieu par voie de descendance charnelle — d’où l’universalité
du précepte du mariage —, alors que, dans l’Église chrétienne, on entre par le
baptême :
Le mariage fut nécessaire
aussi longtemps qu’il fallut multiplier le peuple de Dieu par la succession de
la chair, oportuit multiplicari populum
Dei per successionem carnis. Mais à présent ce peuple s’est déjà multiplié,
iam multiplicatum et populum dei, et se multiplie non par la
propagation charnelle mais par la régénération baptismale[195].
Dans
son Commentaire sur l’épître aux Romains,
saint Thomas explique le passage de l’ancien peuple au nouveau avec une
profondeur particulière. Contrairement à l’interprétation de la Glose, notre
auteur ne pense pas que les privilèges que saint Paul reconnaît à Israël soient
limités au temps précédant le Christ : ceci anéantirait la fidélité de
Dieu, qui ne peut être subordonnée à l’incrédulité des hommes[196].
En
effet, si toute la postérité de Jacob était comptée comme faisant partie du
peuple de Dieu, il n’en était pas de même de celle d’Ésaü[197].
Cette exclusion signifie
l’exclusion des incrédules du peuple de Dieu définitif : comme les fils
d’Ésaü, ceux des descendants d’Abraham qui n’ont pas imité sa foi ne méritent
pas d’être comptés parmi le peuple de Dieu, mais seulement ceux qui imitent la
foi d’Abraham. Ce qui prouve que
même dans l’ancien Israël l’appartenance au peuple de Dieu ne dépendait pas
uniquement de la descendance charnelle[198].
Ainsi, le peuple d’Israël n’est pas purement charnel, et c’est pourquoi il peut
figurer le nouveau peuple, qui est tout spirituel.
Avant
le Christ, explique encore saint Thomas, « les gentils étaient étrangers à trois privilèges qui
distinguaient les Juifs »[199] :
Le premier était le culte de Dieu, et c’est à ce titre qu’on
les appelait peuple de Dieu, cultus,
ratione cuius dicebantur populus dei,
comme le servant et obéissant à ses préceptes. Aussi est-il dit dans un
psaume : « Nous sommes son peuple et les brebis de son
pâturage ». Mais les gentils étaient étrangers à la société de ce peuple[200].
Culte
semble pris ici dans un sens large, incluant la liturgie mais aussi
l’obéissance à la loi. Ceux qui servent Dieu de la sorte sont peuple de Dieu,
les autres en sont exclus :
il leur a été dit, c’est-à-dire aux gentils, par les
Juifs parlant comme au nom de Dieu : vous n’êtes pas mon peuple, parce
qu’ils ne les regardaient pas comme le peuple de Dieu[201].
Mais précisément,
grâce au Christ, les autres nations vont participer au privilège de servir Dieu
par ce double « culte » : « Grâce au Christ, ils sont
devenus, [de non peuple de Dieu], peuple de Dieu », per christum facti sunt
populus dei[202].
Bien mieux, alors qu’auparavant ils étaient exclus du peuple des promesses, ils
deviennent d’un coup fils de Dieu :
Non seulement les gentils
n’étaient pas appelés du nom de fils, lequel appartient à ceux qui servent Dieu
par amour et sont conduits par son Esprit, comme on l’a dit plus haut, mais ils
n’étaient même pas dignes d’être appelés peuple de Dieu, nom qui pouvait aussi
appartenir à ceux qui avaient reçu un esprit de servitude et de crainte… Ils
seront appelés fils de Dieu, par l’adoption divine[203].
Un peuple peut donc
appartenir à Dieu à divers titres : l’expression « peuple de Dieu»
peut désigner, soit ceux qui appartiennent à Dieu par l’amour et l’esprit
filial, soit ceux qui lui appartiennent en ce qu’ils lui obéissent par crainte
comme des esclaves.
Vers
la même époque (fin 1272-1273), saint Thomas, dans ses Postilla in Psalmos, note que « le psalmiste (invite) les
nations à la joie et à l’action de grâces pour les bienfaits accordés au peuple
de Dieu »[204].
Ce qui pourrait sembler étrange, si le peuple de Dieu ne devait un jour les
englober toutes : un jour, « Dieu régnera sur toutes les nations,
puisque toutes les nations se convertiront à Dieu »[205].
Ainsi,
par la conversion des Gentils au Christ, l’ancien peuple de Dieu se transforme
en nouveau peuple par passage de la figure à la réalité ; d’un
renouvellement principalement charnel — signifié par la circoncision — à un
renouvellement spirituel — signifié et opéré par le baptême ; des
privilèges particuliers réservés à un seul peuple — culte, amour d’élection,
délivrance du péché originel assuré par la circoncision — au don surabondant de
la filiation divine accordé gracieusement à toutes les nations de
l’univers ; celles-ci, qui autrefois n’étaient pas un peuple, deviennent
peuple de Dieu ; elles qui n’avaient pas obtenu miséricorde, obtiennent
miséricorde[206], et elles tressaillent
de joie avec les fils de Jacob pour les bienfaits de Dieu.
Si
l’ancien Israël représente ainsi une parfaite figure du nouveau, c’est qu’en
réalité, il n’y a qu’un seul « peuple de la promesse », ouvert à tous
les fils d’Abraham selon l’esprit, à tous ceux qui, avant le Christ, ont cru au
Messie promis, et « se (sont portés) vers le Christ par la même foi et le
même amour par lesquels nous nous y portons aussi[207] »
après sa venue. C’est de cette unique foi que la circoncision était le signe
dans l’ancienne Alliance comme le baptême dans la nouvelle :
Le
baptême est appelé « sacrement de la foi » parce qu’il comporte une
profession de foi, et que par lui l’homme est agrégé à la société des croyants.
Or, notre foi est la même que celle des anciens Pères, dit S. Paul (2
Co 4, 13) : « C’est animés du même esprit de foi que nous
croyons ». Mais la circoncision était comme une profession de foi ; aussi
par la circoncision les anciens étaient-ils incorporés à la communauté des
croyants. Ainsi est-il évident que la circoncision était une préparation et une
figure du baptême, puisque, pour les anciens Pères, tout était une figure de
l’avenir (1Co 10, 11), de même que leur foi avait l’avenir pour objet[208].
C’est
celui-ci qui est, pour Thomas comme pour Augustin, le point de référence
central de tous les croyants dans tout le cours de l’histoire, et c’est
pourquoi le peuple de Dieu est unique.
Le
peuple qui renierait le Christ cesserait, comme tel, d’être peuple de
Dieu :
Lui-même sauvera son peuple,
qu’il s’est acquis par son sang, son propre peuple. Comme le dit Daniel (9,
26) : « Il ne sera pas mon peuple, celui qui le reniera ». Aussi
le peuple du Seigneur est-il tel par la foi : « Vous êtes un peuple
choisi, un sacerdoce royal, une nation sainte, le peuple qu’il s’est
acquis » (I P 2, 9)[209].
Mais
ce sont les hommes qui lui appartiennent à des titres divers, soit
charnellement et servilement[210],
soit charnellement et spirituellement[211],
soit d’une manière purement spirituelle, par l’esprit filial dans la liberté
des enfants de Dieu.
Le
peuple de Dieu, parvenu à sa maturité dans la nouvelle Alliance, doit-il donc
subsister pour l’éternité ? Oui, il doit être « consommé »,
quand le nombre des fidèles fixé par Dieu sera atteint, et que notre Emmanuel
habitera avec eux d’une manière nouvelle :
« Voici que je suis avec
vous jusqu’à la consommation des siècles ». Il ne dit pas cela, au sens où
il ne serait avec nous que jusqu’à la consommation du siècle, mais parce
qu’alors nous serons par la consommation dans la gloire : « Voici le
tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux ; et eux
seront son peuple, et Dieu lui-même sera leur Dieu avec eux » (Ap 21, 3).
Aussi est-il dit aussi en Isaïe (chap. 7) : « Il recevra le nom
d’Emmanuel, qui se traduit : “Dieu avec nous“ ».
« Jusqu’à la
consommation des siècles » : Comme s’il disait : la génération
des fidèles est plus forte que le monde. En effet le monde ne périra pas,
jusqu’à ce que tout cela se réalise, c’est-à-dire que l’Église des fidèles soit
consommée, et que soit complété le nombre des élus pour la vie éternelle par
Dieu, à qui est l’honneur et la puissance pour les siècles des siècles sans fin[212].
Ce
sera alors le repos définitif, le dernier des trois « repos » évoqués par l’Écriture : le repos
de Dieu apès son ouvrage, le repos des fils d’Israël après l’entrée en Terre
promise, le repos éternel. Le repos de la terre ne suffit pas au peuple de
Dieu : après le repos de l’entrée en terre promise, le peuple de Dieu doit
encore en attendre un autre : l’entrée dans le repos de Dieu, figuré par
le sabbat :
L’Apôtre ici, avant de faire
mention du repos éternel, dit qu’après le repos terrestre est encore laissé,
c’est-à-dire demeure, « le sabbat pour le peuple de Dieu », qui dans
l’ancienne Loi était représenté par le sabbat, à savoir le repos éternel[213].
à la suite des Pères[215]
et des victorins, saint Thomas
connaissait dès le début de son enseignement l’étymologie de « Christ »
— unctus — et sa signification
vétéro-testamentaire :
Cette onction [la
confirmation], comme le dit Hugues de Saint-Victor, signifie cette onction par
laquelle le Christ a été oint comme roi et prêtre par une huile d’allégresse de
préférence à ses compagnons. C’est pourquoi aussi on parle de
« Christ » à partir de « chrême », et de
« chrétien » à partir de « Christ ». Et c’est pourquoi
aussi Denys dit que « Christ est signifié par chrême » [216].
Mais
il ne systématisera ces données que dans la dernière partie de sa vie, à la
suite de ses commentaires sur le Nouveau Testament et les psaumes. Dans son Commentaire sur saint Matthieu, et plus
tard dans ses Postilla in Psalmos, il
distingue non plus deux, mais trois catégories de personnes ointes sous la loi
ancienne :
Il y avait trois onctions
sous la loi ancienne : Aaron est oint pour le sacerdoce (Lev 8, 19) ;
Saül est oint par Samuel pour la royauté (1 S 10, 1), ainsi que David
(1 S 16, 13) ; et Élisée est oint pour devenir prophète (2 R 19,
16)[217].
Dans l’ancienne alliance, on
donnait l’onction aux prêtres et aux rois, comme ce fut le cas pour david (1 S 16, 13) et Salomon (1 R 1).
Et les prophètes aussi recevaient l’onction, comme ce fut le cas pour Élisée
qui fut oint par Élie (1 R 19, 16)[218].
Dans la Somme, saint Thomas étudie chacun des tria munera du Christ de manière
approfondie dans des passages de la IIIa
Pars très éloignés :
·
la prophétie,
à propos de la grâce du Christ, à la question 7, a 8 :
Quand
Dieu, les anges ou les bienheureux connaissent et annoncent des choses qui
échappent à notre connaissance, cela ne relève pas de la prophétie, car ils ne
partagent d’aucune manière notre état de vie. Le Christ, au contraire, avant sa
passion, se trouvait dans le même état que nous, puisqu’il était non seulement
compréhenseur, mais encore voyageur. Il pouvait donc, à la manière d’un
prophète, connaître et annoncer les choses qui n’étaient pas à la portée des
autres voyageurs. Sous ce rapport on peut dire qu’il possédait le don de
prophétie[219].
·
le sacerdoce,
à la question 22 ;
·
la royauté, de
manière plus diffuse, aux questions 57-59.
Cependant il n’ignore
pas le thème de la triple onction du Christ. Après ses ancêtres Abraham, le
roi-prêtre, et David, le roi-prophète[220], celui-ci cumule les trois onctions, non
matériellement mais du fait de l’Esprit saint.
Il est l’Oint par excellence[221]:
Dans l’Écriture, les réalités
divines nous sont livrées selon les mœurs humaines. Ainsi, parce que les hommes
étaient ainsi oints… on dit, pour montrer l’excellence du Christ, qu’il fut
oint « d’une huile d’exultation ». En effet, il est lui-même
roi : « Voici que le roi régnera dans la justice » (Is 7)… Il
est aussi prêtre : « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de
Melchisédech » (Ps 109)… Il fut également prophète : « Le
Seigneur te suscitera de ta nation et d’entre tes frères un prophète semblable
à moi » (Dt 18). Et il lui convenait donc d’être oint de l’huile de
sanctification et d’allégresse [le Saint Esprit][222].
[Ces trois onctions conviennent
au Christ]. En effet, il était roi : « Il régnera sur la maison de jacob à jamais » (Lc 1, 33). Il
fut aussi prêtre et s’offrit lui-même en sacrifice (Ep 5, 2). Il fut de même
prophète et proclama la voie du salut : « Le seigneur suscitera un
prophète parmi les fils d’Israël » (Dt 18, 15). Comment a-t-il été
oint ? Non par une huile visible, car « son royaume n’est pas de ce
monde » (Jn 18, 36). Et comme il n’a pas rempli un sacerdoce matériel il
n’a donc pas été oint d’une huile matérielle, mais de l’huile de l’Esprit Saint[223].
Possédant
toutes les grâces en perfection, le Christ est source de toute grâce :
Les autres hommes possèdent
certaines grâces particulières, mais le Christ, en tant que tête de tous les
hommes, possède la perfection de toutes les grâces. Et c’est pourquoi, en ce
qui regarde les autres hommes, l’un est législateur, l’autre prêtre, l’autre
roi ; au contraire, toutes ces qualités sont réunies dans le Christ en
tant que source de toutes les grâces[224].
Comme
son unique grâce capitale, son unique onction triforme s’écoule dans ses
fidèles, qui sont pour ce motif appelés chrétiens :
« Vous êtes une race
choisie, un sacerdoce royal » (1 P 2, 9). Et cela par la grâce du Christ[225].
Cette onction [du Christ]
convient aussi aux chrétiens. Ils sont en effet rois et prêtres :
« Vous êtes une race élue, un sacerdoce royal » (1 P 2, 9) —
« Tu nous as faits pour Dieu un royaume et des prêtres » (Ap 5, 10).
Ils ont également reçu l’Esprit Saint qui est l’Esprit de prophétie…
Mais quel rapport, comparatio, y a-t-il entre le Christ
oint et les chrétiens oints comme lui ? Le voici : lui possède
l’onction à titre principal et premier, principaliter
et primo, nous et les autres l’avons en tant qu’elle est répandue par lui, ab eo effusam : « Comme un
onguent sur la tête… » (ps. 127, 2). Et [notre passage, He 1, 9]
dit : « Avant tous les tiens qui participent, præ particibus tuis », et Jn 1, 16 : « De sa
plénitude nous avons tous reçu ». C’est pourquoi les autres sont appelés
saints, mais lui est le saint des saints. Il est la racine, radix, de toute sainteté. L’Écriture
parle ici d’une huile de joie ou d’exultation, car de cette onction procède la
joie spirituelle[226].
Onction
à la fois christique et pneumatologique, commune à toute l’Église en même temps
que propre à chaque fidèle, puisqu’elle désigne finalement la grâce du
Saint-Esprit découlant du Christ sur ses membres :
De même que l’Église est
ointe, les fidèles sont aussi oints d’une onction spirituelle, pour être
sanctifiés, sans quoi ils ne seraient pas chrétiens, puisque
« Christ » veut dire « oint ». Et cette onction, c’est la
grâce du Saint-Esprit[227].
Cet
écoulement cependant se réalise selon des modalités différenciées, selon qu’il
s’agit des ministres ou des fidèles.
Le
caractère du sacrement de l’ordre réalise une configuration spéciale au
sacerdoce du Christ tête, entraînant un triple « office »[228] :
« Allez, enseignez
toutes les nations, et baptisez-les… » Un triple office est confié par le
Christ ; premièrement l’enseignement… ; deuxièmement, le baptême…
troisièmement, pour régler tout ce qui concerne les mœurs…[229]
Il
s’agit d’un ordre de génération, non
de perfection : la fonction prophétique de la prédication[230]
engendre le foi, qui conduit au baptême et aux autres sacrements donnés par le
prêtre, et dès lors la vie du baptisé doit être conduite par la fonction royale
de gouvernement.
On
trouve une énumération un peu différente — correspondant plutôt à l’ordre de
perfection — dans le Prologue du Commentaire
sur la seconde épître aux Corinthiens : dispensation des mystères,
gouvernement, prédication. Saint
Thomas montre qu’alors que la 1e épître aux Corinthiens était
consacrée aux sacrements, la seconde traite des ministres des sacrements. Les
vrais apôtres sont ministres à trois titres :
Quant à la dispensation des
sacrements… Quant au gouvernement, à savoir en tant qu’ils gouvernent le peuple
de Dieu, inquantum gubernant populum Dei …
Troisièmement, quant à la réalisation, operationem,
du salut des hommes, en tant que par leur ministère et leur prédication les
hommes ont été convertis au salut. De ce salut, Dieu est seul le [premier]
auteur, auctor, en tant qu’il est
venu lui-même sauver ce qui était perdu »[231].
Quoi
qu’il en soit de l’ordre adopté, il est clair que le Christ a confié l’office
de sanctifier les fidèles aux Apôtres et à leurs successeurs, soit à titre
purement instrumental, dans le ministère des sacrements[232],
soit à titre de causes secondes, dans les charges d’enseignement et de
gouvernement. Mais qu’en est-il des autres fidèles ?
Par
la réception du baptême et de la confirmation, le fidèle est rendu lui aussi
conforme au Christ, prophète, prêtre et roi. à
quel titre ?
Saint Thomas a peu explicité le thème de la dignité
prophétique des fidèles. Il consacre cependant à la prophétie en général[233]
bon nombre de passages susceptibles d’éclairer notre propos. Qu’est-ce donc pour lui que la
prophétie ? Et à quel titre peut-on dire que l’Église est un peuple
prophétique ? est-ce seulement
parce que certains de ses membres jouissent de ce charisme au bénéfice de tous,
ou parce que chaque fidèle le reçoit dans quelque mesure ?
Relevons seulement les indications
fournies par deux groupes de textes.
Commentant la première épître aux
Corinthiens, le docteur commun propose au passage deux étymologies du mot
« prophète » selon Isidore — for
faris, « voir de loin », ou pharos,
« voir »[234]—,
lesquelles lui fourniront le a quo de
ce mot analogue. Puis vient une brève définition :
La
vision de ce qui est éloigné, qu’il s’agisse de réalités futures contingentes
ou de réalités au-delà de la raison, est appelée prophétie. La prophétie est
donc la vision ou la manifestation de réalités futures contingentes, ou de
réalités dépassant l’intelligence humaine[235].
Une telle vision, au sens strict,
requiert quatre éléments : des « similitudes corporelles » dans
l’imagination, une « lumière intellectuelle illuminant l’intellect »
pour les interpréter, « l’audace pour annoncer ce qui est révélé »,
car tel est le but de la prophétie, enfin « l’opération des
miracles », nécessaire pour les accréditer[236].
« Prophète » se dit
analogiquement selon la présence de ces divers éléments :
—
« En un sens impropre et très éloigné »,
pour désigner celui qui a seulement des visions imaginaires.
—
« Celui qui a une lumière intellectuelle pour
expliquer les visions imaginaires envoyées à lui-même ou à un autre, ou bien
pour expliquer les paroles des prophètes, ou les écrits des apôtres, et ainsi
on appelle prophète tout homme qui pénètre, discernit,
le sens des Écritures », en vertu d’une « lumière intellectuelle qui
lui confère un regard clair et subtil ».
—
« Celui qui annonce, expose ou chante dans
l’église les paroles des prophètes ».
Le prophète, c’est pas seulement celui qui reçoit
directement d’en haut des révélations nouvelles, mais aussi celui à qui le
Saint-Esprit accorde une lumière intellectuelle pour pénétrer et expliquer,
voire lire à l’église, les prophéties reçues par les autres au titre de sa fonction
dans l’Église. Il agit alors à la manière d’un instrument, à la différence des
professeurs qui enseignent dans les universités. Un peu plus haut, Thomas exprimait déjà la même idée :
Ceux
qui disent des prophéties dans l’église, ou qui lisent les autres Écritures
saintes, sont appelés prophétants, prophetantes[237].
Celui
qui prêche ou enseigne dans les écoles parle en sa propre personne… Mais celui
qui prononce l’Écriture sainte à
l’église, par exemple celui qui lit la leçon, ou l’épître, ou l’évangile, parle
en la personne de toute l’Église. Et
c’est d’un tel « prophétant » que parle ici l’Apôtre[238].
Même ouverture, à la fin de sa vie, dans le commentaire
sur l’épître aux romains :
On appelle aussi prophètes,
dans le Nouveau Testament, ceux qui exposent
les paroles prophétiques, puisque c’est par le même Esprit que l’Écriture
Sainte est publiée et interprétée[239].
—
Celui qui opère des miracles[240].
Selon toute cette série de textes, il s’agit donc, non
d’une vertu[241], mais d’une grâce gratis data accordée à quelques uns en
vue du bien commun de l’Église, non d’un privilège de chaque chrétien : « Il y a beaucoup de spirituels qui ne
sont pas prophètes, quoique tous les prophètes soient spirituels »[242].
·
Qu’est-ce que
la prophétie ?
Dans la Somme,
notre docteur ouvre son traité de la prophétie par une définition nominale, à
partir d’une autre étymologie traditionnelle[243]. Il réduit les conditions retenues dans le
Commentaire de la 1e épître aux Corinthiens à trois, en regroupant
la première et la seconde ; il distingue nettement ce qui appartient à l’essence de la prophétie —
principalement, la connaissance de faits qui échappent à la connaissance
humaine naturelle[244], et secondairement, la
déclaration de cette révélation — et ce qui vient seulement la confirmer, le miracle :
La
prophétie est premièrement et principalement
un acte de connaissance ; en
effet les prophètes connaissent les réalités qui échappent à la connaissance
ordinaire des hommes. Aussi peut-on dire que le nom de « prophète »
est composé de pro, c’est-à-dire «
loin » et de phanos qui signifie
« apparition », parce que les prophètes voient apparaître ce qui est
éloigné. Voilà pourquoi, d’après Isidore, « ils étaient nommés voyants
dans l’Ancien Testament, car ils voyaient ce qui échappait aux autres, et ils
percevaient ce qui était enveloppé de mystères ». Dans le paganisme, on
les appelait vates à cause de la
force de leur esprit (vi mentis).
La
prophétie est secondairement un discours. L’Apôtre écrit (1 Co 12,
7) : « La manifestation de l’Esprit est donnée à chacun pour l’utilité
commune », et « en vue de l’édification de l’Église ». Ce que
les prophètes instruits par Dieu connaissent, ils l’annoncent aux autres afin
de les édifier, comme dit Isaïe (Is 21, 10) : « Ce que j’ai entendu
du Seigneur des armées, du Dieu d’Israël, je vous l’ai annoncé ». à la suite d’Isidore on peut donc
considérer les prophètes comme des « prédisants », parce qu’ils « disent
de loin » (porro) c’est-à-dire
d’événements éloignés, « et annoncent la vérité sur l’avenir ».
La
prophétie implique le miracle, qui en
est comme la confirmation. En effet, les vérités que Dieu révèle et qui
surpassent la connaissance des hommes ne sauraient être confirmées par la
raison humaine qu’elles dépassent, mais par l’action de la puissance divine ;
comme le remarque Marc (Mc 16, 20), « les Apôtres prêchèrent en tous
lieux, le Seigneur les assistant et confirmant leur parole par les miracles qui
l’accompagnaient ». On lit aussi dans le Deutéronome (Dt 34,
10) : « En ce qui concerne les signes et les miracles, il ne s’est
plus levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que le Seigneur connaissait
face à face »[245].
Elle requiert à la fois une
inspiration et une révélation :
La
prophétie requiert que la portée de l’esprit humain soit accrue afin de
percevoir les réalités divines ; c’est ce que veut dire ce texte d’Ézéchiel
(Ez 2, 1) : « Fils d’homme, tiens-toi debout et je te
parlerai ». Or cette surélévation de la capacité intellectuelle se fait
sous la motion du Saint-Esprit ; aussi Ézéchiel poursuit-il :
« L’Esprit entra en moi et me fit tenir debout ». Lorsque la portée
de l’esprit humain est surélevée pour lui faire saisir les réalités
supérieures, il perçoit les mystères divins. Voilà pourquoi Ézéchiel
ajoute : « Et j’ai entendu celui qui me parlait ». Ainsi donc la
prophétie exige, d’une part, une inspiration, c’est-à-dire une surélévation de
l’esprit : « L’inspiration du Tout-Puissant donne l’intelligence[246] »,
écrit Job (Jb 32, 8). D’autre part, elle requiert une révélation,
c’est-à-dire une perception des réalités divines ; par là s’achève la
prophétie, puisque la révélation fait tomber le voile d’obscurité et
d’ignorance suivant le mot de Job (Jb 12, 22) : « Dieu révèle
les choses cachées au fond des ténèbres »[247].
·
Qui jouit du don de prophétie ?
En d’autres termes, qui dans le peuple de Dieu peut
déclarer de la part de Dieu des vérités qui ne peuvent être que
surnaturelles ? Les inspirés ? Les clercs, ou les prédicateurs ?
Tout fidèle ?
Dans
l’instruction du peuple chrétien, notre docteur dégage à la suite de Denys
divers degrés, mais, à la différence de l’Aréopagite, il n’en réserve que le
plus élevé aux évêques. L’enseignement visant à la conversion et à l’éducation
à la vie chrétienne peut revenir à n’importe quel fidèle :
Il y a
diverses sortes d’instruction. L’une est destinée à convertir à la foi, et
Denys l’attribue à l’évêque ; mais elle peut revenir à n’importe quel
prédicateur, ou même à n’importe quel fidèle. — Une autre enseigne les
rudiments de la foi et la manière de recevoir les sacrements ; elle
incombe secondairement aux ministres, et principalement aux prêtres. — Une
autre encore enseigne à vivre chrétiennement, et celle-là revient aux parrains.
— La quatrième enfin enseigne les profondeurs des mystères de la foi et la perfection
de la vie chrétienne. Et celle-là, d’office, appartient aux évêques[248].
L’enseignement
est rendu plus efficace par la « grâce du discours », qui « a
pour objet l’instruction des gens »[249]. Ce charisme est ordonné à rendre la
prédication plus efficace :
Les
dons gratuits sont donnés en vue de l’utilité commune, on l’a dit. Or la
connaissance que l’on reçoit de Dieu ne saurait servir à l’utilité d’autrui
qu’au moyen du discours. Et comme le Saint-Esprit n’omet rien de ce qui est
utile à l’Église, il assiste aussi ses membres dans leurs discours, non
seulement pour qu’ils soient compris de tous, ce qui appartient au don des
langues, mais encore pour qu’ils parlent avec efficacité, ce qui relève de la
grâce du discours. Cette grâce du discours a un triple effet. En premier lieu,
instruire l’intelligence des auditeurs. Ensuite, plaire à leur cœur, afin
qu’ils écoutent volontiers la parole divine. Enfin, toucher leur âme, pour
qu’ils aiment la vérité et la mettent en pratique.
Il
agit instrumentalement pour convaincre les auditeurs, mais c’est le
Saint-Esprit qui opère dans l’âme des auditeurs comme cause première :
Pour
cela, le Saint-Esprit se sert de la langue humaine comme d’un instrument ;
mais c’est lui-même qui achève intérieurement le travail. Aussi Grégoire dit-il
dans une homélie de la Pentecôte : « Si le Saint-Esprit ne remplit
pas le cœur des auditeurs, c’est en vain que la voix des prédicateurs résonne à
leurs oreilles »[250].
Dans
l’enseignement privé, « à l’adresse d’une ou de quelques personnes, dans un
entretien familier,… la grâce du discours peut » même « convenir aux
femmes », qui ont fort bien pu recevoir « le don de sagesse et de
science » [251].
Mais l’enseignement public — la prédication — revient normalement aux prêtres, et peut dans
des cas particuliers être confié à des hommes laïcs « en vertu d’une
commission »[252]. Les
femmes en sont exclues.
En revanche, la grâce gratis data
de prophétie, en
tant qu’elle donne la connaissance des choses cachées, convient aussi bien, à
la différence du sacrement de l’ordre, aux femmes qu’aux hommes :
La
prophétie n’est pas un sacrement, mais un don de Dieu. Aussi la signification
n’est-elle pas exigée dans ce cas, mais seulement la réalité. Or selon la
réalité, en ce qui concerne l’âme, la femme ne diffère pas de l’homme, puisque
parfois on trouve une femme meilleure que beaucoup d’hommes ; c’est
pourquoi elle peut recevoir le don de prophétie et autres de ce genre, mais non
le sacrement de l’ordre[253].
Dans la
grâce de la prophétie, c’est l’esprit qui est illuminé par Dieu. Or, sous ce
rapport de l’esprit, il n’y a pas de différence de sexe entre les humains,
selon cette parole (Col 3, 10) : « Vous avez revêtu l’homme
nouveau, qui se renouvelle suivant l’image de celui qui l’a créé ». Dans
ce renouvellement, « il n’y a plus ni homme, ni femme »[254].
Cependant, si les femmes peuvent
recevoir des révélations prophétiques aussi bien que les hommes, elles ne
peuvent les faire connaître qu’en privé, une intervention en chaire étant
contraire à la verecundia qui leur
convient[255].
Toutes les formes de prophétie que
nous avons évoquées jusqu’à présent ne concernent qu’un nombre limité de
fidèles[256].
Mais qu’en est-il du commun des baptisés ? Saint Thomas ne dit jamais que
chacun d’eux soit prophète, mais, après avoir affirmé que les chrétiens ont
part à l’onction royale et sacerdotale du Christ — donc dans le contexte des tria munera dérivant de « l’onction
du Saint » —, il ajoute :
Ils ont également reçu l’Esprit Saint qui est l’Esprit de
prophétie : « Je répandrai de mon esprit sur toute chair » (Jl 2, 28, cf. Ac 2, 17). C’est
pourquoi ils sont tous oints d’une onction invisible : « Celui qui
nous affermit avec vous dans le Christ et qui nous a donné l’onction, c’est
Dieu » (2 Co 1, 21). — « Vous avez reçu l’onction du Saint, et vous savez
tout » (1 Jn 2, 20)[257].
L’Esprit Saint peut révéler la
sagesse de Dieu, parce qu’il scrute les profondeurs divines :
Par l’Esprit Saint, Dieu nous
a révélé sa sagesse ; cela a pu se faire, car « l’Esprit scrute
toutes choses », parce qu’il connaît parfaitement ce qu’il y a de plus
intime en chaque chose, comme l’homme lorsqu’il scrute avec attention... Il
connaît aussi parfaitement les profondeurs de Dieu. Or les profondeurs divines
sont les mystères qui demeurent cachés en lui, et non ce qui est connu par les
créatures, qui semble n’être qu’à la surface[258].
Il ne s’agit pas ici d’une grâce gratis data, mais plutôt de la
connaissance surnaturelle procurée par la foi perfectionnée par les dons du
Saint-Esprit, Esprit de vérité, entre autres les dons d’intelligence et de
sagesse, que possèdent tous ceux qui se trouvent en état de grâce, à des degrés
variés, mais toujours en suffisance pour éclairer leur marche vers le
salut :
Puisque
[l’Esprit Saint] procède de la Vérité, il lui revient d’enseigner la vérité et
de rendre semblable à son principe. Et il est dit « toute vérité »,
c’est-à-dire de la foi, qu’il enseignera par une certaine intelligence élevée
en cette vie, et en plénitude dans la vie éternelle, où « nous connaîtrons
comme nous sommes connus » (I Co 13, 12). « L’onction vous enseignera
toutes choses » (1 Jn 2, 27)… Ou : « toute la vérité » des
figures de la loi, que les disciples ont reçue par l’Esprit Saint. C’est
pourquoi il est dit en Dn 1, 17 que « le Seigneur donna à ces enfants la
sagesse et l’intelligence[259].
Chez
tous ceux qui ont la grâce existe nécessairement la rectitude de la volonté,
puisque « par la grâce la volonté de l’homme est préparée au bien »,
comme le dit Augustin. Mais la volonté ne peut être ordonnée correctement au
bien sans que préexiste quelque connaissance de la vérité, car l’objet de la
volonté c’est le bien perçu par l’intelligence, selon Aristote. Or, de même que
par le don de la charité l’Esprit Saint dispose la volonté de l’homme à se
porter directement vers un bien surnaturel, de même c’est aussi par le don
d’intelligence qu’il donne à l’esprit de l’homme de la lumière pour connaître
une certaine vérité surnaturelle, celle à laquelle doit tendre la volonté
droite. Voilà pourquoi, de même que le don de la charité existe chez tous ceux
qui ont la grâce sanctifiante, de même aussi le don d’intelligence.
Parmi
ceux qui ont la grâce sanctifiante, certains peuvent souffrir d’hébétude dans
des choses qui ne sont pas nécessaires au salut. Mais dans celles qui sont
nécessaires au salut, ils sont suffisamment instruits par l’Esprit Saint, selon
cette parole de Jean (1 Jn 2, 27) : « Son onction vous enseigne
toutes choses »[260].
Les
hommes obtiennent la sagesse à des degrés divers, selon leur union à Dieu. En
effet, certains possèdent, en fait de jugement droit, aussi bien dans la
contemplation du divin que dans l’organisation des affaires humaines selon les
règles divines, uniquement ce qui est nécessaire au salut. Cette sagesse ne
manque à personne qui soit sans péché mortel, par la grâce qui rend agréable à
Dieu ; car, si la nature n’échoue jamais pour ce qui est nécessaire, la
grâce y échoue beaucoup moins encore. C’est pourquoi, dit saint Jean (1
Jn 2, 27) : « L’onction vous enseignera toutes choses » [261].
Le Saint-Esprit cependant les
accorde de préférence aux humbles :
C’est l’Esprit Saint qui fait
les tout-petits, parce qu’il est un Esprit d’humilité... C’est aux tout-petits
que le Père révèle ses secrets, c’est-à-dire aux humbles, qui ne présument pas
d’eux-mêmes ; en effet là où est l’humilité, là est la sagesse[262].
·
Conclusion
Ainsi, saint Thomas attribue la
prophétie au peuple de Dieu à des titres divers :
—
Certains fidèles, prêtres ou laïcs, hommes ou femmes,
jouissent en faveur du peuple tout entier du charisme prophétique au sens strict,
grâce gratis data décrite en IIa-IIæ, q 171,
a 1.
—
D’autres — essentiellement les lecteurs dans la
liturgie et les prédicateurs — exercent une fonction apparentée à la prophétie
dans la mesure où ils annoncent et exposent la parole de Dieu dans l’église et
au nom de toute l’Église, non en leur nom propre.
—
Tous les fidèles ont reçu l’Esprit de prophétie qui
leur donne avec la grâce la foi illuminée par les dons d’intelligence et de
sagesse.
Outre bon nombre de mentions du
sacerdoce royal du peuple de Dieu,
saint Thomas traite à plusieurs reprises de sa royauté pour elle-même[263].
En quel sens ?
Le docteur commun exprime sa pensée
sur la royauté (au sens strict) de manière abordable dans son traité De regimine principum (ou : De regno), adressé au roi de Chypre.
Toute multitude a besoin pour parvenir à sa fin dans l’unité d’un principe qui
le dirige :
Dans tout ce qui tend à un
but, et qui peut s’y diriger de diverses manières, il est besoin d’un
[principe] directeur, pour le faire parvenir directement à la fin convenable.
Car le navire ballotté de ci, de là par des vents contraires ne pourrait
parvenir au but qu’on a en vue, s’il n’était dirigé vers le port par
l’industrie de celui qui le gouverne… Il faut donc dans toute société un
pouvoir modérateur….[264]
Or le meilleur principe d’unité est
ce qui est un en soi[265].
Tel est le cas du roi, qui gouverne au niveau suprême une communauté parfaite,
ville ou cité[266],
c’est-à-dire qui la conduit à sa fin : le bien commun :
On appelle roi celui à qui
est confié le gouvernement suprême des choses humaines[267].
Gouverner,
c’est conduire de manière appropriée, convenienter,
ce qui est gouverné à la fin qui lui convient, ad debitam finem. C’est ainsi qu’on dit qu’un navire est gouverné,
quand par l’industrie du marin il est conduit au port tout droit, recto itinere, et sans accident, illæsa[268].
Notre auteur, sans doute, n’ignore
pas qu’en un sens, au plan purement individuel, chaque homme jouit du principe
qui lui permet de se gouverner royalement lui-même : la raison :
Chaque
homme possède, implantée en lui naturellement, la lumière de la raison, pour se
diriger dans ses actes vers sa fin. Et s’il convenait à l’homme de vivre
solitaire, comme à beaucoup d’animaux, il n’aurait besoin de personne d’autre
pour le diriger vers sa fin, mais chacun serait à lui-même son propre roi, sous
Dieu le roi suprême, en tant que par la lumière de la raison qui lui a été
donnée par Dieu, il se dirigerait lui-même dans ses actes[269].
Dans le cas du peuple de Dieu, il
connaît et cite l’interprétation patristique de la royauté en un sens
analogique, comme royauté sur soi-même, c’est à dire maîtrise de ses passions
et victoire sur le péché et sur le diable, en vue de « régner avec le Christ »[270] :
Le
péché est un roi qui règne dans notre corps mortel ; mais notre esprit
créé est aussi roi [271].
Il adhère à l’interprétation d’Augustin :
Le nom
du Christ vient de « chrême ». Ce qui se dit « chrême » en
grec s’appelle « onction » en latin. Il nous a oints, parce qu’il a fait
de nous des lutteurs contre le diable[272].
Dans cette lutte, la victoire
s’achète souvent au prix du sang, et elle confère une royauté symbolisée par la
couronne d’épines. Thomas cite ici Théophylacte :
Revêtons,
nous aussi, la robe pourpre royale ; car nous devons nous avancer comme
des rois en foulant les serpents et les scorpions, et en écrasant le
péché ; car nous sommes appelés « chrétiens », c’est-à-dire
« oints », comme alors les rois étaient appelés oints. Prenons également
la couronne d’épines, c’est-à-dire hâtons-nous d’être couronnés par une vie
exigeante et par l’abstinence et la pureté[273].
Une telle victoire ne peut être
obtenue que par la grâce du Christ Roi :
Par la
grâce du Christ, nous sommes libérés de toute misère, puisque nous sommes libérés
du péché… De même, par la grâce du Christ, nous sommes aidés pour accomplir les
bonnes œuvres[274].
à cette
royauté, on accède par la foi, l’espérance et la charité :
Les
saints, par la foi, ont vaincu des
royaumes, c’est-à-dire le royaume du diable, dont il est dit en Job 41,
25 : « Il est roi sur tous les fils d’orgueil ». De même, [ils
ont vaincu] le royaume de la chair : « Que le péché ne règne pas sur
votre corps mortel » (Ro 6). De même, [le royaume] du monde : « la
victoire qui a vaincu le monde, c’est notre foi » (1 Jn 5). En effet nul
ne peut mépriser les réalités présentes, si ce n’est par l’espérance des biens à venir. En effet c’est principalement par le
mépris que l’on est vainqueur du monde. Et c’est pourquoi, parce que la foi
nous montre les réalités invisibles, en raison desquelles on méprise le monde,
notre foi est victorieuse du monde[275].
Au sens
moral, cette génération désigne les fruits des parfaits. La première chose en
effet qui est requise dans l’homme parfait, c’est qu’il soit fort pour affronter
les adversités… Et ceci est signifié [dans la généalogie de Jésus en saint
Matthieu] par Booz, dont le nom se traduit par « fort »… La seconde,
c’est l’humilité de celui qui sert… et cela est signifié par obed, qui se traduit « qui
sert » ou « servitude »… La troisième est la ferveur de la charité, ce qui est signifié par
« Jessé », qui se traduit : « encens » ou
« incendie » : « Que ma prière se dirige comme l’encens
sous ton regard »… Et de là on parvient à la royauté ou à la gloire :
car Jessé engendra le roi David : « Il a fait de nous un royaume pour
notre Dieu, et des prêtres pour Dieu son Père » (Ap 5, 10). « Vous
êtes un peuple choisi, un sacerdoce royal, une nation sainte, le peuple qu’il
s’est acquis » (1 P 2, 9)[276].
Tous les fidèles en état de grâce, on l’a vu déjà,
reçoivent le don de sagesse en suffisance pour se gouverner eux-mêmes :
Quoiqu’il
appartienne aux seuls prélats de donner des ordres aux autres hommes et de les
juger, il appartient cependant à tout homme d’ordonner ses propres actes et de
porter un jugement sur eux, comme le montre Denys[277].
·
Le prince
chrétien au service du bien surnaturel du peuple de Dieu
Saint Thomas cependant n’oublie pas que les mots
« roi, royauté », en première imposition, impliquent un rapport de
gouvernement à autrui. Il s’agit d’une vocation très élevée, méritant un degré
de gloire éminent à ceux qui y répondent avec pureté d’intention et
générosité :
La vertu la plus éminente est
celle qui fait qu’un homme, non seulement se conduit lui-même avec sagesse,
mais encore dirige les autres dans la voie du bien ; et elle est d’autant
plus grande que ceux qu’elle dirige sont plus nombreux… Un roi qui gouverne
sagement est donc digne d’une plus grande récompense que l’un quelconque de ses
sujets, qui aurait bien agi sous sa direction[278].
Vocation qui comporte un aspect surnaturel, puisque la
fin des sociétés, comme celle des individus, n’est ni l’argent, ni la vertu
purement naturelle, mais « de parvenir par une vie vertueuse à la fruition
divine »[279].
La sagesse divine — non seulement le don du Saint-Esprit,
mais aussi la grâce gratis data de
sagesse, y aide puissamment — car sapientis
est ordinare :
Certains
reçoivent le don de sagesse [non seulement pour se gouverner eux-mêmes, mais] à
un degré plus élevé. D’abord pour la contemplation des choses divines, dans la mesure ou ils pénètrent les mystères les
plus profonds et où ils peuvent les manifester aux autres. Et aussi pour la
direction des choses humaines selon
les règles divines, dans la mesure ou ils peuvent non seulement se gouverner
eux-mêmes selon ces règles, mais encore gouverner
les autres. Ce degré de sagesse n’est pas commun à tous ceux qui sont en
état de grâce, il est du domaine des grâces gratuites que le Saint-Esprit
« distribue comme il veut », selon l’Apôtre (1 Co 12, 8) :
« à l’un c’est une parole de
sagesse qui est donnée par l’Esprit »[280].
Pour contribuer à acheminer son peuple — le « peuple
de Dieu » — à ce but, en lui donnant les moyens pratiques de mener une vie
vertueuse, le prince chrétien doit se soumettre au sacerdoce[281] :
nous y reviendrons.
·
Participation
de tous les fidèles à la royauté du Christ
Saint Thomas connaît cependant, et signale au roi de
Chypre, un sens plus large de l’expression : dans le royaume de la grâce,
non seulement les rois, mais tous les fidèles participent à la royauté du
Christ en contribuant à conduire les autres
à leur fin : la béatitude, par leur participation au bien commun
surnaturel :
On appelle roi celui à qui
est confié le gouvernement suprême des choses humaines… [Ce gouvernement est
d’autant plus élevé qu’il conduit à une fin plus sublime. Conduire à la vie
éternelle] n’appartient pas à celui qui est seulement homme, mais Dieu, à
savoir notre Seigneur Jésus-Christ, qui en faisant des hommes des fils de Dieu
les a introduits dans la gloire céleste. C’est là le pouvoir qui a été donné au
Christ et ne passera pas ; et c’est pourquoi il est appelé dans les
saintes Écritures non seulement prêtre, mais roi, comme le dit Jérémie :
« Il régnera comme roi, et il sera plein de sagesse ». C’est pourquoi
le sacerdoce royal dérive de lui, et qui plus est, tous les fidèles du Christ, en tant qu’ils sont ses membres, sont
appelés rois et prêtres[282].
Saint Thomas associe souvent la
dignité royale des fidèles à leur dignité sacerdotale, comme le prouve la
relative fréquence[283]
de l’expression regale sacerdotium.
Nous nous limiterons ici au sacerdoce commun — saint Thomas l’appelle le plus
souvent : sacerdotium spirituale —
des fidèles (laïcs et clercs), qui a donné lieu avant et après vatican II, à bien des débats et bien
des confusions. En quoi consiste-t-il ? Et quels sont ses rapports avec le
sacerdoce ministériel, sur lequel nous reviendrons ultérieurement ?
Pour saint Thomas comme pour
l’auteur de l’épître aux Hébreux, le sacerdoce est corrélatif du sacrifice
qu’il est ordonné à offrir[284].
Le sacrifice est un acte de la vertu de religion, laquelle est ordonnée à
rendre à Dieu le culte qui lui est dû en justice[285].
Mais il peut et doit être impéré par la charité[286]
— comme chez le Christ lui-même dont la passion a été « souverainement
agréable à Dieu, en tant qu’elle provenait d’une charité souveraine »[287].
Le culte divin est principalement
intérieur, et secondairement extérieur, en raison de la nature corporelle de
l’homme[288] :
Il est
nécessaire que, dans le culte divin, on se serve de certaines réalités
corporelles, afin que par elles, comme par certains signes, l’esprit de l’homme
soit stimulé à accomplir les actes spirituels par lesquels on s’unit à Dieu.
C’est ainsi que la religion comporte des actes intérieurs, qui sont ses actes
principaux et regardent par soi la religion, et les actes extérieurs, comme
secondaires et ordonnés aux actes intérieurs[289].
Ainsi, à l’adoration spirituelle,
qui est principale, doit normalement se joindre l’adoration corporelle :
Comme
dit le Damascène, « parce que nous sommes composés de deux natures,
intellectuelle et sensible, nous offrons à Dieu une double adoration ».
L’une est spirituelle et consiste dans l’intime dévotion de l’esprit ;
l’autre est corporelle parce qu’elle consiste en l’abaissement extérieur du
corps. Parce que, dans tous les actes de religion, l’extérieur est relatif à
l’intérieur comme à ce qui est au principe, l’adoration extérieure est faite en
vue de l’adoration intérieure. Les signes d’humilité présentés par le corps
excitent notre cœur à se soumettre à Dieu, le sensible étant pour nous le moyen
naturel d’accéder à l’intelligible[290].
Il en est de même pour le
sacrifice :
Le
sacrifice extérieurement offert est le signe du sacrifice intérieur, oblation spirituelle que l’âme fait
d’elle-même à Dieu selon le Psaume (Ps 50, 19) : « Le sacrifice qu’il
faut à Dieu c’est l’esprit affligé ». Car, nous l’avons dit plus haut les
actes extérieurs de religion sont ordonnés aux actes intérieurs. L’âme s’offre
en sacrifice à Dieu comme au principe de sa création et à sa fin béatifiante.
Or, selon la vraie foi, Dieu seul est le créateur de nos âmes, comme nous
l’avons établi dans la première Partie. Et c’est en lui seul que consiste notre
béatitude, nous l’avons vu. C’est pourquoi, puisque nous devons au seul
souverain Bien l’offrande du sacrifice
spirituel, nous devons également n’offrir qu’à lui les sacrifices
extérieurs. De même « dans la prière et la louange, nous faisons monter
nos paroles vers celui à qui nous offrons en notre cœur les choses mêmes
qu’elles signifient », comme le dit Augustin[291].
Comme
le dit Augustin, « le sacrifice visible, qui est offert extérieurement à
Dieu, est le signe du sacrifice invisible, par lequel on offre à Dieu en
hommage sa personne et ses biens[292].
Selon la conception très ample de
saint Augustin[293]
reprise par notre docteur, « le vrai sacrifice est » donc
« toute œuvre que l’on accomplit pour adhérer à Dieu par une sainte union,
sancta societate ». En d’autres
termes : « Ce qui est fait pour l’honneur dû proprement à Dieu, en
vue de lui être agréable (ou : de l’apaiser, ad eum placandum) »[294].
Une telle définition déborde de
beaucoup celle des sacrifices « charnels » de l’ancienne alliance, et
peut convenir à toute bonne action accomplie pour plaire à Dieu :
Le fait
même de vouloir contracter avec Dieu une union spirituelle se rattache à
l’honneur qu’on lui doit. C’est pourquoi tout acte vertueux prend raison de
sacrifice du fait qu’on l’accomplit pour entrer en la sainte société de Dieu[295].
Les sacrifices se différencient selon la nature des
biens offerts : biens de l’âme, biens du corps, biens extérieurs. Saint
Thomas y revient à plusieurs reprises, avec d’infimes variations :
L’homme
possède trois sortes de biens. En premier lieu, les biens de l’âme qu’il offre
à Dieu en un sacrifice intérieur, par la dévotion et la prière, et par d’autres
actes intérieurs de cette sorte : c’est là le sacrifice principal. En second
lieu, les biens du corps qu’on offre d’une certaine façon à Dieu par le
martyre, l’abstinence ou la continence. Enfin, les biens extérieurs dont on
offre à Dieu le sacrifice directement, quand nous lui offrons immédiatement ce
que nous possédons ; médiatement, quand nous en faisons part au prochain
pour Dieu[296].
L’homme
possède un triple bien. En premier lieu, le bien de l’âme, qu’il offre à Dieu
par la dévotion et la contrition de l’humilité, selon ce verset du psaume 50e :
« le sacrifice pour Dieu, c’est un esprit affligé ». En second lieu,
l’homme possède des biens extérieurs, qu’il offre à Dieu par la distribution
d’aumônes. Aussi est-il dit dans l’épître aux Hébreux : « N’oubliez
pas la bienfaisance et le partage, c’est par de tels sacrifices que l’on plaît
à Dieu[297] ».
En troisième lieu, l’homme possède le bien de son propre corps ; et c’est
dans cette perspective qu’il dit : « Offrez », sous-entendu, à
Dieu, « vos corps », comme une hostie spirituelle. En effet on
appelait un animal immolé à Dieu une hostie…[298]
Dès lors, on distingue entre le
sacrifice intérieur, c’est-à-dire l’offrande intérieure de l’homme, et le
sacrifice extérieur, ordonné au premier, et qui peut consister soit dans
l’oblation de biens extérieurs, soit en actes extérieurs des vertus offerts à
Dieu :
Il y a,
nous l’avons dit deux sortes de sacrifices. Le premier, le principal, est le sacrifice intérieur, à quoi tous sont
tenus ; car tout le monde est tenu d’offrir à Dieu une âme dévote. L’autre
est le sacrifice extérieur, qui se subdivise
en deux. Il y a en effet un sacrifice dont toute la valeur réside en l’oblation de biens extérieurs, faite à
Dieu en témoignage de soumission à sa divinité… L’autre sorte de sacrifice
extérieur se réalise quand on se sert des actes
extérieurs des autres vertus, pour en faire hommage à Dieu[299].
Il
arrive que les actes d’autres vertus soient également ordonnés à l’honneur
divin. Par exemple on fait aumône de ses biens personnels pour Dieu, ou bien on
s’inflige quelque pénitence corporelle par révérence pour Dieu. De ce point de
vue, nous pourrons encore donner à ces actes de vertus différentes le nom de
sacrifices[300].
Parmi les biens de l’homme, les
plus précieux sont les biens de l’âme — la nôtre et celle des autres[301] :
Tout ce
qu’on offre à Dieu prend valeur de sacrifice spirituel. Au premier rang des
choses que Dieu agrée comme sacrifice, figure ce bien humain par excellence
qu’est l’âme elle-même. Or nous devons offrir à Dieu, premièrement notre âme,
selon cette parole (Si 30, 24) : « Prends pitié de ton âme en
plaisant à Dieu », puis celle des autres, selon cette parole (Ap 22,
17) : « Que celui qui entend, dise : “Viens” ». Et plus nous
unissons intimement à Dieu notre âme ou celle des autres, plus notre sacrifice
plaît à Dieu[302].
Mais l’offrande à Dieu du corps ou
d’œuvres où l’action du corps est requise relève elle aussi du sacrifice
spirituel, en raison de l’intention qui l’anime :
L’homme
offre à Dieu son corps comme hostie de trois manières.
D’abord,
quand quelqu’un expose son corps à la passion
et à la mort à cause de Dieu, comme on le dit du Christ (Eph 5, 2) :
« Il s’est livré lui-même en oblation et en hostie à Dieu ». Et
l’Apôtre dit de lui-même (Ph 2, 17) : « Si je suis immolé pour le
sacrifice et l’hommage de votre foi, je m’en réjouis ».
Ensuite,
par le fait que l’homme macère son
corps par les jeûnes et les veilles pour servir Dieu : « Je châtie
mon corps et je le réduis en servitude » (1 Co 9, 27)[303].
En
troisième lieu, par le fait que l’homme offre son corps « pour accomplir
les œuvres de la justice et du culte
divin : « Offrez vos membres au service de la justice pour la
sanctification » (Ro 6, 19)[304].
De
même que dans le Christ, « source de tout sacerdoce »[305], le
sacrifice de la croix, dans sa matérialité, est ordonné au sacrifice spirituel[306], le
sacrifice « charnel », dès l’ancienne Loi, est toujours ordonné au
sacrifice spirituel qu’il figure :
Mais ne
veut-il pas de sacrifices charnels ? Si Dieu n’approuve pas ces
sacrifices, pourquoi donc dans l’ancienne loi a-t-il prescrit d’en
offrir ? Il faut répondre qu’il a prescrit de les offrir, non pour
eux-mêmes, mais parce qu’ils étaient la figure du vrai sacrifice intérieur par
lequel le Christ s’est offert lui-même ; et ils sont des signes du
sacrifice intérieur, en tant que l’homme offre son âme à Dieu… Et si l’on
objecte qu’ils exhalaient un parfum très suave pour Dieu, il faut dire qu’il en
était ainsi, en raison du sacrifice figuré, et en signe du sacrifice intérieur,
qui plaît à Dieu. Aussi ajoute-t-il : « Le sacrifice pour Dieu »,
c’est-à-dire, qui plaît à Dieu, « c’est un cœur contrit ». Comme le
dit Augustin au livre Xe de La
cité de Dieu, « tout sacrifice qui est offert à l’extérieur, est un
signe du sacrifice intérieur, dans lequel on offre son âme à Dieu »[307].
Le sacrifice intérieur a raison de
fin, et donc n’admet aucune mesure : plus il est grand, mieux cela vaut.
Mais le sacrifice extérieur, ayant « pour ainsi dire raison de moyen, qui
est ordonné à la fin », doit lui être proportionné :
L’homme
ne doit mettre aucune mesure dans la foi, l’espérance et la charité ; il
est d’autant plus parfait qu’il croit, espère et aime davantage. C’est pour
cette raison qu’il est écrit : « Tu aimeras le seigneur de tout ton
cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6, 5). Mais dans les
actes extérieurs, il y a une mesure de discrétion à observer
proportionnellement à la charité[308].
La supériorité du sacerdoce
spirituel sur un sacerdoce qui serait purement charnel n’implique aucune
dévaluation du culte de la nouvelle Alliance. Dans la nouvelle loi, en effet,
le culte visible lui-même a valeur spirituelle, du fait qu’il « contient
la grâce » :
Le
culte de la loi nouvelle, où le sacrifice contient la grâce spirituelle, a
valeur par lui-même aux yeux de Dieu… Le sacrifice de l’Église lui-même
[l’eucharistie] est spirituel[309].
selon les
diverses sortes de sacrifices, Thomas distingue diverses sortes de sacerdoce.
Seul le sacrifice rituel est réservé au sacerdoce ministériel :
Les
prêtres offrent les sacrifices proprement ordonnés au culte divin, non
seulement pour eux-mêmes, mais pour les autres. Mais il y a d’autres
sacrifices, que chacun peut offrir à Dieu pour soi-même, nous l’avons montré
ci-dessus[310].
En
revanche, le sacrifice spirituel, et par suite le sacerdoce spirituel,
conviennent à tout chrétien, prêtre ou laïc :
Le laïc
qui est juste est uni au Christ d’une union
spirituelle par la foi et la charité, mais non par un pouvoir sacramentel. Et c’est pourquoi il possède un sacerdoce spirituel pour offrir ces hosties
spirituelles dont il est parlé dans le Psaume (Ps 50, 19) : « Le sacrifice qui plaît à Dieu, c’est le
cœur contrit » et, dans l’épître aux Romains (Rm 12, 1) :
« Offrez vos corps comme une hostie vivante ». Aussi parle-t-on aussi
(1 P 2, 5) d’un « sacerdoce saint pour offrir des sacrifices
spirituels »[311].
C’est ce que l’Aquinate expliquait
dès l’époque des Sentences en
commentant la formule attribuée saint Jean Chrysostome : « tout
prêtre n’est pas saint, mais tout saint est prêtre ». Saint Thomas
l’interprète clairement du sacerdoce royal des fidèles, consistant à s’offrir
soi-même en sacrifice spirituel. Il s’objecte :
Il
semble qu’un laïc puisse consacrer. En effet consacrer revient au prêtre. Mais
tout laïc, s’il est bon, est prêtre ; car, comme le dit Chrysostome, tout
saint est prêtre ; et c’est à tous les fidèles qu’on a dit (1 P 2,
9) : « Vous êtes une race choisie, un sacerdoce royal ». Donc un
bon laïc peut consacrer[312]
.
Et de répondre :
On
appelle tout homme bon un prêtre au sens mystique,
parce qu’il s’offre lui-même en sacrifice mystique à Dieu, c’est-à-dire en
hostie vivante, comme il est dit en Ro 12[313].
Plus loin, il justifie logiquement
cette explication en distinguant entre le sens a quo (imponitur nomen)
et le sens ad quod (imponitur nomen)
du mot « prêtre », sacerdos :
Chrysostome prend le nom de
« prêtre », au sens étymologique — littéralement : « quant
à la traduction du nom » —,
qui signifie : « qui donne les choses saintes ». Et en ce sens
tout juste est prêtre, en tant qu’il donne à quelqu’un le secours de ses saints
mérites. Mais [le Lombard] ne parle pas selon la signification du nom : en
effet ce nom de « prêtre », a été institué pour signifier celui qui
donne les biens sacrés dans la dispensation des sacrements[314].
La distinction entre sacrifice et sacerdoce ministériel,
d’une part, et sacrifice et sacerdoce spirituel d’autre part est analogue à
celle qui oppose le sacramentum et res
(le corps eucharistique du Christ) à la res
tantum (la charité, et ultimement l’unité de l’Église) dans l’eucharistie.
La res et sacramentum est normalement
ordonnée à la res tantum. Mais quand
l’eucharistie est consacrée de manière valide mais illicite, le sacrifice
sacramentel s’accomplit, mais non le « sacrifice spirituel » :
Parce
que la consécration de l’eucharistie est un acte qui découle du pouvoir
d’ordre, ceux qui ont été séparés de l’Église par l’hérésie, le schisme ou
l’excommunication, peuvent bien consacrer l’eucharistie, et celle-ci, consacrée
par eux, contient vraiment le corps et le sang du Christ ; mais ils ne le
font pas régulièrement, car ils pèchent en le faisant. C’est pourquoi ils ne
perçoivent pas le fruit du sacrifice, qui
est le sacrifice spirituel…
Hors de
l’Église, il ne peut y avoir le sacrifice
spirituel, qui est le vrai sacrifice, quant à la réalité de ses fruits, bien que ce sacrifice, offert hors de
l’Église, soit un vrai sacrifice quant à la vérité sacramentelle. De même que, on l’a vu plus haut, le pécheur mange
le corps du Christ sacramentellement, mais non spirituellement[315].
Mais en quoi ce sacerdoce
« spirituel »[316],
selon l’expression de notre docteur, consiste-t-il au juste ? S’agit-il
essentiellement d’un pouvoir cultuel (« passif ») consécutif au
caractère du baptême, ou bien faut-il le placer dans l’ordre de la seule grâce
sanctifiante ? L’interprétation de saint Thomas se développe dans les deux
directions, qu’il convient d’articuler harmonieusement sans les opposer.
·
Sacerdoce
spirituel et caractère
D’une
part, il est indéniable que notre auteur met le sacerdoce spirituel en rapport
avec le caractère baptismal, par la médiation du sacerdoce du Christ :
Le
caractère sacramentel est une certaine participation du sacerdoce du Christ
dans ses fidèles : de même que le Christ jouit du pouvoir plénier du
sacerdoce spirituel, de même ses
fidèles lui sont configurés en ce qu’ils participent à un certain pouvoir
vis-à-vis des sacrements et de ce qui concerne le culte divin[317].
Or le caractère est un signe
impliquant une puissance — active ou passive — ordonnée de soi, non d’abord à
la grâce des vertus et des dons, mais au culte divin, notamment aux
sacrements :
Les
sacrements de la loi nouvelle, nous l’avons vu impriment un caractère en tant
qu’ils députent les hommes au culte de Dieu tel qu’il convient au rite de la
religion chrétienne. Aussi, après avoir dit que « Dieu, par l’impression
d’un certain signe, donne au baptisé une participation de lui-même »,
Denys ajoute-t-il : « Il le parfait ainsi en le faisant divin et
transmetteur du divin ». Or, le culte divin consiste à recevoir des choses
divines ou à les transmettre à autrui. Mais, pour chacun de ces offices, une
puissance est nécessaire, puissance active pour transmettre, puissance passive
pour recevoir. C’est pourquoi le caractère comporte une puissance spirituelle
ordonnée au culte divin[318].
Est-ce à dire que le sacerdoce
commun des fidèles se limite à la faculté de recevoir les sacrements ?
·
Sacerdoce
spirituel et vie théologale
Non, sans
doute :, saint Thomas d’autre part met à maintes reprises le sacerdoce
spirituel en relation avec la vie théologale, et spécialement avec la charité :
Quant
au sacerdoce spirituel, c’est par la charité que l’on s’approche de Dieu[319].
Ailleurs, l’Aquinate évoque la
confession de foi, vrai
« sacrifice de louange » :
« L’Apôtre
et le pontife de notre confession, Jésus »… c’est-à-dire, celui que nous
confessons. Ou : « de notre confession », c’est-à-dire, du sacrifice spirituel. En effet tout
prêtre est ordonné pour offrir des sacrifices. Mais il y a deux sortes de
sacrifices : corporel ou temporel, et celui-ci fut institué par Aaron.
Quant à l’autre, il s’agit du sacrifice spirituel, qui consiste dans la confession de foi : « Le
sacrifice de louange m’honorera » (Ps. 49). Et c’est en vue de ce
sacrifice que le Christ a été institué, non pour [sacrifier des] taureaux.[320].
Ce sacrifice inclut encore
« les prières et les supplications » :
Son
acte consista à offrir des prières et des supplications, et c’est là le
sacrifice spirituel que le Christ offrit… C’est
à ce sacrifice spirituel qu’est ordonné le sacerdoce du Christ[321].
Dans
son Commentaire du psaume 50e,
le docteur commun mentionne l’enseignement (considéré comme œuvre de
miséricorde) et la louange :
« J’enseignerai »…
D’abord il promet à Dieu certains sacrifices spirituels. Ensuite, il s’excuse
[de ne pas offrir] des [sacrifices] charnels. Il promet à Dieu un sacrifice
spirituel de deux sortes : celui de la doctrine,
par laquelle il instruira le prochain[322].
En second lieu, il promet un sacrifice
spirituel de louange, par lequel il louera Dieu, à ces mots :
« Délivre-moi (du sang versé) »…. Ici il promet un sacrifice de
louange[323].
« Car
si tu avais voulu un sacrifice »… Et d’abord il montre qu’il y a un
sacrifice qui n’est pas agréé de Dieu ; ensuite il montre quel sacrifice
est agréé de Dieu. Il dit donc : Moi, je promets la doctrine et la louange, car c’est ce sacrifice qui t’honorera.
Mais tu n’agrées pas le sacrifice [purement] charnel[324].
Le sacrifice spirituel culmine dans le martyre,
sacrifice au sens propre en ce qu’il implique la transformation de ce
qui est offert, en vue d’en montrer le transfert au souverain domaine de
Dieu :
Il y a
sacrifice proprement dit quand on accomplit quelque chose sur les biens que
l’on offre à Dieu, comme était la mise à mort des animaux, ou comme est la
fraction, manducation et bénédiction du pain. Le nom de « sacrifice »
l’indique, car on parle de sacrifice là ou l’on « fait du sacré »[325].
Il
s’agit d’un acte élicité par la force, mais « qui est le signe du plus
grand amour »[326] :
on peut envisager… l’acte de vertu selon son rattachement au premier
motif, qui est l’amour de charité. Et sous cet angle surtout un acte relève de
la vie parfaite parce que, selon l’Apôtre (Col 3, 14) , « la charité
est le lien de la perfection ». Or, parmi tous les actes de vertu, le
martyre est celui qui manifeste au plus haut degré la perfection de la charité.
Parce qu’on montre d’autant plus d’amour pour une chose que, pour elle, on
méprise ce qu’on aime le plus en choisissant de souffrir ce qu’il y a de plus
haïssable. Or il est évident que, parmi tous les biens de la vie présente,
l’homme aime suprêmement cette vie même, et au contraire hait suprêmement la
mort elle-même, surtout quand elle s’accompagne de supplices dont la crainte,
« écarte des plus vifs plaisirs les bêtes elles-mêmes », comme le dit
Augustin. De ce point de vue, il est évident que le martyre est par nature le
plus parfait des actes humains, comme témoignant de la plus grande charité
selon cette parole (Jn 15, 13) : « Il n’y a pas de plus grande
charité que de donner sa vie pour ses amis »[327].
La
charité incline à l’acte du martyre comme étant son motif premier et
principal ; elle est la vertu qui le commande ; mais la force y
incline comme étant son motif propre : elle est la vertu d’ou il émane. De
là vient qu’il manifeste ces deux vertus. Et c’est par charité qu’il est
méritoire, comme tout acte de vertu. C’est pourquoi sans la charité il ne vaut
rien[328].
On
le voit : la plupart de ces œuvres — martyre, confession de foi, prière,
louange, enseignement — impliquent l’usage du corps, mais elles relèvent, non
du sacrifice purement intérieur, mais du sacrifice spirituel en tant que
l’action extérieure manifeste ou réalise le don de soi à Dieu, don qui, même
s’il ressort directement du culte, ne peut provenir que de l’amour, « premier
don »[329].
·
Caractère et
vie théologale
En réalité, ces deux aspects du sacerdoce spirituel ne
sont pas opposés, mais ordonnés l’un à l’autre. De par sa nature même, la
caractère baptismal députe, à titre principal mais médiatement, à la grâce et à
la gloire, et immédiatement — c’est là ce qui lui est propre — au culte divin
par participation au sacerdoce du Christ :
Comme
on l’a montré plus haut, le caractère est proprement un sceau qui désigne une chose ordonnée à une fin
déterminée ; ainsi, c’est par un caractère que le denier est désigné
pour servir au commerce, et les soldats sont marqués d’un caractère qui les
députe au service militaire. Or le fidèle est député à deux choses. D’abord et
à titre principal à la jouissance de la gloire,
et pour cela, il est marqué du sceau de la grâce ;
c’est ce que dit Ézéchiel (Ez 9, 4) : « Marque d’un Tau le front des
hommes qui gémissent et qui souffrent » ; et de même l’Apocalypse (7,
3) : « Ne nuisez pas à la terre, ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons
marqué au front les serviteurs de notre Dieu ».
En
second lieu, chaque fidèle est député à recevoir
ou à donner aux autres ce qui concerne le culte de Dieu ; et c’est là
le rôle propre du caractère sacramentel.
Or, tout le rite de la religion chrétienne découle du sacerdoce du Christ.
C’est pourquoi il est évident que le caractère sacramentel est spécialement
caractère du Christ, au sacerdoce de qui les fidèles sont configurés selon les
caractères sacramentels ; et ceux-ci ne sont pas autre chose que des sortes
de participations du sacerdoce du Christ,
qui découlent du Christ même[330].
Est-ce à dire que le sacerdoce royal des baptisés se
limite à jouer un rôle purement passif dans l’Église, toute activité sanctificatrice étant
réservée aux ministres ordonnés ?
L’effet
propre et premier du baptême est assurément la sanctification personnelle du
sujet :
La fécondité qui est l’effet
du baptême est celle qui produit les bonnes œuvres, et non celle qui permet
d’engendrer les autres dans le Christ, comme le dit l’Apôtre aux Corinthiens :
« Je vous ai engendrés dans le Christ par l’Évangile »[331].
Il
agrège au peuple de Dieu[332],
et confère une « puissance passive », ou « quasi passive »,
à recevoir les autres sacrements :
Il y a dans les [réalités]
spirituelles une puissance spirituelle quasi passive par laquelle l’homme
devient capable de recevoir, susceptivus,
les actions spirituelles. Et c’est une telle puissance spirituelle qui est
conférée dans le baptême ; car un non baptisé ne pourrait pas recevoir
l’effet des autres sacrements, ni par conséquent non plus les transmettre aux
autres[333].
Les
prêtres sont consacrés pour faire le sacrement du corps du Christ, comme on l’a
dit plus haut. Ce sacrement est le signe de l’unité de l’Église, selon l’Apôtre
(1 Co 10, 17) : « Tout en étant plusieurs, nous ne faisons
qu’un seul pain et un seul corps, car nous participons tous à un seul pain et à
un seul calice ». Mais c’est le baptême qui nous fait participer à l’unité
de l’Église et nous donne le droit d’approcher de la table du Seigneur[334].
Cette
réception des autres sacrements, du reste, est elle-même une action :
Le culte divin consiste en
certaines actions. Or les puissances de l’âme sont proprement ordonnées aux
actes, comme l’essence est ordonnée à l’être[335].
Quant
à la confirmation, elle confère aussi, selon le Scriptum, une certaine puissance spirituelle active :
Autre est la puissance
spirituelle active, ordonnée à la
dispensation des sacrements, et à l’exercice des autres actions hiérarchiques
sacrées ; et ce pouvoir est transmis, traditur,
dans la confirmation et l’ordre,
comme on le dira en son lieu. Et parce que dans la hiérarchie ecclésiastique
tous ne sont pas agents, comme par exemple ceux qui perfectionnent en purifiant
et en illuminant, comme le dit Denys, pour cette raison ces deux caractères ne distinguent pas le
peuple de Dieu, isti duo characteres non
distinguunt populum Dei, universellement des autres, mais quelques uns du peuple des autres[336].
Mais
ce pouvoir actif n’est pas ordonné à la même fin immédiate que celui de l’ordre :
d’un côté, la confession publique de la foi — avec ses implications
apostoliques, sa fécondité pour autrui, caractéristique de l’âge adulte ;
de l’autre, la collation des sacrements. De ce fait, la confirmation ne
constitue pas une promotion à un « ordre » supérieur aux
autres :
Le pouvoir conféré par le
caractère de la confirmation est un pouvoir actif,
non pour donner les [biens] surnaturels, ce qui revient à l’ordre, mais plutôt
pour confesser publiquement [la foi]. Et ainsi, le confirmé n’est pas promu à
un ordre, car nul ne lui est soumis du fait qu’il recevrait de lui les [biens]
divins[337].
Dans la Somme, où l’Aquinate insiste sur l’image
des âges de la vie pour rendre compte de l’organisme sacramentel, il pourrait
parfois paraître plus restrictif :
Ce sacrement confère une
certaine excellence, cependant non celle qu’un homme peut avoir sur un autre
homme, comme celle qui résulte du sacrement de l’ordre, mais une supériorité de
l’homme sur lui-même, comme lorsqu’on dit que l’homme est supérieur à lui-même
comme enfant[338].
En
réalité, précise Thomas dans la Somme,
la confirmation, comme le baptême, est bien ordonnée à une activité, et à une activité officielle, confiée par
l’Église : celle du témoignage
public, aspect actif s’il en est du sacrifice spirituel :
Au baptême, [le fidèle]
reçoit le pourvoir d’accomplir, agere,
ce qui concerne son salut personnel, en tant qu’il vit pour lui-même ;
mais dans la confirmation, il reçoit le pouvoir d’accomplir ce qui
concerne le combat spirituel contre les
ennemis de la foi chrétienne[339].
Tous les sacrements sont des
protestations de foi. De même que le baptisé reçoit le pouvoir surnaturel de
manifester la foi par la réception des autres sacrements, de même le confirmé
reçoit le pouvoir de professer publiquement la foi au Christ en paroles comme
en vertu d’une charge, quasi ex officio[340].
Mais dans le baptême lui-même, le
caractère baptismal, comme tout sacramentum
et res, est ordonné ultimement à la res,
la grâce sanctifiante, dont il est le signe :
Quant à
ce qui est à la fois réalité et sacrement (res
et sacramentum), c’est le caractère baptismal : réalité signifiée par
l’ablution extérieure, et par là même signe sacramentel de la justification
intérieure. Celle-ci dans ce sacrement, est seulement réalité, res tantum, signifiée et non point signe[341].
En incorporant le catéchumène à
l’Église, corps du Christ, le baptême fait dériver sur lui la grâce
capitale :
Comme
le dit Augustin, le baptême a pour effet d’incorporer les baptisés au Christ
comme ses membres. Or, de la tête qui est le Christ découle en tous ses membres
la plénitude de la grâce et de la vertu, comme dit Jean (Jn 1, 16) :
« De sa plénitude nous avons tous reçu ». Il est donc évident que
par le baptême on reçoit la grâce et les vertus[342].
Du fait qu’il habilite à recevoir
les autres sacrements, le caractère baptismal permet aussi de recevoir les
grâces qui relèvent de chacun de ceux-ci, grâce des vertus et des dons[343],
mais aussi secours divin pour obtenir les effets particuliers de chacun :
Les
sacrements sont ordonnés à certains effets spéciaux nécessaires dans la vie
chrétienne ; ainsi le baptême est ordonné à une régénération spirituelle par
laquelle l’homme meurt aux vices et devient membre du Christ ; cet effet est
une réalité spéciale, différente des actes des puissances de l’âme ; et la même
raison vaut pour les autres sacrements. Donc si les vertus et les dons ajoutent
à la grâce prise en général une certaine perfection ordonnée de façon
déterminée aux actes propres des puissances, de même la grâce sacramentelle
ajoute à la grâce prise en général, ainsi qu’aux vertus et aux dons, un certain
secours divin pour l’obtention de la fin du sacrement. De cette façon, la grâce
sacramentelle ajoute quelque chose à la grâce des vertus et des dons[344].
Or le don de la grâce à un chrétien
ne saurait demeurer sans conséquence pour l’ensemble du peuple de Dieu :
sa sainteté personnelle doit normalement fructifier au bénéfice de tous dans la
communion des saints. Nous avons évoqué longuement celle-ci dans notre Historique.
Bornons-nous ici à rappeler la synthèse de cette doctrine offerte par notre
auteur dans son Exposition du Symbole :
Comme dans un corps naturel
l’opération d’un membre profite au bien de tout le corps, de même dans le corps
spirituel, à savoir l’Église. Et parce que tous les fidèles forment un seul
corps, le bien de l’un est communiqué à l’autre. L’Apôtre écrit aux Romains
(12, 5) : « Vous êtes tous les membres les uns des autres ».
C’est pourquoi aussi, parmi les autres [vérités] à croire que les Apôtres nous
ont transmises, figure celle-ci : il y a communion des biens dans
l’Église. Et c’est ce que l’on dit : « à la communion des saints »[345]…
Tout ce que les saints ont
fait de bien, est communiqué à ceux
qui vivent dans la charité, parce qu’ils sont tous une seule chose :
« J’entre en participation de tous ceux qui te craignent » (Ps. 118,
63). Et de là vient que celui qui vit dans la charité, participe à tout le bien
qui s’effectue dans le monde entier ; mais plus spécialement ceux pour qui
ce bien est accompli. Car l’un peut satisfaire pour un autre, comme il est
évident dans le fait que beaucoup de congrégations admettent [des associés] à
participer à leurs biens [spirituels] [346].
Le sacrifice (et le sacerdoce)
spirituel, disions-nous, culmine dans le martyre. Rien d’étonnant à cela :
il s’agit du sacrifice le plus total, à la manière de l’holocauste où toute la
victime était consumée. Il est cependant une autre manière de donner toute sa
vie à Dieu, de l’offrir pour ainsi dire en holocauste : embrasser l’état
religieux. La profession religieuse, et c’est là sa grandeur, livre à Dieu en sacrifice par les trois vœux tous les biens de l’homme, son âme, son
corps, et les biens extérieurs. Saint Thomas y revient à maintes reprises :
Par ces
trois vœux, l’homme offre à Dieu un sacrifice de tous ses biens. par le vœu de chasteté, il offre à Dieu
en sacrifice son propre corps : « Offrez vos membres en hostie
vivante » (Ro 12, 1) ; par le vœu de pauvreté, il fait offrande à
Dieu des biens extérieurs : « Que les saints de Jérusalem agréent
l’offrande de mon hommage » (Ro 15, 31) ; par le vœu d’obéissance,
l’âme offre à Dieu un sacrifice dont il est dit : « Le sacrifice [qui
plaît à] Dieu, c’est un cœur brisé » (Ps 50, 19)[347].
nous avons montré que la religion est une vertu grâce à laquelle nous
rendons à Dieu service et culte. C’est pourquoi l’on donne par antonomase le
nom de religieux à ceux qui se consacrent entièrement au service de Dieu et qui
s’offrent pour ainsi dire en holocauste à
Dieu. C’est ce qui fait dire à Grégoire : « Certains ne se réservent
rien. Leur pensée, leur langue, leur vie et tout ce qu’ils peuvent avoir de
biens, ils l’immolent au Dieu tout-puissant ». Or la perfection consiste
pour l’homme, nous l’avons vu, dans l’union totale à Dieu. C’est ainsi que
l’état religieux désigne un état de perfection[348].
De ce
que nous avons dit il ressort que les religieux doivent être dans l’état de
perfection. Or celui-ci requiert l’obligation à la perfection, et l’obligation
envers Dieu, c’est précisément le vœu. D’autre part, nous avons établi que la
perfection de la vie chrétienne postulait la pauvreté, la continence et
l’obéissance. C’est pourquoi l’état religieux exige qu’on s’oblige à ces trois
choses par vœu. Comme le dit Grégoire : « Lorsqu’un homme voue au
Dieu Tout-Puissant tout ce qu’il a, tout ce qui fait sa vie, tout ce qu’il
aime, c’est un holocauste ». Et, ajoute-t-il, « c’est ce que font
ceux qui quittent le siècle présent »[349].
Le
culte dû à Dieu seul se montre dans l’offrande du sacrifice. Or on offre à Dieu
en sacrifice des choses extérieures, lorsqu’on les donne à cause de Dieu, selon
He 13, 16 : « N’oubliez pas la bienfaisance et la communion :
c’est par de telles offrandes qu’on mérite Dieu ». On offre aussi à Dieu
le sacrifice de son propre corps, lorsque ceux qui sont au Christ crucifient
leur chair avec ses vices et ses concupiscences, comme le dit l’Apôtre en Ga 5,
24 ; aussi dit-il lui-même en Ro 12, 1 : « Offrez vos corps en
hostie vivante, sainte, agréable à Dieu ». Il y a aussi un troisième
sacrifice souverainement agréé de Dieu : c’est lorsqu’on offre son esprit
à Dieu, selon cette parole du psaume (50, 19) : « Le sacrifice qui
plaît à Dieu, c’est un esprit brisé »… Par le vœu d’obéissance, l’homme
offre sa propre volonté à Dieu ; par le vœu de continence, il lui offre en
sacrifice son propre corps ; et par le vœu de pauvreté, les biens
extérieurs[350].
Chacun
des trois vœux se rapporte au renoncement à un bien comme l’holocauste au
sacrifice, l’universel au particulier.
Par ces
trois vœux, ce n’est pas seulement un sacrifice qu’on offre à Dieu, mais un
holocauste, qui était le plus agréable à Dieu dans la Loi… Et ainsi la
religion, prise au second sens [la vie religieuse], imite le premier mode de la
religion [en tant qu’elle nous lie à Dieu par la foi et le culte qui lui est
dû] en ceci qu’elle offre un sacrifice à Dieu[351]..
L’holocauste
est, d’après Grégoire l’offrande à Dieu de tout ce qu’on possède. Or l’homme
possède, selon Aristote, un triple bien. Le premier consiste dans les biens extérieurs. Par le vœu de pauvreté
volontaire, il les offre à Dieu totalement. Le deuxième est l’ensemble des
jouissances dont son corps est le
siège. Il y renonce pour Dieu principalement par le vœu de continence, où il
s’interdit tout usage volontaire des plus grandes délectations corporelles. Le
troisième est le bien de l’âme. On
l’offre totalement à Dieu par l’obéissance, grâce à laquelle on offre à Dieu sa
volonté propre par laquelle l’homme est maître de toutes les puissances et
habitus de son âme. C’est donc très justement que l’on fait consister l’état
religieux dans ces trois vœux[352].
Tout ce
que nous possédons est, d’une certaine manière [matière] d’un sacrifice :
qu’il s’agisse des aumônes, comme il est dit au dernier chapitre de l’épître
aux Hébreux : « N’oubliez pas la bienfaisance et la communion, car
c’est par de telles [œuvres] qu’on mérite Dieu » ; ou du jeûne :
« Offrez vos corps en hostie vivante, sainte, agréable [à Dieu], en
hommage raisonnable » (Ro 12, 1). Or dans l’Ancien Testament on faisait
certains sacrifices qui n’étaient pas totalement brûlés, mais en partie ;
et une partie revenait à ceux qui les offraient, comme les hosties pacifiques.
D’autres, qu’on disait très saintes, étaient brûlées totalement ; on les
appelait holocaustes, de olon, qui veut dire « tout », et kauma, qui signifie
« brûlé ». Et c’est pourquoi il y a deux genres de bonnes œuvres. On
appelle les unes sacrifice, quand on dédie quelque chose à Dieu, par exemple si
un homme marié pratique la continence pendant quelques jours… Mais quand
quelqu’un donne tout, sans rien se réserver, ou pratique une continence
perpétuelle, on dit que c’est un holocauste… [353]
Ainsi, par le vœu de pauvreté,
contesté par les maîtres séculiers, le religieux offre à Dieu tous ses biens,
sans rien s’en réserver :
Le
renoncement aux biens propres, comparé à l’aumône, apparaît comme l’universel
par rapport au particulier, comme l’holocauste en regard du simple sacrifice.
C’est ce qui fait dire à Grégoire : « Ceux qui assistent les indigents de
leurs ressources, avec ce qu’ils donnent de leurs biens offrent un sacrifice.
C’est-à-dire qu’ils font deux parts, l’une qu’ils immolent à Dieu, l’autre
qu’ils se réservent à eux-mêmes. Ceux qui ne se réservent rien offrent un holocauste,
ce qui est plus qu’un sacrifice »…. Il est mieux, dans l’intention de
suivre le Christ, de la donner d’un seul coup et, libre de soucis, d’être
indigent avec le Christ[354].
Le vœu d’obéissance est le
principal, car par lui c’est la volonté que l’on immole :
Grégoire
déclare : « C’est à bon droit que l’obéissance est mise au-dessus des
sacrifices. Dans le sacrifice, c’est la chair d’un autre, dans l’obéissance,
c’est sa propre volonté que l’on immole ». Or les vœux de religion sont,
avons-nous dit, des holocaustes. Le vœu d’obéissance est donc le principal
parmi les vœux de religion[355].
Ce triple holocauste sera plus
parfait encore s’il vise au bien des autres âmes :
Si
quelqu’un, ayant le mépris des choses terrestres et de lui-même, poursuit plus
avant en ayant aussi le zèle des autres âmes, le sacrifice sera plus
parfait ; et il sera souverainement parfait lorsqu’il s’obligera par vœu
ou profession à avoir le zèle des âmes, comme l’évêque et aussi les religieux
qui s’y obligent par vœu[356].
Dans le contexte de la vie
religieuse, saint Thomas n’emploie pas le vocabulaire du sacerdoce, peut-être
parce que précisément il vise à défendre la vie religieuse contre les attaques
des prêtres séculiers. Mais il se réfère amplement au registre du sacrifice,
qui pour lui comme pour tous les anciens est connexe du précédent. On peut en
déduire que selon lui, après le martyr qui jouit d’une grâce exceptionnelle,
c’est le religieux, et surtout le religieux animé du zèle des âmes, qui, par
l’holocauste de toute sa vie, exerce au plus haut point le sacerdoce spirituel.
Le sacerdoce du peuple de Dieu
recouvre une réalité complexe, unifiée cependant par sa source, le sacerdoce du
Christ, et sa fin, l’offrande de l’humanité entière à la gloire du Père par
amour. Il appartient à l’Église dans son ensemble, mais aussi à ses membres en
particulier :
—
Aux ministres ordonnés, qui offrent au Père en
sacrifice rituel le corps sacramentel du Christ in persona Christi. Ce sacerdoce ministériel est déjà par lui-même,
dans la nouvelle Alliance, spirituel, en tant que le sacrifice du Christ est
souverainement spirituel. Et il ne dispense pas, au contraire, les ministres
d’exercer aussi le sacerdoce spirituel.
— à tout baptisé, participant du « sacerdoce
royal », appelé dans une certaine mesure à offrir à Dieu en sacrifice
spirituel son âme, son corps et ses biens en consacrant une part de ceux-ci à
Dieu, immédiatement ou médiatement, par l’intermédiaire des pauvres.
—
à un titre
spécial, aux martyrs, qui sacrifient à Dieu leur vie elle-même, et aux
religieux, qui lui offrent en holocauste tous leurs biens spirituels, corporels
et extérieurs.
Le peuple de Dieu
tout entier, selon des modalités diverses, participe à chacun des tria officia que le Christ possède tous
en plénitude. Mais entre ceux-ci, quels rapports établir ?
Du fait que chez le
Christ, et lui seul, les charismes sont inséparable de la grâce[357],
il est cependant aisé de rapprocher sa triple onction des trois aspects de sa
grâce, qui sont étroitement liés entre eux[358] :
·
grâce de
connaissance, correspondant à son onction comme prophète[359],
qui se manifeste
dans sa prédication pendant sa vie publique ;
·
grâce d’amour, qui se manifeste dans le sacrifice de sa passion, qu’il
offre comme prêtre[360] ;
·
grâce d’ « espérance », non certes d’espérance pour lui-même de
la grâce et de la vision bienheureuse, qu’il possédait déjà, mais au sens de IIIa, q 7, a 4 :
« vis-à-vis de certaines choses qu’il n’avait pas encore obtenues… comme
l’immortalité et la gloire du corps », qui obtient son accomplissement par
l’entrée dans les cieux comme roi[361].
On pourrait ajouter : d’espérance du salut de ceux pour lesquels il
offrait sa vie[362].
De même on ne peut séparer en lui
ses trois onctions. Le Christ prophète devait nous instruire des réalités
divines qu’il avait contemplées :
Ce qui
est en puissance est amené à l’acte par ce qui est déjà en acte ; ainsi faut-il
qu’un corps soit chaud pour chauffer d’autres corps. Or, l’homme est en
puissance à la science des bienheureux qui consiste dans la vision de Dieu, et
il se trouve ordonné à elle comme à sa fin ; créature raisonnable, en effet, il
est capable de cette connaissance bienheureuse, parce qu’il est à l’image de
Dieu. Et les hommes sont conduits à cette fin de la béatitude par l’humanité du
Christ… Et c’est pourquoi il fallait que sa connaissance bienheureuse qui
consiste en la vision de Dieu, convienne souverainement au Christ homme, parce
que la cause doit toujours être plus parfaite que son effet[363].
Ces biens qu’il avait annoncés par
sa prédication, le Christ prêtre devait nous les acquérir par son sacrifice
inspiré par la charité :
Le
Christ « s’est offert lui-même pour nous dans sa passion » ; et
cette œuvre : supporter volontairement sa passion, fut souverainement agréable
à Dieu, comme provenant de la charité. Il est donc évident que la passion du
Christ fut un véritable sacrifice[364].
Or, « c’est à celui qui
gouverne qu’il appartient de conduire ses sujets à sa propre fin »[365] :
la béatitude[366],
que le Christ nous a obtenue par son sacrifice et à laquelle il conduira
« les justes sur lesquels il règne maintenant par la foi »[367].
Le sacerdoce du Christ débouche donc sur sa royauté, qui en applique les
fruits.
Parmi ces trois onctions, la plus
importante est le sacerdoce par lequel le Sauveur offre sa vie en sacrifice
pour le genre humain par amour. Mais le Calvaire présuppose la prédication de
la vie publique et débouche sur la glorification du Christ et le don de
l’Esprit.
Le rapport entre les trois onctions
s’avère plus complexe au sein du peuple de Dieu qui y participe.
D’une part, certains reçoivent une
grâce gratis data de prophétie ;
d’autres —les princes et les magistrats chrétiens — jouent un rôle particulier
dans la conduite du peuple à sa fin, le bien commun, compte tenu des avis des
pontifes ; d’autres reçoivent la grâce du martyre, ou de la vocation
religieuse, où le sacerdoce spirituel s’exerce avec une plénitude
particulière ; d’autres enfin, celle du sacerdoce ordonné, qui les habilite
à offrir le sacrifice eucharistique in
persona Christi (et les invite à s’y unir à un titre spécial), mais leur
confère aussi un certain rôle prophétique, par la prédication, et royal, en
tant qu’ils sont appelés à conduire le troupeau du Christ à la béatitude. Ils
cumulent ainsi, comme le Christ, les tria
munera. De fait, un prêtre qui ne pêcherait pas la parole de Dieu ne
susciterait pas la foi[368],
et donc ne baptiserait personne et n’aurait pas de troupeau à régir.
D’autre part, tous les membres du
peuple de Dieu participent d’une certaine manière à ses trois privilèges, sur
le fondement des sacrements de baptême et de confirmation s’épanouissant en
grâce des vertus et des dons. Chez tous, la réception de « l’Esprit de
prophétie » illumine la foi ; celle-ci fructifie en charité, qui
invite le chrétien à offrir à Dieu en sacrifice sa personne et ses biens, et en
espérance, qui le pousse à orienter sa propre vie et celle des autres vers la
fin ultime de la béatitude.
Les tria munera tiennent une place relativement modeste dans l’œuvre de
saint Thomas. Par leur intermédiaire, on rejoint cependant le cœur même de
l’enseignement de l’Aquinate sur la Loi nouvelle. Celle-ci est une et unique, mais comprend un élément
principal, la grâce du Saint-Esprit, et des éléments seconds, dispositifs et
consécutifs :
Ce qu’il y a de plus
important dans la Loi nouvelle, ce en quoi consiste toute sa valeur, c’est la
grâce de l’Esprit Saint donnée par la foi au Christ. Il y a cependant dans la
Loi nouvelle des réalités qui sont comme dispositives à la grâce du
Saint-Esprit, et des réalités qui concernent l’usage de cette grâce ; ces
réalités sont comme secondes[369]
dans la Loi nouvelle[370].
La
principale des trois vertus théologale est la charité, corrélative de la
présence de grâce de l’Esprit Saint ; la foi et l’espérance s’ordonnent à
elle à titre second[371].
De même, le principal des tria munera
est le sacerdoce (comme pouvoir d’offrir le sacrifice), le prophétisme et la
royauté lui sont subordonnés, mais en sont inséparables. Cette hiérarchie et
cette connexion se vérifient dans le Christ, mais aussi chez les ministres
ordonnés, au plan de leurs fonctions ecclésiales, et chez chaque fidèle, au
plan de l’activité cultuelle et théologale jaillissant des énergies de son
baptême et de sa confirmation.
La
forte structuration et le bel équilibre atteints par le docteur commun ne
tarderont cependant pas à être compromis.
On se
rappelle que c’est peu après la mort de saint Thomas, dans les premières années
du xive siècle, que
paraissent les premiers traités séparés d’ecclésiologie. En cette période de
luttes passionnées entre le pape, les princes, les évêques, et divers
mouvements spirituels hétérodoxes, on ne pouvait éviter « d’introduire
dans [la] définition même [de l’Église] la modalité sociale de son existence
terrestre, et sa note de visibilité »[373].
En pareil contexte, la notion de peuple de Dieu, embrassant simultanément la
hiérarchie et les fidèles laïcs, en
continuité avec l’ancien israël,
ne pouvait qu’être délaissée.
À
plus forte raison, la controverse anti-protestante obligea à mettre
vigoureusement en lumière le caractère visible de l’Église. Le Catechismus romanus présente encore
celle-ci comme communion des fidèles et médiatrice de salut. En revanche, le
catéchisme de saint Robert bellarmin
tend à restreindre la médiation ecclésiale à la seule hiérarchie. Un peu plus
tard, la conception de l’Église comme societas
inæqualis[374]
peut sembler correspondre à l’absolutisme politique qui lui fait pendant. À
l’époque de l’Aufklärung, le rôle de
la Trinité, par appropriation l’Esprit Saint, cause principale de la cohésion
spirituelle des membres, et celui du Christ glorifié en tant qu’homme,
instrument conjoint, sont repoussés à l’arrière-plan, au profit de la cause
ministérielle (instrument séparé) : la hiérarchie ecclésiastique. Les
simples fidèles ne sont plus envisagés comme communauté des saints, et à ce
titre prêtres de leur propre sacrifice spirituel et sujets de la médiation de
grâce de l’Église, mais essentiellement comme objets de l’agir magistériel et
sacramentel des pasteurs.
En
réaction contre le rationalisme délétère des « lumières », l’école de
Thübingen redécouvre les sources anciennes et place la vie et l’expérience
spirituelles de la communauté au centre de sa conception de l’Église. À une
époque où le peuple commençait à jouer un rôle politique important, Möhler
cherche à construire une nouvelle interprétation de l’Église transposant au
plan surnaturel la notion romantique de Volksgeist,
« esprit du peuple ». Il fait du peuple chrétien le maître, et des
représentants de la hiérarchie les serviteurs de ce peuple. Il en appelle à
l’idée biblique de sacerdoce universel pour justifier son idée que c’est le
peuple chrétien qui forme l’Église.
De
son côté Newman décrit fréquemment l’Église comme peuple de Dieu , en
continuité avec israël, et met en
valeur le rôle du peuple fidèle en matière de foi. Cependant à cette époque la
notion de peuple de Dieu représente encore le statut public de l’Église, ses
aspects institutionnels et ministériels, par opposition aux aspects spirituels
et charismatiques représentés par l’image du corps mystique.
Les
grands jésuites de l’école romaine tentèrent, dans le schéma sur l’Église prévu
pour servir de base aux travaux de Vatican I et par la suite, de concilier
l’ecclésiologie renouvelée du corps mystique et le concept bellarminien de
société ordonnée.
Nous
avons traité de la redécouverte de la notion de peuple de Dieu, quelque peu
délaissée après l’époque patristique, dans notre partie historique. Nous
rappellerons seulement ici les points les plus significatifs pour l’interprétation
de la doctrine de Vatican II.
La
« véritable et très exaltante redécouverte de l’idée de peuple de
Dieu »[375] fut préparée, notamment
en Allemagne, par les controverses qui entourèrent la théologie du corps
mystique avant et pendant la première guerre mondiale. Le développement du
personnalisme, cherchant à préciser la valeur de l’individuel[376],
la réaction contre la mystique allemande du peuple et du sol en vue d’attribuer
le sens plénier du mot « peuple » à l’Église[377],
ont sans doute joué un rôle dans cet événement. Toujours est-il qu’à la veille
de la seconde guerre mondiale deux théologiens allemands, L. Kösters, s. j., et
surtout, avec des critiques acerbes de l’image du corps mystique, M. D. Koster,
o. p.[378], proposèrent de
remplacer cette dernière, au centre de la réflexion théologique sur l’Église,
par la notion de peuple de Dieu, supposée donner seule une définition
scientifique de l’Église, alors que l’image du corps mystique demeurerait une
métaphore (ce qui est exact) inadéquate (ce qui est faux).
L’encyclique
Mystici corporis (1943) confirma les
droits de la théologie du corps mystique, en proposant, contre les excès
menaçants d’une revalorisation des aspects intérieurs de l’Église, une vision
mieux équilibrée, intégrant les aspects structurels indispensables. Cependant,
après la guerre nombre d’exégètes et de théologiens centrèrent leurs synthèses
ecclésiologiques sur l’idée de peuple de Dieu, sans prétendre éliminer celle de
corps mystique, mais avec l’intention de la compléter.
Dans
l’Église, ils voient, plutôt qu’une société hiérarchisée, une communion de
personnes (mais ces deux conceptions s’opposent-elles
contradictoirement ?), et le « peuple de Dieu en marche », à
l’œuvre aux côtés des autres hommes dans un devenir historique :
Armés de cette vision spirituelle, les chrétiens sont retournés à la réalité visible de l’Église, et ils y ont découvert autre chose qu’une institution ou une société[379], autre chose que simplement cela : dans sa réalité concrète, l’Église est encore une communion de personnes, elle est faite avant tout d’hommes et de femmes[380], engagés avec les autres hommes et les autres femmes dans une même aventure historique et chargée parmi eux d’une mission… [Dans la réalité visible de l’Église, ces ecclésiologues] découvrent d’abord la réalité d’un peuple à l’œuvre dans le devenir historique de l’humanité. À partir de ce moment-là, la réflexion théologique est embarquée sur de nouvelles pistes vers l’Église comme peuple de Dieu en marche[381].
De
fait, la notion de peuple de Dieu présentait des avantages indéniables :
elle suggérait par elle-même la continuité entre Israël (et même l’humanité de puis ses origines, Ecclesia ab Abel) et l’Église ;
jointe aux expressions « pèlerin » ou « en marche », par
référence aux itinérances du peuple juif, elle indiquait à la fois l’aspect
eschatologique de l’Église, le fait qu’elle n’a pas encore atteint son statut
définitif, et son aspect historique : son pèlerinage se réalise ici-bas
dans le temps. Elle facilitait, plus que la notion de corps mystique (on est
membre d’un corps ou on ne l’est pas), l’établissement de divers degrés
d’appartenance à l’Église. Sainement entendue, elle n’excluait nullement, mais
appelait plutôt, comme toute autre expression désignant une société,
l’introduction de catégories juridiques et hiérarchiques. Elle paraissait
particulièrement bien adaptée à la mentalité moderne :
Aujourd’hui, ce mot « peuple » est devenu magique. On parle de peuples évolués, de peuples en voie de développement. Alors l’Église dit à son tour : « Nous aussi, nous sommes un peuple : le peuple de Dieu. Nous sommes une nation : la nation sainte, consacrée au seigneur. Tous les peuples sont invités à en faire partie. L’Église peuple de Dieu se situe au-dessus de tous les nationalismes et de tous les particularismes. Un lien profond doit relier tous les hommes de tous les pays et de tous les temps appelés à former ensemble le même peuple messianique, l’unique famille de la Trinité »[382].
Enfin, elle
soulevait chez les protestants moins d’objections que l’image du corps
mystique, qui implique une unité de vie entre le Christ et l’Église (catholique
romaine).
Néanmoins,
il importait de préciser clairement l’interprétation de la notion de peuple de
Dieu, afin d’éviter toute méprise tant sur le sens du mot analogue « peuple », que sur le but visé par la « marche » en question :
—
Le mot « peuple » désigne-t-il l’ensemble de la communauté ou
société en question (comme dans les expression « peuple français »,
« peuple anglais », « peuples du monde », etc.), ou
offre-t-il un sens sociologique, par opposition à ceux qui au sein de la
société exercent des fonctions de responsabilité — en l’occurrence, la
hiérarchie —, comme dans les expressions « petit peuple, bas peuple,
populaire », etc. ?
—
Quel est le but de la « marche » de ce peuple, de l’« aventure historique » dans
laquelle les hommes et les femmes qui le constituent sont
« engagés » ? S’agit-il d’une « marche vers Dieu »,
d’une « montée » de l’Église « vers la trinité »[383], en
vue du triomphe plénier, universel et définitif du Christ Roi ? ou d’une
« grande marche » vers des « lendemains qui chantent »,
promis par les idéologies à la mode dans le troisième quart du xxe siècle, au terme d’un
processus révolutionnaire inévitablement violent ? [384]
Le
concile vatican II donnera sur
ces deux points tous les éclaircissements désirables, sans mettre fin à toutes
les équivoques chez les théologiens du peuple de Dieu.
À la
conception de l’Église comme peuple de Dieu se rattache la trilogie des
privilèges de ce peuple : peuple de rois, de prêtres et de prophètes. Ici
encore, la remise en valeur de ce thème par vatican
II avait été préparée par la renaissance ecclésiologique des xixe et xxe siècle, et avait fait
l’objet d’assez nombreuses publications, parfois non exemptes d’ambiguïtés, que
le Magistère s’était déjà employé à dissiper.
Le
thème s’était répandu, sans doute à la faveur du mouvement liturgique, dès le
tournant du xixe
siècle. En 1934, les semaines
liturgiques de Louvain lui consacraient un numéro. C’était ensuite de tour de
Cerfaux, en 1939, puis du P. Carré, en 1960. Les papes Pie XI et Pie XII,
initiateurs de l’Action catholique, accueillirent ce thème de bonne
heure :
À la charge du mystérieux sacerdoce du Christ, de la satisfaction et du sacrifice, ne participent pas seulement les ministres choisis par notre Pontife, le Christ Jésus, pour l’oblation immaculée qui doit se faire en son nom divin depuis l’orient jusqu’à l’Occident (cf. Mal 11, 1), mais le peuple chrétien[385] tout entier, appelé à bon droit par le prince des Apôtres « race élue, sacerdoce royal » (1 P, 2, 9) ; car soit pour eux-mêmes, soit pour le genre humain tout entier, en expiation de nos péchés, les fidèles doivent concourir à cette oblation à peu près de la même manière que le Pontife « choisi parmi les hommes est établi pour les hommes en ce qui concerne les choses de Dieu » (He 5, 1)[386].
Il ne faut pas nier ni mettre en doute que les fidèles possèdent un certain sacerdoce, et il n’est pas permis d’en faire peu de cas ni de le minimiser. Le Prince des Apôtres dans sa première épître s’adresse en effet aux fidèles en ces termes : « Mais vous, qui êtes une race choisie, un sacerdoce royal, un peuple que Dieu s’est acquis » (1 P, 2, 9). Et peu auparavant il affirme, dans la même lettre, que c’est le propre des fidèles d’être « un sacerdoce saint et d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu par Jésus-Christ » (ibid.) [387].
Le
sacerdoce royal des fidèles implique notamment une participation active au
sacrifice eucharistique. Dans l’eucharistie, les laïcs sont représentés par les
prêtres, qui seuls ont le pouvoir de rendre présent le Christ, et en outre ils
offrent eux-mêmes la divine victime et sont offerts par eux avec tout le corps
mystique :
Là, les ministres sacrés ne tiennent pas seulement la place de notre Sauveur, mais de tout le corps mystique et de chacun des fidèles ; là encore les fidèles eux-mêmes, unis au prêtre par des vœux et des prières unanimes, offrent au Père éternel l’Agneau immaculé, rendu présent sur l’autel uniquement par la voix du prêtre, comme une victime très agréable de louange et de propitiation, pour les nécessités de toute l’Église. Et de même que le divin Rédempteur mourant sur la croix s’est offert, comme Chef de tout le genre humain, au Père éternel, ainsi, en cette « offrande pure » (Mal 1, 11), non seulement il s’offre comme Chef de l’Église au Père céleste, mais en lui-même il offre aussi ses membres mystiques, puisqu’il les renferme tous, même les plus faibles et les plus infirmes, dans son Cœur très aimant[388].
Entre
la hiérarchie et tous les fidèles laïcs, il existe une étroite communion de vie
et solidarité d’intérêts. « De là les obligations de chacun de nous dans
l’ordre de la vie et du développement de tout l’organisme, in ædificationem corporis Christi »[389]. Les évêques, surtout dans les pays
où l’Église connaît la persécution, doivent recourir à l’« efficace
contribution de chaque membre à la glorification de la Tête et de son Corps
mystique »[390] :
Nous vous recommandons plus que jamais de vous servir de ces laïcs auxquels, comme à la pierre vive de la sainte maison de Dieu, saint Pierre attribuait une dignité secrète, qui les fait participer d’une certaine manière à un sacerdoce saint et royal[391].
Les pontifes constatent cependant bien
vite la diffusion d’erreurs sur le sacerdoce des fidèles, confondu avec le sacerdoce hiérarchique.
D’où d’importantes précisions dont l’essentiel sera repris à la lettre par le
concile Vatican II.
Le
sacerdoce royal des fidèles est bien distinct du sacerdoce hiérarchique. Il
n’implique aucun « pouvoir sacerdotal » au sens où celui-ci permet
d’offrir le sacrifice eucharistique in
persona Christi :
Du fait cependant que les chrétiens participent au sacrifice eucharistique, il ne s’ensuit pas qu’ils jouissent tous également du pouvoir sacerdotal… Il y a en effet, vénérables frères, des gens qui, se rapprochant d’erreurs jadis condamnées[392], enseignent aujourd’hui que, dans le Nouveau Testament, le mot « sacerdoce » désigne uniquement les prérogatives de quiconque a été purifié dans le bain sacré du baptême ; et même, disent-ils, le précepte de faire ce qu’il avait fait, donné par Jésus-Christ à ses Apôtres durant la dernière Cène, vise directement toute l’Église des chrétiens, et c’est par conséquent seulement plus tard qu’on en est arrivé au sacerdoce hiérarchique. C’est pourquoi ils prétendent que le peuple jouit d’un véritable pouvoir sacerdotal, et que le prêtre agit seulement comme un fonctionnaire délégué par la communauté[393].
L’office propre et principal du prêtre a toujours été et est encore d’offrir le sacrifice. Dès lors, là où il n’y a aucun pouvoir véritable et proprement dit de sacrifier, on ne trouve pas non plus de sacerdoce véritable et proprement dit….
Si vrai et si plein que soit ce titre d’honneur et la réalité qu’il exprime, il faut tenir fermement que ce « sacerdoce » commun à tous les fidèles, profond assurément et mystérieux, ne diffère pas seulement en degré, mais aussi en essence, du sacerdoce proprement dit, qui consiste dans le pouvoir d’accomplir le sacrifice du Christ lui-même, comme représentant du Souverain Prêtre[394].
Le
privilège prophétique du peuple de Dieu consiste d’abord à être « enseigné
par Dieu » pour connaître la vérité surnaturelle. Les théologiens de
l’époque moderne ont cherché à scruter la part du sensus fidelium dans l’établissement du dogme[396].
Ce sensus fidelium n’a rien de commun
avec le « libre examen » protestant, le subjectivisme fidéiste du xixe siècle, ou la
connaissance purement symbolique prônée par certains modernistes. Il s’exerce,
comme l’a montré le P. de Lubac, surtout à partir de la prière liturgique[397].
La foi rend les fidèles dociles vis-à-vis du Magistère[398],
mais le sens chrétien joue un rôle actif dans la transmission et le
discernement du message. Il peut même parfois rectifier intérieurement les
formules erronées de certains pasteurs : « Il y a quelque chose dans
la pastorum et fidelium conspiratio qui
ne se trouve pas dans les pasteurs seuls » [399].
Les
papes de la première moitié du xxe
siècle n’évoquent guère les thèmes de du caractère prophétique et de la royauté
du peuple de Dieu comme tel. En revanche, ils mentionnent souvent l’apostolat
des laïcs — donc, d’une certaine manière, l’exercice du charisme prophétique.
Sur cet apostolat, qu’ils ont vivement encouragé, ils fondent manifestement
bien des espérances, mais il leur cause déjà quelques préoccupations en raison
des tendances centrifuges qui semblent s’être manifestées de bonne heure, tant
parmi les théologiens que dans l’Action catholique.
Les
clercs ne sont pas seuls à exercer un apostolat dans l’Église. Pie XII récuse
explicitement la conception de l’Église selon laquelle seules les autorités
ecclésiastiques y joueraient un rôle actif, les laïcs représentant un élément
purement passif[400] :
« ceux qui ont embrassé les
conseils évangéliques » et les pères et mères de famille, notamment
« les laïcs qui collaborent avec la hiérarchie ecclésiastique à étendre le
règne du divin rédempteur »[401],
et non seulement ceux qui jouissent de charismes extraordinaires, participent
au ministère de l’Église. Les hommes et les femmes qui se vouent à
l’enseignement catéchétique et à la recherche théologique sont particulièrement
encouragés pour leur « noble zèle »[402].
Ce
qui n’empêche pas les pontifes de réaffirmer fortement :
—
La responsabilité inaliénable du magistère face aux tentatives d’une
certaine « théologie laïque » revendiquant l’autonomie doctrinale[403].
—
Le rôle irremplaçable du ministère ordonné, associé de manière spéciale aux
tria munera du Christ :
Il faut absolument maintenir que ceux qui dans ce Corps sont en possession des pouvoirs sacrés, en constituent les membres premiers et principaux, car c’est par eux que se perpétuent, selon le mandat du divin rédempteur, les fonctions du Christ docteur, roi et prêtre[404].
—
La nécessité pour les apôtres laïcs d’agir en harmonie avec l’apostolat
hiérarchique, auquel leur apostolat doit rester coordonné et subordonné :
« Il n’y a dans l’Église, en ce qui concerne le salut des âmes, aucun
magistère qui ne soit soumis à ce pouvoir et à cette vigilance »[405].
Il importe pour les laïcs de « rester en contact étroit avec la source
vive de la lumière, que le Seigneur a mise en son Église », ce qui leur
confère une « sécurité infiniment précieuse »[406].
La réception d’un mandat particulier ne fait pas d’un laïc un membre de la
hiérarchie, ne lui confère pas les pouvoirs d’ordre et de juridiction, mais le
place « plus étroitement sous la dépendance de la hiérarchie, seule
responsable devant Dieu du gouvernement de l’Église »[407].
Nul
n’ignore que la notion de peuple de Dieu a acquis au concile Vatican II un
relief inattendu, et s’est ensuite trouvée au centre des discussions
ecclésiologiques pendant une vingtaine d’années.
Le
schéma préparatoire De Ecclesia,
rédigé par une commission de théologiens choisis par le Saint-Siège, suivait
l’ordre des manuels classiques de l’époque, n’accordant aucune place
particulière au thème du peuple de Dieu :
1. la
nature de l’église militante.
2. les
membres de l’église militante, et
sa nécessité pour le salut.
3. l’épiscopat,
comme degré suprême de l’ordre du sacerdoce.
4. les
évêques résidentiels.
5. les
états de la perfection évangélique à acquérir.
6. les
laïcs.
7. le
magistère de l’église.
8. l’autorité
et l’obéissance dans l’église.
9. la
relation entre l’église et l’état.
10. la
nécessité pour l’église
d’annoncer l’évangile à toutes
les nations et par toute la terre.
11. l’œcuménisme.
Dès
la première session, ce schéma se heurta à un tollé d’objections des Pères. Une
commission internationale, inspirée par le P. Philips (de Louvain), proposa un
projet entièrement refondu, qui opta pour une ecclésiologie fondée sur
l’approfondissement des grandes affirmations symboliques de l’Écriture sur
l’Église. Parmi celles-ci, « on s’est convaincu
au cours du débat du caractère fondamental de ce thème [du peuple de Dieu], qui
souligne la dimension historique de l’Église, son insertion dans le cours du
temps et de l’histoire humaine »[409].Du coup, on accordait une
large place à la notion de peuple de Dieu[410] :
I. Le mystère de l’église
II. La constitution hiérarchique de l’église, et en particulier l’épiscopat
III. Le peuple de Dieu, et spécialement les laïcs
IV. La vocation à la sainteté dans l’église.
Cette
présentation cependant offrait une distinction inadéquate : les évêques
font partie du peuple de Dieu — à moins de réduire celui-ci aux seuls laïcs,
tendance très répandue dans la vulgarisation théologique de l’époque, mais
déplorablement erronée : « Quand nous
parlons du peuple de Dieu, contrairement à ce que certains pensent
spontanément, au sens populaire ou populiste, il ne s’agit pas seulement des
laïcs, des fidèles laïcs en tant qu’ils se distinguent de la hiérarchie, il
s’agit de la communauté totale de l’Église, qui comprend pasteurs et fidèles,
bergers et troupeau »[411].
On s’avisa donc bientôt que le nouveau projet attribuait aux seuls laïcs bon nombre d’éléments communs à tous les fidèles, prêtres et laïcs, religieux ou séculiers. Selon une proposition du cardinal Suenens, la majorité conciliaire décida, quelques mois plus tard, de scinder le chapitre IIIe en deux et d’inverser l’ordre des chapitres de manière à placer un chapitre sur le peuple de Dieu immédiatement après le chapitre Ier, consacré au mystère de l’Église, et avant le chapitre consacré à la hiérarchie. On exposait ainsi « ce qui convient à tout chrétien comme chrétien, selon sa dignité à part entière de membre du Christ, de membre du peuple de Dieu »[412], avant d’en venir aux différenciations ultérieures. Du même coup, on montrait « le caractère ministériel, instrumental, de service, de la hiérarchie », son ordre au bien commun du peuple chrétien tout entier, « dans la notion d’abord théologale qui nous est ici présentée »[413] :
En introduisant ce chapitre ici, profondément unifié avec le premier, avant de parler de la différenciation entre les diverses catégories de chrétiens, on a voulu manifester que l’Église est faite avant tout de la communion théologale de tous les chrétiens, que chacun est membre de l’Église à part entière, et que la vocation chrétienne est fondamentalement la même pour tous[414].
Mgr
Garrone, ardent promoteur de la notion de peuple de Dieu à Vatican II, devait
énumérer en 1964 les motifs justifiant la présence du nouveau chapitre :
1.
L’Église est montrée pérégrinant « entre les temps ».
2.
Elle est exposée dans sa totalité par rapport à ce qui est commun à tous
les fidèles ; le peuple et son salut sont de l’ordre de la fin tandis que
la hiérarchie est de l’ordre des moyens.
3.
Les services que les pasteurs rendent aux fidèles apparaissent plus
clairement, de même que l’idée de service.
4.
L’unité de l’Église dans la variété des offices, des Églises particulières,
des traditions et cultures, se trouve illustrée.
5.
Ce qui concerne les catholiques, les chrétiens non catholiques et les
autres hommes est formulé plus facilement que par la terminologie délicate de
« membre ».
6.
On voit mieux comment l’œuvre du Christ croît dans le monde, au profit de
la doctrine missionnaire[415].
Comment
interpréter la pensée de Vatican II sur le thème du peuple de Dieu, et particulièrement
ses rapports avec celui du corps mystique ? Après le concile, diverses
explications ont vu le jour :
Les
uns — Le P. Congar, Mgr Philips, le cardinal Ratzinger, Hans Küng —considèrent
les deux notions, non comme concurrentes, mais comme complémentaires. Celle du
corps mystique souligne l’activité de tous les membres, et d’abord l’union de
chacun au Christ-Tête ; celle du peuple en marche met en relief leur
responsabilité, et y ajoute une dimension historique. L’une et l’autre présentent
des avantages et des inconvénients. On ne peut se limiter exclusivement à l’une
des deux.
D’autres
théologiens, moins bien inspirés, veulent retenir la seule notion de peuple de
Dieu, diversement interprétée, comme thème central de l’ecclésiologie de
Vatican II. L’évolution ultérieure de la théologie et les discernements du magistère n’engagent pas dans ce sens.
D’autres
enfin entendent centrer l’ecclésiologie sur d’autres notions : celle de
sacrement et, surtout depuis 1985, celle de communion. Nous y reviendrons dans
un prochain chapitre.
Compte
tenu des limites qu’impose la rédaction d’un texte conciliaire, visant à
l’unanimité, la première de ces trois interprétations nous paraît s’imposer.
Mais elle ne doit pas exclure non plus le recours à d’autres concepts et
images, qui peuvent exprimer les mêmes vérités en mettant en lumière d’autres
aspects autrement méconnus.
Dans
le chapitre II de Lumen Gentium, les
nn. 10 à 12 viennent du chapitre III du second projet sur le laïcat ; ils
appliquent à toute l’Église ce qui était primitivement attribué aux seuls
laïcs. Les nn. 14-16 viennent de l’ancien chapitre Ier, consacré au
mystère de l’Église. Sont nouveaux le n° 9 (nouvelle Alliance et peuple
nouveau), le n° 13 (l’universalité ou catholicité du nouveau peuple de Dieu),
et le n° 17 (caractère missionnaire de l’Église).
On peut ainsi distinguer dans le chapitre II trois grandes parties :
I. La doctrine du peuple de Dieu : l’Église dans l’histoire du salut (n° 9).
II. La doctrine du sacerdoce commun, condition du peuple messianique, peuple de prêtres et de prophètes (nn. 10-12).
III. L’unité catholique et son rapport avec l’ensemble de l’humanité (nn. 13-17).
Nous
réserverons ce dernier point pour la suite de notre exposé.
Un
premier paragraphe indique les fondements scripturaires de la doctrine du
peuple de Dieu. L’Église, corps mystique du Christ, présente un aspect
historique. L’existence d’un peuple de Dieu particulier ne contrevient en rien
à la vocation universelle au salut, mais s’explique par la
volonté divine d’un salut non purement individuel mais communautaire, intégrant
au cours de l’histoire les hommes à une famille, une
communion, un corps. On commence par la phrase que saint Pierre
prononçait devant Corneille, affirmant l’extension du salut au monde
païen :
« À toute
époque, à la vérité, et en toute nation, Dieu a tenu pour agréable quiconque le
craint et pratique la justice » (cf. Ac 10, 35). Cependant il a plu à
Dieu que les hommes ne reçoivent pas la sanctification et le salut séparément,
hors de tout lien mutuel ; il a voulu au contraire en faire un peuple qui le
connaîtrait selon la vérité et le servirait dans la sainteté. C’est pourquoi il
s’est choisi le peuple d’Israël pour être son peuple avec qui il a fait
alliance et qu’il a progressivement instruit, se manifestant, lui-même et son
dessein, dans l’histoire de ce peuple et se le consacrant.
Le
premier peuple était ordonné à préparer le peuple nouveau, accomplissement
définitif des promesses de Dieu. on
reconnaît les grands textes de Jérémie annonçant
l’alliance nouvelle, inscrite dans les cœurs, que Dieu conclura avec « la
maison d’Israël et la maison de Juda ». Mais l’alliance nouvelle sera fondée
sur le Verbe incarné lui-même, et le peuple nouveau sera ouvert à toutes les
nations :
Tout cela cependant
n’était que pour préparer et figurer l’Alliance Nouvelle et parfaite qui serait
conclue dans le Christ, et la révélation plus totale qui serait apportée par le
Verbe de Dieu lui-même, fait chair. « Voici venir des jours, dit le
Seigneur, où je conclurai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une
Alliance Nouvelle... Je mettrai ma foi au fond de leur être et je l’écrirai sur
leur cœur. Alors, je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. Tous me
connaîtront du plus petit jusqu’au plus grand, dit le Seigneur »
(Jr 31, 31-34).
Et
d’insister sur l’aspect christologique et sacramentel, à la fois charnel et
spirituel, du peuple définitif :
Cette alliance
nouvelle, le Christ l’a instituée : c’est la Nouvelle Alliance dans son
sang (cf. 1 Co 11, 25), il appelle la foule des hommes de parmi les Juifs
et de parmi les Gentils, pour former un tout selon la chair mais dans l’Esprit
et devenir le nouveau peuple de Dieu. Ceux, en effet, qui croient au Christ,
qui sont « re-nés » non d’un germe corruptible mais du germe incorruptible
qui est la parole du Dieu vivant (cf. 1 P 1, 23), non de la chair, mais de
l’eau et de l’Esprit Saint (cf. Jn 3, 5-6), ceux-là deviennent ainsi
finalement « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un
peuple que Dieu s’est acquis, ceux qui autrefois n’étaient pas un peuple étant
maintenant le peuple de Dieu » (1 P 2, 9-10).
On brosse ensuite les traits du peuple de Dieu selon le Nouveau
Testament, en insistant sur son caractère trinitaire et sa dimension
eschatologique et cosmique :
Ce peuple
messianique a pour chef le Christ, « livré pour nos péchés,
ressuscité pour notre justification » (Rm 4, 25), possesseur
désormais du Nom qui est au-dessus de tout nom et glorieusement régnant dans
les cieux. La condition de ce peuple,
c’est la dignité et la liberté des fils
de Dieu, dans le cœur de qui, comme dans un temple, habite l’Esprit Saint. Sa loi c’est le commandement nouveau d’aimer comme le Christ lui-même nous a aimés (cf. Jn 13, 34).
Sa destinée enfin, c’est le royaume de Dieu, inauguré sur la terre
par Dieu même, qui doit se dilater encore plus loin[416]
jusqu’à ce que, à la fin des siècles, il reçoive enfin de Dieu son achèvement,
lorsque le Christ notre vie sera apparu (cf. Col 3, 4) et que « la création elle-même sera affranchie de
l’esclavage de la corruption pour connaître la glorieuse liberté des enfants de
Dieu » (Rm 8, 21).
« Cette
Église, qui est le nouvel Israël, l’Israël selon l’Esprit, est constituée à
partir des hommes et ordonnée à la famille humaine tout entière. Elle est donc
appelée à s’étendre à toutes les régions. Aussi entre-t-elle dans l’histoire
des hommes en transcendant les temps et les frontières des peuples »[417].
Le concile insiste en outre sur le rôle instrumental du peuple messianique tout
entier vis-à-vis de tous les hommes :
C’est pourquoi ce
peuple messianique, bien qu’il ne comprenne pas encore effectivement
l’universalité des hommes et qu’il garde souvent les apparences d’un petit troupeau,
constitue cependant pour tout l’ensemble
du genre humain le germe le plus fort d’unité, d’espérance et de salut.
Établi par le Christ pour communier à la vie, à la charité et à la vérité, il
est entre ses mains l’instrument de
la Rédemption de tous les hommes, au monde entier il est envoyé comme lumière
du monde et sel de la terre (cf. Mt 5, 13-16).
Universalité
dans l’espace, mais aussi dans le temps. Le nom de peuple de Dieu convient déjà
à Israël en marche vers la terre promise, puis passe à l’Israël nouveau, en
marche vers la terre nouvelle, racheté par le Christ et sanctifié par l’Esprit.
Et tout comme
l’Israël selon la chair cheminant dans le désert reçoit déjà le nom d’Église de
Dieu (2 Esd 13, 1 ; Nb 20, 4 ; Dt 23, 1 s.), ainsi le
nouvel Israël qui s’avance dans le siècle présent en quête de la cité future,
celle-là permanente (cf. He 13, 14), est appelé lui aussi l’Église du
Christ (cf. Mt 16, 18) : c’est le Christ, en effet, qui l’a acheté de
son sang (cf. Ac 20, 28), empli de son Esprit et pourvu des moyens adaptés
pour son unité visible et sociale.
On
notera au passage l’expression empruntée à saint Cyprien[418]
de « sacrement visible » (tout sacrement étant un signe, il doit être
visible) « de l’unité » : ce peuple est en même temps un signe pour
l’ensemble de l’humanité. Nous développerons ce thème ultérieurement :
L’ensemble de ceux
qui regardent avec la foi vers Jésus auteur du salut, principe d’unité et de
paix, Dieu les a appelés, il en a fait l’Église, pour qu’elle soit, aux yeux de
tous et de chacun, le sacrement visible
de cette unité salutaire[419].
Le
caractère historique de l’Église n’exclut pas, bien au contraire, sa tension
eschatologique, exprimée par l’image de la marche :
Destinée à
s’étendre à toutes les parties du monde, elle prend place dans l’histoire
humaine, bien qu’elle soit en même temps transcendante aux limites des peuples
dans le temps et dans l’espace. Marchant à travers les tentations, les
tribulations, l’Église est soutenue par la vertu de la grâce de Dieu, à elle
promise par le Seigneur pour que, du fait de son infirmité charnelle, elle ne
défaille pas à la perfection de sa fidélité mais reste de son Seigneur la digne
Épouse, se renouvelant sans cesse sous l’action de l’Esprit Saint jusqu’à ce que,
par la croix, elle arrive à la lumière sans couchant.
La condition du peuple messianique et du chrétien, pour autant qu’il en est un citoyen, c’est d’être un peuple de prêtres et de prophètes (nn. 10-12). On examine donc successivement :
· Le sacerdoce commun (nn. 10-11).
· Le prophétisme (n°12).
Pourquoi on n’a-t-on pas traité ici également de la dignité royale des fidèles ? De fait, ce point figurait en troisième lieu, dans le second schéma, dans le chapitre sur les laïcs, dont on a tiré l’essentiel du chapitre II dans le troisème schéma, mais il a été renvoyé dans celui-ci au chapitre IV, relatif aux laïcs. Selon le P. Labourdette, cette anomalie serait due à la hâte avec laquelle le chapitre II a été rédigé.
On a prétendu que, depuis Luther, l’Église avait méconnu le sacerdoce commun du peuple chrétien. En réalité, il s’agit d’une « vérité toujours présente et active à la pensée et au cœur de l’Église »[420].
Certains Pères avaient émis des réserves sur l’introduction dans le document conciliaire de ce thème, qu’ils jugeaient, non sans quelque apparence de raison, propre à engendrer la confusion. Le concile a voulu affirmer explicitement cette doctrine, mais on a discuté de l’expression à employer : sacerdoce universel, sacerdoce inchoatif, sacerdoce spirituel, sacerdoce intérieur — c’est le vocabulaire du Catéchisme du Concile de Trente —, sacerdoce commun ? Le concile a opté pour l’expression la plus neutre : « sacerdoce commun ».
On ne
trouvera pas ici une définition systématique du terme « sacerdoce »,
mot analogue aux acceptions multiples. Parmi les éléments intégrant la notion,
on retient principalement le sacrifice : tout sacrifice étant ordonné à
une activité sacrificielle, il s’agit avant tout ici de s’offrir soi-même en
sacrifice spirituel. Le sacerdoce
commun est une participation au sacerdoce du Christ conférée par les sacrements
de baptême et de confirmation. On mentionne particulièrement, à côté de la
prière et de la louange, le témoignage de foi et d’espérance rendu au Christ,
qui constitue une forme éminente de sacrifice spirituel :
Le Christ Seigneur,
grand prêtre tiré d’entre les hommes (cf. He 5, 1-5) a fait du peuple
nouveau « un royaume, des prêtres pour son Dieu et Père » (cf.
Ap 11, 6 ; Ap 45, 9-10). Les baptisés, en effet, par la
régénération et l’onction du Saint-Esprit, sont consacrés pour être une demeure
spirituelle et un sacerdoce saint, en vue d’offrir, par toutes les activités du
chrétien, autant de sacrifices spirituels, et proclamer les merveilles de celui
qui des ténèbres les a appelés à son admirable lumière (cf. 1 P 2, 4-10).
C’est pourquoi tous les disciples du Christ, persévérant dans la prière et la
louange de Dieu (cf. Ac 2, 42-47), doivent s’offrir en victimes vivantes,
saintes, agréables à Dieu (cf. Rm 12,1), porter témoignage du Christ sur
toute la surface de la terre, et rendre raison, sur toute requête, de
l’espérance qui est en eux d’une vie éternelle (cf. 1 P 3, 15).
« Il est évident, contrairement à ce que Luther affirmait, que ce
sacerdoce commun ne remplace pas, n’évacue ni ne condamne comme non
scripturaire le sacerdoce ministériel »[421].
Le concile
réaffirme sans ambiguïté la distinction posée par Pie XI et Pie XII entre les
deux sacerdoces, mais il approfondit davantage leurs relations mutuelles. Le
sacerdoce ministériel se trouve au service du sacerdoce commun ; ses
pouvoirs sont ordonnés à l’instruction, au gouvernement et à la sanctification
du peuple sacerdotal, en particulier par le sacrifice eucharistique :
Le sacerdoce commun
des fidèles et le sacerdoce ministériel ou hiérarchique, bien qu’il y ait entre
eux une « différence essentielle et non seulement de degré », sont
cependant ordonnés l’un à l’autre : l’un et l’autre, en effet, chacun
selon son mode propre, participent de l’unique sacerdoce du Christ[422].
Celui qui a reçu le sacerdoce ministériel jouit d’un pouvoir sacré pour former
et conduire le peuple sacerdotal, pour faire, dans le rôle du Christ, le
sacrifice eucharistique et l’offrir à Dieu au nom du peuple tout entier.
De
leur côté, les fidèles entrent dans le sacrifice du Christ total par leur
participation à la liturgie, notamment en concourant à l’offrande de
l’eucharistie et en s’offrant eux-mêmes avec elle.
Les fidèles eux, de
par le sacerdoce royal qui est le leur, concourent à l’offrande de
l’Eucharistie[423] et
exercent leur sacerdoce par la réception des sacrements, la prière et l’action
de grâces, le témoignage d’une vie sainte, et par leur renoncement et leur
charité effective.
Ainsi,
Le sacerdoce spirituel est de l’ordre de la vie théologale, [donc,] en définitive, [de] l’ordre de la fin. Le sacerdoce
ministériel… n’est pas pour le sujet lui-même, pour sa sanctification, mais
pour la célébration du culte sacramentel qui sanctifie tout le peuple
chrétien ; donc, il est de l’ordre
des moyens de grâce, de l’ordre des
ministères. Il est caractéristique du temps de la terre, du temps du culte
en symboles, sous des signes. Il est par conséquent ordonné au sacerdoce spirituel, pour celui même qui le détient, et
pour tous les fidèles au service desquels il est envoyé[424].
Le concile évoque ensuite les modalités d’exercice du
sacerdoce commun dans les divers sacrements. C’est, selon la doctrine de saint
Thomas, le caractère du baptême, complété par celui de la confirmation, qui
députe le fidèle au culte chrétien. Mais le sacerdoce spirituel lui-même
appartient à l’ordre de la grâce, qui est semence de gloire.
On passe ainsi en revue les divers sacrements,
montrant comment ils manifestent et renforcent la consécration à Dieu des
fidèles. La dimension ecclésiale de chaque sacrement est fortement
soulignée :
Le caractère sacré
et organique (ou : organiquement structuré) de la communauté sacerdotale
entre en action par les sacrements et les vertus. Les fidèles incorporés à l’Église par le baptême ont reçu un caractère qui les délègue pour
le culte religieux chrétien ; devenus fils de Dieu par une régénération,
ils sont tenus de professer devant les hommes la foi que par l’Église ils ont
reçue de Dieu[425].
Par le sacrement de
confirmation, leur lien avec l’Église est rendu plus parfait, ils
sont enrichis d’une force spéciale de l’Esprit Saint et obligés ainsi plus
strictement tout à la fois à répandre et à défendre la foi par la parole et par
l’action en vrais témoins du Christ[426].
Participant au
sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils
offrent à Dieu la victime divine et s’offrent eux-mêmes avec elle[427]
; ainsi, tant par l’oblation que par la sainte communion, tous, non pas
indifféremment mais chacun à sa manière, prennent leur part originale dans
l’action liturgique. Il s’ensuit que, restaurés par le Corps du Christ au cours
de la sainte liturgie eucharistique, ils manifestent, sous une forme concrète, l’unité du peuple de Dieu que ce grand
sacrement signifie en perfection et réalise admirablement.
Ceux qui s’approchent
du sacrement de Pénitence y reçoivent de la miséricorde de Dieu le pardon de
l’offense qu’ils lui ont faite et du même coup sont réconciliés avec l’Église que leur péché a blessée et qui, par la
charité, l’exemple, les prières, travaille à leur conversion.
Par l’onction
sacrée des malades et la prière des prêtres, c’est l’Église tout entière qui recommande les malades au Seigneur
souffrant et glorifié, pour qu’il les soulage et les sauve (cf. Jc 5,
14-16) ; bien mieux, elle les exhorte, en s’associant librement à la
passion et à la mort du Christ (cf. Rm 8, 17 ; Col 1, 24 ; 2
Tm 2, 11-12 ; 1 P 4, 13) à apporter leur part pour le bien
du peuple de Dieu.
Quant à ceux parmi
les fidèles qui reçoivent l’honneur de l’ordre sacré, c’est pour être par la
parole et la grâce de Dieu les pasteurs de l’Église
qu’ils sont institués au nom du Christ.
Enfin, par la vertu
du sacrement de mariage, qui leur donne de signifier en y participant le
mystère de l’unité et de l’amour fécond entre le Christ et l’Église (cf. Ep 5, 32
), les époux chrétiens s’aident mutuellement à se sanctifier dans la vie
conjugale, dans l’accueil et l’éducation des enfants : en leur état de vie
et dans leur ordre, ils ont ainsi dans le
peuple de Dieu leurs dons propres
(cf. 1Co 7,7 )[428].
De leur union, en effet, procède la famille où naissent des membres nouveaux de
la cité des hommes, dont la grâce de l’Esprit Saint fera par le baptême des
fils de Dieu pour que le peuple de Dieu se perpétue tout au long des siècles.
Il faut que par la parole et par l’exemple, dans cette sorte d’Église qu’est le foyer, les parents soient pour leurs
enfants les premiers hérauts de la foi, au service de la vocation propre de
chacun et tout spécialement de la vocation sacrée.
Pourvus de moyens
salutaires d’une telle abondance et d’une telle grandeur, tous ceux qui croient
au Christ, quels que soient leur condition et leur état de vie, sont appelés
par Dieu, chacun dans sa route, à une sainteté dont la perfection est celle
même du Père.
Le peuple saint de Dieu tout entier, en effet, participe également à la fonction prophétique du Christ, prêtre, prophète et roi. En quoi consiste donc le prophétisme ?
Avant tout, dans le sens de la foi, qui s’exprime par la vie et par la louange :
Le peuple saint de
Dieu participe aussi de la fonction prophétique du Christ ; il répand son
vivant témoignage avant tout par une vie de foi et de charité, il offre à Dieu
un sacrifice de louange, le fruit des lèvres qui célèbrent son Nom (cf.
He 13, 15).
De ce don du sens de la foi, instinct ou divination surnaturelle de la vérité, résultent l’indéfectibilité et l’infaillibilité, non certes de chaque chrétien ou de chaque communauté chrétienne, ni d’une quelconque majorité démocratiquement obtenue, mais de l’ensemble du peuple fidèle uni à ses pasteurs légitimes[429] — l’infaillibilité du magistère étant précisément ordonnée à assurer l’infaillibilité de l’ensemble de la communauté. « c’est cela qui donne à l’Église d’être le sujet premier et fondamental de la Tradition comme source de foi. Son sujet, disent les théologiens, c’est la mens Ecclesiæ, l’esprit, l’âme, le cœur de l’Église »[430], illuminé par l’Esprit Saint :
L’ensemble des
fidèles, ayant l’onction qui vient du Saint (cf. 1 Jn 2, 20 ;
1 Jn 2, 27), ne peut se tromper dans la foi ; ce don particulier
qu’elle possède, elle le manifeste par le moyen du sens surnaturel de foi qui
est celui du peuple tout entier, lorsque , « des évêques jusqu’aux
derniers des fidèles laïcs »[431]
elle apporte aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement
universel. Grâce en effet à ce sens de la foi qui est éveillé et soutenu par
l’Esprit de vérité, et sous la conduite du magistère sacré, qui permet, si on
obéit fidèlement, de recevoir non plus une parole humaine, mais véritablement
la parole de Dieu (cf. 1 Th 2, 13), le peuple de Dieu s’attache
indéfectiblement à la foi transmise aux saints une fois pour toutes (cf.
Jud 1, 3), il y pénètre plus profondément en l’interprétant comme il faut
et la met plus parfaitement en œuvre dans sa vie.
Après le sens de la foi, les charismes. On en donne d’abord une
définition classique : comme des « grâces spéciales » (genre)
ordonnées non au bien de celui qui les reçoit mais à celui de toute la
communauté (différence spécifique) :
Mais le même Esprit
Saint ne se borne pas à sanctifier le peuple de Dieu par les sacrements et les
ministères, à le conduire et à lui donner l’ornement des vertus, il distribue
aussi parmi les fidèles de tous ordres, « répartissant ses dons à son gré
en chacun » (1 Co 12, 11), les grâces spéciales qui rendent apte et
disponible pour assumer les diverses charges et offices utiles au
renouvellement et au développement de l’Église, suivant ce qu’il est dit :
« C’est toujours pour le bien commun que le don de l’Esprit se manifeste
dans un homme » (1 Co 12, 7).
Quelle attitude adopter face aux charismes ? Il
ne faut pas les rejeter a priori, ni
les rechercher, ce qui serait le fait de la présomption, mais les accueillir
avec action de grâces. Quant à discerner leur authenticité, cela revient à la
hiérarchie :
Ces grâces, des
plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être
reçues avec action de grâce et apporter consolation, étant avant tout ajustées
aux nécessités de l’Église et destinées à y répondre. Mais les dons
extraordinaires ne doivent pas être
témérairement recherchés ; ce n’est pas de ce côté qu’il faut
espérer présomptueusement le fruit des œuvres apostoliques ; c’est à ceux
qui ont la charge de l’Église de porter un jugement sur l’authenticité de ces
dons et sur leur usage bien entendu. C’est à eux qu’il convient spécialement,
non pas d’éteindre l’Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon
(cf. 1 Th 5, 12 ; 1 Th 5,19-21).
L’introduction de la notion de peuple de Dieu au cœur
de l’ecclésiologie de Vatican II a pu en son temps paraître un fait
révolutionnaire. Elle a été reçue par beaucoup de catholiques avec
enthousiasme, et les protestants, à l’inverse des orthodoxes, la préfèrent à
celle de corps mystique. Mais, vingt ans après Vatican II, elle a été
supplantée à son tour par la notion de communion, d’ailleurs diversement
entendue. Ce fait s’explique en partie par les limites de l’expression
« peuple de Dieu ». En premier lieu, elle laisse dans l’ombre la
spécificité de l’Église chrétienne : le Christ n’est pas seulement le
Messie, il est le Verbe incarné, et constitue son peuple comme son corps. Par
ailleurs, le mot « peuple » est actuellement chargé de connotations
politiques égalitaires qui ne correspondent ni à son usage biblique, ni à la
pensée des Pères du concile. Enfin, le concile a intentionnellement laissé la
préséance à la notion d’Église, qui exprime mieux sa dimension de mystère, et
laissé une part importante à l’image du corps mystique, qui indique l’intime
relation entre le Christ et l’Église : « L’image du corps complète la
précédente en indiquant que ce “peuple de Dieu” n’est pas une démocratie
parlementaire structurée de bas en haut, mais un organisme visiblement
hiérarchisé en même temps qu’animé intérieurement par le Christ »[432].
Table
des matières
Introduction 1
Statut logique de l’expression 2
Le peuple de Dieu dans l’Écriture 3
Remarque de vocabulaire biblique 3
Le peuple d’Israël 4
Les trois qualités fondamentales au sein
du peuple de Dieu 8
L’enseignement
principal de l’Ancien Testament 10
L’Église, nouveau
peuple de Dieu 12
Continuité-discontinuité avec Israël 13
Nouveauté radicale de l’Église 17
Prêtre-prophète-roi
dans le nouveau testament 18
Conclusion 25
Le donné de la
Tradition 26
Les Pères 27
Théologie du peuple
de Dieu 27
Les qualités de prêtre, roi, et prophète 36
Saint Thomas d’Aquin 51
Théologie du peuple de Dieu 51
Les trois privilèges du peuple de Dieu 51
évolutions postérieures 51
Du déclin du moyen âge à l’époque classique 51
Le renouveau ecclésiologique du xixe siècle 51
La redécouverte de la notion de peuple de Dieu au xxe siècle 51
Les trois privilèges du peuple de Dieu de Pie XI à
Vatican II 51
Le donné de Vatican II 51
Élaboration du texte 51
Le schéma préparatoire 51
Premier remaniement 51
Second remaniement 51
Analyse 51
Interprétation d’ensemble 51
Composition du chapitre II 51
La doctrine du peuple de Dieu (LG II, n° 9) 51
un peuple de prêtres et de prophètes (nn. 10-12) 51
Conclusion 51
[1] Nous nous inspirons dans tout ce chapitre du plan de B.-D. de la Soujeole, avec quelques modifications de détail.
[2] Ainsi, dans « Les enseignements pontificaux », L’Église ; le Dictionnaire de la Bible et son Supplément, etc.
[3] M.-M. Philipon, Trinité et peuple de Dieu, éditions Saint-Paul, Paris-Fribourg, 1968, p. 13.
[4] Ekklesiologie im Werden, Paderborn, 1940.
[5] La théologie de l’Église selon S. Paul.
[6] Le peuple de Dieu pèlerin (1939).
[7] Le peuple de Dieu, traduction française par le P. Roguet, éditions de l’Abeille, Lyon, 1943.
[8] M.-M. Philipon, ubi supra, p. 13-14.
[9] Paul VI, audience générale du 5 septembre 1973. Pour O. Semmelroth, le P. Philipon (op. cit. p. 13), et nombre d’autres théologiens, il est impossible de saisir l’essence de l’Église dans un concept ou une image unique.
[10] Commission théologique internationale, « Thèmes choisis d’ecclésiologie », DC n° 1909, 5 janvier 1986, p. 59-60.
[11] Paul VI, audience générale du 5 septembre 1973.
[12] A. Luneau (1972), cité par J. Grootærs dans l’ article « peuple de Dieu » de l’encyclopédie catholicisme, fascicule 49, p. 99, que nous utilisons librement dans ce développement. Telle est aussi l’interprétation de G. Philips (qui précise que certaines métaphores peuvent avoir une valeur plus grande que des concepts) et M.-D. Koster. Selon J. Ratzinger et O. Semmelroth, « peuple » est employé dans un sens analogique.
[13] Nous utilisons ici le Vocabulaire de théologie biblique, entre autres l’article « peuple » de P. Grelot.
[14] CTI, art. cit., p. 60.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Op. cit., chap. II.
[18] Ibid., p. 33 et 30.
[19] CEC, n° 60.
[20] Il est d’ailleurs resté d’un usage beaucoup plus commun qu’on ne le croyait autrefois jusqu’à la destruction de Jérusalem comme langue religieuse et culturelle.
[21] CEC, n° 62.
[22] Y.-M. Congar, L’Église, p. 473, vide supra, Historique (Vatican II).
[23] W. Berg, cité par le cardinal Ratzinger, « L’ecclésiologie de la constitution conciliaire Lumen gentium », DC, 2 avril 2000, vide supra, historique (Vatican II).
[24] CTI, ubi supra.
[25] MR, Vendredi Saint, oraison universelle VI.
[26] CEC, n° 63.
[27] Paul VI, audience générale du 5 septembre 1973, cf. S. Augustin, De catechizandis rudibus, III, 6, PL 40, 313.
[28] CEC, n° 64.
[29] Paul VI, audience générale du 5 septembre 1973, cf. S. Augustin, De catechizandis rudibus, III, 6, PL 40, 313.
[30] Même le « peuple des saints du Très-Haut » de Daniel (7, 22.27), qui tend à dépasser ces limites, reçoit en partage une domination qui ressemble à celle des puissants de ce monde (Dn 7, 27 ; cf. 14).
[31] Encore que le bonheur promis exclue tout mal moral et physique (Is 25, 8 ; 65, 19).
[32] Conducteurs, surtout dans les voies morales.
[33] CEC, n° 786.
[34] M.-M. Philipon, Trinité et peuple de Dieu, éd. Saint-Paul, Paris-Fribourg, 1968, p. 29.
[35] CEC, n° 786.
[36] Ibid.
[37] Epist. ad Cor. 8, 3 ; 15, 2 ; 16, 9. 15 ; 29, 2 (cit. de l’A. T., mais appliquée explicitement au nouveau peuple) ; 53, 2-4 (ter) ; 55, 5-6
[38] Op. cit. 59, 4 et 64.
[39] 29, 1.
[40] 30, 1.
[41] 40, 5.
[42] Dialogue avec Tryphon, nn. 119-120, in La philosophie passe au Christ, p. 316 sq.
[43] I Apol. xxxix, 3, op. cit. p. 65.
[44] Dialogue avec Tryphon, n° 109, p. 302-303.
[45] Dial. 110, p. 303-304.
[46] Dial. 111, 4, p. 305-306.
[47] Dial. 113, p. 308-309.
[48] Dial. 114, p. 309-310.
[49] Dial. 134, p. 340.
[50] In Ez. hom. 9, 3.
[51] In Ier. hom. IX, 2 ; In Ios. hom. VIII, 7.
[52] Contre Celse IV, 22.
[53] In Lucam X, 134, SC t. II, p. 201.
[54] De virginibus I, 31, D. Tissot p. 33-34.
[55] In Lucam IV, 50, PL 15, 1627.
[56] Ibid., 129, p. 220.
[57] S. Augustin, Confessions, IX, vii, 15, PL 32, 770.
[58] Ep. 36, 17, ad Damasum, Labourt, t. ii, p. 65. Cf. In Os. 12, 2, PL 25, 925 C-D.
[59] In Matth. 27, 44, PL 26, 211 C.
[60] Ep. 21, 40 ad Damasum, édition Labourt, t. i, p. 108.
[61] Ibid., p. 88-89.
[62] In Ionam 4, 10-11, PL 25, 1151 AB.
[63] In Is. 6, 13, 4, PL 24, 208 C.
[64] Ep. 120, 10, ad Hedibiam, Labourt t. vi, p. 153.
[65] In Eccl. 4,14, PL 23, 1051 B.
[66] In Ps. 84, 11.
[67] In Is. 62, 1, PL 24, 605 A-B.
[68] In Os. 2, 1, PL 25, 829 D ; cf. 1, 10, 11, col. 829 A ; 3, 4, 5, col. 845 C.
[69] In Ps. 76, 21.
[70] In Eph. 4, 14, PL 26, 500 D.
[71] De re publica, II, 43.
[72] Au sens latin de societas, qui ne désigne pas seulement un groupe d’hommes plus ou moins structuré, mais une union, une alliance. Les socii de Rome sont ses alliés. Societas traduit dans la Vulgate le grec koinwnia.
[73] De civitate Dei, II, xxi. Même définition en XIX, xxi.
[74] De civitate Dei, II, xxiv.
[75] Serm. 103, 4.
[76] De civitate Dei, XIX, xxvi.
[77] Tractatus XIV in Ioannem, n° 8.
[78] Sermon 10, 8.
[79] Voir sur ce thème, dans Le visage de l’Église, le chapitre « Les deux peuples », p. 67 sq., auquel nous empruntons plusieurs citations.
[80] Serm. 149, 6-9, PL 38, 802-803.
[81] Quatre vingt trois questions, q. 49.
[82] Enarr. in Ps. 58, 1, 21, PL 36, 705.
[83] Sermon sur Jacob et Ésaü, nn. 17-18, PL 38, 37-50. Voir aussi, dans Le visage de l’Église, le contexte de ce passage ; le Sermon Morin, 10, MA 472-474, sur le combat de Jacob, et le Sermon Caillau 11, 11, MA 256-264, sur le prodigue et son frère.
[84] C’est le thème des « saints païens de l’Ancien Testament », étudié par J. Daniélou.
[85] Noter cette remarque, importante pour le débat actuel sur l’Église et les religions.
[86] De civitate Dei, XviiI, xlvii.
[87] Enarratio in Ps. 47, n° 8.
[88] Ibid.
[89] Enarratio in Ps. 47, n° 10.
[90] Ibid.
[91] Ibid., n° 7.
[92] Ibid, n° 10.
[93] In Ps. 90, serm. 2, PL 37, 1159. Noter l’union des thèmes : corps-peuple-cité.
[94] Serm. 300, 1, PL 38, 1379, in Visage de l’Église, p. 65.
[95] Enarr. in Ps. 47, n° 7, LJ p. 1036.
[96] Enarr. in Ps. 118, 20, 1, PL 37, 1556-1557, in Visage de l’Église, p. 59.
[97] Nous utilisons librement dans cette section J.-M. Tillard, article « Sacerdoce » du DS, t. 14, col. 1-37 (notamment à partir de la col. 11).
[98] S. Justin, Apologie 1, 61. Cf. Tertullien, De baptismo 7 ; S. Irénée, Adversus hæreses IV, 8, 3 ; IV, 18, 2.
[99] S. Ambroise, In Luc. 5, 33, SC 45, p. 196. On retrouve l’image de la barbe d’Aaron chez Athanase, Jérôme, Cassiodore (et, à plusieurs reprises, chez S. Thomas, pour désigner la grâce capitale).
[100] S. Grégoire de Nazianze, Orat. 45, 23, PG 36, 656.
[101] Tertullien, de oratione, 28, 1, 2²
[102] Tertullien, Ad uxorem, 1, 7.
[103] S. Cyprien, Ep. 77, 3.
[104] Origène, Hom. 9, 9 sur le Lévitique, SC 287, 116-118, LM V, p. 326-329.
[105] S. Augustin, Homélies sur l’Ancien Testament, 19, 2-3.
[106] De civitate Dei, 10, 5.
[107] De civitate Dei, 10, 6.
[108] S. Pierre Chrysologue, Hom. 108, PL 52, 499-500.
[109] Origène, Hom. 9, 9 sur le Lévitique, SC 287, 116, LM V, p. 327.
[110] Vide infra.
[111] S. Cyrille d’Alexandrie, Commentaire d’Aggée, n° 14. Noter l’union des thèmes sacerdoce/temple.
[112] Tertullien, De baptismo 7, 1-2, SC 35, p. 76.
[113] S. Cyrille de Jérusalem, Catéchèses mystagogiques 3, 6, SC 126, p. 129.
[114] S. Ambroise, De mysteriis 6, 29-30, SC 25 bis, p. 173.
[115] Paul Diacre, Epist. ad Senarium 6, PL 59, 403.
[116] Origène, Hom. 9, 9 sur le Lévitique, SC 287, p. 118, LM V, p. 329 (traduction retouchée).
[117] Le sacerdoce chrétien s’enracine dans le iereuV vétéro-testamentaire, mais en tant qu’accompli dans le Christ Jésus par le sacrifice de la croix, vide infra.
[118] S. Augustin, De civitate Dei 17, 5, BA 36, p. 385-387 ; éd. Raulx, t. 13, p. 371.
[119] S. Clément de Rome, 1e lettre aux Corinthiens, 43-44.
[120] S. Clément de Rome, 1e lettre aux Corinthiens, 43, SC 167, p. 171.
[121] S. Ignace d’Antioche, Lettre aux Philadelphiens, LH, 26e jeudi ordinaire, LJ p. 1208.
[122] Tradition apostolique attribuée à Hippolyte, n° 8.
[123] « Proprement » non probablement au sens logique, mais dans le langage courant de son époque : Augustin lui-même évoque abondamment le sacerdoce commun des fidèles, et ne dit jamais que l’expression soit métaphorique.
[124] De civitate Dei XX, 10, BA 37, p. 244-245.
[125]S. Jean Chrysostome, De sacerdotio iii, 4, cf. SC p. 143.
[126] Op. cit., iii, 5, SC p. 149.
[127] Constitutions apostoliques III, 16, 3 ; SC 329, p. 157 (fin ive siècle).
[128] Cf. Théologie de la vie monastique.
[129] S. Irénée, Adversus hæreses IV, 18 ; LH, 2e samedi ordinaire ; LJ, p. 679-680.
[130] On n’oubliera pas l’immense respect de S. Jean Chrysostome pour le sacerdoce ministériel, qui s’exprime entre autres dans De sacerdotio, vide supra.
[131] S. Jean Chrysostome, In 2 Cor hom. 18, PG 61, 526… 528.
[132] Rite copte de la consécration du chrême, in Denzinger, Ritus orientalium…, t. 1, p. 256.
[133] Tertullien, De exhortatione castitatis, 7, 3, PL 2, 922.
[134] Sanctum désigne régulièrement chez Tertullien l’eucharistie.
[135] Selon S. Épiphane, les marcionites autorisaient les femmes à baptiser (Hær. 42, 3, 4). Après son passage au montanisme, Tertullien leur reconnaîtra au moins le droit de prophétiser. — Sur le droit de baptiser, cf. De baptismo, 1, 3 et 17, 4.
[136] Au sens technique d’entrée dans un ordo, qu’on retrouve chez S. Cyprien.
[137] Tertullien, De præscriptione hæreticorum 41, 3… 8, PL 2, 57, SC 46, p. 147-148 (dont nous utilisons les notes).
[138] S. Épiphane, Hæreses 55, 4.
[139] S. Cyrille d’Alexandrie, Commentaire de l’évangile de Jean, LH 3e samedi du TP, LJ p. 411.
[140] S. Cyrille de Jérusalem, catéchèses mystagogiques, LH jeudi de Pâques, LJ p. 364.
[141] S. Augustin, Enarr. in Ps. 26, Serm. 2, 2, PL 36, 200.
[142] De civitate Dei XX, 10, BA 37, p. 244-245.
[143] S. Fulgence de Ruspe, Lettre au diacre Ferrand, LH 2e jeudi ordinaire, LJ p. 673-674.
[144] Enarr. in Ps. 61, 4, PL 36, 730.
[145] S. Irénée, Adversus hæreses, IV, 18, 15. S. Cyrille, De adoratione in spiritu et veritate, 12 et 16.
[146] S. Fulgence de Ruspe, Écrits contre Fabien, LH 28e lundi ordinaire, LJ p. 1219-1220.
[147] S. Jean Chrysostome, De sacerdotio iii, 4, SC p. 143-145.
[148] Op. cit., ii, 1, SC p. 101.
[149] De civ. Dei X, 6, BA 34, 445… 449.
[150] S. Augustin, Tractatus 26 in Ioan., in H. Tissot, Les Pères vous parlent de l’Évangile, t. i, p. 624.
[151] Celle de la confirmation : « L’huile qui alimente notre feu, c’est le sacrement de l’Esprit-Saint » (Serm. 227, 1, PL 38, 1100).
[152] S. Augustin, In Iam epistolam Ioannis, traité III, n° 5, SC 75, p. 195.
[153] Ibid., n° 12, p. 209.
[154] S. Augustin, In Iam epistolam Ioannis, traité IV, n° 2, SC 75, p. 219-221.
[155] S. Augustin, Tractatus 26 in Ioan., in H. Tissot, Les Pères vous parlent de l’Évangile, t. i, p. 624.
[156] Cf. S. Augustin, De magistro, XI, 36-XIV, 46, PL 32, 1215-1220.
[157] S. Augustin, In Iam epistolam Ioannis, traité III, n° 13, SC 75, p. 209-213.
[158] S. Grégoire le Grand, 30e Homélie sur l’Évangile, in H. Tissot, Les Pères vous parlent de l’Évangile, t. i, p. 592.
[159] Ibid., p. 600-601.
[160] S. Grégoire le Grand, Commentaire du 1er livre des Rois, II, 114, in Isabelle de la Source, Lire la Bible avec les Pères, t. iv, p. 44.
[161] Philoxène de Mabboug, 4e Homélie sur la simplicité, n° 105-106, ibid. p. 46-47.
[162] S. Vincent de Lérins, Commonitorium 23, jeudi de la 7e semaine du TP, LM t. iii, p. 711 ; cf. LH 27e vendredi ordinaire, LJ p. 1209-1210 (trad. du LM légèrement remaniée).
[163] Nous omettons la Catena aurea, tissu de citations dont Thomas prend à son compte la signification d’ensemble, mais non les détails de vocabulaire. Il nous reste une bonne soixantaine d’occurrences, sans compter quelques textes significatifs mais ne comportant pas l’expression « peuple de Dieu ».
[164] Lettre XXXVI, ii, 2, de S. Augustin à Casulanus, PL 33, 136 : les coutumes du peuple de Dieu et les institutions des anciens, mos populi Dei et instituta maiorum, ont force de loi là où aucune autre norme n’est définie par l’Écriture. C’est donc qu’il existe dans le peuple de Dieu un sens de ce qu’il convient de faire — sens surnaturel sans doute, mais aussi naturel, puisqu’il faut s’adapter aux coutumes des Églises particulières et des différents peuples là où elles n’ont rien de répréhensible. Voir Ia-IIæ, q 97, a 3, s. c. ; IIa-IIæ, q 79, a 2 ; In Ad Rom. 14, leç. 1, Busa l. 360 et 419 ; Reportationes ineditæ Leoninæ, n° 3, ch. 11, v. 16, Busa l. 15 ; In 1 Ad Cor. 11, leç. 3, Busa l. 265.
[165] Ia, q 31, a 1, ad 2.
[166] De civitate Dei, II, chap. 21 : « Le peuple n’est point un assemblage d’individus mais une société fondée sur des droits reconnus et sur la communauté des intérêts ».
[167] Ia-IIæ, q 105, a 2.
[168] In Ad Hebræos, 8, leç. 3.
[169] Les descendants d’Ismaël et Ésaü en étaient exclus, cf. IIIa, q 31, a 3, ad 5.
[170] In IV Sent. d 1, q 2, a 2, qla 1, ad 3.
[171] In IV Sent. d 1, q 2, a 2, qla 1, corps et ad 3.
[172] In IV Sent. d 1, q 2, a 2, qla 2 ; IIIa, q 70, a 4, s c ; q 89, a 3.
[173] In IV Sent. d 1, q 1, a 2, qla 4.
[174] « Il montre la destruction des ennemis, et en second lieu l’immunité du peuple de Dieu, populi dei immunitatem » (In Isaiam 23).
[175] In IV Sent., d 45, q 3, a 3, s. c. 1. Ia-IIæ, q 105, a 3, ad 4.
[176] In Isaiam 22.
[177] In Isaiam 17.
[178] In Hieremiam 33, leç. 7.
[179] In Isaiam 19, EL p. 106, l. 194-197.
[180] In IV Sent., d 8, q 1, a 3, qla 2, arg. 2 et ad 2.
[181] In IV Sent., d 4, q 3, a 3, qla 2, arg. 1 ; la solution ne mettra pas cette affirmation en cause.
[182] In IV Sent., d 18, q 3, qla 3, ad 1.
[183] Contra impugnantes, II, 3, corps, l. 557 (Busa).
[184] Contra impugnantes, III, Prol., l. 81 : discurrunt ad fructificandum in populo Dei.
[185] Ibid. et II, 3, ad 20, l. 21.
[186] In Matthæum 6, leç. 3, Busa l. 300 : non intendit quin cogitet de futuro ; sic enim periret populus Dei, quia sic non esset congregandum in æstate quod comedendum est in hieme.
[187] De regimine principum, I, 7, Busa l. 68.
[188] Ibid., I, 9, l. 37-41.
[189] « Il est manifeste que, bien que les peuples se répartissent entre diverses villes et régions, il faut cependant que l’Église soit une, et qu’il n’y ait qu’un seul peuple chrétien. De même donc que pour le peuple particulier d’une seule Église, il faut un seul évêque qui soit la tête de tout le peuple, de même pour l’assemblée du peuple chrétien, il faut qu’une seule personne soit tête de toute l’Église » (IV CG 76, n° 4103).
[190] IIa-IIæ, q 99, a 1.
[191] In Psalmos, Prologue, Stroobant de Saint-Éloy corrigé d’après le texte de Busa.
[192] In 1 Ad Cor. 5, leç. 2, Busa l. 150-154.
[193] IIIa, q 70, a 1.
[194] In Matthæum 12, leç. 1, Busa l. 443.
[195] In 1 Ad Cor. 7, leç. 1, Busa l. 88-91. — Du chap. 7, leç. 3, jusqu’au chap. 10 inclusivement, la suite est de Pierre de Tarentaise.
[196] In Ad Rom. 3, leç. 1.
[197] In Ad Rom. 9, leç. 2 (Busa, l. 47-49). Voir le contexte dans l’excellente traduction de J.-É. Stroobant de Saint-Éloy (SSE), p. 344. — Dans IIIa, q 31,a 3, ad 5, S. Thomas explique que la généalogie du Christ ne mentionne que le fils de Jacob : les descendants d’Ismaël et Ésaü en sont exclus, du fait qu’ils ont été « séparés du peuple de Dieu ».
[198] Cf. déjà In I Sent., d 8, q 1, a 3, qla 2, ad 2 : « Selon l’Apôtre, au chapitre 9e de l’épître aux Romains, “ce ne sont pas ceux qui le sont selon la chair, mais ceux qui le sont selon la promesse, qui sont comptés dans la semence”. Aussi le peuple du nouveau Testament n’est-il pas exclu de ce privilège d’amour à raison duquel Israël était appelé premier né de Dieu ». Dès l’Ancien Testament, les « fils de la promesse », sont les bons Juifs, ceux qui attendaient le Messie.
[199] In Ad Rom. 9, leç. 5, n° 799.
[200] Ibid. ; voir le contexte in SSE, p. 365.
[201] Ibid., SSE p. 366, Busa l. 103.
[202] In Ad Rom. 9, leç. 5, Busa l. 48.
[203] In Ad Rom. 9, leç. 5, SSE p. 366.
[204] In Psalmos, ps. 48, n° 1, Busa l. 2.
[205] In Psalmos, ps. 46, trad. de J.-É. Stroobant de Saint-Éloy, p. 600.
[206] In Ad Rom. 9, leç. 5, n° 799, SSE p. 365-366.
[207] IIIa, q 8, a 3, ad 3.
[208] IIIa, q 70, a 1.
[209] In Matth. 1, leç. 5, Busa l. 37-43.
[210] In Ad Rom. 9, leç. 5.
[211] Cf. In IV Sent., d 8, q 1, a 3, qla 2, arg 2 et ad 2.
[212] In Matthæum 28, Marietti 1893, p. 402-403.
[213] In Ad Hebræos, 4, leç. 2, Busa l. 20 : Apostolus hic, antequam faciat mentionem de requie æterna, dicit quod post terrenam adhuc « relinquitur », id est remanet, « sabbatismus populo Dei », qui in veteri lege per sabbatum repræsentabatur, scilicet requies æterna. Cité aussi dans De duobus præceptis caritatis, a 5, Busa l. 289-290, à propos de la contemplation.
[214] Nous utilisons largement dans ce développement J.-P. Torrell, Saint Thomas, maître spirituel, p. 198-200, et surtout l’ensemble de RT 99/1, notamment B.-D. de La Soujeole, « Les tria munera Christi, contribution de saint Thomas à la recherche contemporaine », p. 59 sq., et G. Émery, « Le sacerdoce spirituel des fidèles chez saint Thomas d’Aquin », p. 211 sq.
[215] Parmi les mieux connus, B.-D. de la Soujeole cite Eusèbe de Césarée ; S. Jean Chrysostome, Hom. 3, n° 5 sur la 2e épître aux Corinthiens ; S. Augustin, De vita christiana, I, 1.
[216] Cf. In IV Sent., d 7, q 1, a 2, qla 2, ad 6.
[217] In Matth. 1, leç. 1, n° 19 ; cf. n° 20 ; In Matth. 16, 16, n° 1374.
[218] In Ps. 44, n° 5.
[219] IIIa, q 7, a. 8.
[220] Cf. IIIa, q 31, a 2.
[221] In Matth. 1, leç. 1, n° 19.
[222] In Ad Hebr. 1, 9, leç. 4, n° 64-66.
[223] In Ps. 44, n° 5.
[224] IIIa, q 22, a 1, ad 3.
[225] In 1 Ad Thess., 5, leç. 1, Busa l. 224, Marietti 1896 p. 164.
[226] In Ad Hebr. 1, leç. 9, n° 64-66, Marietti 1896 p. 303.
[227] Collationes in Credo, a 9, n° 978 ; cf. In 1 Ad Cor. 1, 13, n° 24 : « L’onction elle-même, qui est l’Esprit Saint ».
[228] S. Thomas préfère l’expression tria officia à tria munera.
[229] In matth. 28, 19-20, n° 2462.
[230] Cf. In IV Sent., d 5, q 2, a 1, ad 2 : Ad presbyterum pertinet interpretari et exhortari, quod est quasi prophetare.
[231] In 2 Ad Cor., Prol., n° 2.
[232] Cf. IIIa, q 64, a 1 : Eadem ratio est ministri et instrumenti.
[233] 1493 occurrences de prophetia, 350 de propheta. Dans la grande majorité des cas, il s’agit des prophètes de l’Ancien Testament ; mais la prophétie continue sous la loi nouvelle, car le peuple de Dieu en a toujours besoin pour stimuler sa foi et guider sa conduite : « En chaque temps, les hommes ont été instruits par Dieu de ce qu’ils devaient faire, selon ce qui était utile au salut des élus » (IIa-IIæ, q 174, a 6).
[234] In I Cor. 14, leç. 1, Marietti n° 812, Busa p. 387, 2e col., ligne 380 sq.
[235] Ibid.
[236] Ibid., Marietti n° 813. Un peu plus loin (chap. 14, leçon 7, Busa p. 390), S. Thomas retient deux éléments, ceux-là même qu’il développera dans la Somme : « Dans la prophétie il y a deux choses : la révélation et la manifestation de la révélation ». Celle-ci à son tour se divise en annonce publique et annonce privée. Les femmes peuvent recevoir des révélations comme les hommes, mais elles ne peuvent les annoncer qu’en privé, non en public par la prédication.
[237] In I Cor. 11, 4, n° 592
[238] Ibid., n° 594.
[239] In Rom. 12, 6, n° 978.
[240] In I Cor. 14, leç. 1, Marietti n° 813, Busa p. 387, 2e et 3e col., lignes 126 sq.
[241] Cf. In III Sent., d 23, q 2, a 4, qla 1, ad 4. Même si la prophétie et la foi portent sur la même chose (par exemple la passion du Christ), elles ne le font pas sous le même rapport : la foi envisage formellement le point de vue divin, matériellement le point de vue temporel ; pour la prophétie, c’est l’inverse (In III Sent., d 24, q 1, a 1, qla 1, ad 3).
[242] In I Cor. 14, leç. 7, n° 885, Busa p. 390.
[243] Qui ne modifie par le a quo du mot prophète.
[244] Cf. IIa-IIæ, q 171, a 3 : « Toutes les réalités qui tombent sous la prophétie ont ceci de commun que l’homme ne peut les connaître que par révélation divine ».
[245] IIa-IIæ, q 171, a 1.
[246] Cf. IIa-IIæ, q 8, a 5, ad 2 : « L’intelligence qui est nécessaire pour la prophétie est une certaine illumination de l’esprit relative à ce qui est révélé aux prophètes ».
[247] IIa-IIæ, q 171, a 1, ad 4.
[248] IIIa, q 71, a 4, ad 3.
[249] Ibid.
[250] IIa-IIæ, q 177, a 1.
[251] IIa-IIæ, q 177, a 2.
[252] Ibid.
[253] In IV Sent., d 25, q .2, a 1, ad 1.
[254] IIa-IIæ, q 177, a 2, ad 2.
[255] Cf. In Ad I Cor. 14, leç. 7, Busa p. 390, 3e col.
[256] Chrétiens, Juifs et même païens, comme la Sibylle : Ad tertium dicendum, quod quamvis aliis gentibus non esset data lex divinitus communiter omnibus sicut Iudæis, ex quibus nasciturus erat Christus, et sic oportebat in eis potius fidem vigere ; tamen multis etiam gentilibus revelationes per angelos factæ sunt etiam de Christo, sicut patet de sybilla, quæ de Christo expresse prophetavit (In III Sent., d 25, q 2, a 2, ad 3)
[257] In Ad Hebr. 1, 9, leç. 4, Marietti 1896 p. 303.
[258] In I Ad Cor 2, n° 102.
[259] In Ioan. 16, 13, leç. 3, n° 2102, Busa p 337, 2e et 3e col. Trad. de G. Émery corrigée.
[260] IIa-IIæ, q 8, a 4, corps et ad 1.
[261] IIa-IIæ, q 45, a 5, corps.
[262] In Mt 11.
[263] Sept fois pour elle-même, d’après le relevé de G. Émery, art. cit. p. 215 : Catena in Matth. 5, 20 (Chrysostome) ; Catena in Marc. 15, 20 (Théophylacte) ; In Matth. 1, 5, n° 53 ; In orationem dominicam expositio, 3 ; In Hebr. 4, 16, n° 238 ; 11, 33, n° 633 ; IIIa, q 66, a 1, ad 2.
[264] De regimine principum (alias De regno ad regem Cypri), I, i, (texte latin dans l’éd.Védrine, t. III, p. 206 sq. ; traduction revue ou entièrement refaite).
[265] Ibid., I, ii, p. 212.
[266] Ibid., I, i, p. 210.
[267] Ibid., I, xv ( Busa l. 100 sq.).
[268] Ibid., I, xv, Védrine p. 249.
[269] De regimine principum, I, i, Védrine p. 206.
[270] Catena aurea in Matth. 5.
[271] Théophylacte, Catena aurea in Lc 14, 31.
[272] S. Augustin, Catena aurea in Ioan. 8, 1.
[273] Théophylacte, Catena aurea in Mc 15, 20 (à propos des outrages infligés au Sauveur),
[274] In Hebr. 4, 16, n° 238 (à propos de la royauté du Christ).
[275] In Hebr. 11, 33, leç. 7, n° 633, Marietti 1896 p. 424.
[276] In Matth. 1, 5, leç. 2, n° 53, Busa p. 132, l. 474… 501.
[277] IIa-IIæ, q 45, a 5, ad 2
[278] De regimine principum, I, ix, p. 234 sq.
[279] Ibid., I, xiv, p. 250-251.
[280] IIa-IIæ, q 45, a 5, corps.
[281] De regimine principum (alias De regno ad regem Cypri), I, xv, Védrine p. 253 sq.
[282] Ibid. (Busa l. 100 sq.).
[283] Dix occurrences, dont la plupart dans le Commentaire du IVe livre des Sentences et dans les commentaires du Nouveau Testament.
[284] Omnis enim sacerdos ordinatur ad sacrificia (In Ad Hebr. 3, leç. 1, Busa l. 94).
[285] Cf. III CG 119 ; IIa-IIæ, q 81, a 4.
[286] Comme le note G. Émery, bien loin d’opposer vie théologale et vertu de religion, S. Thomas considère toujours la religion, sous la Loi nouvelle, en dépendance de la vie théologale.
[287] IIIa, q 48, a 3.
[288] Cf. III CG, 119 : « Il est connaturel à l’homme de recevoir sa connaissance des sens ».
[289] IIa-IIæ, q 81, a 7.
[290] IIa-IIæ, q 84, a 2.
[291] IIa-IIæ, q 85, a 2.
[292] In Ad Rom. 12, leç. 1, Marietti 1896 p. 169.
[293] De civitate Dei, X, 6, vide supra, p. 33 et 38 en particulier.
[294] IIIa, q 48, a 3.
[295] IIa-IIæ q 85, a 3, ad 1.
[296] IIa-IIæ q 85, a 3, ad 2.
[297] Le P. Émery traduit : « que l’on mérite Dieu », en s’inspirant du commentaire de notre docteur sur ce verset.
[298] In Ad Rom. 12, leç. 1, Marietti 1896, p. 169.
[299] IIa-IIæ, q 85, a 4.
[300] IIa-IIæ, q 85, a 3.
[301] S. Thomas en déduit la valeur suréminente de la vie contemplative, qui est ordonnée à offrir à Dieu en sacrifice notre âme et celles des autres : « D’où il suit qu’il est plus agréable à Dieu de nous voir appliquer notre âme et celle des autres à la contemplation plutôt qu’à l’action » (ibid.).
[302] IIa-IIæ, q 182, a 2.
[303] Cela, précise Thomas un peu plus loin, avec discrétion : « “Ce sera votre culte raisonnable”, c’est-à-dire : offrez à Dieu avec discrétion vos corps comme une hostie, soit par le martyre, soit par l’abstinence, soit par quelque autre œuvre de justice » (In Ad Rom. 12, leç. 1, n° 963, trad. J. -É. Strooband de Saint-Éloy, p. 424).
[304] In Ad Rom. 12, leç. 1, Marietti 1896 p. 169.
[305] Christus… est fons totius sacerdotii, nam sacerdos legalis erat figura ipsius ; sacerdos autem novæ legis in persona ipsius operatur (IIIa, q 22, a 4).
[306] Ad istud sacrificium spirituale ordinatur sacerdotium Christi (In Ad Hebr. 5, leç. 1, Marietti 1896, p. 345 ; Busa l. 296-297).
[307] In Ps. 50, n° 8.
[308] In Ad Rom. 12, leçon 1, n° 964, trad. J. -É. Strooband de Saint-Éloy, p. 425.
[309] Ia-IIæ, q 102, a 4, ad 3.
[310] IIa-IIæ, q 85, a 4, ad 1.
[311] IIIa, q 82, a 1, ad 2.
[312] In IV Sent., d 13, q 1, a 1, arg. 1 : Ad primum sic proceditur. Videtur quod etiam laicus possit consecrare. Consecrare enim sacerdotis est. Sed omnis laicus, si sit bonus, sacerdos est ; quia, ut dicit Chrysostomus, omnis sanctus sacerdos est ; et omnibus fidelibus dictum est (1P 2, 9) : « Vos estis genus electum, regale sacerdotium ». Ergo bonus laicus potest consecrare.
[313] In IV Sent., d 13, q 1, a 1, qla 1, ad 1. — Selon une remarque du P. Émery, dans les Sentences S. Thomas parle le plus souvent de sacrifice et de sacerdoce « mystiques », plus tard, de sacrifice et de sacerdoce « spirituels ». Mais il est difficile de découvrir dans cette évolution de vocabulaire l’indice d’une évolution doctrinale.
[314] Ad primum ergo dicendum, quod Chrysostomus accipit sacerdotis nomen quantum ad nominis interpretationem, secundum quod sacerdos idem est quod sacra dans. Sic enim quilibet iustus, inquantum sacra merita alicui in auxilium dat, sacerdotis interpretationem habet. Non autem loquitur secundum nominis significationem : est enim hoc nomen sacerdos institutum ad significandum eum qui sacra dat in sacramentorum dispensatione (In IV Sent., d 24, q 1, a 3, qla 3, ad 1).
[315] IIIa, q 82, a 7, corps et ad 1.
[316] Sept emplois de cette expression chez S. Thomas.
[317] IIIa, q 63, a 5 : Character sacramentalis est quædam participatio sacerdotii Christi in fidelibus eius, ut scilicet, sicut Christus habet plenam spiritualis sacerdotii potestatem, ita fideles eius ei configurentur in hoc quod participant aliquam spiritualem potestatem respectu sacramentorum et eorum quæ pertinent ad divinum cultum. Character sacramentalis est quædam participatio sacerdotii Christi in fidelibus eius, ut scilicet, sicut Christus habet plenam spiritualis sacerdotii potestatem, ita fideles eius ei configurentur in hoc quod participant aliquam spiritualem potestatem respectu sacramentorum et eorum quæ pertinent ad divinum cultum.
[318] IIIa, q 63, a 2.
[319] Aliquis quantum ad spirituale sacerdotium appropinquat Deo per caritatem (In III Sent., d 31, q 1, a 4, qla 1, arg 2).
[320] In Ad Hebr. 3, leç. 1, Marietti 1896, p. 325.
[321] Ad istud sacrificium spirituale ordinatur sacerdotium Christi (In Ad Hebr. 5, leç. 1,Marietti 1896, p. 345, Busa l. 296-297).
[322] En effet, « le fruit de cette doctrine n’est pas seulement la spéculation de la vérité en vue de la contemplation bienheureuse, mais la fin qu’elle pousuit est la conversion des pécheurs » : Fructus… huius doctrinæ non est tantum speculatio veritatis ad beatam contemplationem, sed intentus finis eius est conversio peccatorum ; et ideo dicit : « et impii ad te convertentur » (In Ps. 50, n° 7).
[323] In Ps. 50, n° 7.
[324] Ibid., n° 8.
[325] IIa-IIæ q 85, a 3, ad 3.
[326] In Ioann. 15, 13, leç. 2, Busa p. 332, col. 2.
[327] IIa-IIæ, q 124, a 3.
[328] IIa-IIæ, q 124, a 2, ad 3.
[329] Cf. Ia, q 38, a 2.
[330] IIIa, q 63, a 3.
[331] IIIa, q 69, a 5, ad 3.
[332] Cf. In IV Sent., d 6, q 1, a 1 corps : Baptismum… quo annumeretur ad populum Dei.
[333] In IV Sent., d 4, q 1, a 4, qla 3, corps.
[334] IIIa, q 67, a 2.
[335] IIIa, q 63, a 4.
[336] In IV Sent., d 4, q 1, a 4, qla 3, corps. Cf. d 7, q 3, a 3, qla 2, ad 1 : Ad primum ergo dicendum, quod unctio quæ datur in vertice a sacerdote, significat dignitatem regalem et sacerdotalem in baptizato, quia incipit esse de numero illorum quibus dicitur : « Vos estis gens sancta, regale sacerdotium » (1 P 2, 9) ; et ideo in vertice fit ad signandum eminentiam dignitatis collatæ. Sed unctio confirmationis datur ad fortiter defendendam dignitatem acceptam, quod amplius est ; et ideo in loco publico dari debet.
[337] In IV Sent., d 7, q 2, a 1, qla 1, ad 3 : Ad tertium dicendum, quod potestas characteris huius est potestas activa, non ad conferendum spiritualia, quod est ordinis, sed magis ad confitendum publice ; et ideo confirmatus non constituitur in gradu alicuius ordinis, quia nullus ei subiicitur in receptione divinorum ab ipso.
[338] IIIa, q 72, a 8, ad 1.
[339] IIIa, q 72, a 5.
[340] IIIa, q 72, a 5, ad 1.
[341] IIIa, q 66, a 1.
[342] IIIa, q 69, a 4.
[343] Cf. IIIa, q 62, a 2.
[344] IIIa, q 62, a 1.
[345] Collationes in Credo, a 10, n° 142 ou 987, sq.
[346] Collationes in Credo, art. 10, n° 153.
[347] Contra impugnantes, I, 1, trad. G. Émery.
[348] IIa-IIæ, q 186, a 1.
[349] IIa-IIæ, q 186, a 6.
[350] De perfectione spiritualis vitæ, 12, trad. du P. Émery légèrement retouchée.
[351] Contra impugnantes, I, 1, trad. G. Émery.
[352] IIa-IIæ, q 186, a 7.
[353] Omnia nostra sunt sacrificium quodammodo : sive eleemosynæ : Hebr. ult. : Beneficientiæ et communionis nolite oblivisci, talibus enim hostiis promeretur Deus; sive jejunium : Rm 12 : exhibeatis corpora vestra hostiam viventem, sanctam, Deo placentem, rationabile obsequium vestrum. In veteri quidem testamento quædam sacrificia fiebant, quæ non totaliter comburebantur, sed pars ; et pars in usum offerentium veniebat, sicut hostiæ pacificæ ; quædam quæ totaliter comburebantur, quæ dicebantur sanctissima, quæ vocabantur holocaustum ab olon quod est totum, et cauma quod est incensum. Et ideo est duplex genus bonorum operum. Quædam quæ dicuntur sacrificium, quando aliquis de bonis suis dedicat Deo, ut si quis conjugatus aliquibus diebus abstineat : Eccl. 3 : « Tempus amplexandi, et tempus longe fieri ab amplexibus ». Sed quando aliquis totum dat, nihil sibi reservans, vel totaliter continet, sic dicitur holocaustum (In Psalmos, Ps. 19, n° 1)
[354] IIa-IIæ, q 186, a 3, ad 6.
[355] IIa-IIæ, q 186, a 8, sed contra.
[356] De perfectione spiritualis vitæ, c. 27, ad 12, trad. du P. émery.
[357] Cf. IIIa, q 7, a 7, corps, et spécialement ad 1 : « Tandis que la grâce sanctifiante est ordonnée aux actes méritoires intérieurs ou extérieurs, le charisme est ordonné à certains actes extérieurs qui manifestent la vérité de la foi, comme les miracles ou autres choses semblables. Or, dans ces deux domaines, le Christ a eu la plénitude de la grâce ; son âme, en effet, unie à la divinité, se trouvait parfaitement apte à accomplir tous les actes de ces deux domaines. Au contraire, les autres saints qui ne sont pas, entre les mains de Dieu, des instruments conjoints, mais des instruments séparés, ne reçoivent que partiellement le pouvoir de produire de tels actes. Et c’est pourquoi, à la différence du Christ, ils ne possèdent pas tous les charismes ».
[358] Nous empruntons cette idée à B.-D. de La Soujeole.
[359] En raison de sa vision bienheureuse, sa science prophétique n’a pas l’imperfection de celle des autres prophètes (De veritate, q 26, a 6), mais il est prophète, en tant que viateur, au titre de sa prédication (In Ioan. 4, leç. 6, n° 667, Busa p. 263 ; IIIa, q 7, a 8).
[360] Cf. In Ad Hebr. 5, leç. 1, n° 244.
[361] Cf. IIIa, q 57, a 1 et 6.
[362] Cf. IIa-IIæ, q 17, a 3.
[363] IIIa, q 9, a 2.
[364] IIIa, q 48, a 3.
[365] IIIa, q 8, a 7.
[366] Cf. IIIa, q 9, a 2.
[367] IIIa, q 20, a 1, ad 3, citant S. Augustin.
[368] « Car l’audition extérieure est dans celui qui entend une impression passivement reçue, qui ne peut exister sans l’action de celui qui parle » (In Ad Rom. 10, leç. 2, n° 837) — même si « la parole extérieure de celui qui parle n’est pas la cause suffisante de la foi, si le cœur de l’homme n’est pas intérieurement attiré par la puissance de Dieu » (ibid., n° 842).
[369] Elles ne sont pas premières, mais elles ne sont pas accidentelles, mais essentielles.
[370] Ia-IIæ, q 106, a 1. Cf. a 2 et 3 ; q 107, a 1, ad 2 et ad 3 ; q 108, a 1…
[371] Cf. III CG, 151 (la charité) ; 152 (la foi) ; 153 (l’espérance).
[372] Nous utilisons dans cette section J. Grotaers, article « Peuple de Dieu » dans l’encyclopédie Catholicisme, fascicule 49, col. 101 sq., à lire avec discernement.
[373] Y.-M. Congar, Sainte Église, Paris, 1963, p. 33.
[374] L’Église est incontestablement une société hiérarchisée, dont tous les membres n’ont pas la même fonction, ni les mêmes pouvoirs, et cela, de par l’institution de son Fondateur. Cependant tous ses membres tendent à la même fin et participent aux mêmes biens. À ce titre, ils sont égaux en dignité, et leur degré de sainteté ne correspond pas nécessairement à leur fonction hiérarchique. Ainsi la formule est exacte, mais à bien entendre.
[375] Y.-M. Congar, Sainte Église, p. 24.
[376] Aspect mis en relief par O. Semmelroth.
[377] Comme le note E. Schillebeeckx.
[378] Dans Ekklesiologie im Werden, Paderborn, 1940.
[379] Il est bien vrai que l’Église n’est pas seulement « une institution ou une société », au sens moderne de ce mot, mais, dans la ligne des Pères et de S. Thomas, la théologie du corps mystique, canonisée par Mystici corporis, et développée après la guerre par C. Journet (voir L’Église du Verbe incarné, t. ii, chap. I en particulier) en avait déjà amplement montré la dimension inséparablement visible et spirituelle. Il faut donc chercher ailleurs l’indiscutable intérêt de l’expression « peuple de Dieu ».
[380] Nul doute que l’Église soit « une communion d’hommes et de femmes » — la mention de ces dernières vise sans doute à éviter tout cléricalisme —, mais on voit mal en quoi la « communion » de ces hommes et de ces femmes est mieux exprimée par le mot « peuple », qui ne désigne pas, de soi, « autre chose qu’une institution ou une société » — à moins peut-être d’entendre ce mot en un sens relativisant notablement l’importance de la hiérarchie, comme semble le faire J. Frisque : « [Au cours du dernier demi-siècle] la conscience croyante prend de plus en plus de recul par rapport au visage institutionnel de l’Église, qui, reconnu nécessaire dans ses structures essentielles, apparaît désormais marqué d’un indice de diversité et de relativité » (J. Frisque, 1971, cité par J. Grootaers ).
[381] J. Frisque, 1971, cité par J. Grootaers, ubi supra.
[382] M.-M. Philipon, Trinité et peuple de Dieu, éd. Saint-Paul, paris-Fribourg, 1967, p. 14. Les soulignements sont de l’auteur.
[383] M.-M. Philipon, Trinité et peuple de Dieu, p. 15.
[384] On lira avec profit, sur les confusions possibles en ce domaine, J. Galot, Le problème christologique actuel, CLD, Chambray-les-Tours, 1979, p. 45-55 ; Libérés par l’Amour, Socomed Médiation (Parole et Silence), Saint-Maur, 2001, chap. ii.
[385] Noter l’emploi du mot « peuple ».
[386] Pie XI, enc. Miserentissimus Redemptor, 8 mai 1928, in L’Église, « Enseignements pontificaux », t. i, n° 876.
[387] Pie XII, allocution aux cardinaux et évêques, 2 novembre 1954.
[388] Pie XII, enc. Mystici corporis, 29 juin 1943, op. cit., n° 1083.
[389] Pie XI, enc. Firmissimam, 28 mars 1937, à l’épiscopat mexicain.
[390] Ibid.
[391] Ibid.
[392] Cf. Concile de Trente, sess. XXIII, c. 4 : « Si quelqu’un affirme que tous les chrétiens, sans distinction, sont les prêtres du Nouveau Testament, ou que tous sont dotés d’un même pouvoir spirituel entre eux, il semble ne rien faire d’autre que d’effacer la hiérarchie ecclésiastique, laquelle est comme “une armée rangée en bataille” (Ct 6, 3 ; Ct 6, 9) ; comme si, à l’encontre de l’enseignement de saint Paul (1 Co 12, 28-29 ; Ep 4, 11) tous étaient apôtres et tous prophètes, tous évangélistes, tous pasteurs, tous docteurs… qu’il soit anathème » (1996 Denzinger 1767).
[393] Pie XII, enc. mediator dei, 20 novembre 1947.
[394] Pie XII, allocution aux cardinaux et évêques, 2 novembre 1954.
[395] Cf. A. Bride, article « Laïcs », Encyclopédie Catholicisme, t. vi, col. 1627 sq.
[396] Vide supra la pensée de Dom Guéranger sur le rôle du peuple chrétien dans le développement du dogme.
[397] H. de Lubac, Histoire et Esprit, paris, 1950, p. 144-152.
[398] Y.-M. Congar, jalons pour une théologie du laïcat, Paris, 1954, p. 402.
[399] J.-H. Newman, On consulting the faithful in Matters of Doctrine, 1859. Trad. fr. dans pensées sur l’Église, Paris, 1956, p. 402-439, notamment p. 437.
[400] Pie XII, Allocution au 2e Congrès mondial de l’Apostolat des laïcs, 5 octobre 1957.
[401] Pie XII, enc. Mystici corporis, éd. cit. n° 1018.
[402] Pie XII, Allocution aux cardinaux et évêques, 31 mai 1954.
[403] Ibid.
[404] Pie XII, enc. Mystici corporis, éd. cit. n° 1018.
[405] Pie XII, Allocution aux cardinaux et évêques, 31 mai 1954, avec une référence à la lettre d’Étienne I. à S. Cyprien.
[406] Pie XII, Allocution à l’Union mondiale des organisations féminines catholiques, 29 septembre 1957.
[407] Pie XII, Allocution au 2e Congrès mondial de l’Apostolat des laïcs, 5 octobre 1957.
[408] Nous utilisons largement dans cette partie la session du P. Leroy sur Lumen Gentium, et, de manière parfois critique, l’article « Peuple de Dieu » de l’encyclopédie Catholicisme, ubi supra.
[409] M.-V. Leroy, ubi supra.
[410] Trente-trois occurrences dans Lumen gentium, contre trente-quatre de « corps du Christ » et 192 du terme « Église ». L’expression « peuple de Dieu » revient dans onze des seize documents promulgués par Vatican II.
[411] M.-V. Leroy, ubi supra.
[412] Ibid.
[413] Ibid.
[414] M.-V. Leroy, ubi supra.
[415] G. Garrone, Relatio super caput II textus emendati schematis constitutionis De Ecclesia, Typis polyglottis Vaticanis, 1964, p. 5.
[416] Noter l’identification entre destinée du peuple de Dieu et plein achèvement du royaume de Dieu.
[417] M.-V. Leroy, ubi supra.
[418] Ce qui oriente vers une interprétation du mot dans le sens très large que lui donnait l’évêque de Carthage.
[419] Cf. S. Cyprien, Epist. 69, 6 : PL 3, 1142 B ; CSEL (Hartel) 3 B,p.774 : inseparabile unitatis sacramentum.
[420] M.-V. Leroy, ubi supra, invoquant les témoignages réunis par le P. Dabin dans son livre sur Le sacerdoce royal des fidèles, la tradition ancienne et moderne, coll. Museum lessianum, 1950, ou le P. Congar, dans son traité Jalons pour une théologie du laïcat, coll. Unam sanctam, 1953, ch. 4e.
[421] M.-V. Leroy, ubi supra.
[422] Cf. Pie XII, alloc. Magnificate Dominum, 2 nov. 1954 : AAS 46 (1954), p. 669. — Enc. Mediator Dei, 20 nov. 1947 : AAS 39 (1947), p. 555.
[423] Cf. Pie XI, encycl. miserentissimus Redemptor, 8 Mai 1928 : AAS 20 (1928) p. 171, supra, p. 95. — Pie XII, alloc. « Vous nous avez », 22 Sept. 1956 : AAS 48 (1956), p. 714.
[424] Ibid.
[425] Cf. S Thomas, IIIa, q 63, a 2.
[426] Cf. S Cyrille de Jérusalem, Catech. 17 de Spiritu Sancto, II, 35-37 : PG 33, 10089-1012 ; Nicolas Cabasilas, De vita in Christo, lib. III, De utilitate chrismatis : PG 150, 569-580 ; S. Thomas, IIIa, q 72, a 1 et a 5.
[427] Cf. Pius XII, encycl. Mediator Dei, 20 nov. 1947 : AAS 39 (1947), surtout p. 552 ss.
[428] 1 Co 7, 7 : « Chacun reçoit de Dieu son don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là ». Cf. S. Augustin, De dono perseverantiæ 14, 37 : PL 45, 1015 s. : « Ce n’est pas la continence seule qui est don de Dieu, mais aussi la chasteté des époux ».
[429] C’est ce qui explique que Pie IX avant la définition de l’Immaculée Conception et Pie XII avant celle de l’Assomption aient procédé à de très larges consultations non seulement sur les opinions des évêques et théologiens, mais encore sur la croyance du peuple chrétien.
[430] M.-V. Leroy, ubi supra.
[431] Cf. S Augustin, De prædestinatione sanctorum 14, 27 : PL 44, 980.
[432] Ch. Moeller, Mentalité moderne et évangélisation, Bruxelles, 1962, p. 318.