SAINT THOMAS D'AQUIN

Docteur des docteurs de l'Eglise

COMMENTAIRE DES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD

(1254-1256)

Livre II, Prologue

© Copyright, Traduction et notes par Raymond BERTON, 2003

Première édition numérique http://www.tradere.org, 2003

http: //docteurangelique. free. fr 2005

Les œuvres complètes de saint Thomas d'Aquin

La traduction française est faite à partir de l’édition électronique des Opera omnia de Thomas d’Aquin, réalisée par Enrique Alarcón, dans le cadre de la publication accessible par ordinateur du Corpus thomisticum (Université de Navarre, 2004). http: //www. unav. es/filosofia/alarcon/amicis/ctcorpus. html

 

Note du Traducteur: Le site Tradere donne le texte et la traduction de " La puissance " (1265-1266). Comme Thomas a traité tout au long de son enseignement un certain nombre de sujets plusieurs fois, il paraît intéressant de comparer les diverses rédactions. Les œuvres principales sont, au départ, le Commentaire des Sentences (1252-1254), la Somme contre les gentils (1260-1264), et, après ou en parallèle souvent, la première partie de la Somme théologique (1266-1268). Parmi ces œuvres certaines sont facilement accessibles dans leur texte et en traduction. Par contre le Commentaire des Sentences ne semble pas avoir été traduit.

Cette œuvre révèle un Thomas déjà maître de ses moyens, et très informé sur les problèmes qu'il traite. Cependant si on compare avec le De potentia, ou avec les autres œuvres, on trouvera un certain nombre de différences dont voici les principales:

1. Le Commentaire est tributaire du texte de P. Lombard. Les œuvres suivantes seront pensées en leur ensemble avec des plans originaux.

2. Il fait souvent un certain amalgame. Par la suite il isole les sujets pour les traiter plus profondément.

3. En certains cas, peu nombreux, il y a évolution de sa pensée.

4. Le style est sans doute plus simple et plus clair.

Il est donc fort intéressant de comparer ces textes entre eux, non pas pour trouver sujets à chicaner, mais parce qu'ils s'éclairent les uns les autres, et ce qui peut paraître obscur ici, sera plus clair ailleurs.

Cette lecture permet aussi de voit l'évolution dans la présentation. Telle réfutation succincte ici, sera plus développée là. Telle approche sera différente.

Ces lectures en supplément permettent une approche approfondie du De potentia.

Raymond BERTON

 

LES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD, LIVRE 2_ 2

TEXTE DE PIERRE LOMBARD Livre 2, prologue: [Objet du livre 2: La création des créatures et de la chute par péché de l'Ange et de l'homme] [1] 2

Objet du second livre 2

Diffusion de la bonté de Dieu_ 3

La main de Dieu_ 3

Le bras du Père 3

Providence et conservation des créatures 4

Le ciel 4

Le serpent 4

TEXTE DE PIERRE LOMBARD, Livre 2, distinction 1: [Dieu seul principe des choses] 6

COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS (Dist. 1): [Dieu créateur] 12

Question 1: ‘Dieu comme principe’ 12

Division de la première partie du texte1 12

Article 1: y a-t-il plusieurs premiers principes ?6 13

Article 2: Quelque chose peut-il sortir de Dieu par création ? 20

Article 3: Créer convient-il à d'autres que Dieu ? 25

Article 4: Un être autre que Dieu produit-il une chose ? 28

Article 5: Le monde est-il éternel ? 34

Article 6: Est-il correct de dire Dieu créa le ciel et la terre 'dans le principe'73, c'est-à-dire "dans le Fils ?" 50

Question 2: La fin de la création_ 56

Prologue 56

Article 1: Convient-il à Dieu d'agir en vue d'une fin ? 57

Article 2: Les créatures sont-elles pour la bonté de Dieu ? 60

Article 3: Tout a-t-il été fait pour l’homme ? 63

Article 4: L’âme raisonnable doit-elle est unie à un corps ? 66

Article 5: L’âme humaine aurait-elle dû être unie à un tel corps ? 69

 

LES SENTENCES DE PIERRE LOMBARD, LIVRE 2

 

TEXTE DE PIERRE LOMBARD Livre 2, prologue: [Objet du livre 2: La création des créatures et de la chute par péché de l'Ange et de l'homme] [1]

 

lib. 2 pr. Spiritus ejus ornavit caelos, et obstetricante manu ejus, eductus est coluber tortuosus. Job 26, 13.

« Son souffle[2] a orné les cieux et par sa main accoucheuse[3] est sorti le serpent tortueux. » (Job, 26, 13[4])

 

Philosophes et théologiens[5]

Creaturarum consideratio pertinet ad theologos, et ad philosophos; sed diversimode. Philosophi enim creaturas considerant, secundum quod in propria natura consistunt; unde proprias causas et passiones rerum inquirunt: sed theologus considerat creaturas, secundum quod a primo principio exierunt, et in finem ultimum ordinantur qui Deus est; unde recte divina sapientia nominatur: quia altissimam causam considerat, quae Deus est. Unde dicitur Eccli. 42, 17: nonne Deus fecit sanctos suos enarrare omnia mirabilia sua ?

La considération des créatures appartient aux théologiens et aux philosophes[6], mais de manière différente. Car les philosophes considèrent les créatures dans leur propre nature; c'est pourquoi ils recherchent les causes et les effets propres; mais le théologien considère les créatures, selon qu'elles sont sorties du premier principe et qu'elles sont ordonnées à la fin ultime qui est Dieu[7]. C'est pourquoi il est juste de l’appeler la sagesse divine, parce qu'elle considère la cause la plus élevée qui est Dieu. C'est pourquoi il est dit dans l'Eccl. (Si) 42, 17: « Dieu n'a-t-il pas fait que ses saints racontent toutes ses merveilles. »

 

Objet du second livre

Per modum istum in hoc secundo libro de creaturis agitur; unde materia ejus ex verbis praemissis accipi potest, ex quibus tria elicere possumus, scilicet rerum principium, principii ipsius actum, et actus effectum.

De cette manière, dans ce second livre, il est question des créatures; c'est pourquoi sa matière peut être prise des paroles précitées, d'où nous pouvons tirer les trois sujets, a) à savoir le principe des choses, b) l'acte du principe même c) et l'effet de son acte.

 

Ex parte principii duo tanguntur, scilicet spiritus, et manus: spiritus bonitatis vel voluntatis suae; sed manus potestatis. De hoc spiritu dicitur in Psalm. 103, 30: emitte spiritum tuum et creabuntur.

Du côte du principe on traite deux sujets, à savoir le souffle et la main: le souffle de sa bonté ou de sa volonté, mais la main de sa puissance. De ce souffle[8] il est dit dans dans le Ps. 103, 30:« Envoie ton souffle et ils seront créés. »

 

Diffusion de la bonté de Dieu

Quia secundum Dionysium, sicut sol radios suos emittit ad corporum illuminationem, ita divina bonitas radios suos, idest participationes sui, diffundit ad rerum creationem. Et ideo Augustinus dicit, quod inquantum bonus est, sumus. Istum spiritum negaverunt qui posuerunt Deum produxisse res ex necessitate naturae, et non ex liberalitate[9] voluntatis; contra quos dicit Dionysius, quod divinus amor non permisit eum sine germine esse.

Parce que, selon Denys (Les Noms divins, IV, 96 § 1 col. 693 B[10]), de même que le soleil envoie ses rayons pour éclairer les corps, la bonté divine diffuse ses rayons, c'est-à-dire ses participations à la création[11]. Et c'est pourquoi Augustin (La doctrine chrétienne, 32[12]) dit que: « Nous sommes en tant qu'il est bon ». Ils ont nié ce souffle ceux qui ont pensé que Dieu avait produit les créatures par nécessité de nature, et non par la libéralité de sa volonté[13]; contre eux Denys (Les Noms divins, 4, § 10, PG. 3, 707-708) dit que l'amour de Dieu ne lui a pas permis de demeurer sans descendance[14].

 

La main de Dieu

Sed de manu potestatis ejus in Psalm. 103, 28: aperiente te manum tuam, omnia implebuntur bonitate. In manu siquidem ejus erant omnes fines terrae, quia ab aeterno non nisi in ejus potestate erant. Aperta enim manu clave amoris, creaturae prodierunt. Haec est manus de qua dicit Isai. 59, 1: ecce non est abbreviata manus ejus: quia infinita sua virtute rerum substantiam in esse producit. Hanc manum abbreviare voluerunt qui a Deo nihil fieri posse ex nihilo astruxerunt. Et sic apparet in productione creaturarum, Trinitas personarum. In spiritu ipse spiritus sanctus, de quo dicitur Sap. 1, 7: spiritus domini replevit omnem terram.

Mais au sujet de la main de son pouvoir[15], dans le Psaume 130, 28 [il dit]: « Quand tu ouvriras la main, tout sera empli de ta bonté. » Assurément, toutes les extrémités de la terre sont dans sa main, parce qu'elles n’étaient de toute éternité qu’en son pouvoir. Car une fois la main ouverte, par la clé de l'amour, les créatures sont apparues. Cette main est celle dont parle Isaïe (59, 1): « Voilà, sa main n'a pas été trop courte ». Parce que par sa puissance infinie, il a amené à l'être la substance des creatures. Ils ont voulu raccourcir cette main ceux qui ont affirmé que rien ne pouvait être fait par Dieu à partir de rien[16]. Et ainsi apparaît dans la production des créatures la Trinité des Personnes[17]. Dans le souffle, l'Esprit saint lui-même dont la Sagesse dit (1, 7): « L'Esprit du Seigneura rempli toute la terre. »

 

Le bras du Père

In manu filius, qui etiam brachium patris dicitur Job 40, 4: si habes brachium sicut Deus, et si voce simili tonas ? Eo quod ipse est virtus et sapientia Dei, 1 Corinth. 1; et: omnia per ipsum facta sunt, Ioan. 1, 3. Sed in pronomine ejus persona patris exprimitur cujus est et filius et spiritus sanctus de quo dicitur Gen. 1, 1: in principio creavit Deus caelum et terram. Sed ex parte actus tangit etiam duo; scilicet ornatum, et obstetricationis officium. Ornatus pertinet ad dispositionem rerum, quia eas varia pulchritudine decoravit, ut dicitur Eccli. 42, 21: magnalia sapientiae suae decoravit. De hac etiam pulchritudine Boetius dicit [18]:

 

Pulchrum pulcherrimus ipse

 

Mundum mente gerens.

Le Fils, dans la main, est aussi appelé le bras du Père[19]; Job (40,1[20]): « As-tu un bras comme Dieu, et tonnes-tu d'une voix semblable ? » Parce qu'il est lui-même le pouvoir[21] et la sagesse de Dieu [comme il est dit en ]1 Co, 1, 24. Et « Tout a été fait par lui. » (Jn 1, 3). Mais dans le pronom de lui [eius[22]] est exprimée la personne du Père dont viennent le Fils et l'Esprit saint, dont il est dit dans la Genèse (1, 1): « Au commencement[23], Dieu créa le ciel et la terre ». Mais du côté de l'acte, il touche deux aspects: à savoir l’ornement et l'office de l'accouchement. L'ornement[24] convient à l’organisation des créatures, parce qu'il les a décorées d’une beauté variée, comme il est dit en Si. 42, 21: « Il a orné les œuvres grandioses de sa sagesse. » De cette beauté aussi, Boèce (La Consolation Livre III, membrum 9, PL 69, 758-758) dit: « Lui le plus beau, portant en son esprit un beau monde ».

 

Providence et conservation des créatures

Sed obstetricatio pertinet ad providentiae gubernationem, qua creaturas per se subsistere non valentes, ad modum obstetricis in esse conservat, necessaria in finem ministrat, et impedimenta repellit, etiam mala in bonum ordinando; unde dicitur Job 38, 8, secundum similem metaphoram: quis conclusit ostiis mare, quando erumpebat quasi de vulva procedens ?

Mais l'accouchement convient [aussi] au gouvernement de la Providence, par laquelle il conserve dans l’être les créatures[25] qui ne peuvent subsister par soi, à la manière d'une sage-femme, il ordonne ce qui est nécessaire à leur fin, et il repousse les obstacles, en ordonnant les maux dans le bien; c'est pourquoi il est dit en Job. 38, 8, selon une métaphore semblable: « Qui a enfermé la mer avec des portes, quand elle se répandait, comme sortant du sein maternel ?. »

 

Ex parte effectus duo tangit; scilicet caelum, et colubrum tortuosum.

Du côté de l'effet il aborde deux sujets: à savoir le ciel et la couleuvre tortueuse.

 

Le ciel

In caelo duo considerare possumus: scilicet stabilitatem, Proverb. 3, 19: stabilivit caelos prudentia, et indeficientem claritatem, de qua Eccli. 24, 6: ego feci in caelis ut oriretur lumen indeficiens. Unde per caelos intelligere possumus creaturas quae in decore suo firmiter perstiterunt.

Dans le ciel nous pouvons considérer deux aspects: 1. la stabilité; Proverbes (3, 19): « Il a affermi les cieux par sa prudence ». 2. et la clarté indéfectible; dont l'Eccl (Si 24, 6) dit: « J'ai fait se lever dans les cieux une lumière indéfectible. » C'est pourquoi, par les cieux, nous pouvons comprendre les créatures qui ont demeuré fermement dans leur beauté.

 

Le serpent

Similiter in colubro tortuoso duo considerare possumus; scilicet obscuritatem, et obliquitatem. Primum in nomine colubri, [obscuritatem intelligimus Éd. Parme]: quia coluber dicitur quasi colens umbram, quae sonat in[26] privationem lucis. Obliquitatem in hoc quod dicitur tortuosum; distortum enim est quod rectitudine obliquatur. Et ideo per hunc colubrum tortuosum creaturae illae intelligi possunt quarum pulchritudo est per peccatum obscurata et rectitudo obliquata, et praecipue Diabolum, cujus invidia mors intravit in orbem terrarum, Sap. 3, et de umbrositate ejus dicitur Job 40, 16: sub umbra dormit in secreto calami; et de ejus tortuositate dicitur Isai. 27, 1: visitabit dominus in gladio suo duro et grandi et forti super Leviathan serpentem vectem, et super Leviathan serpentem tortuosum et occidet eum.

De la même manière, dans le serpent tortueux, on peut considérer deux aspects: l'obscurité et l'ambiguïté. 1. D'abord dans le nom du serpent, [nous comprenons l’obscurité] parce qu'on dit qu'il est comme habitant l'ombre [27], qui désigne la privation de lumière. L'ambiguïté du fait qu'on le dit tortueux, car est difforme parce qui se détourne de la droiture. Et c'est pourquoi par ce serpent tortueux, on peut comprendre les créatures, dont la beauté est obscurcie par le péché, et la droiture déviée et surtout le diable, « par sa jalousie la mort est entrée dans le monde » (Sg. 2, 24) et de son ombre, il est dit en Job: « Il dort à l’ombre dans le secret des roseaux. » et de sa conduite équivoque, il est dit en Isaïe (27, 1): « Le seigneur visitera avec son glaive, acéré, énorme, puissant contre Léviathan le serpent puissant, contre Léviathan, le serpent tortueux et il le tuera[28]. »

 

Recte ergo caelos spiritus ornasse dicitur: quia in creaturis quae suum ordinem servaverunt, et divina bonitas clarius resplendet, et decoris ornatus immutatus non est. Recte etiam dicitur coluber tortuosus manu obstetricante eductus: quia in malis relucet etiam divina potentia per hoc quod cohibentur, et divina providentia per hoc quod eorum mala ordinantur in bonum. Et sic patet materia hujus secundi libri, in quo de institutione creaturarum agitur, et lapsu per peccatum Angeli et[29] hominis.

Il est donc juste de dire que l’Esprit a orné les cieux, parce que dans les créatures, qui ont conservé sa règle, la bonté divine resplendira plus clairement et l'ornement de sa beauté n'est pas bouleversé. Il est aussi juste de dire que le serpent tortueux est sorti par la main accoucheuse; parce que la puissance divine brille aussi dans les maux par le fait qu'ils sont empêchés, et la providence divine par le fait que leurs maux sont ordonnés au bien. Et ainsi apparaît la matière de ce second livre, où il s'agit de la création des créatures et de la chute par péché de l'Ange et de l'homme.

 

[1] On pourra se reporter à la Trinité créatrice de Gille Emery (Paris, Vrin, 1995), pour un commentaire sur ce prologue (p. 484 ss.)

 

[2] Le mot spiritus a deux sens: souffle et esprit (Esprit). Il faut se souvenir de cette double signification, car il est parfois difficile de savoir laquelle convient le mieux. Les deux sens peuvent du reste se trouver dans une même phrase. Cf. plus le § La main de Dieu.

 

[3] C'est-à-dire la puissance de Dieu, métaphore.

 

[4] Voici le commentaire de Thomas, à propos de ce verset dans son Expositio super Job (Marietti, p. 146): « Son souffle a orné les cieux, c'est-à-dire les souffles célestes, par les ornements spirituels. Mais il n'était pas convenable que, frappé par la privation de la gloire, il demeure avec ce qui est orné par l'Esprit saint, et c'est pourquoi il ajoute: et par la main accoucheuse est sortie (c'est-à-dire de la société des bons anges), le serpent tortueux, c'est-à-dire le diable, qui est comparé au serpent à cause du venin de sa malignité et on le dit tortueux à cause de sa fourberie et [on dit] clairement qu'il est sorti par la main accoucheuse de Dieu, car, de même que la sage-femme fait sortir l'enfant quelquefois mort, pour que la mère n’en subisse pas les conséquences, de même Dieu a fait sortir le diable du milieu des anges pour que la société des bons anges ne souffre en rien un dommage.»

 

[5] Les intertitres ne sont pas de Thomas. Ils sont mis là pour essayer de révéler un plan, qui est de fait plus complexe qu’il n’y paraît: 1. La création, 2. L’ornement, 3. L’œuvre du Père et du Fils.

 

[6] Cf. CG. II, 4, § 2: « Le philosophe prend ses preuves dans les causes propres des créatures», le théologien les considère en relation avec Dieu (secundum quod sunt ad Deum relata). Cf. In Boeth. Trin. Prol. 29-38 – qu. 5, a. 4 - Ia, qu. 1, a. 1, ad 2, a. 6. Thomas entend bien traiter le problème en tant que théologien.

 

[7] Thème existus- reditus. Sortie-retour. Le principe et la fin (cause finale) est Dieu lui-même. Idée néoplatonicienne que l’ontrouve chez Plotin, Denys, et dans la Somme théologique.

 

[8] C'est le souffle créateur.

 

[9] Éd. Parme: libertate.

 

[10] Thomas p. 85 , n° 270 (Marietti).

 

[11] Premier aspect de l'œuvre divine: la création. (Faut-il donner un sens technique au mot participation ?)

 

[12] « Quia enim bonus est, sumus; et in quantum sumus, boni sumus.»

 

[13] Évocation du problème: volonté (création) ou nécessité de nature (génération divine). La connaissance de la Trinité permet de mieux connaître la création, et de rejeter l'erreur de ceux qui affirment qu'il a produit les créatures par nécessité, surtout Avicenne (Cf. Ia, qu. 32, a. 1, ad 3).

 

[14] Comprendre la création (Thomas, n° 409) n° 159: « non dimisit ipsum sine germine in seipso manere» que Thomas interprète: « …idest sine productione creaturarum», (sans la production des créatures).

 

[15] La main est le symbole de la puissance.

 

[16] La création est ex nihilo.

 

[17] La création est trinitaire. Cette remarque, dite incidemment, est très importante. C’est le sujet de l’œuvre de G. Émery.

 

[18] Éd. Parme: « mundum mente gerens pulchrum pulcherrimus ipse.

 

[19] Interprétation traditionnelle: le Père opère tout par le Fils.

 

[20] « Par le bras est exprimée la puissance du pouvoir divin. Comm. Sur Job.

 

[21] Virtus: « En tant qu'elle désigne ce par quoi la puissance "sort" vers l'acte.» C'est la puissance qui sort du Père. G. Émery, La Trinité créatrice, p. 489.

 

[22] Le eius n’est pas dans le texte de sainrt Paul.C’est peut-être une interprétation « de Dieu »: sapientia eius, si notre référence est bonne !

 

[23] Ou dans le principe, si l'on veut, comme le fait G. Émery, y voir le principe de la création (Cf. D. 1, q. 1 a. 1)

 

[24] Troisième aspect de la création.

 

[25] La conservation est l'œuvre de la Providence. « Deus autem conservat res in esse per suam providentiam (CG., III, 67).

 

[26] In om. Éd. Parme.

 

[27] Étymologie fantaisiste, sur coluber, colens umbram.

 

[28] « Ce jour-là, Yahvé châtiera avec son épée dure, grande et forte, Léviathan, le serpent fuyard, Léviathan le serpent tortueux, il tuera le dragon qui habite la mer.» (Bible Jérusalem).

 

[29] Et: Éd. Parme vel.

 

TEXTE DE PIERRE LOMBARD, Livre 2, distinction 1: [Dieu seul principe des choses]

 

Cap. 1. Quod unum est principium rerum, non plura.

I. Il n’y a qu’un seul principe et non pas plusieurs.

1. Creationem rerum insinuans Scriptura, Deum esse Creatorem, initiumque temporis, atque omnium visibilium, vel invisibilim creaturarum in primordio sui ostendit, dicens: In principio creavit Deus coelum et terram. His enim verbis Moyses, Spiritu Dei afflatus, in uno principio a Deo Creatore mundum factum refert, elidens errorem quorumdam plura sine principio fuisse principia opinantium.

En rendant compte de la création, l'Écriture, en son exorde montre le Dieu créateur, et le commencement du temps et de toutes les créatures visibles et invisibles, en disant: « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » (Gn. 1, 1). Car, par ces mots, Moïse, inspiré par l'Esprit de Dieu, rapporte que le monde a été fait en un seul principe1 par Dieu créateur, éliminant [ainsi] l'erreur de certains qui pensaient qu'il y avait plusieurs principes sans commencement2.

Plato namque, (in Timaeo,cap. VII) tria initia existimavit: Deum scilicet, exemplar, et materiam; et ipsam increatam sine principio, et Deum quasi artificem, non Creatorem. Creator enim est, qui de nihilo aliquid facit. Et creare proprie est de nihilo aliquid facere; facere vero, non modo de nihilo aliquid operari, sed etiam de materia. Unde et homo, vel Angelus, dicitur aliqua facere, sed non creare; vocaturque factor, sive artifex sed non creator. Hoc enim nomen soli Deo proprie congruit, qui et de nihilo quaedam, et de aliquo aliqua facit. Ipse est ergo creatur, et opifex, et factor; sed creatoris nomen sibi proprie retinuit, alia vero nomine etiam creaturis communicavit.

Car Platon (Le Timée, 7) a pensé qu'il y avait trois principes [13]; à savoir Dieu, l'exemplaire4 et la matière; et cette dernière incréée, sans commencement [sans principe] et Dieu comme artisan et non comme un créateur. Car le créateur est celui qui fait quelque chose de rien. Et à proprement parler, créer, c'est faire quelque chose de rien, mais faire, c'est non seulement opérer quelque chose de rien, mais aussi à partir de la matière. C'est pourquoi on dit que l'homme ou l'ange font certaines choses, mais qu'ils ne créent pas; on les appelle fabricants ou artisans, mais pas créateur. Car ce nom convient proprement à Dieu seul, qui de rien fait quelque chose et de certaines choses en fait d’autres. Donc, il est, lui, créateur, artisan, et fabricant; mais il a gardé pour lui proprement le nom de créateur il a communiqué les autres aux créatures.

In Scripturis tamen saepe Creator accipitur tanquam factor, et creare tanquam facere, sine distinctione significationis.

Dans les Écritures cependant souvent le créateur est pris pour fabricant, et créer, comme faire, sans distinction de signification.

Cap. 2. Quid sit creare, quid facere.

2. Qu’est-ce que créer, qu’est-ce que faire ?

2. Verumtamen sciendum est haec verba, scilicet creare, facere, agere; et alia huiusmodo de Deo non posse dici secundum eam rationem, qua dicuntur de creaturis. Quippe cum dicimus eum aliquid facere, non aliquem in operando motum illi intelligimus inesse, vel aliquam in laborando passionem, sicut nobis solet accidere; sed eius sempiternae voluntatis novum aliquem significamus effectum, id est aeterna eius voluntate aliquid noviter existere. Cum ergo dicitur aliquid facere, tale est ac si dicatur, juxta eius voluntatem, vel per eius voluntatem aliquid noviter contingere, vel esse: ut in ipso nihil novi contingat, sed novum aliquid, sicut in eius aeterna voluntate fuerat, fiat sine aliqua sui motione, vel mutatione.

Mais cependant il faut savoir que ces mots, créer, faire, agir, et autres de ce genre ne peuvent pas être employés pour Dieu de la même manière dont on en parle pour les créatures5[1 bis]. Certes quand nous disons qu'il fait quelque chose, nous ne comprenons pas qu'en agissant il y ait en lui un mouvement, ou une passion6 quand il œuvre, comme cela nous arrive habituellement; mais nous signifions un effet nouveau de sa volonté éternelle, c'est-à-dire quelque chose qui existe nouvellement par sa volonté éternelle. Quand donc on parle de faire quelque chose, c'est comme si on disait, selon sa volonté ou par sa volonté quelque chose de nouveau arrive ou existe, en sorte qu'en lui rien n'arrive de nouveau, mais ce qui est nouveau, comme s'il avait existé dans sa volonté éternelle, se fait sans mouvement ou sans changement de sa part.

Nos vero operando mutari dicimur, quia movemur: non enim sine motu aliquid facimus. Deus ergo facere vel agere aliquid dicitur, quia causa est rerum noviter existentium, dum eius voluntate res novae esse incipiunt, quae ante non erant, absque ipsius agitatione, ut actus proprie dici non queat, cum videlicet actus omnis in motu consistat. In Deo autem motus nullus est. Sicut ergo ex calore solis aliqua fieri, nulla tamen in ipso, vel in eius calore, facta motione, vel mutatione; ita ex Dei voluntate nova habent esse sine mutatione actoris, qui est unum, et solum, principium omnium.

Mais nous, quand nous opérons, on dit que nous changeons, parce que nous subissons un mouvement, car nous ne faisons rien sans mouvement. Donc on dit que Dieu fait quelque chose ou agit, parce qu'il est la cause de ce qui a une existence nouvelle, dans le temps où des choses nouvelles, qui n'existaient pas auparavant, commencent à exister par sa volonté, sans mouvement pour lui, pour que cela ne puisse pas être appelé un acte proprement dit, puisque tout acte consiste en mouvement. Mais en Dieu il n'y a aucun mouvement. Donc de même qu'il arrive que quelque chose soit fait par la chaleur du soleil, cependant sans mouvement ni changement de sa part ou dans sa chaleur, de même par la volonté de Dieu, des choses nouvelles ont l'être sans changement de l’agent qui est un et seul principe de tout.

Aristoteles vero, II De Gener. Texte 51, et VIII Phys., texte 4, et I De coelo et mundo, texte 101, duo principa dixit scilicet materiam, et speciem, et tertium operatorium dictum; mundum quoque semper esse, et fuisse

Aristote parle de deux principes [2] (la Génération, II, 335 a 24 ss7., Physique, VIII, texte 4, Le ciel et le monde, I, text. 101) à savoir la matière, et la forme et ce qui est appelé le troisième opérateur; le monde aussi existe toujours et a toujours existé.

Horum ergo et similium errorem Spiritus sanctus evacuans, veritatisque disciplinam tradens, Deum in principio temporum mundum creasse; et ante tempora aeternaliter extitisse significat, ipsius aeternitatem et omnipotentiam commendans, cui voluisse, facere est, quia, ut praediximus, ex eius voluntate et bonitate res novae existunt. Credeamus igitur: « Rerum creatarum coelestium vel terrestrium, visibilium, vel invisibilium, causam non esse nisi bonitatem Creatoris, qui est Deus unus et verus: » cuius tanta est bonitas, ut summe bonus beatitudinis suae, qua eternaliter beatus est, alios velit participes: quam vidit et communicari posse, et minui omnino non posse. Illud idem igitur bonum quod ipse erat, et quo beatus erat, sola bonitate, non necessitate, aliis communicari voluit, quia summe boni erat prodesse velle, et omnipotentissimi nocere non posse. »

L'Esprit saint rejetant leur erreur et celle de leurs semblables, et apportant l'enseignement de la vérité révèle que Dieu au commencement des temps a créé le monde, et il signifie que Dieu a existé éternellement avant les temps [3], faisant connaître son éternité et sa toute puissance, à qui il a voulu, il est le créateur, parce que comme nous l'avons déjà dit, les choses nouvelles existent par sa volonté et sa bonté. Croyons donc8: « La cause des créatures célestes ou terrestres, visibles ou invisibles, n'est que la bonté du créateur, lui qui est le Dieu unique et vrai »; [4] sa bonté est telle que le bien de sa béatitude au plus haut degré, par laquelle il est éternellement bienheureux, il veut que les autres y participent; cette bonté qu’il voit peut être communiquée, et ne peut absolument pas être diminuée. Donc ce même bien qu'il était lui-même, et par lequel il était bienheureux, il a voulu par sa seule bonté, non par nécessité, la communiquer aux autres, parce c'est suprêmement le propre du bien de vouloir être utile et du tout puissant suprême de ne pas pouvoir nuire.

Cap. 4. Quare rationalis creatura facta sit, id est homo vel angelus.

4. Pourquoi la créature douée de raison, homme ou ange a-t-elle été créée ?

« Et quia non valet eius beatitudinis particeps existere aliquis, nisi per intelligentiam, quae quanto magis intelligitur, tanto plenius habetur, fecit Deus rationalem creaturam, quae summum bonum intelligeret, et intelligendo amaret, et amando possideret, ac possidendo frueretur; eamque hoc modo distinxit, ut pars in sui puritate permaneret, nec corpori uniretur, scilicet angeli; pars corpori uniretur, scilicet animae. Distincta est utique rationalis creatura in incorpoream, et corpoream: et incorporea quidem, angelus; corpora vero homo vocatur, ex anima rationali et carne subsistens. Conditio ergo rationalis creaturae primam causam habuit Dei bonitatem.

Et parce que personne ne peut participer à sa béatitude, que par son intelligence [5], béatitude qui plus elle est comprise plus pleinement elle est possèdée, Dieu a fait une créature raisonnable pour comprendre le bien suprême, [5ter], et en l'aimant le posséder et en le possédant en jouir. Et il l'a distinguée de cette manière qu'une partie demeurerait dans sa pureté, et ne serait pas unie à un corps, il s’agit des anges, une partie serait unie à un corps, c'est-à-dire les âmes. La créature raisonnable est donc séparée en incorporelle et corporelle. L'incorporelle, s'appelle l'ange, la corporelle l'homme, qui se compose d'une âme raisonnable et de chair. Donc la condition de la créature raisonnable a eu pour cause première la bonté de Dieu. »

Ideoque si quaeratur quare creatus sit homo, vel angelus, brevi sermone responderi potest: Propter bonitatem eius. Unde Augustinus, in libro de Doctrina Christiana (I, 32): « Quia bonus est Deus, sumus; et in quantum sumus, boni sumus. »

Aussi si on cherche pourquoi l'homme ou l'ange ont été créés, on peut répondre brièvement: « à cause de sa bonté. [6]. C'est pourquoi Augustin (La doctrine chrétienne, I, 32, 35): « Parce que Dieu est bon, nous existons et en tant que nous existons, nous sommes bons ».

Et si quaeritur ad quid creata sit rationalis creatura, respondetur: Ad laudandum Deum, ad serviendum ei, ad fruendum eo: in quibus proficit ipsa, non Deus. Deus enim perfectus et summa bonitate plenus, nec augeri potest, nec minui. Quod ergo rationalis creatura facta est a Deo, referendum est ad Creatoris bonitatem; et ad creaturae utilitatem9. »

Et si on cherche pourquoi la créature raisonnable a été créée, on répondra: Pour louer Dieu, pour le servir et pour en jouir.[7] En cela elle fait des progrès, Dieu non. Car Dieu est parfait et plein de bonté suprême, qui ne peut être augmentée, ni diminuée. Donc que la créature raisonnable ait été faite par Dieu, il faut le rapporter à la bonté du Créateur, et à l'utilité des créatures.

Cum ergo quaeritur quare vel ad quid facta sit rationalis creatura, brevissime responderi potest: Propter Dei bonitatem, et suam utilitatem. Utile nempe ipsi est servire Deo, et frui eo. Factus ergo angelus sive homo propter Deum dicitur esse, non quia Creator Deus, et summe beatus, alterutrius indiguerit officio, qui bonorum nostrorum non eget; sed uti serviret ei, ac frueretur eo, cui servire, regnare est. In hoc ergo proficit serviens, non ille cui servitur.

Donc quand on cherche pourquoi ou en vue de quoi la créature raisonnable a été faite, on peut répondre très brièvement: Pour la bonté de Dieu et sa propre utilité10. [8]Car sans doute il lui est profitable de servir Dieu, et de jouir de lui. Donc on dit que l'ange ou l'homme ont été créés pour Dieu, non parce que le Dieu créateur, et suprêmement bienheureux, aurait eu besoin du service de l’un et l’autre, lui « qui n'a pas besoin de nos biens » (Ps. 15, 2); mais pour le servir ou jouir de lui, pour qui le sert c’est régner. En cela donc celui qui sert profite, non celui qu’il sert.

Et sicut factus est homo propter Deum, id est ut ei serviret; ita mundus factus est propter hominem, ut ei serviret. Positus est ergo homo in medio, ut et ei serviretur, et ipse serviret, ut acciperet utrumque, et reflueret totum ad bonum hominis, et quod accepit obsequium, et quod impendit. Ita enim voluit Deus sibi ab homine serviri, ut ea servitute non Deus, sed homo serviens juvaretur: et voluit ut mundus serviret homini, et exinde similiter juveretur homo. Totum igitur bonum hominis erat, et quod factum est propter ipsum, et propter quod ipse factus est. Omnia enim, ut ait Apostolus (I Co. 3, 22), nostra sunt, scilicet superiora, et aequalia et inferiora. Superiora quidem nostra sunt ad perfruendum, ut Deus, Trinitas; aequalia ad convivendum (Augustin, Quaer. Ev. II, 33 in fine), scilicet angeli; qui etsi nobis modo superiores sint, in futuro erunt aequales; qui et modo nostri sunt, quia ad usum nobis sunt, sicut res dominorum dicuntur esse famulorum non dominio, sed quia sunt ad usum eorum. Ipsique angeli in quibus Scritpura locis nobis servire dicuntur, dum « propter nos in ministerium mittuntur » (Héb. 1, 14).

Et de même que l'homme a été fait pour Dieu, c'est-à-dire pour le servir, le monde a été fait pour l'homme, pour être à son service [9]. Donc l'homme a été placé comme intermédiaire, pour être servi et pour servir lui-même; pour recevoir l'un et l'autre et que tout revienne au bien de l'homme et qu’il en reçoive la soumissions et qu'il s'en serve. Car Dieu a voulu ainsi être servi par l'homme, non pour que Dieu soit aidé par ce service, mais que l'homme qui sert en soit aidé; et il a voulu que le monde serve à l'homme et que de là l'homme soit aidé de la même manière. Donc tout le bien était pour l’homme, ce qui a été fait est pour lui, et ce pourquoi lui-même a été fait. Car « tout,comme le dit l'apôtre, est à nous (I Co, 3, 22) », à savoir de qui est supérieur, égal et inférieur. Ce qui est supérieur est à nous pour jouir, comme Dieu, la Trinité, ce qui est égal, pour vivre (Augustin, Qu. Evang. II, 33, in fine), comme les anges, qui, même s'ils nous sont supérieurs maintenant, dans le futur nous seront égaux; qui maintenant sont pour nous, parce qu'ils nous servent, de même qu’on dit que de ce qui est des maîtres appartient aux serviteurs, non par propriété, mais parce qu'il sont pour leur usage. Et on dit dans certains passages de l'Écriture que les anges eux-mêmes nous servent, quand « ils sont envoyés en mission pour nous (Héb. 1, 14) ».

Cap. 5. Quomodo dicitur homo factus propter reparationem angelici casus.

5. L'homme a-t-il été créé pour réparer la chute des anges ?

De homine quoque in Scriptura interdum reperitur quod (Augustin, de Civit.Dei, XII, 21, Enchir. XXIX, 9) factus sit propter reparationem angelicae ruinae, quod non ita est intelligendum, quasi non fuisset homo factus, si non pecasset Angelus; sed quia inter alias causas, scilicet praecipuas, haec etiam nonulla causa extitit. Nostra ergo sunt superiora, et aequalia: nostra etiam sunt inferiora, quia ad serviendum nobis facta.

Au sujet de l'homme, on trouve parfois dans l'Écriture qu'il a été fait pour réparer la ruine des anges11.[10] Il ne faut pas comprendre que l'homme n'aurait pas été fait, si l'ange n'avait pas péché; mais parce que parmi d'autres causes, à savoir les plus importantes, celle-ci ne se montre par aucune cause. Donc nos causes sont supérieures et égales; mais elles sont aussi inférieures, parce que faites pour nous servir.

Cap. 6. Quare ita homo sit institutus, ut unita sit anima corpori.

6. Pourquoi a-t-il été créé pour que son âme soit unie à un corps ?

Solet etiam quaeri, cum majoris dignitatis videretur esse anima, si absque corpore permansisset, cur unita sit corpori. Ad quod primo dici potest, quia Deus voluit, et voluntatis eius causa quaerenda non est. Secundo autem dici potest, quia ideo Deus voluit eam corpori uniri, ut in humana conditione ostenderet novum exemplum beatae unionis, quae est inter Deum et spiritum, in qua diligitur ex toto corde (Mt.XXII, 37) et videtur (I Co., XIII, 12) facie ad faciem. Putaret enim creatura se non posse uniri Creatori suo tanta propinquate, ut eum tota mente diligeret et cognosceret, nisi videret spiritum, qui est excellentissima creatura, tam infimae, id est, carni, quae de terra est, in tanta dilectione uniri, ut non valeat arctari ad hoc ut velit eam relinquere, sicut Apostolus ostendit dicens (II Co. V, 4): Nolumus corpore expoliari, sed supervestiri: per quod ostenditur spiritum creatum spiritui increato ineffabili amore uniri.

On a aussi coutume de demander, puisque l’âme semble être d'une plus grande dignité, si elle était demeurée sans corps, pourquoi est-elle unie à un corps [11]. A cela on peut d'abord dire, parce que Dieu l’a voulu Et il n’y a pas à chercher la cause de sa volonté. Deuxièmement on peut dire parce que Dieu a voulu qu’elle soit unie à un corps pour montrer, dans la condition humaine, un exemple nouveau d'union bienheureuse, entre Dieu et l'esprit, en laquelle il est aimé de tout cœur (Mt. 22, 37). Et il est vu face à face (I Co. 13, 12). Car la créature penserait ne pas pouvoir être unie à son Créateur par une telle proximité, pour l'aimer de tout son cœur et le connaître, à moins de voir l'esprit, qui est la créature la plus éminente, être unie à ce qui est si faible, c'est-à-dire la chair, qui vient de la terre, en un tel amour, de sorte qu’il ne vise pas à s’y enchaîner de manière à vouloir l’abandonner comme le montre l'Apôtre en disant: « Nous ne voulons pas être dépouillé de notre corps, mais revêtir [un vêtement sur l’autre] (2 Co. 5, 4) », ce qui montre que l'esprit créé est uni à l'Esprit incréé par un ineffable amour.

Pro exemplo ergo futurae societatis, quae inter Deum et spiritum rationalem in glorificatione eiusdem perficienda erat, animam corporeis indumentis ( Gn. II, 7) et terrenis mansionibus (Job IV, 19) copulavit, luteamque materiam fecit ad vitae sensum vegetare: ut sciret homo, quia « si potuit Deus tam disparem naturam corporis et animae in foederationem unam et in amicitiam tantam, conjugere, nequaquam ei impossibile futuram rationalis creaturae humilitatem, licet longe inferiorem, ad suae gloriae participationem sublimare (De spirit. et anima, inter opera Aug.). » Quia ergo pro exemplo rationalis spiritus in parte usque ad consortium terreni corporis humiliatus est, ne forte in hoc nimis depressus videretur, addidit Dei providentia, ut postmodum cum eodem corpore glorificato ad consortium illorum qui in sua perstiterant puritate, sublimaretur: ut quod minus ex dispensatione Creatoris sui acceperat conditus, postmodum per gratiam eiusdem acciperet glorificatus.

Donc pour exemple de l’association future, qui doit s’achever entre Dieu et l'esprit raisonnable, dans sa glorification, il a uni l'âme à des vêtements corporels (Gn. 2, 4), et des demeures terrestres (Jb. 4, 19). Et il a animé l’argile et la matière pour le sens de la vie; pour que l'homme sache, que « si Dieu a pu joindre la nature si différente du corps et de l'âme dans une union unique et les joindre en une telle amitié, il ne lui est jamais impossible d'élever l'humilité future de la créature raisonnable, bien que de loin inférieure, à la participation à sa gloire12. » Donc parce que pour l'exemple, l'esprit raisonnable a été abaissé en partie jusqu'à l’union à un corps terrestre, pour que par hasard, il n’en paraisse pas trop diminué, la Providence de Dieu a ajouté, qu’après, avec ce même corps glorifié, il soit élévé à la communauté de ceux qui étaient demeurés en leur pureté, parce que par création, il avait reçu moins de la providence de son créateur, pour que glorifié, il le reçoive ensuite par grâce.

Sic ergo Conditor noster Deus rationales spiritus varia sorte pro arbitrio voluntatis suae disponens, illis quos in sua puritate reliquerat, sursum incaelo mansionem; illis vero quos corporibus terrenis sociaverat, deorsum in terra habitationem constituit: utrisque regulam imponens obedientiae, quatenus et illi ab eo, ubi erant, non caderent, et isti ab eo, ubi erant, ad id, ubi non erant, ascenderent. Fecit itaque Deus hominem ex duplici substantia, corpus de terra fingens, animam vero de nihilo faciens. Ideo etiam unitae sunt animae corporibus, ut in eis Deo famulantes majorem mereantur coronam

Ainsi donc Dieu notre créateur disposant par une destinée variée par le libre arbitre de sa volonté les esprits raisonnables, a établi pour ceux qu’il avait laissé dans leur pureté, une demeure en haut dans le ciel, mais pour ceux qu'il avait associés aux corps terrestres, il a établit une habitation en bas sur terre; imposant aux uns et aux autres le règle de l'obéissance, dans la mesure où ceux-ci ne tombent pas de là où ils étaient et ceux-là, de là où ils étaient montent là où ils n'étaient pas. C'est pourquoi Dieu a fait l'homme de deux substances, en façonnant le corps de terre, mais en créant l'âme de rien. C'est pourquoi les âmes sont unies à des corps, pour que servant Dieu, elles méritent une plus grande couronne.

Ex praemissis apparet rationalem creaturam in angelicam, et humanam fuisse distinctam, quarum altera est tota spiritualis, id est, angelica: altera vero ex parte spiritualis, et ex parte corporalis, id est, humana. Cum itaque de his tractandum sit, scilicet de spirituali et corporali creatura; de rationali et spiritualis, id est de angelis agendum videtur, ut a contuitu Creatoris ad cognitionem creaturae dignioris ratio nostra intendat: deinde ad considerationem corporeae tam illius quae est rationalis, quam illius quae non est rationalis, descendat, ut Trinitatis increatae sacramentum tripartitae creaturae eique concretorum atque contingentium sequatur documentum.

De ce qui vient d'être dit, il apparaît que la créature raisonnable a été séparée en angélique et humaine, [12] dont l'une est totalement spirituelle, c'est-à-dire la [nature] angélique, l'autre en partie spirituelle et en partie corporelle, c'est-à-dire la [nature] humaine. Comme il semble qu'il faut traiter de celles-ci, à savoir de la créature spirituelle13 et corporelle, de la créature raisonnable et de la créature spirituelle, c'est-à-dire des anges, il semble qu’il faut agir pour que notre raison, par un regard sur le Créateur parvienne à la connaissance d’une créature plus digne. Ensuite descendre à la considération de la créature corporelle tant celle qui est raisonnable que celle qui ne l’est pas, pour suivre la doctrine de la Trinité incréée sur la créature tripartite14 et l'enseignement de ce qui est concret et contingent.

 

[1] Principium a deux sens: commencement et principe, ce que montre la fin de la phrase. On peut hésiter ici sur le sens du mot.

[2] Ambroise Hex. I, 1. « Certains ont pensé qu’il y avait trois principes de tout: Dieu, l’exemplaire et la matière, comme Platon et ses disciples…ces trois principes sont incorruptible, incréés et sans commencement. »

[3] Les chiffre entre crochets renvoient au texte cité par saint Thomas (D1, dans le préambule de la question 1 et celui de la question 2).

[4] C'est-à-dire l'Idée vers laquelle se tourne le Démiurge.

[5] Cf. la Genèse au sens littéral, I, 18, 36. « Dieu n’agit pas comme l’homme ou l’ange. Gardons-nous donc de ces représentations charnelles. » (BA p. 131-133).

[6] Passion qui est le fait pour le patient de subir quelque chose: puissance passive.

[7] 335 a 30: « …L’un de ces principes tient en effet lieu de matière, l’autre de forme. Mais en plus de ces deux principes il en faut une troisième… la cause matérielle de l’existence des êtres engendrés . » Ce qui peut être interprêté suivant ce qu’on retient, comme deux ou trois principes. De fait, Thomas revient sur le sujet dans l’Exposition du texte finale. Il n’y pas deux mais trois principe pour Aristote, la matière, la forme et la privation (Cf. Phys. I, 9). Mais finalement Aristote n’admet qu’un seul principe. C’est ce que fait remarquer Thomas à celui qu’il commente (d1qu. 2, exposition du texte).

[8] Augustin, Enchiridium, III, 9 (BA p. 116-117).

[9] Augustin, De diligendo Deo.

[10] Cf. Thomas, d1q2a2, plus loin.

[11] Civ. Dei., XXII, 1, 2 (PL XLI, col. 752) Enchir. IX, 29, Cf. BA, p. 157. Grégoire le Grand, In Evang., hom.XXXIV, 11 (PL 76, 1251).

[12] De spiritu et anima, (Pseudo Augustin)

[13] De la dist. 2 à 12 exclusivement.

[14] C'est-à-dire l’ange, l’homme, la matière.

 

COMMENTAIRE DE SAINT THOMAS (Dist. 1): [Dieu créateur]

Question 1: ‘Dieu comme principe’

 

a. 1 Y a-t-il plusieurs principes ?

a. 2 Quelque chose peut-il sortir de Dieu par création ?

a. 3 Créer convient-il à d'autres que Dieu ?

a. 4 Un autre que Dieu produit-il quelque chose ?

a. 5 Le monde est-il éternel ?

a. 6 Est-il correct de dire: ‘dans le principe’, c'est-à-dire « dans le Fils » ?

 

Division de la première partie du texte1

D. 1 q. 1 pr. Dividitur ergo liber iste in partes duas: in prima determinat de creaturis in communi: in secunda determinat de eis in speciali, quantum ad considerationem theologi pertinet.

 

Secunda, dist. 2, ibi: de angelica itaque natura haec primo consideranda sunt

Donc ce livre est divisé en deux parties: I. Dans la première il distingue les créatures en général. II. Dans la seconde les créatures en particulier, dans la mesure où cela convient à la considération du théologien2.

 

Distinction 2: « C’est pourquoi on doit considérer la nature angélique en premier ». [13]

 

Prima in duas: in prima determinat de creaturis secundum exitum earum a principio; in secunda determinat de eis secundum ordinem earum in ultimum finem, ibi: credamus ergo rerum creatarum (...) causam non esse nisi bonitatem creatoris.

La première partie est divisée en deux: En premier, il distingue les créatures selon leur sortie du principe, en second. il les distingue en rapport à leur fin ultime: « Nous croyons donc que la cause des créatures (…) n’est que la bonté du créateur. »[4]

 

Division du texte de la première partie

Prima dividitur in tres: in prima inducit auctoritatem, quae, ostensa veritate omnium, errorem excludit; secundo prosequitur errores, qui per auctoritates confirmantur, ibi: Plato namque tria initia existimavit; tertio concludit veritatem, ibi: horum ergo et similium errorem spiritus sanctus evacuans, veritatisque disciplinam tradens, Deum in principio temporum mundum creasse, et ante tempora aeternaliter extitisse significat.

La première partie est divisée en trois: 1. Il introduit une autorité, qui, une fois montrée la vérité de tout, exclut l’erreur. 2. Il poursuit les erreurs qui sont confirmées par les autorités: « Platon en effet a considéré qu’il y avait trois principes4. » [1] 3. Il définit la vérité:« L'Esprit saint rejetant leur erreur et celle des leurs, et apportant l'enseignement de la vérité révèle que Dieu au commencement du temps a créé le monde, et qu'il a existé éternellement avant les temps, [3] »

 

Circa primum duo facit: primo tangit errorem Platonis; secundo errorem Aristotelis, ibi: Aristoteles vero duo principia dixit:

A propos du premier point: a) Il évoque d'abord l’erreur de Platon. b) ensuite l’erreur d’Aristote, « Aristote a parlé de deux principes.[2] »

 

circa primum facit duo: `primo ostendit quomodo per auctoritatem Scripturae refellitur error Platonis, tum propter multitudinem principiorum, tum propter negationem creationis; secundo removet quamdam dubitationem ex dictis, ibi: verumtamen sciendum est, haec verba, scilicet creare, facere, agere, et alia hujusmodi, de Deo non posse dici secundum eam rationem qua dicuntur de creaturis.

A propos du premier: Il montre d'abord comment l’autorité de l'Écriture réfute l’erreur de Platon, d'une part à cause la multiplicité des principes5, d'autre part à cause de la négation de la création. En second, il refute un doute, sur ce qui a été dit:« Mais cependant il faut savoir que ces mots: créer, faire, agir, etc; ne peuvent être dit de Dieu, de la manière dont on parle des créatures.[1bis] »

 

Ad evidentiam hujus partis quaeruntur hic sex: 1. utrum sit tantum unum primum principium; 2. utrum ab illo principio res per creationem effluxerunt; 3. utrum tantum ab ipso res per creationem prodierunt, an etiam ab aliquibus principiis secundis; 4. si non per creationem, utrum alio quolibet modo unum possit esse causa alterius; 5. utrum res ab aeterno creatae fuerunt; 6. supposito quod non, quomodo dicitur Deus in principio caelum et terram creasse.

Pour éclairer cette [première] partie, il y a six questions: 1. N'y a-t-il qu'un premier principe ? 2. Les choses ont-elles découlé de ce principe par création ? 3. Est-ce seulement par lui que les choses sont sorties par création, ou par quelques principes seconds ? 4. Si ce n'est pas par création, est-ce que d'une autre manière l'un peut être cause de l'autre ? 5. Les choses ont-elles été créées éternellement ? 6. Supposé que non, comment dit-on que Dieu au commencement a créé le ciel et la terre, dans le principe ?

 

Article 1: y a-t-il plusieurs premiers principes ?6

Ad primum sic proceditur. Videtur quod sint plura prima principia.

Il semble qu'il y ait plusieurs premiers principes.7

 

Objections

D. 1 q. 1 a. 1 arg. 1 Quia, secundum philosophum [De caelo et mundo, texte 38], si unum contrariorum fuerit in natura, et reliquum. Sed summum malum est contrarium summo bono, sicut et malum bono. Ergo cum sit quoddam summum bonum, quod est principium primum omnium bonorum, videtur quod sit et unum summum malum, quod est principium primum omnium malorum: et sic erunt duo prima principia.

1. Parce que, selon le philosophe8, Le ciel et le monde (II, 2, 286 a 259), si l'un des contraire a existé dans la nature, etc. Mais le mal suprême est le contraire du bien suprême, comme le mal est le contraire du bien. Donc puisqu'il y a un bien suprême qui est le principe premier de tous les biens, il semble qu'il y a un mal suprême qui est le principe premier de tous les maux et ainsi il y aura deux premiers principes.

 

D. 1 q. 1 a. 1 arg. 2 Praeterea, omne quod fit, vel ipsum est primum principium, vel est ab aliquo principio, sicut in II Physic. dicitur. Sed aliquod malum fit in mundo. Si ergo ipsum non sit primum principium (quia hoc dato, haberetur propositum), oportet quod sit ab aliquo principio. Sed non a bono, quia bonum est destructivum mali, et non causa ejus, sicut nec calidum frigidi; et eadem ratione illius mali, si non sit primum principium, erit alterum malum principium [primum; add. Parme] non est autem [enim Éd. Parme] in principiis vel causis procedere in infinitum, ut probatur II Metaph. Ergo videtur quod oportet devenire ad primum malum, quod sit principium omnis mali; et sic habetur propositum.

2. Tout ce qui se fait est lui-même premier principe ou vient d'un principe, comme il est dit en Physique (III, 4, 203 b 610). Mais il se fait du mal dans le monde. Si donc lui-même n'était pas un premier principe, (parce que, si on l'admet, on aurait ce qu'on cherche), il faut qu'il vienne d'un principe. Mais pas du bien, parce que celui-ci est propre à détruire le mal et n’est pas sa cause, de même que le chaud n'est pas celle du froid, et par la même raison de ce mal, s'il n’y avait pas de premier principe, il y aura un autre mal [premier] principe; mais dans les principes ou les causes on ne peut pas remonter à l'infini, comme c’est prouvé (Métaphysique II, 2, 994 a 111). Donc il semble qu'il faille remonter à un premier mal qui est le principe de tout mal, et ainsi on a ce qu'on cherche.

 

D. 1 q. 1 a. 1 arg. 3 Si dicas, quod malum non habet principium, sed accidit praeter intentionem alicujus principii agentis. Contra, omne quod accidit praeter intentionem agentis, est casu12, et in paucioribus. Sed malum invenitur ut in pluribus, ut in II Topic., cap. XI, dicitur. Ergo videtur quod malum sit intentum, et habeat per se principium.

3. On pourrait dire que le mal n'a pas de principe, mais qu’il arrive au delà de l'intention d'un principe agent. En sens contraire: tout ce qui arrive au delà de l'intention de l'agent vient du hasard et arrive dans le plus petit nombre des cas. Mais le mal se trouve comme dans le plus grand nombre des cas, comme il est dit en Topique (II, 6, 112 b 1013). Donc il semble que le mal est bien réel et a un principe par soi.

 

D. 1 q. 1 a. 1 arg. 4 Praeterea, quae sunt ab uno principio, habent conformitatem ad invicem: quia principiatum imitatur principium. Sed in rebus reperitur magna contrarietas et diversitas. Ergo oportet eam in principia contraria reducere.

4. Les choses qui viennent d'un seul principe ont une certaine ressemblance entre elles; parce que ce qui provient d'un principe l'imite. Mais dans les choses on trouve une grande contrariété et une grande diversité. Donc il faut le ramener à des principes contraires14.

 

D. 1 q. 1 a. 1 arg. 5 Praeterea, materia et agens nunquam incidunt in idem, ut in II Physic. Text. 70, dicitur: nec etiam agens et forma in idem numero. Sed res habent principia et formalia et materialia et activa; et in singulis est devenire ad unum primum, ut in II Metaph., text. 5 ad 13, probatur. Ergo oportet ponere plura15 prima principia.

5. La matière et l'agent ne tombe jamais dans le même, comme il est dit (Physique II, 7, 198 a 2216); ni l'agent ni la forme dans le même en nombre. Mais les choses ont des principes formels, matériels et actifs et dans chacune il faut revenir à un premier [principe] unique comme il est dit (Métaphysique II, 2, 994 a 3 – 994 b 3017). Donc il faut placer plusieurs premiers principes.

 

En sens contraire

D. 1 q. 1 a. 1 s. c. 1 Sed contra, omnem multitudinem praecedit unitas: quia pluralitas ex unitate nascitur. Si ergo ponantur plura principia, oportet eis esse prius unum principium. Sed primo non est aliquid prius. Ergo impossibile est ponere plura prima principia.

1. L'unité précède toute pluralité, parce que celle-ci naît de l'unité. Si donc on établit plusieurs principes, il leur faut d'abord un principe unique. Mais il n’y a rien avant le premier. Donc il est impossible d'établir plusieurs premiers principes.

 

D. 1 q. 1 a. 1 s. c. 2. Praeterea, quaecumque conveniunt in aliquo et in alio differunt, oportet esse composita. Sed si ponantur plura prima principia, oportet ea in aliquo convenire, ex quo habent rationem principii; et cum sint plura, in aliquo differre. Ergo oportet ea esse composita. Sed nullum compositum est primum. Ergo impossibile est esse plura prima principia.

2. Tout ce qui se rencontre dans l'un et est diffèrent dans un autre, doit être composé. Mais si on établit plusieurs premiers principes, il faut qu'ils se rencontrent dans celui d’où ils tirent leur raison de principe, et comme ils sont plusieurs, ils ont une différence. Donc il faut qu’ils soient composés. Mais aucun composé n'est premier. Donc il est impossible qu'il y ait plusieurs premiers principes.

 

D. 1 q. 1 a. 1 s. c. 3. Praeterea, si essent plura principia prima, aut essent similia, aut contraria. Si similia, aut utrumque per se sufficiens, et sic alterum superflueret; aut utrumque per se insufficiens, sed conjuncta sufficerent ad principiandum res; et sic non essent prima principia: tum quia indigerent conjungente quod esset prius eis: tum quia agerent per aliud additum essentiae, scilicet per conjunctionem ipsam; et nullum tale est principium primum. Si autem sunt contraria, omne autem contrarium destruit et impedit contrarium suum; ergo si sint aequalis potentiae, unum impediet alterum, adeo quod nullus sequetur effectus. Si vero alterum fuerit potentius, omnino destruet alterum. Ergo impossibile est esse plura prima principia.

3. S'il y avait plusieurs premiers principes, ils seraient semblables ou contraires. S'ils sont semblables ou chacun d’eux se suffit à lui-mêmes, et ainsi l'autre serait superflu; ou l'un et l'autre insuffisants en soi mais joints, ils suffisent pour être le principe des êtres, et ainsi ils ne seraient pas premiers principes: d’une part parce qu'ils auraient besoin de quelque chose qui les unissent qui serait avant eux, d’autre part parce qu'ils agiraient par autre chose de joint à l’essence, c'est-à-dire par l'union elle-même et il n’y a pas de tel premier principe. Mais s'ils sont contraires, tout ce qui est contraire détruit et empêche son contraire; donc s'il sont d'une puissance égale, l'un empêche l'autre au point qu'il n'en découle aucun effet. Mais si l'autre était plus puissant, il détruira tout à fait l'autre. Donc il est impossible qu'il y ait plusieurs premiers principes.

 

Réponse

D. 1 q. 1 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod primum dicitur dupliciter: scilicet primum simpliciter, et primum in genere vel in ordine aliquo. Si secundo modo, sic secundum genera plura causarum sunt plura prima principia, ut materiale primum quod est materia prima, et primum formale, quod est esse, et sic de aliis; et ulterius descendendo ad diversa rerum genera, inveniuntur diversa prima principia in diversis etiam secundum idem genus causae; sicut in liquabilibus prima materia est aqua, et in aridis terra; et in animalibus semen, vel menstruum. Sed primum principium [om. Éd. Parme] simpliciter impossibile est esse nisi unum: et hoc tripliciter patet:

Premier se dit de deux manières: à savoir le premier dans absolu et le premier dans un genre ou dans un ordre. Si c'est de la seconde manière, il y a plusieurs premiers principes selon plusieurs genres de causes, comme le premier principe matériel qui est la matière première, le premier principe formel qui est l'être et ainsi de suite. Et ensuite, en descendant vers différents genres de choses, on trouve différents premiers principes dans des choses différentes, même selon un même genre de cause. Ainsi dans les liquides la matière première est l'eau, dans ce qui est sec la terre, dans les animaux la semence ou les menstrues. Mais le premier principe dans l’absolu ne peut être qu'unique, et cela apparaît de trois manières:

 

primo ex ipso ordine universi, cujus partes inveniuntur ad invicem ordinatae esse, quasi partes animalis in toto, quae sibi invicem deserviunt. Talis autem coordinatio plurium non est, nisi unum aliquod intendant. Ergo oportet esse unum summum bonum ultimum, quod ab omnibus est desideratum; et hoc est principium.

a) D'abord de l'ordre même de l'univers18 dont les parties se trouvent ordonnées les unes aux autres, comme les parties d'un animal dans le tout qui se rendent service les unes aux autres. Mais une telle coordination de plusieurs choses n'existe que si elles tendent à l’unité. Donc il faut qu'il y ait un seul bien suprême qui est désiré par tous et c’est lui le principe.

 

Aliter apparet ex ipsa rerum natura. Invenitur enim in omnibus rebus natura entitatis, in quibusdam magis nobilis, et in quibusdam minus; ita tamen quod ipsarum rerum naturae non sunt hoc ipsum esse quod habent: alias esse esset de intellectu cujuslibet quidditatis, quod falsum est, cum quidditas cujuslibet rei possit intelligi esse non intelligendo de ea an sit. Ergo oportet quod ab aliquo esse habeant, et oportet devenire ad aliquid cujus natura sit ipsum suum esse; alias in infinitum procederetur; et hoc est quod dat esse omnibus, nec potest esse nisi unum, cum natura entitatis sit unius rationis in omnibus secundum analogiam; unitas enim causati requirit unitatem in causa per se; et haec est via Avicennae.

b) Cela apparaît différemment de la nature même des choses. Car on trouve la nature de l’entité en toutes choses, plus noble en certaines, moins noble en d'autres; de sorte cependant que la nature même des choses n’est pas cet être même qu’elles ont; autrement l’être serait le concept de n’importe quelle quiddité, ce qui est faux, puisqu'on pourrait comprendre que la quiddité d'une chose existe, sans comprendre si elle est. Il faut donc qu’elles aient l'être de quelque chose, et il faut en arriver à quelque chose dont la nature est son être propre; autrement on procéderait à l'infini, et ce qui donne l'être à tous et ne peut qu'être unique, puisque la nature de l'entité est par analogie entité d’une seule nature en tous; car l'unité de ce qui est causé requiert l'unité dans la cause en soi; et cela c'est le raisonnement d'Avicenne (Métaphysique VIII).

 

Tertia via est ex immaterialitate ipsius Dei: oportet enim causam moventem caelum esse virtutem non in materia, ut in VIII Physic. Text. 78, probatur. In his autem quae sunt sine materia, non potest esse diversitas, nisi secundum quod natura unius est magis completa et in actu existens quam natura alterius. Ergo oportet quod illud quod venit ad perfectionem complementi et puritatem actus, sit unum tantum, a quo proficiscatur omne illud quod potentiae admixtum est: quia actus praecedit potentiam, et complementum diminutum; ut in IX Metaph. text. 13, probatur.

c) La troisième voie vient de l'immatérialité de Dieu lui-même: car il faut que la cause qui meut le ciel soit une puissance qui n'est pas dans la matière, comme c’est prouvé (Physique VIII, 10, 266 a 10 à 267 b 25). Dans ce qui est sans matière, il ne peut y avoir de diversité que selon que la nature de l'un est complète et existe en acte plus que la nature de l'autre. Donc il faut que ce qui vient à la perfection du complément et à la pureté de l'acte soit un seulement d’où part tout ce qui est mêlé de puissance: parce que l'acte précède la puissance et le complément l’inférieur, comme c’est prouvé (Métaphysique IX, 8, 1049 b 1319).

 

Circa hoc tamen tripliciter est erratum. Quidam enim, ut primi naturales, non posuerunt nisi causam materialem: unde qui ex eis plura principia materialia posuit, plura principia simpliciter dixit prima.

A ce propos, il y eut trois erreurs: 1) Car certains, comme les premiers naturalistes n'ont posé qu'une cause matérielle: C'est pourquoi celui d'entre eux qui a posé plusieurs principes matériels, a dit qu'il y avait absolument plusieurs principes premiers.

 

Quidam vero cum causa materiali posuerunt etiam causam agentem, et dixerunt duo contraria esse prima agentia, scilicet Empedocles, VIII Phys., text. 2, ut amicitiam et litem: et huic consonat opinio Pythagorae, I Metaph., cap. 5, qui divisit omnia entia in duos ordines, et unum ordinem reduxit in bonum, sicut in principium, et alterum in malum: et exinde pullulavit haeresis Manichaeorum, qui ponunt duos deos, unum creatorem bonorum, invisibilium, incorporalium, novi testamenti; alium creatorem visibilium, corporalium, veteris testamenti.

2) Certains ont posé, avec la cause matérielle une cause efficiente et ont dit que deux contraires étaient les premiers agents; à savoir Empédocle (Physique VIII, 1, 250 b 2520) avec l'amitié et le procès, et l'opinion de Pythagore est en accord avec lui (Métaphysique I, 5, 986 a 3221) qui divisa tous les êtres en deux ordres et ramena un ordre au bien comme principe et l'autre au mal: et c'est de là qu'a progressé l'hérésie des Manichéens qui pensent qu'il y a deux dieux, l'un créateur des biens invisibles, incorporels, celui du nouveau Testament, l'autre créateur de ce qui est visible et corporel, celui de l'ancien Testament.

 

Tertius error fuit eorum qui posuerunt agens et materiam, sed agens non esse principium materiae, quamvis sit unum tantum agens: et haec est opinio Anaxagorae et Platonis: nisi quod Plato superaddidit tertium principium, scilicet ideas separatas a rebus, quas exemplaria dicebat; et nullam esse causam alterius; sed per haec tria causari mundum, et res ex quibus mundus constat.

3) La troisième erreur fut celle de ceux qui ont posé un agent et la matière; mais l'agent n'est pas le principe de la matière, quoiqu'il soit un agent unique seulement et c'est l'opinion d'Anaxagore22 et de Platon23: sinon Platon a ajouté un troisième principe à savoir les formes séparées des choses, qu'il appelait les exemplaires24; et il n'y avait aucune cause pour autre chose; mais, le monde est causé par ces trois principes ainsi que les créatures dont le monde est composé.

 

Solutions

D. 1 q. 1 a. 1 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod summum malum non contrariatur summo bono secundum rem, sed solum secundum vocem, propter duo. Primo, quia summum malum esse non potest: nihil enim est adeo malum in quo non sit aliquid boni, ad minus esse; et ideo dicit philosophus in IV Ethic., cap. 13, quod si esset adeo perfectum malum quod proveniret ex corruptione omnium circumstantiarum, nec seipsum sustinere posset.

# 1. Le mal suprême n'est pas contraire au bien suprême en réalité, mais seulement en parole, pour deux raisons: a) Parce que le mal suprême ne peut pas exister: car rien n'est mauvais au point d’avoir en lui rien de bon, au moins l'être et c'est pourquoi le philosophe dit (Éthique IV, 11, 1126 a 1325) que s'il y avait un tel mal parfait, il proviendrait de la corruption de tout ce qui l’entoure et il ne pourrait pas se soutenir lui-même.

 

Secundo, quia illi bono quod nullo modo potest auferri vel minui, nihil opponitur privative vel contrarie: unde nec ipsum particulare malum opponitur summo bono directe, sed particulari bono, quod per ipsum privatur. Et dico aliquid directe opponi alteri, quando opponitur ei secundum quod hujusmodi; sicut nigredo manus opponitur albedini manus directe; sed indirecte opponitur etiam albedini parietis, non inquantum est nigredo vel albedo hujus, sed inquantum est albedo et nigredo simpliciter: per quem modum cuilibet bono quodlibet malum opponitur, non secundum propriam rationem hujus vel illius, scilicet concupiscibilis, sed secundum communem rationem boni et mali: et sic si malum summo bono opponatur, hoc erit indirecte: quia non opponitur ei inquantum est tale bonum, sed inquantum bonum.

b) Parce que, à ce bien qui ne peut en aucune manière être enlevé ni diminué, rien ne s'oppose négativement ou comme contraire: c'est pourquoi ce mal particulier n'est pas opposé au souverain bien directement, mais à un bien particulier, dont il est privé par lui-même. Et je dis26 qu’une chose est directement opposée à une autre, quand elle lui est opposée selon quelque chose d’analogue; comme le noir de la main est opposé directement au blanc de la main, mais indirectement opposé à la blancheur du mur, non en tant qu'il est le noir ou la blanc de ceci, mais en tant qu'il est simplement le blanc et le noir: de cette manière n'importe quel bien est opposé à n’importe quel mal, non selon la propre nature de ceci ou cela, à savoir ce qui peut être convoité, mais selon la raison commune du bien et du mal; et ainsi si le mal est opposé au bien suprême, ce sera indirectement: parce qu'il ne lui est pas opposé qu'en tant qu'il est tel bien mais en tant que bien.

 

D. 1 q. 1 a. 1 ad 2 Ad secundum dicendum, quod malum non habet causam nisi per accidens dupliciter. Primo modo scilicet, secundum quod agens per accidens dicitur respectu ejus quod accidit praeter intentionem agentis, quia omne agens agit propter finem, et intendit bonum quod est finis, et nulla privatio est intenta, sed sequitur ex forma inducta cui adjungitur: ignis enim non intendit a materia privare formam aeris, sed inducere formam propriam; sed inducendo formam propriam, privat formam aeris; similiter peccator intendit dulcedinem, quae est bonum alicujus partis ejus, scilicet concupiscibilis, et non intendit privationem gratiae.

# 2. Le mal n'a de cause que par accident, de deux manières: D’une première manière, selon qu’on dit que l'agent par accident est en rapport avec ce qui est au delà de son intention, parce que tout agent agit en vue d'une fin, et il tend au bien qui est sa fin, et aucune privation n'est atteinte mais elle découle de la forme induite à qui elle est jointe. Car le feu ne tend pas à priver la forme de l'air par la matière, mais à y induire une forme propre. Mais en l'induisant, il supprime la forme de l'air. De la même manière, le pécheur recherche la douceur qui est le bien d'une de ses parties, à savoir ce qui est désirable, et il ne cherche pas la privation de la grâce.

 

Secundo, sicut dicitur agens per accidens, removens prohibens: prohibens enim privationem est forma vel res aliqua. Unde qui removet illam rem, dicitur causare privationem; sicut qui extinguit candelam vel exportat ex domo, dicitur causare tenebras. Quod ergo dicitur, quod omne quod est, vel est principium vel a principio, intelligendum est de illis quae sunt aliquid in re; sed malum est privatio quaedam, et non nominat naturam aliquam positive.

D’une seconde manière, par exemple on parle de l'agent par accident, qui exclut et empêche, car ce qui empêche la privation, c’est la forme ou une chose. C'est pourquoi on dit que ce qui exclut cause la privation, comme celui qui éteint la chandelle, ou la sort de la maison est, dit-on, cause des ténèbres. Donc ce qu'on dit, que tout ce qui existe, est principe ou vient d'un principe, doit être compris de ce qui est dans la réalité; mais le mal est une privation et ne désigne aucune nature de manière positive.

 

D. 1 q. 1 a. 1 ad 3 Ad tertium dicendum, quod si loquamur de malo naturae, malum potest considerari vel respectu totius naturae, vel respectu alicujus particularis agentis in natura. Si respectu totius naturae, sic constat quod malum est valde in paucioribus, quia non potest esse nisi in generabilibus et corruptibilibus, quorum congregatio est parvae quantitatis respectu totius caeli, in quo nullum malum accidit. Si autem consideretur respectu alicujus particularis agentis in natura, constat quod actio ejus semper est secundum debitum naturae suae, nisi aliquando impediatur, et hoc est raro; et ex tali impedimento accidit malum in natura ejus, sicut apparet in partubus monstruosis.

# 3. Si on parle du mal de la nature, celui-ci peut être considéré en rapport avec toute la nature ou avec un agent particulier dans la nature. Si c'est en rapport avec toute la nature, il est clair que la mal est surtout dans le plus petit nombre, parce qu'il ne peut exister que dans ce qui peut être engendré ou corrompu, dont l'ensemble est en petite quantité par rapport à tout le ciel, où il n'arrive aucun mal. Mais si on le considérait par rapport à un agent particulier dans la nature, il est clair que son action est toujours selon le dû de sa nature, à moins que parfois il ne soit empêché; cela existe rarement, et le mal arrive dans sa nature par un empêchement de ce genre, comme cela apparaît dans les accouchements monstrueux.

 

Si autem loquamur de malo culpae, quod invenitur in eo quod non determinatur ad unam actionem, sicut omnia quae agunt ex libertate voluntatis; aut hoc est plurium naturarum, aut unius tantum. Si est unius naturae, sicut in Angelis, sic constat quod in pluribus est consecuta operatio recta secundum convenientiam naturae ipsorum, et peccatum ipsorum fuit ut in paucioribus. Si autem est plurium naturarum, sicut est homo, qui est compositus ex natura intellectuali et sensitiva, potest considerari dupliciter.

Mais si on parle du mal de la faute, qui se trouve dans ce qui n'est pas limité à une action unique, comme tout ce qui agit avec la liberté de la volonté: ou cela est de plusieurs natures, ou d'une seule. Si c'est d'une seule, comme chez les anges, il apparaît alors que dans plusieurs l'opération droite a suivi selon la convenance de leur nature et leurs péchés ont été dans le plus petit nombre. Mais si c'est de plusieurs natures, comme l'homme, qui est composé d'une nature intellectuelle et d'une nature sensible, on peut le considérer de deux manières:

 

Vel secundum totam naturam speciei; et sic oportet quod in pluribus actio ejus procedat secundum illam naturam cujus actio est multiplicior, et circa bona magis manifesta nobis; et quia naturae sensitivae actio est circa delectabilia sensus, quae magis multiplicantur quam delectabile rationis, quod est etiam magis occultum nobis, qui cognitionem a sensu accipimus; ideo plures sequuntur operationes illas; et ex hoc contingit malum ipsi homini, non inquantum est homo; quia non est homo secundum quod habet sensum, sed secundum quod habet rationem.

a) Ou selon toute la nature de l'espèce, et ainsi il faut que, dans le plus grand nombre, son action procède selon cette nature dont l'action est répandue et autour des biens qui nous sont les plus manifestes; et parce que l'action de la nature sensible concerne ce qui délecte les sens, qui sont en plus grand nombre que ce qui délecte la raison, qui est même toujours plus cachée pour nous, qui recevons la connaissance des sens; plus nombreux sont ceux qui suivent ces opérations et il en découle que le mal arrive pour l'homme lui-même non en tant qu'homme, parce qu'il n'est pas homme selon qu'il a la sensation, mais selon qu'il a la raison.

 

Vel potest considerari aliquod individuum illius speciei; et sic contingit quod aliquis per voluntatem determinatur ad sequendum operationes ipsius rationis per habitum virtutis; et tunc ut in pluribus bene operatur, et deficit ut in paucioribus: sed quando adhaeret alteri naturae, efficitur quasi alius, ut dicitur in IX Ethic., cap. IV:

b) Ou on peut considérer un individu de cette espèce, et ainsi il arrive que quelqu'un est déterminé par sa volonté à suivre les opération de sa propre raison par l’attitude (habitus) de sa vertu, et ainsi il opère bien dans le plus grand nombre, et il défaille en un plus petit; mais quand il adhère à une autre nature, il est devient comme un autre, comme il est dit dans l'Éthique IX, 4, 1166 a 20.

 

unde tunc est judicium de ipso sicut de aliis animalibus, in quibus est natura sensitiva tantum: quia in pluribus operabitur bonum sibi quantum ad id quod factus est, ut leo per crudelitatem, vel canis per iram, sus per luxuriam, et sic de aliis, ut dicit Boetius in lib. IV De consol., prosa III. Unde constat quod malum est in paucioribus, sive comparetur ad principium totius naturae, sive ad aliquod agens particulare.

c'est pourquoi on parte alors un jugement à son sujet comme au sujet des autres animaux dans lesquels il y a la nature sensible seulement. Parce que dans la plus grande partie le bien opère en eux quant à ce qui a été fait, comme le lion par cruauté, ou le chien par colère, le porc par luxure, et ainsi de suite, comme le dit Boèce (Consolation IV, prose III). C'est pourquoi il est clair que le mal est dans le plus petit nombre, qu’il soit comparé à un principe de toute nature ou à quelque agent particulier.

 

D. 1 q. 1 a. 1 ad 4. Ad quartum dicendum, quod res habent contrarietatem ad invicem quantum ad proximos effectus, sed tamen concordant etiam contraria in ultimo fine ad quem ordinantur secundum harmoniam quam constituunt, sicut patet etiam in mixto quod componitur etiam ex contrariis; et ex hoc sequitur quod agentia proxima sunt contraria, licet agens primum sit unum: quia judicium de agente et fine est idem, cum hae duae causae in idem incidant.

# 4. Les choses ont de la contrariété entre elles, quant aux effets proches, mais cependant les contraires s'accordent sur la fin dernière à laquelle ils sont ordonnés, selon l'harmonie qu'ils constituent; comme cela apparaît dans le mixte qui est composé de contraires27. De cela il découle que les agent les plus proches sont contraires, bien que l'agent premier soit unique, parce que le jugement sur l’agent ou la fin est identique, puisque ces deux causes tombent dans l'identique.

 

D. 1 q. 1 a. 1 ad 5. Ad quintum dicendum, quod quamvis Deus nullo modo sit materia, nihilominus tamen ipsum esse, quod materia habet imperfectum, prout dicitur ens in potentia, habet a Deo, et reducitur in ipsum sicut in principium. Similiter et forma, quae pars est rei, est similitudo agentis primi fluens ab ipso. Unde omnes formae reducuntur in primum agens sicut in principium exemplare. Et sic patet quod est unum primum principium simpliciter, quod est primum agens, et exemplar, et finis ultimus.

# 5. Quoique Dieu ne soit matière en aucune manière, néanmoins l'être lui-même que la matière possède imparfait, dans la mesure où l’on dit qu’elle est un étant en puissance, elle le reçoit de Dieu et il est ramené à lui, comme à son principe. De la même manière la forme, qui est une part de la chose, est ressemblance du premier l'agent en tant qu'elle découle de lui. C'est pourquoi toutes les formes sont ramenées au premier agent comme à leur principe exemplaire. Et ainsi il est clair qu'il y a un principe premier unique absolu, parce qu'il est le premier agent, l'exemplaire et la fin ultime.

 

Article 2: Quelque chose peut-il sortir de Dieu par création ?

Ad secundum sic proceditur. Videtur quod per creationem nihil a Deo possit exire in esse.

Il semble que Dieu ne peut rien faire venir à l'être par création28.

 

Objections29

D. 1 q. 1 a. 2 arg. 1.Omne enim quod fit possibile erat prius fieri: quia si non possibile erat fieri, et necesse non fieri ab aequipollenti, et ita factum non esset. Sed quidquid est possibile fieri vel moveri, est possibile per potentiam passivam; quae, cum non sit ens per se existens, oportet quod sit in aliquo ente, quod est in potentia ad aliquid. Sed nihil est ens in potentia ad aliquid, quin etiam ad aliquid sit in actu. Ergo omne quod fit, fit ex aliquo ente in actu praeexistente. Sed nullum tale creatur: quia creare est ex nihilo aliquid facere, ut in littera dicitur. Ergo nihil a Deo potest creari.

1. Car tout ce qui a été fait était possible avant d'être fait; parce que s’il n'était pas possible que ce soit fait et s’il était nécessaire que ce ne soit pas fait par équivalence, ainsi cela n'aurait pas été fait. Mais tout ce qui peut être fait ou être mis en mouvement est possible par une puissance passive, qui, comme elle n'est pas un étant existant par soi, doit être dans un étant en puissance à quelque chose, mais le néant est un étant en puissance à quelque chose, qui n’est en acte à rien. Donc tout ce qui est fait est fait d'un étant préexistant en acte. Mais rien de tel n'est créé. Parce que créer c'est faire quelque chose à partir de rien comme La Lettre30 le dit. Donc rien ne peut être créé par Dieu.

 

D. 1 q. 1 a. 2 arg. 2. Praeterea, in omni mutatione est aliquid ex quo est mutatio per se: quia omnis mutatio est inter duos terminos. Sed illud ex quo per se fit aliquid, oportet remanere in eo quod fit vel secundum totum, si fit ex eo sicut ex materia, ut cultellus ex ferro; vel secundum aliquid ejus, scilicet secundum materiam, ut si dicatur totum fieri ex toto, ut caro fit ex cibo: ex albedine enim non dicitur fieri nigredo nisi per accidens, idest post albedinem, sicut etiam ex nocte dicitur fieri dies. Si ergo dicatur ens fieri ex non ente, oportet quod non ens, vel aliqua pars ejus, cum tamen partem non habeat, maneat in ente, et quod sit simul ens et non ens, quod est impossibile. Ergo omne quod fit, fit ex ente aliquo: ergo videtur quod impossibile est aliquid a Deo creari.

2. Dans tout changement il y a quelque chose par quoi il existe par soi: parce que tout changement se situe entre deux termes. Mais ce d'où quelque chose est fait par soi doit demeurer en ce qui est fait ou bien en entier, s'il en est fait comme de la matière, comme le couteau (est fait) de fer, ou bien de quelque chose de lui c'est-à-dire de la matière, comme si on disait que tout est fait du tout, comme la chair est faite de nourriture. Car on ne dit pas que la noirceur est faite de la blancheur sinon par accident, c'est-à-dire après elle, comme on dit aussi que le jour est fait de la nuit. Si donc on dit que l'étant vient du non étant, il faut que ce non étant ou une de ses parties, bien qu'il n'en ait pas, demeure dans l'étant et que l'étant et le non étant soient en même temps, ce qui est impossible. Donc tout ce qui est fait est fait d'un étant. Donc il semble qu'il est impossible que quelque chose soit créé par Dieu.

 

D. 1 q. 1 a. 2 arg. 3 Praeterea, nullum permanens simul fit et factum est: quia dum fit, non est; et dum factum est, est: non autem simul est et non est. Si ergo aliqua res permanens fiat a Deo, oportet quod fieri sit ante suum esse. Sed factio, cum sit accidens, non potest esse sine subjecto. Ergo oportet quod omne quod fit, fiat ex aliquo in quo sit factio sicut in subjecto. Sed nullum tale creatur. Ergo nihil per creationem fieri potest.

3. Rien de ce qui demeure ne se fait et n'est fait en même temps, parce que, pendant qu’il se fait, il n'est pas, et quand il a été fait, il est. Mais être et ne pas être n’est pas en même temps. Donc si ce qui demeure est fait par Dieu, il faut qu'il soit fait avant d'exister. Mais comme cette production est un accident, elle ne peut pas exister sans substrat. Donc il faut que tout ce qui se fait, se fasse d'une chose en qui il y aurait une production comme dans un substrat. Mais rien de tel n'est créé.

Donc rien ne peut être fait par création.

 

D. 1 q. 1 a. 2 arg. 4. Praeterea, si creatio est aliquid, cum non sit substantia, oportet quod sit accidens. Omne autem accidens est in aliquo subjecto, non autem potest esse in ipso creato sicut in subjecto: quia hoc est terminus ejus: sic enim creatum creatione esset prius, inquantum est subjectum ejus, et posterius, inquantum est terminus. Ergo oportet quod sit in aliqua materia, ex qua creatum fiat; et hoc est contra rationem creationis. Ergo creatio nihil est.

4. Si la création est quelque chose, comme elle n'est pas une substance, il faut qu'elle soit un accident. Mais tout accident est dans un substrat, mais il ne peut pas être dans ce qui est créé, comme dans un sujet, parce que celui-ci est son terme: car ainsi le créé serait avant la création en tant qu'il est son substrat, et ensuite en tant qu'il est son terme. Donc il faut qu'il soit dans une matière, d'où est fait ce qui est créé; et cela est contre la nature de la création. Donc la création n'est rien.

 

D. 1 q. 1 a. 2 arg. 5. Praeterea, si creatio aliquid est, aut est creator, vel creatura. Sed non creator; quia sic esset ab aeterno, et ita creaturae ab aeterno. Ergo est creatura. Sed omnis creatura aliqua creatione creatur, et sic creationis est creatio in infinitum; quod est impossibile, ut patet ex V Physic., text. 10, ubi dicitur quod actionis non est actio in infinitum. Ergo impossibile est creationem esse.

5. Si la création est quelque chose, c’est le créateur ou une créature. Mais elle n'est pas le créateur, parce qu'elle serait éternelle et les créatures aussi. Donc elle est une créature. Mais toute créature est créée par une création, et ainsi c’est la création de la création à l'infini; ce qui est impossible, comme cela apparaît en Physique (V, 2, 225 b 1331), où il est dit que l'action de l’acte n’existe pas à l'infini. Donc il est impossible qu’il y ait création.

 

En sens contraire

D. 1 q. 1 a. 2 s. c. 1. Sed contra est quod dicitur Genesis 1: in principio creavit Deus caelum et terram.

1. Il y a ce qu'on lit en Gn. 1-1: « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ».

 

D. 1 q. 1 a. 2 s. c. 2. Praeterea, omne agens agit secundum id quod est in actu. Sed quod est secundum aliquid sui in actu, et secundum aliquid in potentia, efficit rem secundum aliquid sui, scilicet inducendo formam in materiam. Ergo cum primum ens, scilicet Deus, sit actus sine permixtione potentiae, videtur quod totam rem efficere possit, secundum totam substantiam ejus. Hoc autem est creare. Ergo videtur quod Deus creare possit.

2. Tout agent agit selon ce qui est en acte. Mais ce qui est en partie en acte, et en partie en puissance, produit la chose selon cette partie, c'est-à-dire en induisant une forme dans la matière32. Donc, comme l'étant premier, à savoir Dieu, est acte sans mélange de puissance, il semble qu'il peut produire la chose toute entière, selon toute sa substance. Et c'est cela créer. Donc il semble bien que Dieu pourrait créer.

 

Réponse

D. 1 q. 1 a. 2 co. Respondeo quod creationem esse, non tantum fides tenet, sed etiam ratio demonstrat. Constat enim quod omne quod est in aliquo genere imperfectum, oritur ab eo in quo primo et perfecte reperitur natura generis: sicut patet de calore in rebus calidis ab igne. Cum autem quaelibet res, et quidquid est in re, aliquo modo esse participet, et admixtum sit imperfectioni, oportet quod omnis res, secundum totum id quod in ea est, a primo et perfecto ente oriatur. Hoc autem creare dicimus, scilicet producere rem in esse secundum totam suam substantiam. Unde necessarium est a primo principio omnia per creationem procedere.

Non seulement la foi considère que la création existe mais la raison aussi le démontre33. Car il apparaît que tout ce qui est imparfait dans un genre prend source en ce en quoi se trouve d'abord et de façon parfaite la nature de ce genre34, comme cela apparaît au sujet de la chaleur dans les objets chauffés par le feu. Comme n'importe quelle créature, et tout ce qui est en elle, participe de l'être de quelque manière, et qu'elle est mêlée d'imperfection, il faut que toute chose, selon la totalité de ce qui est en elle, vienne d'un étant premier et parfait. C'est cela qu'on appelle créer: faire venir à l’être une créature selon toute sa substance. C'est pourquoi il est nécessaire que tout procède par création d’un premier principe.

 

Sciendum est autem, quod ad rationem creationis pertinent duo. Primum est ut nihil praesupponat in re quae creari dicitur: unde in hoc ab aliis mutationibus differt, quia generatio praesupponit materiam quae non generatur, sed per generationem completur in actum formae transmutata; in reliquis vero mutationibus praesupponitur subjectum, quod est ens completum; unde causalitas generantis vel alterantis non sic se extendit ad omne illud quod in re invenitur; sed ad formam, quae de potentia in actum educitur: sed causalitas creantis se extendit ad omne id quod est in re; et ideo creatio ex nihilo dicitur esse, quia nihil est quod creationi praeexistat, quasi non creatum..

Mais il faut savoir que deux aspects appartiennent à la définition de la création: 1) Elle ne présuppose rien dans ce qu’on dit créé. C'est pourquoi en cela, elle diffère des autres changements, parce que la génération présuppose une matière qui n'est pas engendrée, mais, [cette matière] est complétée par la génération, transformée dans l’acte de la forme. Dans les autres changements, on présuppose un substrat, qui est un étant complet; c'est pourquoi la causalité de ce qui engendre ou ce qui produit un changement ne s'étend pas ainsi à tout ce qu'on trouve dans la chose; mais à la forme qui est amenée de la puissance à l'acte: mais la causalité du créateur s'étend à tout ce qui est dans la chose; et c'est pourquoi on parle de la création ex nihilo, parce qu'il n'y a rien qui préexiste à la création, en tant que non créé.

 

Secundum est, ut in re quae creari dicitur, prius sit non esse quam esse: non quidem prioritate temporis vel durationis, ut prius non fuerit et postmodum sit; sed prioritate naturae, ita quod res creata si sibi relinquatur, consequatur non esse, cum esse non habeat nisi ex influentia causae superioris. //

2) Dans ce qu'on définit comme créé, le non-être est avant l'être, non par priorité de temps ou de durée, de sorte qu'il n'a pas existé d'abord et a existé ensuite, mais par priorité de nature, de sorte que la créature, laissée à elle-même rejoindrait le néant, puisqu'elle n'a l’être que par l'influence d'une cause supérieure.

 

Prius enim unicuique inest naturaliter quod non ex alio habet, quam quod ab alio habet: et ex hoc differt creatio a generatione aeterna: sic enim non potest dici quod filius Dei si sibi relinquatur, non habeat esse, cum recipiat a patre illud idem esse quod est patris, quod est esse absolutum, non dependens ab aliquo. Et secundum ista duo creatio dupliciter dicitur esse ex nihilo.

Car d'abord il y a naturellement dans chaque être, ce qu'il ne tient pas d'un autre, avant ce qu’il tient d'un autre, et en cela la création diffère de la génération éternelle; ainsi on ne peut pas dire que si le Fils de Dieu était laissé à lui-même, il n'aurait pas l'être, puisqu'il reçoit du Père ce même être qui est du Père, qui est l'être absolu, indépendant de tout. Et selon ces deux points de vue, on dit que la création vient à partir du néant de deux manières:

 

Tum ita quod negatio neget ordinem creationis importatae per hanc praepositionem ex, ad aliquid praeexistens, ut dicatur esse ex nihilo, quia non ex aliquo praeexistenti; et hoc quantum ad primum

a) Tantôt de sorte que la négation nie la relation de la création qu’apporte cette préposition (ex) "de" ("ou à partir de") à quelque chose de préexistant, pour dire que l’être vient de rien, parce qu’il ne vient pas de quelque chose qui préexiste. Et cela quant à la première manière.

 

Tum ita quod remaneat ordo creationis ad nihil praeexistens, ut affirmatus; ut dicatur creatio esse ex nihilo, quia res creata naturaliter prius habet non esse quam esse; et si haec duo sufficiant ad rationem creationis, sic creatio potest demonstrari, et sic philosophi creationem posuerunt.

b) Tantôt de sorte que la relation de la création à ce néant qui préexiste demeure comme affirmée: pour dire que la création ne vient de rien, parce que la créature a par nature le non être avant l’être; et si ces deux aspects suffisent à la nature de la création, elle peut être démontrée et c’est ainsi que les philosophes ont pensé qu'il y avait création.

 

Si autem accipiamus tertium oportere ad rationem creationis, ut scilicet etiam duratione res creata prius non esse quam esse habeat, ut dicatur esse ex nihilo, quia est tempore post nihil, sic creatio demonstrari non potest, nec a philosophis conceditur; sed per fidem supponitur.

Mais si nous acceptons qu'il faille un troisième point de vue pour définir la création, que, par exemple, la créature ait dans la durée le non être avant l'être, pour dire qu'elle vient du néant, parce qu'elle est chronologiquement après le néant, alors la création ne peut pas être démontrée, et elle n'est pas concédée par les philosophes, mais elle est soumise à la foi35.

 

Solutions

D. 1 q. 1 a. 2 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod secundum Avicennam, duplex est agens: quoddam naturale quod est agens per motum, et quoddam divinum quod est dans esse, ut dictum est. Et similiter oportet accipere duplex actum vel factum: quoddam per motum agentis naturalis; et omne tale fieri oportet quod praecedat tempore potentia non tantum activa, sed etiam passiva: quia motus est actus existentis in potentia.

# 1. Selon Avicenne (I Suff, et Métaphysique VI, ch. 1) il y a deux sortes d'agents: un agent naturel qui est agent par mouvement et un agent divin qui donne l'être, comme on l'a dit. Et de la même manière il faut considérer l'acte ou l'ouvrage36 comme double: l'un par le mouvement de l'agent naturel, et il faut que tout ce qui est tel soit fait parce que la puissance, non seulement active, mais aussi passive le précède dans le temps, parce que le mouvement est l'acte de ce qui existe en puissance.

 

Quoddam vero est factum, inquantum recipit esse ab agente divino sine motu: et si istud factum sit novum, oportet quod praecedat esse ejus natura et duratione potentia activa et non passiva: et ab activa potentia tale factum dicitur possibile fieri. Si autem non sit novum, tunc potentia activa non praecedit duratione, sed natura.

Une chose est faite dans la mesure où elle reçoit l'être de l’agent divin sans mouvement. Et si cette chose faite était nouvelle, il faut qu'une puissance active et non passive précède son être en nature et en durée. Et on dit que par la puissance active il est possible qu'une chose fabriquée soit faite. Mais si ce n'est pas nouveau, alors la puissance active ne la précède pas en durée, mais en nature.

 

D. 1 q. 1 a. 2 ad 2. Ad secundum dicendum, quod creatio non est factio quae sit mutatio proprie loquendo; sed est quaedam acceptio esse. Unde non oportet quod habeat ordinem essentialem nisi ad dantem esse; et sic non est ex non esse, nisi inquantum est post non esse, sicut nox ex die.

# 2. La création n'est pas une "fabrication" qui soit changement à proprement parler, mais c'est une certaine réception de l'être. C'est pourquoi il ne faut qu'elle n’ait une relation essentielle qu'à celui qui donne l'être; et ainsi elle ne vient du non être, que dans la mesure où elle est après le non être, comme la nuit [est après] le jour.

 

D. 1 q. 1 a. 2 ad 3. Ad tertium dicendum, quod nulla res permanens potest simul fieri et facta esse, si fieri proprie sumatur; sed quaedam sunt quae significant ipsum factum per modum fieri, sicut cum dicitur motus terminari: simul enim terminatur et terminatum est, et similiter simul illuminatur et illuminatum est, eo quod illuminatio est terminus motus, ut in IV Physic. Commentator dicit; et similiter etiam forma substantialis simul recipitur et recepta est; et similiter aliquid simul creatur et creatum est.

# 3. Rien qui demeure ne peut être fait et avoir été fait en même temps, si être fait est pris au sens propre, mais il y en a certains qui désignent l’ouvrage par la manière d’être fait, comme quand on dit que le mouvement est terminé: car en même temps il se termine et il est terminé, et de la même manière en même temps il s’éclaire et il est éclairé, par le fait que la lumière est le terme du mouvement comme le Commentateur37 le dit en IV Physique. De la même manière la forme substantielle en même temps est reçue et a été reçue: de même un être en même temps est créé et a été créé.

 

Et si objiciatur, quod ante omne factum esse, est omne fieri proprie acceptum; dico, quod verum est in omnibus quae fiunt per motum, sicut generatio sequitur motum alterationis, et illuminatio motum localem; non autem sic est in creatione, ut dictum est.

Et si on objecte qu’avoir été fait avant tout, c’est tout devenir pris au sens propre, je dis que c'est vrai en tout ce qui est fait par mouvement, comme la génération suit le mode du changement et la lumière le mouvement local; mais ce n'est pas ainsi dans la création, comme on l'a dit.

 

D. 1 q. 1 a. 2 ad 4. Ad quartum dicendum, quod creatio potest sumi active et passive. Si sumatur active, cum creatio significet operationem divinam, quae est essentia ejus cum relatione quadam; sic creatio est substantia divina. Si autem sumatur passive, sic est quoddam accidens in creatura, et sic significat quamdam rem, non quae sit in praedicamento passionis, proprie loquendo, sed quae est in genere relationis, et est quaedam habitudo habentis esse ab alio consequens operationem divinam: et sic non est inconveniens quod sit in ipso creato quod educitur per creationem, sicut in subjecto; sicut filiatio in Petro, inquantum recipit naturam humanam a patre suo, non est prior ipso Petro; sed sequitur actionem et motum, quae sunt priora. Habitudo autem creationis non sequitur motum, sed actionem divinam tantum, quae est prior quam creatura.

# 4. La création peut être prise au sens actif ou passif. Si on la prend au sens actif, comme elle signifie une opération de Dieu qui est son essence, avec une certaine relation, elle est ainsi la substance divine. Mais si on la prend au sens passif, alors elle est un accident dans la créature et ainsi elle signifie une chose, qui n’est pas dans la catégorie de la passion38 à proprement parler, mais qui est dans le genre de la relation, et c’est un rapport de celui qui possède l'être d’un autre, suivant l'opération divine, et ainsi il n'est pas absurde qu'elle soit dans le créée qui est sorti par création comme dans un substrat; comme la filiation en Pierre, en tant qu'il reçoit la nature humaine de son père n'existe pas avant Pierre. mais elle découle de l'action et du mouvement qui sont avant. Mais la relation de la création ne suit pas le mouvement, mais l'action divine seulement, qui est avant la créature.

 

D. 1 q. 1 a. 2 ad 5. Ad quintum dicendum, quod, ut prius dictum est, in 1, dist. 30, art. 3, quando creatura refertur ad creatorem, relatio realiter fundatur in creatura, et in Deo secundum rationem tantum: unde ipsa relatio importata in nomine creationis non ponit aliquid in creatore, sed in creato tantum. Non tamen oportet quod alia creatione creetur: quia illud quod est relatio per essentiam, non refertur ad aliud alia relatione media, ut etiam in 1 dictum est, dist. 26, art. 3, nisi secundum rationem; et hujusmodi relationes, quae secundum rationem tantum sunt, non est impossibile in infinitum multiplicari

# 5. Comme on l'a dit d'abord dans le premier livre (I Sent. d30a3), quand la créature se réfère au créateur, la relation est fondée réellement dans la créature, et en raison seulement en Dieu. C'est pourquoi la relation, même apportée dans le nom de création, ne place pas rien dans le créateur, mais dans le créé seulement. Cependant il ne faut pas qu'elle soit créée par une autre création: parce que ce qui est la relation par essence, ne se réfère pas à autre chose par une autre relation intermédiaire, comme aussi on l'a dit dans I Sent (d26a3) que selon la raison, et il n'est pas impossible que les relations de ce genre, qui existent selon la raison seulement, soient multipliées à l'infini

 

Article 3: Créer convient-il à d'autres que Dieu ?

D. 1 q. 1 a. 3 arg. 1 Ad tertium sic proceditur. Videtur quod creare etiam conveniat aliis quam Deo.

Il semble que créer convient aussi à d'autres que Dieu39

 

Objections

Omne enim quod non producitur in esse per generationem, si de novo fiat, creatur. Sed anima rationalis non exit in esse per generationem. Ergo a quocumque sit40, creatur. Sed anima rationalis exit in esse virtute intelligentiarum; unde Plato inducit Deum secundis diis dicentem: fenus quod condidistis41 ad vos recipite; et loquitur de anima rationali. Et similiter in libro de causis dicitur, quod creata est anima mediante intelligentia. Ergo videtur quod Angeli: vel intelligentiae, creare possint.

1. Car tout ce qui n'est pas amené à l'être par génération, s’il est nouvellement fait, est créé. Mais l'âme raisonnable ne vient pas à l'être par génération. Donc par qui que ce soit qu’elle soit [faite], elle est créée. Mais l'âme raisonnable vient à l'être par le pouvoir des Intelligences; c'est pourquoi Platon présente dieu qui dit aux seconds dieux: « Recevez pour vous le produit que vous avez créé. » et il parle de l'âme rationnelle. De même dans le livre des Causes, proposition 342, il est dit que l'âme est créée par l'intermédiaire de l'Intelligence. Donc il semble que les anges ou les Intelligences peuvent créer.

 

D. 1 q. 1 a. 3 arg. 2 Praeterea, cujuscumque dignitatis creatura est capax, haec ab eo sibi communicatur qui summe liberalis est. Sed potentia creandi communicabilis est creaturae, ut infra, in 4, dist. 5, Magister dicit. Ergo videtur quod alicui creaturae sit communicatum quod creet.

2. De quelque dignité que la créature soit capable, celle-ci lui est communiquée par celui qui est tout à fait libéral. Mais la puissance de créer est communicable à la créature, comme plus loin dans IV Sent., d543, le Maître le dit. Donc il semble que le pouvoir de créer ait été communiqué à la créature.

 

D. 1 q. 1 a. 3 arg. 3. Praeterea, quanto aliquid magis resistit agenti, difficilius est ab eo aliquid fieri. Sed contrarium est magis resistens quam non ens simpliciter. Ergo difficilius est aliquid fieri ex contrario, quam ex non ente. Sed agens naturale facit contrarium ex contrario. Ergo videtur quod etiam ex non ente simpliciter aliquid facere possit, et sic potest creare.

3. Plus une chose résiste à l'agent, plus il lui est difficile pour lui de la faire. Mais le contraire est plus résistant que le non étant absolu. Donc il est plus difficile de faire quelque chose d’un contraire que du non étant. Mais l'agent naturel fait le contraire à partir du contraire. Donc il semble que même du néant absolu, il pourrait faire quelque chose et ainsi il peut créer.

 

D. 1 q. 1 a. 3 arg. 4. Praeterea, secundum quod res exeunt a Deo, ita etiam ordinantur in ipsum. Sed secundum Dionysium in pluribus locis, lex divinitatis est ut nunquam ultima reducantur in finem nisi per media. Ergo videtur quod etiam ultima entium non immediate a Deo creentur, sed a causis mediis.

4. Les êtres sont ordonnés à Dieu dans la mesure où ils sont issus de lui. Mais, selon Denys, en plusieurs endroits44, c'est la loi de la divinité que jamais ce qui est inférieur n’est ramené à sa fin que par intermédiaire. Donc il semble que les derniers des étants ne soient pas immédiatement créés par Dieu, mais par des causes intermédiaires.

 

D. 1 q. 1 a. 3 arg. 5. Praeterea, in causatum causae secundae nunquam agit causa prima, nisi secundum quod agit in ipsa causa secunda agente. Sed Deus, qui est causa prima omnium rerum, cujuslibet rei creator est. Ergo et quaelibet causa secunda, in qua Deus operando creat, creatrix dici debet; et sic creare non tantum Deo convenit.

5. La cause première n'agit jamais dans l'effet de la cause seconde, sinon selon qu'elle agit dans la cause efficiente seconde elle-même. Mais Dieu qui est la cause première de toutes choses, est créateur de chacune. Donc n’importe quelle cause seconde, dans laquelle Dieu crée en opérant, doit être appelé créatrice; et ainsi créer ne convient pas seulement à Dieu.

 

En sens contraire

D. 1 q. 1 a. 3 s. c. 1. Sed contra, Damascenus anathematizat omnes qui dicunt Angelos aliquid creare: de quibus tamen magis videtur quam de aliis. Ergo videtur quod creare solius Dei sit.

1. Jean Damascène (La foi orthodoxe, II, ch. 3) anathématise tous ceux qui disent que les anges créent quelque chose; pourtant ce serait plus [croyable] d'eux que d'autres. Donc il semble que créer appartient à Dieu seul.

 

D. 1 q. 1 a. 3 s. c. 2. Praeterea, ens et non ens simpliciter in infinitum distant. Sed movere per distantiam infinitam est potentiae infinitae, qualis est sola divina potentia. Ergo solius ejus creare est.

2. L'étant et le non étant, dans l’absolu, sont à une distance infinie. Mais mouvoir à travers une distance infinie appartient à une puissance infinie; seule la puissance divine est infinie. Donc Dieu seul peut créer.

 

Réponse

D. 1 q. 1 a. 3 co. Respondeo dicendum, quod circa hoc est triplex opinio. Quidam enim philosophi posuerunt quod a prima causa immediate est unum primum causatum, a quo postmodum sunt alia, et sic deinceps; unde posuerunt, unam intelligentiam causari mediante alia, et animam mediante intelligentia, et corporalem naturam mediante spirituali: quod pro haeresi condemnatur: quia haec opinio honorem qui Deo debetur, creaturae attribuit; unde propinqua est ad trahendum in idolatriam.

Sur ce sujet, il y a trois opinions: a) Certains philosophes45 ont pensé que de la cause première il n'y a sans intermédiaire qu'une seul premier être causé, d’où d'autres viennent par la suite etc.. C'est pourquoi, ils ont pensé qu'une seule intelligence était causée par l'intermédiaire d'une autre, l'âme par l'intermédiaire de l'Intelligence et la nature corporelle par l'intermédiaire d'une nature spirituelle: ce qui est condamné pour hérésie: parce que cette opinion a attribué à la créature un honneur qui est dû à Dieu. C'est pourquoi elle n'est pas loin de l'idolâtrie.

 

Unde alii dixerunt, quod creatio nulli creaturae convenit, nec etiam communicabilis est; sicut nec esse infinitae potentiae, quam exigit creationis opus.

b) C'est pourquoi d'autres ont dit que la création ne convient à aucune créature et elle n'est pas communicable; de même que l'être d'une puissance infinie qu'exige l'œuvre de création non plus.

 

Alii dixerunt creationem nulli creaturae communicatam esse, communicari tamen potuisse: quod Magister asserit, in 4 Lib., dist. 5, in fine.

c) D'autres ont dit que la création n'a été communiquée à aucune créature, mais cependant pouvait être communiquée: ce que le Maître (des Sentences) affirme au livre IV, Dist. 546.

 

Utraque autem harum ultimarum opinionum videtur mihi secundum aliquid vera esse. Cum enim de ratione creationis sit ut non praeexistat aliquid sibi, ad minus secundum naturae ordinem, hoc potest accipi vel ex parte creantis, vel ex parte creati.

Chacune des deux dernières opinions me semble vraie à certains points de vue. En effet, comme il est de la nature de la créature que rien ne lui préexiste, au moins selon l’ordre de la nature, on peut le prendre du côté du créateur ou de celui de la créature.

 

Si ex parte creantis, sic dicitur illa actio esse creatio quae non firmatur super actione alicujus causae praecedentis; et sic est actio tantum causae primae: quia omnis actio secundae causae firmatur super actione causae primae. Unde sicut non potest communicari alicui creaturae quod sit causa prima; ita non potest communicari sibi quod sit creans.

a) Si c'est du côté du créateur, on dit qu'ainsi cette action est une création qui ne s’appuie pas sur l'action d'une cause qui précède. Et ainsi c'est seulement l'action de la cause première: parce que toute action de la cause seconde s’appuie sur l'action de la cause première. C’est pourquoi, de même que le fait d'être cause première ne peut être communiqué à aucune créature, de même le fait de créer ne peut pas lui être communiqué.

 

Si autem sumatur ex parte creati, sic illius proprie est creatio cui non praeexistat aliquid in re, et hoc est esse. Unde dicitur in Lib. de causis, quod prima rerum creatarum est esse; et alibi in eodem Lib. dicitur, quod esse est per creationem, et aliae perfectiones superadditae per informationem, et in compositis praecipue illud esse quod est primae partis, scilicet materiae; et ex parte ista accipiendo creationem, potuit communicari creaturae, ut per virtutem causae primae operantis in ipsa, aliquod esse simplex, vel materia produceretur: et hoc modo philosophi posuerunt intelligentias creare, quamvis sit haereticum.

b) Si on prend du côté de la créature, sa création à proprement parler à quoi rien ne préexiste en réalité, c'est l’être. C’est pourquoi on dit au livre des Causes (proposition 447) que la première des choses créées est l'être, et ailleurs dans le même livre (proposition 1), on dit que l'être est par création et les autres perfections sont surajoutées par la mise en forme et dans les composés surtout cet être qui est de la première partie, c'est-à-dire de la matière et de cette partie en recevant la création, a pu être communiqué aux créatures, pour que par le pouvoir de la cause première qui opère en elle, soit produit un être simple ou la matière. Et de cette manière, les philosophes ont pensé que les intelligences créaient, quoique cela soit hérétique.

 

Solutions

D. 1 q. 1 a. 3 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod in hoc auctoritates philosophorum non sunt recipiendae: quia in hoc erraverunt. Possent tamen exponi hoc modo omnes illae auctoritates, ut dicerentur creare animas, inquantum per motum orbium disponuntur corpora ad animae receptionem; sed hoc non est de intentione eorum.

# 1. A ce sujet il faut dire que les autorités des philosophes ne sont pas recevables, parce qu'ils se sont trompés à ce sujet. Cependant on pourrait exposer de cette manière toutes ces autorités: pour dire que les âmes créent, en tant que les corps sont disposés par le mouvement des astres, pour recevoir l'âme, mais cela n'est pas dans leur intention.

 

D. 1 q. 1 a. 3 ad 2. Ad secundum dicendum, quod quidquid est communicabile creaturae, de hoc quod est pertinens ad perfectionem naturae ejus, communicatur sibi; non autem est verum de perfectionibus secundis; sicut non omnis homo qui receptibilis est regiae dignitatis, a Deo factus est rex; et sic etiam est de auctoritate creandi, secundum illos qui dicunt, quod creatio potuit creaturae communicari.

# 2. Tout ce qui est communicable à la créature, du fait que cela convient à la perfection de sa nature, lui est communiqué; mais ce n'est pas vrai des perfections secondes, ainsi tout homme susceptible de recevoir la dignité royale n’est pas fait roi par Dieu; et il en est ainsi du pouvoir de créer selon ceux qui disent que la création peut être communiquée à une créature48.

 

D. 1 q. 1 a. 3 ad 3. Ad tertium dicendum, quod resistens contrarium non facit difficultatem in agendo, nisi inquantum elongat potentiam ab actu: quia unum contrariorum quanto est magis intensum, tanto potentia est magis remota ab actu: et ideo quod aliquid fiat ex non ente, simpliciter est majoris virtutis quam quod fiat ex contrario: quia in non ente simpliciter nulla potentia remanet.

# 3. Le contraire qui s’oppose ne fait difficulté en agissant qu'en tant qu’il prolonge sa puissance en acte: parce que plus l'un des contraires est intense, plus la puissance est détournée de l'acte et c'est pourquoi ce qui est fait du non étant, est dans l’absolu d'un plus grand pouvoir que ce qui est fait d'un contraire; parce que dans le non étant, ne demeure absolument aucune puissance.

 

D. 1 q. 1 a. 3 ad 4 Ad quartum dicendum, quod quamvis ad ultimum finem reducantur ultima per media; nunquam tamen influentia ultimi finis alicui mediorum communicatur, ita scilicet ut sit ultimum desideratum; et sic etiam nunquam influentia primi agentis, quae est creatio, alicui secundorum principiorum communicari potest.

# 4. Quoique les choses les plus éloignées soient ramenées à leur fin ultime par des intermédiaires, jamais cependant l'influence de la fin dernière n'est communiquée à l'un des intermédiaires, de sorte naturellement qu'il soit le désiré ultime et ainsi jamais l'influence du premier agent qui est la création ne peut être communiquée à l'un des principes seconds.

 

D. 1 q. 1 a. 3 ad 5. Ad quintum dicendum, quod agens proximum, ut generans, non operatur in hac re generata, nisi educendo de potentia materiae formam. Sed operatio causae primae est etiam in creando ipsam materiam: et ideo agens naturale proximum est tantum generans hanc rem; sed agens primum et divinum est creans; et ex hoc patet quod sicut operatio artis fundatur super operationem naturae, inquantum natura praeparat arti materiam; ita et operatio naturae fundatur supra creationem, inquantum ministrat naturae materiam.

# 5. L'agent le plus proche, en tant qu’il engendre, n'opère dans ce qui est engendré, qu'en sortant la forme de la puissance de la matière. Mais l'opération de la cause première est aussi dans la création de la matière elle-même. et c'est pourquoi l'agent naturel le plus proche engendre seulement cette chose; mais le premier agent divin est créateur, et de là il apparaît que, de même que l'opération de l'art est fondée sur l'opération de la nature, dans la mesure où celle-ci prépare la matière à l'art, de même l'opération de nature est fondée sur la création, dans la mesure où elle gouverne la matière de la nature.

 

Article 4: Un être autre que Dieu produit-il une chose ?

Ad quartum sic proceditur. Videtur quod nihil aliud efficiat aliquam rem nisi Deus.

Il semble que rien d'autre ne produit quelque chose sinon Dieu49:

 

Objections

D. 1 q. 1 a. 4 arg. 2. Praeterea, inter alias creaturas Angeli sunt nobiliores. Sed efficientia rerum non attribuitur Angelis; unus enim Angelus non est causa alterius, nec est iterum causa corporalis creaturae. Ergo videtur quod multo minus aliae creaturae sint causae quorumdam.

2. Parmi les autres créatures, les anges sont plus nobles, mais on ne leur attribue pas d’efficacité sur les choses. Car un ange n'est pas la cause d'un autre et de plus il n'est pas la cause de la créature corporelle. Donc il semble que les autres créatures sont beaucoup moins causes d'autres choses.

 

D. 1 q. 1 a. 4 arg. 3. Praeterea, idem specie non producitur a diversis agentibus secundum speciem. Sed prima individua omnium specierum immediate a Deo creata sunt, supposito quod mundus non fuerit semper. Ergo videtur quod nihil possit producere aliquid simile sibi secundum speciem.

3. Ce qui est identique en espèce n'est pas produit par des agents différents en espèce. Mais les premiers individus de toutes les espèces ont été créés immédiatement par Dieu, supposé que le monde n'ait pas toujours existé. Donc il semble que rien ne puisse produire un être semblable à lui en espèce.

 

D. 1 q. 1 a. 4 arg. 4. Praeterea, illud quod non est ex aliqua materia, non potest fieri nisi per creationem. Sed formae et accidentia non habent materiam partem sui; vel esset in infinitum abire. Ergo non possunt fieri nisi per creationem. Inde sic. Omnis causa efficiens alicujus rei dat sibi formam, vel substantialem, vel accidentalem. Sed hujusmodi non producuntur nisi per creationem. Ergo nihil potest esse causa efficiens alicujus rei nisi creator, qui tantum Deus est, ut dictum est.

4. Ce qui ne vient pas d'une matière ne peut être que créé. Mais les formes et les accidents n'ont pas de matière comme partie d’eux-mêmes ou ce serait aller à l'infini. Donc ils ne peuvent qu'être créés. C’est pourquoi c'est ainsi. Toute cause efficiente d'un être lui donne une forme, substantielle ou accidentelle. Mais les êtres de ce genre ne sont produits que par création. Donc rien ne peut être leur cause efficiente que le créateur, qui est Dieu, comme on l'a dit.

 

D. 1 q. 1 a. 4 arg. 5. Praeterea, causa efficiens nunquam est deficientior quam effectus. Sed agentia naturalia non agunt nisi per qualitates activas, quae sunt accidentia: quod probatur ex hoc quod non est possibile aliquid esse formam substantialem in uno, et accidentalem in altero; unde calor, qui est accidens hominis, non potest esse forma substantialis ignis; et sic de aliis. Ergo nullum agens naturae producit aliquam formam substantialem; et sic idem quod prius.

5. La cause efficiente n'est jamais plus déficiente que l'effet. Mais les agents naturels n'agissent que par leurs qualités actives, qui sont des accidents; ce qui est prouvé du fait qu'il n'est pas possible que quelque chose soit une forme substantielle dans l'un et accidentelle dans un autre. C'est pourquoi la chaleur, qui est un accident pour l'homme, ne peut pas être la forme substantielle du feu; et il en est de même pour les autres. Donc aucun agent naturel ne produit une forme substantielle, et ainsi de même que plus haut.

 

En sens contraire

D. 1 q. 1 a. 4 s. c. 1. Contra, secundum Damascenum, cujuslibet rei est propria operatio. Sed omnis res quae habet propriam operationem activam, sua operatione est causa alicujus. Ergo videtur quod ignis calefaciendo sit causa caloris, et sic de aliis.

1. Selon Jean Damascène (La foi orthodoxe, II, ch. 23.) chaque chose a son opération propre. Mais toute chose, qui a sa propre opération active, est par elle cause de quelque chose. Donc il semble que le feu en chauffant soit la cause de la chaleur et ainsi des autres choses.

 

D. 1 q. 1 a. 4 s. c. 2. Praeterea, si Deus immediate causaret omnia, una res non dependeret ab alia, sicut causatum a causa; et sic res non magis fieret ab uno quam ab alio. Sed videmus ad sensum quod non fit quodlibet ex quolibet, sed ex semine hominis semper generatur homo. Ergo semen patris est causa effectiva filii.

2. Si Dieu causait tout immédiatement, une chose ne dépendrait pas d'une autre, comme l’effet dépend de sa cause; et ainsi les choses ne seraient pas plus faites par l'un que par l'autre. Mais il tombe sous le sens que n'importe quoi n'est pas fait de n'importe quoi, et que toujours un homme est engendré de la semence de l'homme. Donc la semence du père est la cause effective du fils.

 

Réponse

D. 1 q. 1 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem sunt tres positiones. Quarum una est, quod Deus immediate operetur omnia, ita quod nihil aliud est causa alicujus rei; adeo quod dicunt quod ignis non calefacit, sed Deus; nec manus movetur, sed Deus causat ejus motum, et sic de aliis. Sed haec positio stulta est: quia ordinem tollit universi, et propriam operationem a rebus, et destruit judicium sensus.

Au sujet de cette question il y a trois opinions: 1. Dieu fait tout sans intermédiaire de sorte qu’il n’y a rien d'autre qui soit cause d'un être: à tel point qu'ils disent que ce n'est pas le feu qui chauffe mais Dieu; la main n’est pas non plus en mouvement mais c'est Dieu qui cause ce mouvement et ainsi de suite. Mais cette position est sotte50. Elle dénie l'ordre universel et l'opération propre aux choses, et elle détruit le jugement des sens.

 

Secunda positio est quorumdam philosophorum, qui ut proprias operationes rerum sustineant, Deum immediate omnia creare negant; sed dicunt, quod immediate est causa primi creati, et illud est causa alterius, et sic deinceps. Sed haec opinio erronea est: quia secundum fidem non ponimus Angelos creatores, sed solum Deum creatorem omnium visibilium et invisibilium.

2. La seconde opinion est celle de certains philosophes51, qui pour soutenir les opérations propres des choses, nient que Dieu crée tout sans intermédiaire mais disent qu'il est immédiatement la cause du premier créé, et celui-ci est cause d'un autre et ainsi de suite. Cette opinion est erronée, parce que selon la foi, nous ne pensons pas que les anges sont créateurs, mais Dieu est seul le créateur de tout, visible ou invisible.

 

Tertia positio est, quod Deus immediate omnia operatur, et quod res singulae proprias operationes habent, per quas causae proximae rerum sunt, non tamen omnium, sed quorumdam: quia enim, ut dictum est, secundum fidem non ponitur creatura aliqua aliam in esse producere per creationem, nec virtute propria nec aliena; ideo omnium illorum quae per creationem in esse exeunt, solus Deus immediate causa est. Hujusmodi autem sunt quae per motum in esse exire non possunt, nec per generationem.

3. Troisième opinion: Dieu opère tout sans intermédiaire et chaque chose particulière a ses propres opérations, par lesquelles, elles sont les causes les plus proches des choses, pas de toutes cependant, mais de certaines: car, comme on l'a dit, on ne pense pas selon la foi qu'une créature en amène une autre à l'être par création, ni par son pouvoir propre, ni par celui d’un autre; c'est pourquoi de tout ce qui vient à l'être par création, Dieu seul en est la cause sans intermédiaire Mais sont de ce genre les choses qui ne peuvent pas venir à l'être par mouvement ni par génération

 

Primo propter simplicitatem essentiae suae, in qua subsistunt: quia omne quod generatur, oportet esse compositum ex materia et forma; unde nec Angeli nec animae rationales possunt generari, sed solum creari; secus autem de aliis formis, quae etiam si sint simplices, non tamen habent esse absolutum, cum non sint subsistentes; unde exitus in esse non debetur eis, sed composito habenti talem formam, quod per se generari dicitur, quasi per se esse habens. Formae vero praedictae non dicuntur generari nisi per accidens: et eadem ratione materia prima, quae generationi substat, propter sui simplicitatem non generatur, sed creatur.

Premièrement à cause de la simplicité de leur essence en laquelle elles subsistent, parce qu'il faut que tout ce qui est engendré doit être composé de matière et de forme. C'est pourquoi ni les anges, ni les âmes douées de raison ne peuvent être engendrées, mais seulement être créées. Au contraire des autres formes qui, même si elles sont simples, n'ont cependant pas un être absolu, puisqu'elles ne sont pas subsistantes. C'est pourquoi la venue à l'être ne leur est pas due mais à un composé ayant une telle forme, qu'on dit engendré par soi, comme ayant l'être par soi. Mais on ne dit pas que ces formes susdites ne sont engendrées que par accident et pour la même raison, la matière première qui est le substrat de la génération, à cause de sa simplicité n'est pas engendrée mais créée.

 

Secundo, propter elongationem a contrarietate, ut corpora caelestia: omne enim quod generatur, generatur ex contrario.

Deuxièmement à cause de l'éloignement dans les contraires, comme les corps célestes: car tout ce qui est engendré, est engendré d'un contraire.

 

Tertio, propter necessitatem generantis similis in specie generato: propter quod primae hypostases immediate a Deo creatae sunt: ut primus homo, primus leo, et sic de aliis: non enim homo generari potest nisi ab homine. Aliter autem est de illis rebus ad quarum generationem non requiritur agens simile in specie, sed sufficit virtus caelestis cum qualitatibus activis et passivis, ut quae ex putrefactione generantur.

Troisièmement à cause de la nécessité de celui qui engendre qui est semblable à l’espèce engendrée; c'est pourquoi les premières hypostases sont crées immédiatement par Dieu, comme le premier homme, le premier lion, et ainsi de suite, car l'homme ne peut être engendré que par un homme. Il en est autrement de ces choses dont un agent semblable en espèce n’est pas requis pour la génération, mais il suffit du pouvoir céleste avec des qualités actives ou passives, comme ce qui est engendré par putréfaction.

 

Aliorum vero quae per motum et generationem producuntur, creatura causa esse potest, vel ita quod habeat causalitatem supra totam speciem, sicut sol est causa in generatione hominis vel leonis; vel ita quod habeat causalitatem ad unum individuum speciei tantum, sicut homo generat hominem, et ignis ignem. Horum tamen causa etiam Deus est, magis intime in eis operans quam aliae causae moventes: quia ipse est dans esse rebus. Causae autem aliae sunt quasi determinantes illud esse. Nullius enim rei totum esse ab aliqua creatura principium sumit, cum materia a Deo solum sit; esse autem est magis intimum cuilibet rei quam ea per quae esse determinatur; unde et remanet, illis remotis, ut in libro de causis dicitur.

Mais pour les autres, produits par mouvement et par génération la créature peut être cause ou bien de sorte qu’elle ait causalité sur toute l’espèce, comme le soleil est cause dans la génération de l'homme et du lion; ou de sorte qu’elle ait la causalité seulement pour un seul individu d’une espèce, comme l’homme engendre l’homme et le feu le feu. Cependant leur cause est aussi Dieu, qui opère en eux plus intimement que les autres causes moteurs; parce que lui-même donne l’être aux choses. Les autres causes sont comme déterminantes de cet être. Car l’être entier de rien ne prend son principe d’une créature, puisque la matière vient seulement de Dieu; mais l’être est plus intime à chaque chose que ce par quoi il est déterminé; c’est pourquoi il demeure une fois cela enlevé, comme on le dit dans le livre des Causes, proposition 152.

 

Unde operatio creatoris magis pertingit ad intima rei quam operatio causarum secundarum: et ideo hoc quod creatum est causa alii creaturae, non excludit quin Deus immediate in rebus omnibus operetur, inquantum virtus sua est sicut medium conjungens virtutem cujuslibet causae secundae cum suo effectu: non enim virtus alicujus creaturae posset in suum effectum, nisi per virtutem creatoris, a quo est omnis virtus, et virtutis conservatio, et ordo ad effectum; quia, ut in libro de causis dicitur, causalitas causae secundae firmatur per causalitatem causae primae.

C'est pourquoi l'opération du créateur parvient plus à l'intime de l’être que l'opération des causes secondes; et c'est pourquoi le fait que le créé soit cause d'une autre créature n'exclut pas que Dieu opère sans intermédiaire en toutes choses, dans la mesure où son pouvoir est comme l'intermédiaire qui relie le pouvoir d’une cause seconde à son effet. Car le pouvoir d'une créature ne pourrait être dans son effet que par le pouvoir du créateur, par qui existe tout pouvoir, ainsi que la conservation de ce pouvoir et son rapport à son effet, parce que, comme il est dit dans le Livre des Causes (ibid.), la causalité de la cause seconde est renforcée par la causalité de la cause première.

 

Solutions

D. 1 q. 1 a. 4 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod non est ex indigentia Dei quod causis aliis indiget ad creandum, sed ex bonitate ipsius, qui etiam dignitatem causandi aliis conferre voluit.

# 1. Ce n'est pas par indigence que Dieu a besoin d'autres causes pour créer, mais par sa bonté il a voulu accorder à d'autres la dignité d'être cause.

 

D. 1 q. 1 a. 4 ad 2. Ad secundum dicendum, quod si ponamus secundum quorumdam opinionem Angelos deservire Deo in motibus orbium, constat quod Angeli causa erunt generationis et corruptionis per motum orbium: et ista causalitas in omnes retorquebitur, quamvis non omnes circa hoc ministerium occupentur: quia secundum Dionysium, superiores Angeli inferiores illuminant de ministeriis per eos exequendis. Si autem hoc non supponitur, potest dici quod ex hoc quod Angeli sunt nobiliores, non sequitur quod habeant hanc dignitatem, quae est causare generationem et corruptionem in rebus; sed aliam multo digniorem, quae consistit in Dei cognitione.

# 2. Si nous pensons, selon l'opinion de certains, que les anges servent Dieu dans les mouvement des globes, il est clair qu'ils seront cause de la génération et de la corruption par le mouvement des mondes; et, cette causalité se retournera sur tous, bien que tous ne soient pas occupés à cette fonction; parce que, selon Denys (La Hiérarchie céleste, ch. 353), les anges supérieurs éclairent les anges inférieurs, pour les fonctions qu’ils doivent accomplir. Mais si on ne le suppose pas, on peut dire du fait qu'ils sont plus nobles, qu'il n'en découle pas qu'ils aient cette dignité, qui est de causer la génération et la corruption; mais une autre beaucoup plus digne qui consiste à connaître Dieu.

 

D. 1 q. 1 a. 4 ad 3. Ad tertium dicendum, quod non potest idem effectus secundum speciem esse a diversis agentibus immediatis, habentibus operationes determinatas ad determinatos effectus, sicut ab arte et natura. Sed Deus non habet operationem determinatam ad aliquem effectum; immo una sola operatione potest omnes effectus quos vult producere. Unde eumdem effectum specie quem natura producit, Deus potest sine natura operante facere.

# 3. Le même effet selon l'espèce ne peut pas provenir de divers agents sans intermédiaires, ayant des opérations limitées pour des effets limités, comme par l'art et la nature. Mais Dieu n'a pas d'opération limitée à un effet; au contraire, par une seule opération il peut produire tous les effets qu'il veut. C'est pourquoi il produit le même effet en espèce que la nature. Dieu peut agir sans que la nature opère.

 

D. 1 q. 1 a. 4 ad 4. Ad quartum dicendum, quod circa exitum rerum in esse per generationem fuit triplex opinio.

# 4. A propos de la venue des créatures à l'être par génération il y eut trois opinions:

 

Prima fuit ponentium latitationem, scilicet Anaxagorae, qui ponebat omnia in omnibus, et generationem fieri per abstractionem; et sic non ponebat veram generationem, quae est per hoc quod nova forma substantialis acquiritur materiae: et in hunc defectum incidit omnis opinio antiquorum, qui non ponebant veram generationem, sed generationem esse vel per congregationem et segregationem, vel per alterationem tantum: et hoc contingebat eis, quia non ponebant causam formalem, sed vel materialem tantum, vel cum hac etiam agentem.

a) La première est celle de ceux qui pensaient qu’il y avait un état latent54, parmi lesquels Anaxagore (Physique I, 4, 187 a 22, 187 a 26, etc.) qui pensait que tout était en tout et que la génération se faisait par séparation, et ainsi il n'établissait pas une vraie génération qui existe par le fait qu'une nouvelle forme substantielle est acquise pour la matière, et l’opinion des anciens relèvent de la même erreur; ils n'admettaient pas la vraie génération mais la génération était par réunion ou séparation ou altération seulement. Et ils en arrivaient là parce qu'ils n'admettaient pas de cause formelle, mais une cause matérielle seulement ou la cause efficiente avec elle aussi.

 

Alia opinio huic contraria fuit Platonis qui posuit, formas separatas, quas vocavit ideas, esse inducentes formas in materiis: et quasi ad hanc opinionem reducitur opinio Avicennae, qui dicit quod omnes formae sunt ab intelligentia, et agens naturale non est nisi praeparans materiam ad receptionem formae; et ista opinio procedit ex hoc quod vult unumquodque generari ex suo simili, quod frequenter non invenitur in rebus naturalibus; sicut in his quae per putrefactionem fiunt; et etiam quia ponebat fieri per se terminari ad formam; et hoc non potest esse, quia per se fieri terminatur ad hoc quod habet esse, quod est terminus factionis; et hoc est tantum compositum, non forma neque materia; unde forma, non nisi per accidens generatur.

b) L'autre opinion contraire à celle-ci fut celle de Platon qui a pensé que les formes séparées, qu'il appela idées, introduisaient les formes dans la matière et l'opinion d'Avicenne (De fluxu entis, 4) revient à peu près au même. Il dit que toutes les formes viennent de l'Intelligence et l'agent naturel ne fait que préparer la matière à recevoir la forme. Cette opinion vient du fait qu'il veut que chaque chose soit engendrée par son semblable, ce qu'on ne trouve pas fréquemment dans les choses naturelles, comme dans celles qui se font par putréfaction et aussi parce qu'il considérait qu’être fait par soi se terminait à la forme; cela est impossible, parce que "être fait par soi" se termine à ce qui a l'être qui est le terme de la "fabrication", et cela est seulement un composé, ni la forme ni la matière; et ainsi la forme n'est engendrée que par accident.

 

Tertia est Aristotelis, media inter has, scilicet quod omnes formae sunt in potentia in materia prima, non autem actu sicut ponentes latitationes dixerunt: et agens naturale agit non formam, sed compositum, reducendo materiam de potentia in actum; et hoc agens naturale in sua actione est quasi instrumentum ipsius Dei agentis, qui etiam materiam condidit, et formae potentiam dedit. Unde non oportet, hanc opinionem sustinendo, quod generans creet formam, vel quod faciat aliquid ex nihilo: quia non facit formam, sed compositum.

c. La troisième opinion est celle d'Aristote (Métaphysique VII, 8 1033 b 7 – XII, 3, 1070 a 15), intermédiaire à celles-ci: à savoir que toutes les formes sont en puissance dans la matière première, non en acte comme l’ont dit ceux qui admettaient la latence. L'agent naturel ne fait pas la forme mais le composé, en ramenant la matière de la puissance à l'acte; et cet agent naturel dans son action est pour ainsi dire l'instrument de Dieu même qui agit, qui créa aussi la matière et donna la puissance à la forme. C’est pourquoi il ne faut pas, en soutenant cette opinion, que celui qui engendre crée la forme ou qu'il fasse quelque chose de rien; parce qu'il ne fait pas la forme, mais le composé.

 

D. 1 q. 1 a. 4 ad 5. Ad quintum dicendum, quod sicut calor naturalis agit in virtute animae ut instrumentum ejus, ut in 2 de anima dicitur, propter quod non tantum calefacit, sed agit ad generationem carnis animatae: ita qualitas activa agit in virtute formae substantialis; et ideo per illam actionem non tantum inducitur materia in actum formae accidentalis, sed etiam in actum formae substantialis.

# 5. De même que la chaleur naturelle agit dans le pouvoir de l'âme comme son instrument, comme on le dit en L’âme, II, 4, 416 a 10), parce que non seulement elle chauffe, mais elle agit pour la génération de la chair animée, de même la qualité active agit dans le pouvoir de la forme substantielle et ainsi par cette action non seulement la matière est amenée à l'acte de la forme accidentelle mais encore à celui de la forme substantielle.

 

Article 5: Le monde est-il éternel ?

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod mundus sit aeternus:

Il semble que le monde est éternel55.

 

Objections

et ad hoc possunt adduci rationes sumptae ex quatuor, scilicet ex substantia caeli, ex tempore, ex motu, et ex agente vel movente. Ex substantia caeli sic. Omne quod est ingenitum et incorruptibile, semper fuit et semper erit. Sed materia prima est ingenita et incorruptibilis; quia omne quod generatur, generatur ex subjecto, et quod corrumpitur, corrumpitur in subjectum; materiae autem primae non est aliquod subjectum. Ergo materia prima semper fuit et semper erit. Sed materia nunquam denudatur a forma. Ergo materia ab aeterno fuit perfecta formis suis, quibus species constituuntur; ergo universum ab aeterno fuit, cujus istae species sunt partes. Et haec est ratio Aristotelis in 1 Physic.

1. On peut apporter des raisons prises de quatre éléments, à savoir de la substance du ciel, du temps, du mouvement et de l'agent ou moteur56. De la substance du ciel ainsi: Tout ce qui n’est ni engendré ni corruptible a toujours existé et existera toujours. Mais la matière première n’est ni engendrée et ni corruptible, parce que tout ce qui est engendré l'est d'un substrat, et ce qui est corrompu l'est dans un substrat: mais la matière première n'est pas un substrat. Donc elle a toujours existé et existera toujours. Mais elle n’a jamais été sans forme. Donc elle a été éternellement achevée par ses formes, qui constituent les espèces: donc l'univers dont ces espèces font partie a existé éternellement. Et c'est la raison donnée par Aristote en Physique, (I, 9, 192 a 25).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 2. Praeterea, quod non habet contrarium, non est corruptibile nec generabile; quia generatio est ex contrario, et corruptio in contrarium. Sed caelum non habet contrarium, cum motui ejus nihil contrarietur. Ergo caelum non est generabile nec corruptibile: ergo semper fuit et semper erit. Et haec est ratio philosophi in 1 caeli et mundi.

2. Ce qui n'a pas de contraire ne peut être ni corrompu, ni engendré, parce que la génération vient du contraire et la corruption va dans le contraire. Mais le ciel n'a pas de contraire, puisque rien ne vient à l'encontre de son mouvement. Donc le ciel ne peut être ni engendré ni corrompu: donc il a toujours existé et il existera toujours. Et cette raison vient du philosophe (Le ciel et le monde I, 3, 270 a 13-23).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 3. Praeterea, secundum positionem fidei, substantia mundi ponitur incorruptibilis. Sed omne incorruptibile est ingenitum. Ergo mundus est ingenitus: ergo fuit semper. Probatio mediae. Omne quod est incorruptibile, habet virtutem quod sit semper. Sed illud quod habet virtutem quod sit semper, non invenitur quandoque ens et quandoque non ens; quia sequeretur quod simul esset ens et non ens: toto enim tempore aliquid est ens ad quod virtus sua essendi determinatur; unde si habet virtutem ut sit in omni tempore, in omni tempore est: et ita, si ponatur aliquando non esse, sequitur quod simul sit et non sit. Ergo nullum incorruptibile est quandoque ens et quandoque non ens. Sed omne generabile est hujusmodi. Ergo et cetera. Et haec est ratio philosophi in 1 de Cael. et Mund.

3. Selon la position de la foi, [157] la substance du monde est considérée comme incorruptible. [2] Mais tout ce qui est incorruptible est inengendré. [3] Donc le monde est inengendré. Donc il a toujours existé [2] Preuve intermédiaire. Tout ce qui est incorruptible a pouvoir de toujours exister. Mais ce qui a pouvoir de toujours exister, ne se trouve pas quelquefois étant et quelquefois non étant, parce qu'il en découlerait qu'il serait en même temps un étant et un non étant. Car en tout temps quelque chose est un étant à qui le pouvoir d'être est limité: c'est pourquoi s'il a le pouvoir d'être en tout temps, il existe en tout temps et ainsi si on pense que quelquefois il n'existe pas il en découle qu'il est et n'est pas en même temps. Donc rien de ce qui est incorruptible n’est quelquefois étant et quelquefois non étant. Mais tout ce qui peut être engendré est de ce genre, etc.. Et c’est la raison donnée par le philosophe dans le Ciel et le Monde, I, 12, 281 b 25-35.

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 4. Praeterea, omne quod alicubi est ubi prius nihil erat, est in eo quod prius fuit vacuum: quia vacuum est in quo potest esse corpus, cum nihil sit ibi. Sed si est mundus factus ex nihilo; ubi nunc est mundus, prius nihil erat. Ergo ante mundum fuit vacuum. Sed vacuum esse est impossibile, ut probatur in 4 Physic., et ut multa experimenta sensitiva demonstrant in multis ingeniis quae per hoc fiunt quod natura non patitur vacuum. Ergo impossibile est mundum incepisse. Et haec ratio est Commentatoris in 3 Cael. et Mund.

4. Tout ce qui est quelque part là où avant il n'y avait rien, est là où avant il y a eu un vide: parce que le vide est ce en quoi il peut y avoir un corps, puisqu'il n'y a rien. Mais si le monde a été fait de rien, là où maintenant il est, il n'y avait rien auparavant. Donc avant le monde, il y eut le vide. Mais il est impossible que le vide existe, comme il est prouvé (Physique IV, 7, 214 a 26 à IV, 9, 217 a 20), et comme beaucoup d'expériences sensibles le montrent dans beaucoup de dispositions qui sont faites par cela que la nature ne souffre pas le vide. Donc il est impossible que le monde ait commencé. Et cette raisons vient du Commentateur58, Le Ciel et le monde, texte 29.

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 5. Idem potest argui ex parte temporis sic. Omne quod est semper in principio et fine sui, semper fuit et semper erit: quia post principium est aliquid, et ante finem. Sed tempus semper est in eo quod est principium temporis et finis; quia nihil est temporis nisi nunc, cujus definitio est quod sit finis praeteriti, et principium futuri. Ergo videtur quod semper fuit tempus, et semper erit; et ita motus, et mobile, et totus mundus. Et haec est ratio philosophi in 8 Physic.

5. De même on peut argumenter ainsi à propos du temps: tout ce qui existe toujours en son commencement et en sa fin, a toujours existé et existera toujours, parce qu'il y a quelque chose après le commencement et avant la fin. Mais le temps existe toujours en ce qui est le commencement du temps et sa fin, parce que rien du temps n'existe sinon l'instant, dont la définition est qu'il est la fin du passé, et le commencement du futur. Donc il semble qu’il y a toujours eu du temps et qu'il existera toujours. Et de même le mouvement, le mobile et le monde entier. Et cette raison vient du philosophe en Physique, VIII, 1, 251 b 10-27).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 6. Praeterea, omne id quod nunquam potest demonstrari ut stans, sed semper ut fluens, habet aliquid ante se a quo fluit. Sed nunc non potest demonstrari ut stans, sicut punctus, sed semper ut fluens; quia ratio tota temporis est in fluxu et successione. Ergo oportet ante quodlibet nunc ponere aliud nunc: ergo impossibile est imaginari tempus habuisse primum nunc: ergo tempus semper fuit, et ita ut prius. Et haec est ratio Commentatoris ibidem.

6. Tout ce qui ne peut jamais être démontré comme stable, mais toujours comme s’écoulant, a quelques chose avant lui d’où il s'écoule. Mais on ne peut démontrer que l’instant est stable, comme le point, mais toujours comme s’écoulant; parce que toute la nature du temps est dans l'écoulement et la succession. Donc il faut avant n'importe quel instant placer un autre instant: donc il est impossible d'imaginer que le temps a eu un premier instant. Donc il a toujours existé, et ainsi comme plus haut. Et cette raison vient du Commentateur (au même endroit, texte com. 12 s).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 7. Praeterea, creator mundi aut praecedit mundum tantum natura, aut etiam duratione. Si natura tantum, sicut causa effectum; ergo quandocumque fuit creator, fuit creatura; et ita mundus ab aeterno. Si autem duratione; prius autem et posterius in duratione causat rationem temporis: ergo ante totum mundum fuit tempus: et hoc est impossibile; quia tempus est accidens motus, nec est sine motu. Ergo impossibile est mundum non semper fuisse. Et haec est ratio Avicennae in sua Metaph.

7. Le créateur59 a précédé le monde, seulement en nature, ou aussi en durée. Si c'est en nature seulement, c’est comme la cause précède l'effet. Donc chaque fois qu'il a été créateur, il y a eu une créature; et ainsi le monde existe éternellement. Mais si c'est en durée, il cause d'abord et ensuite dans la durée, la nature du temps; donc avant l'ensemble du monde, il y eut le temps et cela est impossible, parce que le temps est un accident du mouvement et n'existe pas sans mouvement. Donc il est impossible que le monde n'ait pas toujours existé. Et cette raison est d'Avicenne dans sa Métaphysique (livre 9 ch. 1. s. 379,5 Anawati II, p. 116).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 8. Idem potest ostendi ex parte motus. Impossibile enim est novam relationem esse inter aliqua nisi aliqua mutatione facta circa alterum eorum; sicut patet in qualitate; non enim aliqua fiunt de novo aequalia, nisi altero extremorum augmentato vel diminuto. Sed omnis motus importat relationem moventis ad motum, quae relative opponuntur. Ergo impossibile est motum esse novum, nisi praecedat aliqua mutatio vel in movente vel in moto: sicut quod unum approximetur ad alterum, vel aliquid aliud hujusmodi. Ergo ante omnem motum est motus; et sic motus est ab aeterno, et mobile, et mundus. Et haec est ratio philosophi, in 8 Physic.

8. On peut montrer la même chose du côté du mouvement. Car il est impossible qu'une nouvelle relation existe entre certaines choses, sinon par un changement effectué autour de l'une d’entre elle, comme cela apparaît dans la qualité; car certaines ne deviennent égales de nouveau que par une autre augmentation ou diminution des extrêmes. Mais tout mouvement apporte une relation du moteur à ce qui est mû, qui sont opposés relativement. Donc il est impossible que le mouvement soit nouveau à moins que quelque changement ne précède ou dans le moteur ou dans ce qui est mû: de même que l'un s’approchera de l'autre ou quelque chose d'autre de ce genre. Donc avant tout mouvement, il y a un mouvement et ainsi le mouvement est éternel, le mobile et le monde aussi. Et cette raison vient du philosophe (Physique VIII, 1, 251 b 560).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 9. Praeterea, omne illud cujus motus quandoque est et quandoque quiescit, reducitur ad aliquem motum continuum, qui semper est: quia hujus successionis, quae est ex vicissitudine motus et quietis, non potest esse causa aliquid eodem modo se habens; quia idem eodem modo se habens, semper facit idem. Ergo oportet quod causa hujus vicissitudinis sit aliquis motus qui non est semper; et sic oportet quod habeat aliquem motum praecedentem: et cum non sit abire in infinitum, oportet devenire ad aliquem motum qui semper est; et sic idem quod prius. Et haec ratio est Commentatoris in 8 Physic. Idem potest etiam extrahi ex verbis philosophi. Inducit etiam hanc rationem Commentator in 7 Metaph., ad ostendendum, quod si mundus esset factus, oporteret quod hic mundus esset pars alterius mundi, cujus motu accideret variatio in mundo isto, sive in vicissitudine motus et quietis, sive in vicissitudine esse et non esse.

9. Tout ce dont le mouvement existe quelquefois et quelquefois est au repos, est ramené à un mouvement continuel, qui existe toujours, parce que de cette succession d’alternative de mouvement et de repos, il ne peut pas y avoir de cause se comportant de la même manière, parce que le même qui se comporte de la même manière fait toujours la même chose. Donc il faut que la cause de cette alternative soit un mouvement qui n'existe pas toujours, et ainsi il faut qu'il y ait un mouvement qui le précède. Et comme on ne peut pas aller à l'infini, il faut en arriver à un mouvement qui existe toujours et ainsi de même que ci-dessus. Cette raison est celle du Commentateur (Physique VIII, texte 9). On tire le même raisonnement des paroles du philosophe: Le commentateur introduit cette raison (Métaphysique, VII), pour montrer que si le monde avait été fait, il faudrait qu'il soit une partie d'un autre monde; par son mouvement arriverait un changement en ce monde, soit dans l'alternative du mouvement et du repos, soit dans l'alternative de l'être et du non être.

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 10. Praeterea, generatio unius est corruptio alterius. Sed nihil corrumpitur nisi generetur prius. Ergo ante omnem generationem est generatio, et ante omnem corruptionem corruptio. Sed haec non potuerunt esse, nisi mundo existente. Ergo mundus semper fuit. Et haec est ratio philosophi in 1 de generatione.

10. La génération de l'un est la corruption d'un autre. Mais rien n'est corrompu qui ne soit d'abord engendré. Donc avant toute génération il y a une génération et avant toute corruption une corruption. Mais cela n'a été possible que dans un monde en existence. Donc le monde a toujours existé. Et cette raison est celle du philosophe (La Génération, I, 318 a 2361).

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 11. Idem potest ostendi ex parte ipsius moventis vel agentis. Omnis enim actio vel motus quae est ab agente vel movente non moto, oportet quod sit semper. Sed primum agens vel movens est omnino immobile. Ergo oportet quod actio ejus et motus ejus sit semper. Prima sic probatur. Omne quod agit vel movet postquam non agebat vel movebat, educitur de potentia in actum, quia unumquodque agit secundum id quod est in actu: unde si agit postquam non agebat, oportet quod sit aliquid in actu in eo quod prius erat in potentia. Sed omne quod educitur de potentia in actum movetur. Ergo omne quod agit postquam non agebat, movetur. Et haec ratio potest extrahi ex verbis philosophi, in 8 Physic.

11. On peut montrer la même chose de la part du moteur ou de l'agent. [1] Car toute action ou mouvement qui vient de l'agent ou du moteur non mû, doit exister toujours. [2] Mais le premier agent ou premier moteur est tout à fait immobile. [3] Donc il faut que son action et son mouvement existe toujours. On prouve la première proposition62 ainsi: Tout ce qui agit ou meut après ne pas avoir agi ni mû, passe de la puissance à l'acte; parce que chacun agit selon ce qui est en acte; c'est pourquoi s'il agit après n'avoir pas agi, il faut qu'il y ait quelque chose en acte en lui qui était d'abord en puissance. Mais tout ce qui passe de la puissance à l'acte est mû. Donc tout ce qui agit après n'avoir pas agi, est mû. Et on peut tirer cette raison des paroles du philosophe (Physique VIII, 1, 251 a 8-2063.)

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 12. Praeterea, Deus aut est agens per voluntatem, aut per necessitatem naturae. Si per necessitatem naturae, cum talia sint determinata ad unum, oportet quod ab eo semper idem fiat: unde si ab eo mundus est aliquando factus, necesse est mundum esse aeternum. Si autem agens per voluntatem; omnis autem voluntas non incipit agere de novo nisi aliquis motus fiat in volente, vel ab aliquo impediente, quod prius erat et postmodum cessat, vel ex eo quod excitatur nunc et non prius, aliquo inducente ad agendum quod prius non inducebat: cum ergo voluntas Dei immobiliter eadem maneat, videtur quod non incipiat de novo agere. Et ista ratio communiter est philosophi in 8 Physic., et Avicennae, et Commentatoris.

12. Dieu est agent par volonté ou par nécessité de nature. Si c'est pas nécessité de nature, comme de telles agents sont limitées à un seul [effet], il faut que toujours il fasse la même chose: c'est pourquoi si le monde a un jour été fait par lui, il est nécessaire que le monde soit éternel. Mais si c’est un agent par volonté, toute volonté ne commence à agir de nouveau que si quelque mouvement se fait dans celui qui veut ou par quelque chose qui l'empêche qui existait avant et cesse après, ou de ce qui est incité maintenant et non avant, quelque chose le poussant à agir ce qui ne l’entraînait pas auparavant: donc comme la volonté de Dieu demeure la même immuablement, il semble qu'il ne commence pas de nouveau à agir. Et cette raison est commune au philosophe (Physique VIII, 1, 251 a 8-27) à Avicenne, (Métaphysique, IX, ch. 1, 397, 5) et au Commentateur.

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 13. Praeterea, omnis volens quandoque agere et quandoque non agere, oportet quod imaginetur tempus post tempus, discernendo tempus in quo vult agere, a tempore in quo non vult agere. Sed imaginari tempus post tempus, sequitur mutationem vel ipsius imaginationis, vel saltem imaginati, quia successio temporis causatur a successione motus, ut patet ex 4 Physic. Ergo impossibile est quod voluntas incipiat aliquem novum motum agere quem non praecedat alius motus. Et haec est ratio Commentatoris in 8 Physic.

13. Pour tout ce qui veut tantôt agir et tantôt ne pas agir, il faut imaginer un temps après un temps en distinguant celui où il veut agir de celui dans lequel il ne le veut pas. Mais du fait d'imaginer un temps après un autre, il découle un changement ou de l'imagination même ou du moins de ce qui est imaginé, parce que la succession du temps est causé par la succession du mouvement, comme cela apparaît en Physique (IV, 11, 219 a 3064). Donc il est impossible que la volonté commence à faire un nouveau mouvement que ne précède pas un autre mouvement. Et cette raison est celle du commentateur en Physique VIII.

 

D. 1 q. 1 a. 5 arg. 14. Praeterea, omnis voluntas efficiendi statim producit effectum, nisi desit aliquid illi volito quod sibi postmodum adveniat; sicut si modo habeam voluntatem faciendi ignem cras quando erit frigus, modo isti volito deest praesentia frigoris, qua adveniente, statim faciam ignem, si possum, nisi ad hoc aliquid aliud desit. Sed Deus habuit voluntatem aeternam faciendi mundum; alias esset mutabilis. Ergo impossibile est quod ab aeterno non fecerit mundum, nisi per hoc quod aliquid mundo deerat quod postmodum advenit. Sed non potuit advenire nisi per actionem aliquam. Ergo oportet quod ante hoc de novo factum praecedat aliqua actio mutationem faciens; et ita a voluntate aeterna nunquam procedat aliquid novum, nisi motu mediante aeterno. Ergo oportet mundum aeternum semper fuisse. Et haec est ratio Commentatoris, ibidem.

14. Toute volonté d’accomplir produit aussitôt un effet, à moins que manque à ce qui est voulu quelque chose qui lui arrive après; comme si dans l’instant j'avais la volonté de faire du feu à l’avenir quand il fera froid, il manque seulement à ce qui est voulu la présence du froid. S'il arrive, aussitôt je ferai du feu, si je peux, à moins que pour cela il me manque quelque autre chose. Mais Dieu a eu la volonté éternelle de faire le monde; autrement il n’aurait pas été immuable. Donc il est impossible qu'il n'ait pas fait le monde de toute éternité, à moins qu’il ait manqué quelque chose au monde qui est arrivé par la suite. Mais il n’a pu advenir que par une action. Donc il faut qu'avant cela soit fait de nouveau une action apportant un changement précède son exécution. et ainsi jamais rien de nouveau n’arrive par la volonté éternelle, sinon par un mouvement éternel intermédiaire. Donc il faut que le monde éternel ait toujours existé. Et cette raison est du commentateur. ibid.

 

En sens contraire

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 1. Sed contra, Deus aut est causa substantiae mundi, aut non, sed motus ejus tantum. Si motus tantum, ergo ejus substantia non est creata: ergo est primum principium; et sic erunt plura prima principia et plura increata, quod supra improbatum est. Si autem est causa substantiae caeli, dans esse caelo; cum omne quod recipit esse ab aliquo, sequatur ipsum in duratione, videtur quod mundus non semper fuerit.

1. Dieu est cause de la substance du monde ou pas, mais de son mouvement seulement. Si c'est du mouvement seulement, donc sa substance n'a pas été créée; donc elle est un premier principe, et ainsi il y aura plusieurs premiers principes et plusieurs êtres incréés, ce qui est été rejeté ci-dessus65. Mais s'il est la cause de la substance du ciel, en donnant l'être au ciel, puisque que tout ce qui reçoit l'être de quelqu’un d'autre, le suit66 dans la durée, il semble que le monde n'a pas toujours existé.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 2. Praeterea, omne creatum est ex nihilo factum. Sed omne quod est ex nihilo factum est ens postquam fuit nihil, cum non sit simul ens et non ens. Ergo oportet quod caelum prius non fuerit et postmodum fuerit, et sic totus mundus.

2. Tout ce qui est créé a été fait de rien. Mais tout ce qui vient de rien est devenu un étant après avoir été néant, puisque l'étant et le non-être ne sont pas ensemble. Donc il faut que le ciel n’ait pas existé d’abord et qu'il ait été ensuite et de même pour le monde entier.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 3. Praeterea, si mundus fuit ab aeterno, ergo infiniti dies praecesserunt diem istum. Sed infinita non est transire. Ergo nunquam fuisset devenire ad hunc diem; quod falsum est: ergo et cetera.

3. Si le monde a été de toute éternité, donc des jours en nombre infini ont précèdé ce jour. Mais on ne traverse pas l'infini. Donc parvenir à ce jour n’aurait jamais pu se faire, donc c’est faux. Donc, etc..

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 4. Praeterea, cuicumque potest fieri additio, isto potest esse aliquid majus vel plus. Sed diebus qui praecesserunt, potest fieri dierum additio. Ergo tempus praeteritum potest esse majus quam sit. Sed infinito non est majus, nec potest esse. Ergo tempus praeteritum non est infinitum.

4. Tout ce à quoi on peut ajouter peut être plus grand ou en plus. Mais aux jours qui ont précédé, on peut ajouter des jours. Donc le temps passé peut être plus grand qu'il ne l'est. Mais il n'est pas plus grand que l'infini et il ne peut pas l'être. Donc le temps passé n'est pas infini.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 5. Praeterea, si mundus fuit ab aeterno, ergo et generatio fuit ab aeterno tam hominum quam animalium. Sed omnis generatio habet generans et generatum; generans autem est causa efficiens generati; et sic in causis efficientibus est procedere in infinitum, quod est impossibile, ut probatur in 2 Metaph. Ergo impossibile est generationem semper fuisse, et mundum.

5. Si le monde a existé de toute éternité, donc la génération tant des hommes que des animaux aussi. Mais toute génération comporte ce qui engendre et ce qui est engendré; ce qui engendre est la cause efficiente de l'engendré et ainsi dans les causes efficientes il faut procéder à l'infini, ce qui est impossible, comme c’est prouvé en Métaphysique II, 2, 994 a. 167). Donc il est impossible que la génération ait toujours existé, le monde aussi.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 6. Praeterea, si mundus semper fuit, homines semper fuerunt. Ergo infiniti homines sunt mortui ante nos. Sed homine moriente non moritur anima ejus, sed manet. Ergo modo sunt infinitae animae in actu a corporibus absolutae. Sed impossibile est infinitum esse in actu, ut in 3 Physic. probatur. Ergo impossibile est mundum semper fuisse.

6. Si le monde avait toujours existé, les hommes aussi. Donc des hommes en nombre infini sont morts avant nous. Mais quand l'homme meurt, son âme ne meurt pas, mais demeure. Donc il y a une infinité d'âmes en acte qui viennent des corps dissous. Mais l'infini en acte est impossible, comme on le prouve Physique, (III, 5, 204 a 8- 203 b 8). Donc il est impossible que le monde ait toujours existé.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 7. Praeterea, impossibile est aliquid Deo aequiparari. Sed si mundus semper fuisset, aequipararetur Deo in duratione. Ergo hoc est impossibile.

7. Il est impossible que quelque chose soit égal à Dieu. Mais si le monde avait toujours existé, il équivaudrait à Dieu par la durée. Donc c'est impossible.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 8. Praeterea, nulla virtus finita, est ad operationem infinitam. Sed virtus caeli est virtus finita, cum magnitudo ejus finita sit, et impossibile sit a magnitudine finita esse virtutem infinitam. Ergo impossibile est quod motus ejus fuerit in tempore infinito, et similiter impossibile est ut esse ejus tempore infinito duraverit: quia duratio rei non excedit virtutem quam habet ad esse: et sic incepit quandoque.

8. Aucun pouvoir fini n’est pour une opération infinie. Mais le pouvoir du ciel est fini, puisque sa grandeur est finie, et il est impossible que d'une grandeur finie sorte un pouvoir infini. Donc il est impossible que son mouvement dure dans un temps infini et de la même manière, il est impossible que son être ait duré un temps infini, parce que la durée d'une chose n'excède pas le pouvoir qu’elle a pour être et ainsi elle a commencé un jour.

 

D. 1 q. 1 a. 5 s. c. 9. Praeterea, nullus dubitat quin Deus natura praecedat mundum. Sed in Deo idem est natura et duratio sua. Ergo duratione Deus mundum praecedit. Ergo mundus non fuit ab aeterno.

9. Personne ne doute que Dieu précède le monde par nature. Mais en Dieu la nature et sa durée sont identiques. Donc Dieu a précédé le monde en durée. Donc le monde n'a pas été éternel.

 

Réponse

D. 1 q. 1 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod circa hanc quaestionem est triplex positio. Prima est philosophorum, qui dixerunt, quod non solum Deus est ab aeterno, sed etiam aliae res; sed differenter: quia quidam ante Aristotelem posuerunt quod mundus est generabilis et corruptibilis, et quod ita est de toto universo sicut de aliquo particulari alicujus speciei, cujus unum individuum corrumpitur, et aliud generatur. Et haec fuit opinio Empedoclis.

Je réponds en disant qu'au sujet de cette question il y a trois positions: 1. La première position est celle des philosophes qui ont dit que non seulement Dieu est éternel mais aussi que d'autres choses le sont, mais différemment: parce que, avant Aristote, certains ont pensé que le monde peut être engendré et corrompu, et parce qu’il en est de tout l'univers comme quelque chose de particulier d’une espèce, dont un individu est corrompu et l'autre engendré. Ce fut l'opinion d'Empédocle68.

 

Alii dixerunt, quod res fuerunt quiescentes tempore infinito, et per intellectum coeperunt moveri, extrahentem et segregantem unum ab alio. Et haec fuit opinio Anaxagorae.

D'autres ont dit que les choses furent au repos pendant un temps infini, et commencèrent à être en mouvement par une intelligence, tirant et choisissant l'un de l'autre. Ce fut l'opinion d'Anaxagore69.

 

Alii dixerunt, quod res ab aeterno movebantur motu inordinato, et postea reductae sunt ad ordinem, vel casu, sicut ponit Democritus, quod corpora indivisibilia ex se mobilia casu adunata sunt ad invicem, vel a creatore, et hoc ponit Plato, ut dicitur in 3 caeli et mundi.

D'autres ont dit que les choses étaient mises en mouvement éternellement, par un mouvement sans ordre, et ensuite elles étaient ramenées à l'ordre, soit par hasard, comme le pense Démocrite, que les corps indivisibles mobiles par eux-mêmes sont joints entre eux par hasard, ou par le créateur, et cela Platon l'établit comme il est dit (Le ciel et le monde III, 2, 300 b 8-18 — Timée 30 a).

 

Alii dixerunt, quia res fuerunt ab aeterno secundum illum ordinem quo modo sunt; et ista est opinio Aristotelis, et omnium philosophorum sequentium ipsum; et haec opinio inter praedictas probabilior est: tamen omnes sunt falsae et haereticae.

D’autres ont dit que les choses ont existé éternellement selon l’ordre dans lequelle elles sont et c’est l’opinion d’Aristote et de tous les philosophes qui l’ont suivi; et cette opinion parmi celles qui ont été rapportées est plus probable; cependant toutes sont fausses et hérétiques

 

Secunda positio est dicentium, quod mundus incepit esse postquam non fuerat, et similiter omne quod est praeter Deum, et quod Deus non potuit mundum ab aeterno facere, non ex impotentia ejus, sed quia mundus ab aeterno fieri non potuit, cum sit creatus: volunt etiam quod mundum incepisse, non solum fide teneatur, sed etiam demonstratione probetur.

2. Seconde position, celle de ceux qui disent que le monde a commencé à exister après n’avoir pas existé, et il en est de même pour tout ce qui est en dehors de Dieu et que Dieu n'a pu faire un monde éternellement, non par son impuissance, mais parce qu'un monde éternel ne pouvait pas être fait éternellement puisqu'il a été créé; ils veulent aussi que le monde ait commencé, non seulement qu’on le tienne par la foi, mais aussi qu’on le prouve par démonstration.

 

Tertia positio est dicentium, quod omne quod est praeter Deum, incepit esse; sed tamen Deus potuit res ab aeterno produxisse; ita quod mundum incepisse non potuit demonstrari, sed per revelationem divinam esse habitum et creditum. Et haec positio innititur auctoritati Gregorii, qui dicit quod quaedam prophetia est de praeterito, sicut Moyses prophetizavit cum dixit Genes. 1: in principio creavit Deus caelum et terram. Et huic positioni consentio: quia non credo, quod a nobis possit sumi ratio demonstrativa ad hoc; sicut nec ad Trinitatem, quamvis Trinitatem non esse sit impossibile; et hoc ostendit debilitas rationum quae ad hoc inducuntur pro demonstrationibus, quae omnes a philosophis tenentibus aeternitatem mundi positae sunt et solutae: et ideo potius in derisionem quam in confirmationem fidei vertuntur si quis talibus rationibus innixus contra philosophos novitatem mundi probare intenderet.

3. La troisième position est celle de ceux qui disent que tout ce qui est en dehors de Dieu a commencé à exister; mais cependant Dieu a pu produire des choses éternellement; mais de sorte que le commencement du monde ne peut pas être démontré, mais a été reçu e par révélation divine et est objet de foi. Et cette position s'appuie sur l'autorité de Grégoire [leGrand] qui dit, dans l'Homélie I sur Ezéchiel qu’une prophétie concerne le passé, comme Moïse l’a prophétisé quand il a dit (Gn. 1, 1): « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ». Je consens à cette opinion, parce que je ne crois pas qu’on puisse trouver à cela une raison démonstrative. De la même manière [il n'y en a pas] pour la Trinité, quoique qu'il soit impossible qu'elle n'existe pas. Et la faiblesse de nos raisons le montre, qui sont induites par des démonstrations, qui toutes ont été établies et résolues par les philosophes qui tenaient à l'éternité du monde: et c'est pourquoi elles tourneraient plutôt à la dérision qu’à la confirmation de la foi, si quelqu'un s'appuyant sur de telles raisons prétendait prouver la nouveauté du monde contre les philosophes.

 

Dico ergo, quod ad neutram partem quaestionis sunt demonstrationes, sed probabiles vel sophisticae rationes ad utrumque. Et hoc significant verba philosophi dicentis quod sunt quaedam problemata de quibus rationem non habemus, ut utrum mundus sit aeternus; unde hoc ipse demonstrare nunquam intendit: quod patet ex suo modo procedendi; quia ubicumque hanc quaestionem pertractat, semper adjungit aliquam persuasionem vel ex opinione plurium, vel approbatione rationum, quod nullo modo ad demonstratorem pertinet. Causa autem quare demonstrari non potest, est ista, quia natura rei variatur secundum quod est in esse perfecto, et secundum quod est in primo suo fieri, secundum quod exit a causa; sicut alia natura est hominis jam nati, et ejus secundum quod est adhuc in materno utero.

Je dis donc qu'il n'y a pas de démonstrations pour aucune des deux parties de la question, mais des raisons probables ou captieuses pour l’une et l’autre. Et c'est cela que signifient les paroles du philosophe qui dit (I Top. ch. 8) qu'il y certains problèmes pour lesquels nous n'avons pas de raison, comme [pour cette question] le monde est-il éternel ?: c'est pourquoi il n'essaya jamais de le démontrer70. ce qui apparaît dans sa manière de procéder; parce que partout où il traite de cette question, toujours il ajoute une démonstration tirée de l'opinion de plusieurs, ou d'une preuve tirée de raisonnements, ce qui ne convient absolument pas pour celui qui démontre. Mais la cause pour laquelle cela ne peut être démontré, c’est que la nature de la chose varie selon qu'elle est dans l'être parfait, et selon qu'elle est en son premier devenir, selon qu'elle sort de sa cause; comme autre est la nature de l'homme déjà né, et de celui qui est encore dans le sein maternel.

 

Unde si quis ex conditionibus hominis nati et perfecti vellet argumentari de conditionibus ejus secundum quod est imperfectus in utero matris existens, deciperetur; sicut narrat Rabbi Moyses, de quodam puero, qui mortua matre, cum esset paucorum mensium, et nutritus fuisset in quadam insula solitaria, perveniens ad annos discretionis, quaesivit a quodam, an homines essent facti, et quomodo; cui cum exponerent ordinem nativitatis humanae, objecit puer hoc esse impossibile, asserens, quia homo nisi respiret et comedat, et superflua expellat, nec per unum diem vivere potest; unde nec in utero matris per novem menses vivere potest. Similiter errant qui ex modo fiendi res in mundo jam perfecto volunt necessitatem vel impossibilitatem inceptionis mundi ostendere: quia quod nunc incipit esse, incipit per motum; unde oportet quod movens praecedat duratione: oportet etiam quod praecedat natura, et quod sint contrarietates, et haec omnia non sunt necessaria in progressu universi esse a Deo.

C'est pourquoi si quelqu'un à partir des conditions de l'homme né et parfait voulait argumenter sur les conditions de ce qui est imparfait quand il existe dans le sein de sa mère, se tromperait; comme le raconte Rabbi Moyses (De perplexis veteris Testamenti ch. 18) d'un enfant qui comme sa mère était morte quand il n'avait que quelques mois, et qu'il avait été nourri dans une île solitaire, parvenant à l'âge de raison, demanda à quelqu'un si les hommes avaient été faits et comment. Comme on lui exposait la nature de la naissance de l'homme, l'enfant objecta que cela était impossible, assurant qu'un homme, s'il ne respire et ne mange et n’expulse pas le superflu ne peut pas vivre un seul jour; c'est pourquoi il ne peut pas vivre neuf mois dans le sein de sa mère. Ils se trompent de la même manière ceux qui à partir de la manière de faire les choses dans un monde déjà parfait, veulent montrer la nécessité ou l'impossibilité du commencement du monde, parce qu’il commence à être à un instant, il commence par le mouvement. C'est pourquoi il faut que le moteur précède en durée: il faut aussi que la nature précède, et parce que ce sont des contrariétés, et toutes ces choses ne sont pas nécessaires pour le progrès de l’être de l'univers par Dieu.

 

Solutions

D. 1 q. 1 a. 5 ad 1. Ad primum ergo dicendum est, quod materia est ingenita et incorruptibilis, non tamen sequitur quod semper fuerit: quia incepit esse non per generationem ex aliquo sed omnino ex nihilo; et similiter posset deficere si Deus vellet, cujus voluntate materiae et toti mundo esse communicatur.

# 1. Du fait que la matière n’est ni engendrée ni corruptible, il n'en découle pas qu'elle a toujours existé, parce qu'elle commence à exister non par génération de quelque chose mais tout à fait du néant; et elle pourrait périr de la même manière si Dieu le voulait: par sa volonté l'être est communiqué à la matière et au monde entier

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 2. Et similiter dicendum est ad secundum, quod illa ratio procedit de inceptione per generationem et motum; unde illa est ratio contra Empedoclem et alios, qui posuerunt caelum generari.

# 2. Et de la même manière il faut dire pour la seconde objection que cette raison procède du commencement par génération et mouvement; c'est pourquoi elle est contre Empédocle et les autres qui ont pensé que le ciel avait été engendré.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 3. Ad tertium dicendum, quod potentia quae nunc est in caelo ad durationem non mensuratur ad determinatum tempus; unde per eam in ante et post potuit infinito tempore esse, si eam semper habuisset: sed hanc potentiam durationis non semper habuit, sed voluntate divina in sua creatione sibi tradita est.

# 3. La puissance qui est maintenant dans le ciel n'est pas mesurée pour la durée pour un temps déterminé; c'est pourquoi par elle dans l'avant et l'après il a pu exister pendant un temps infini, si elle l'avait toujours eue: mais elle ne l'eut pas toujours, mais elle lui a été donnée par la volonté divine dans sa création .

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 4. Ad quartum dicendum, quod ante creationem mundi non fuit vacuum, sicut neque post: vacuum enim non est tantum negatio sed privatio; unde ad positionem vacui oportet ponere locum vel dimensiones separatas, sicut ponentes vacuum dicebant, quorum nullum ponimus ante mundum. Et si dicatur, quod possibile erat ante factionem mundi, mundum futurum esse ubi nunc est, dicendum ad hoc, quod non erat nisi in potestate agentis, ut supra dictum est.

# 4. Avant la création du monde, il n'y a pas eu de vide, ni après, car le vide n'est pas seulement négation mais privation: c'est pourquoi à la place du vide, il faut placer un lieu ou des dimensions séparées, comme ceux qui pensaient qu’il y avait du vide le disaient; nous n'en posons aucun avant le monde. Et si on disait que c'était possible avant la création du monde, que le monde sera là et maintenant, il faut en dire que ce ne l'était que dans le pouvoir de l'agent, comme on l'a dit ci-dessus.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 5. Ad quintum dicendum, quod illa ratio est circularis, quod sic patet secundum philosophum. Per prius et posterius in motu, est prius et posterius in tempore; unde quando dicitur, quod omne nunc sit finis prioris, et posterioris principium, supponitur quod omne momentum motus sequatur quemdam motum, et praecedat quemdam. Unde dico, quod propositio illa non potest probari nisi ex suppositione ejus quod per eam concluditur; et ideo patet quod non est demonstratio.

#5. Cette raison est circulaire, ce qui apparaît ainsi selon le philosophe: Par avant et après dans le mouvement, il y a un avant et un après dans le temps: c'est pourquoi quand on dit que tout "instant" est la fin d’un avant et le commencement d'un après, on suppose que tout moment du mouvement découle d'un mouvement et en précède un. C'est pourquoi je dis que cette proposition ne peut être prouvée que par l’hypothèse de ce qui est conclu, et pour elle il apparaît que ce n'est pas une démonstration.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 6; Ad sextum dicendum, quod nunc nunquam intelligitur ut stans sed semper ut fluens; non autem ut fluens a priori, nisi motus praecedat, sed in posterius; nec iterum in posterius sed a priori, nisi motus sequatur. Unde si nunquam sequeretur vel praecederet motus, nunc non esset nunc: et hoc patet in motu particulari, qui sensibiliter incipit, cujus quodlibet momentum est fluens, et tamen aliquod est primum et aliquod ultimum, secundum terminum a quo et in quem.

# 6. L’instant n'est jamais considéré comme stable mais toujours comme s’écoulant; mais non comme s’écoulant d’abord que si le mouvement précède, soit après; ni à nouveau dans l'après mais avant à moins que le mouvement n’en découle. C'est pourquoi si le mouvement jamais ne suivait ni ne précédait, l’instant ne serait pas l’instant et cela apparaît dans le mouvement particulier, qui commence sensiblement, dont un moment s'écoule, et cependant l'un est premier et l'autre le dernier, selon le terme d'où il vient et où il va.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 7. Ad septimum dicendum, quod Deus praecedit mundum non tantum natura sed etiam duratione: non tamen duratione temporis, sed aeternitatis; quia ante mundum non fuit tempus in rerum natura existens, sed imaginatione tantum: quia nunc imaginamur huic tempori finito, ex parte ante Deum potuisse multos annos addidisse quibus omnibus praesens esset aeternitas; et secundum hoc dicitur quod Deus potuit prius facere mundum quam fecerit et majorem et plures.

# 7. Dieu précède le monde non seulement en nature, mais aussi en durée; non seulement cependant en durée du temps, mais en celle de l’éternité: parce qu’avant le monde, il n'y eut pas un temps qui existe dans la nature, mais en imagination seulement; parce que nous imaginons ce temps fini, d’un côté avant que Dieu ait pu ajouter de nombreuses années à toutes lesquelles le présent serait éternité; et selon cela on dit que Dieu a pu faire le monde avant de le faire et plus grand et [même en faire] plusieurs.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 8. Ad octavum dicendum, quod novitas relationis contingit non ex mutatione moventis sed ex mutatione mobilis, ut large mutatio sumatur pro creatione quae proprie mutatio non est, ut dictum est supra. Unde motum caeli praecedit creatio ejus ad minus natura: creationem autem non praecedit aliqua mutatio, cum sit ex non ente simpliciter. Si tamen supponeretur quod etiam caelum extitisset antequam moveri coepisset, adhuc ratio non procederet: quia intelligendum est quod duplex est relatio.

# 8. La nouveauté de la relation arrive non du changement du moteur, mais de celui du mobile, comme un changement est pris au sens large pour la création, qui à proprement parler n'est pas un changement, comme on l'a dit plus haut. C'est pourquoi la création du ciel précède son mouvement au moins en nature; mais un changement ne précède pas la création, puisqu'elle vient du non être absolu. Si cependant on supposait que même le ciel ait existé avant de commencer à être en mouvement, le raisonnement ne serait pas encore valable, parce qu'il faut comprendre que la relation est double.

 

Quaedam est relatio absoluta, sicut in omnibus quae sunt ad aliquid secundum esse ut paternitas et filiatio; et talis relatio non efficitur nova nisi per acquisitionem illius in quo relatio fundatur; unde si acquiratur per motum, talis relatio sequitur motum; sicut similitudo unius ad alterum sequitur alterationem in qualitate supra quam fundatur relatio.

1. L'une est relation absolue, comme dans tout ce qui est en rapport à quelque chose, comme la paternité et la filiation; et une telle relation ne devient nouvelle que par l'acquisition de ce en quoi la relation est fondée; c'est pourquoi si elle est acquise par le mouvement, une tel relation le suit comme la ressemblance d'une chose à une autre suit l'altération dans la qualité sur laquelle est fondée la relation.

 

Si autem acquiratur per creationem, sequitur creationem, sicut similitudo creaturae ad Deum fundatur super bonitatem quae per creationem acquiritur, per quam creatura Deo assimilatur. Quaedam autem relativa sunt quae simul important relationem et fundamentum relationis. Novitas autem talium relationum exigit acquisitionem illius rei quae significatur per nomen, sicut ipsius habitus qui est scientia; et similiter est de relatione quam importat nomen motus, quae efficitur nova per acquisitionem ipsius motus a movente in mobili.

2. Mais si elle est acquise par création, elle suit la création, de même que la ressemblance de la créature à Dieu est fondée sur la bonté qu’elle acquiert par la création, par laquelle elle ressemble à Dieu. Mais certaines sont relatives qui apportent en même temps la relation et son fondement. Mais la nouveauté de telles relations exige l'acquisition de ce qui est signifié par le nom, de même que cet habitus qui est la science; et il en est de même pour la relation qu'apporte le nom du mouvement, celle-ci devient nouvelle par l'acquisition de ce mouvement du moteur dans le mobile.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 9. Ad nonum dicendum, quod hujusmodi vicissitudinis quod quandoque mundus non fuit et postmodum fuit, non est causa efficiens aliquis motus sed aliqua res semper eodem modo se habens, scilicet voluntas divina, quae ab aeterno fuit de hoc quod mundus in esse post non esse exiret. Et si diceretur, quod idem semper facit idem, dico, quod verum est, si accipiatur agens secundum propriam rationem, qua producit determinate hunc effectum.

# 9. La cause efficiente de cette alternance que quelquefois le monde n'a pas existé et ensuite a existé, n'est pas un mouvement mais quelque chose qui se comporte toujours de la même manière, à savoir la volonté divine qui a existé de toute éternité du fait que le monde est venu à l'être après le non-être. Et si on disait que le même fait toujours le même, je dis que c'est vrai, si on accepte l’agent selon sa propre nature, par laquelle il produit de façon déterminée cet effet.

 

Sicut autem agens naturale determinatur per formam propriam, ut nunquam sequatur actio nisi secundum convenientiam ad formam illam; ita agens voluntarium determinatur ad actionem per propositum voluntatis; unde si voluntas non sit impedibilis nec mobilis, non sequitur effectus nisi secundum hoc quod voluntas proposuit; et hoc est verum quod voluntas divina in hoc quod semper est eadem, semper facit illud quod ab aeterno voluit, quia nunquam causatur; non tamen facit ut sua volita semper sint; quia hoc ipse non vult; unde si hoc faceret, quia faceret illud quod ipse non vult, esset simile ac si calor faceret frigus.

Mais de même que l'agent naturel est déterminé par sa forme propre, pour que jamais l'action ne suive que selon la convenance de cette forme, de même, l'agent volontaire est déterminé à une action par le dessein de sa volonté; c'est pourquoi si la volonté ne peut pas être empêchée ni changée, l'effet ne suit que selon ce que la volonté a proposé; et c'est vrai que la volonté de Dieu, du fait qu'elle est toujours la même, fait toujours ce qu'il a voulu de toute éternité, parce que jamais elle n’a de cause; cependant elle ne fait pas que ce qu'elle veut existe toujours, parce que lui-même ne le veut pas; c'est pourquoi s’il le faisait, parce qu'il ferait ce qu’il ne veut pas, elle serait semblable à une chaleur qui produirait du froid.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 10. Ad decimum dicendum, quod prima individua generabilium et corruptibilium non prodierunt in esse per generationem, sed per creationem; et ideo non oportet quaedam praeextitisse ex quibus creata sint ut sic in infinitum abeatur.

# 10. Les premiers individus engendrables ou corruptibles ne parvinrent pas à l'être par génération mais par création; et c'est pourquoi il ne faut pas que certaines choses aient préexisté par lesquelles ils aurait été créés , pour ne pas aller ainsi à l'infini.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 11. Ad undecimum dicendum, quod est duplex agens. Quoddam per necessitatem naturae; et istud determinatur ad actionem per illud quod est in natura ejus; unde impossibile est quod incipiat agere nisi per hoc quod educitur de potentia ad actum, vel essentiali vel accidentali.

# 11. Il y a deux sortes d’agents. 1. L’un par nécessité de nature et il est limité à l'action par ce qui est dans sa nature; c'est pourquoi il est impossible qu'il commence à agir si ce n'est par le fait qu’il est amené de la puissance à l'acte, puissance essentielle ou accidentelle.

 

Aliud est agens per voluntatem, et in hoc distinguendum est: quod quoddam agit actione media quae non est essentia ipsius operantis; et in talibus non potest sequi effectus novus sine nova actione, et novitas actionis facit aliquam mutationem in agente prout est exiens de otio in actum, ut in 2 de anima dicitur. Quoddam vero sine actione media vel instrumento, et tale agens est Deus; unde suum velle est sua actio; et sicut suum velle est aeternum, ita et actio: non tamen effectus sequitur nisi secundum formam voluntatis, quae proponit sic vel sic facere; et ideo non exit de potentia in actum; sed effectus qui erat in potentia agente, efficitur actu ens.

2. L’autre est l'agent par volonté et en cela il faut distinguer: quelque chose agit par une action intermédiaire qui n'est pas l'essence de celui qui opère. Et en de telles choses l'effet nouveau ne peut suivre sans une action nouvelle, et la nouveauté de l'action produit un certain changement dans l'agent, selon qu'il sort du repos pour l'action, comme il est dit dans le De anima II. Certain sans action intermédiaire ou instrument et Dieu est un tel agent. C'est pourquoi son vouloir est son action; et comme sa volonté est éternelle, son action aussi: cependant l'effet ne suit que selon la forme de la volonté qui propose de faire ainsi ou ainsi et c'est pourquoi il ne passe pas de puissance à l'acte, mais l'effet qui était dans la puissance de l'agent est devenu étant en acte.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 12.Ad duodecimum dicendum, quod in omnibus illis quae agunt propter finem qui est extra voluntatem, voluntas regulatur secundum illum finem; unde secundum ea quae impediunt et juvant ad finem, vult quandoque agere et quandoque non agere. Sed voluntas Dei non dedit esse ipsi universo propter alium finem existentem extra voluntatem ejus, sicut nec movet propter alium finem, ut philosophi concedunt, quia nobilius non agit propter vilius se; et ideo non oportet ex hoc quod non semper agat, quod habeat aliquid inducens et retrahens, nisi determinationem voluntatis suae, quae ex sapientia sua omnem sensum excedente procedit.

# 12. Dans tout ce qui agit en vue d'une fin, qui est hors de la volonté, celle-ci est réglée selon cette fin. C'est pourquoi elle veut selon ce qui empêche et aide pour cette fin, quelquefois agir et quelquefois ne pas agir. Mais la volonté de Dieu n'a pas donné l'être à l'univers même, en vue d'une autre fin existant hors de sa volonté, de même qu'il ne meut pas en vue d'une fin comme les philosophes le concèdent, parce que le plus noble n'agit pas en vue de plus vil que lui. Et c'est pourquoi il ne faut pas du fait qu'il n'agisse pas toujours, qu'il ait quelque chose qui le pousse et le retienne, si ce n'est la détermination de sa volonté, qui procède de sa sagesse qui dépasse tout sens.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 13. Ad decimumtertium dicendum, quod intellectus divinus intelligit omnia simul; et ideo ex hoc quod intelligit praesentia hujus temporis et illius, non est aliqua mutatio in intellectu ejus, licet hoc non possit contingere in intellectu nostro; et ideo patet quod ratio sophistica est. Similiter nec ponitur aliquis motus ex parte rei imaginatae, quia Deus noluit facere universum post aliquod tempus; quia tempus ante non erat nisi imaginatum, ut prius dictum est.

# 13. L'esprit divin saisit tout en même temps, et c’est pourquoi il n’y aura aucun changement dans son esprit par le fait qu’il comprend le présent de ce temps ou cet autre, bien que [pareille chose] ne puisse arriver en notre esprit.et c’est pourquoi il est clair que cette raison est captieuse. De la même manière on ne place pas un mouvement du côté de ce qu’on imagine, parce que Dieu n’a pas voulu faire l’univers après un certain temps, parce que le temps n’existait qu’imaginé, comme on l’a dit auparavant.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad 14. Ad decimumquartum dicendum, quod voluntas divina non ab aeterno produxit universum, quia aliquid deerat ipsi volito: hoc enim quod volito potest intelligi deesse propter quod differtur, est proportio ipsius ad finem; sicut voluntas hominis differt sumere medicinam, quando medicina non est proportionata sanitati hominis; et sic dico quod ipsi universo quod fieret ab aeterno, deerat proportio ad finem, quae est voluntas divina: hoc enim voluit Deus ut haberet esse post non esse, sicut natura ita et duratione; et si ab aeterno fuisset, hoc sibi defuisset; unde non fuisset proportionatum divinae voluntati quae est finis ejus.

# 14. La volonté divine n'a pas produit l'univers de toute éternité, parce que quelque chose manquait à ce qu’il voulait; car ce qu'il peut comprendre qui manque à ce qu'il veut, parce que remis à plus tard, c'est sont rapport à sa fin. C’est pouvoir comprendre qu’il manquait à ce qu’il a voulu parce qu’il est retardé; de même que la volonté de l'homme retarde pour prendre un remède quand il n'est pas proportionné à la santé, et ainsi je dis qu’à l'univers qui aurait été fait éternellement, il manquerait un rapport à la fin, que est la volonté de Dieu; car Dieu a voulu qu'il ait l'être après le non être, comme par nature ainsi et en durée, et s'il avait été de toute éternité; cela lui aurait manqué; c'est pourquoi il n'aurait pas été proportionné à la volonté de Dieu qui est sa fin.

 

Objections en sens contraire

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 1. Et quia ad rationes in contrarium factas, quas dixi demonstrationes non esse, inveniuntur philosophorum responsiones; ideo quamvis verum concludant, ad eas etiam respondendum est, secundum quod ipsi philosophi respondent, ne alicui disputanti contra tenentes aeternitatem mundi ex improviso occurrant

Et parce que dans les objections en sens contraire, dont j'ai dit qu'elles n'étaient pas des démonstrations, on trouve les réponses des philosophes: quoiqu’elles contiennent du vrai, il faut répondre selon ce qu’eux-mêmes répondent, pour qu'elles n'arrivent pas à l'improviste à quelqu'un qui dispute contre les tenants de l'éternité du monde.

 

Ad primum ergo dicendum, quod sicut dicit Commentator in Lib. de substantia orbis, Aristoteles nunquam intendit quod Deus esset causa motus caeli tantum, sed etiam quod esset causa substantiae ejus dans sibi esse. Cum enim sit finitae virtutis, eo quod corpus est, indiget aliquo agente infinitae virtutis, a quo et perpetuitatem motus habeat, et perpetuitatem essendi, sicut motum et esse. Non tamen ex hoc sequitur quod praecedat duratione: quia non est dans esse per motum, sed per influentiam aeternam, secundum quod scientia ejus est causa rerum; et ex hoc quod scit ab aeterno et vult, sequitur res ab aeterno esse; sicut ex hoc quod sol est ab aeterno, sequitur quod radius ejus ab aeterno sit.

# 1. Comme le dit le Commentateur dans le De substantia orbis ch. 2, Aristote n’affirme jamais que Dieu est la cause du mouvement du ciel seulement, mais aussi qu'il serait la cause de sa substance, en lui donnant l'être. Car comme il est de puissance finie, puisqu'il est un corps, il a besoin d'un agent de puissance infinie, par qui il possède la perpétuité du mouvement et la perpétuité de l'être, comme mouvement et être. Cependant il n'en découle pas qu'il le précède en durée; parce qu'il ne donne pas l'être par mouvement, mais par écoulement éternel, selon que sa science est la cause des choses71; et de ce qu'il sait éternellement et veut, il en découle que les choses sont éternelles, de même que de ce que le soleil est éternellement, il découle que son rayon est éternel.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 2. Ad secundum respondet Avicenna in sua metaphysica: dicit enim omnes res a Deo creatas esse, et quod creatio est ex nihilo, vel ejus quod habet esse post nihil. Sed hoc potest intelligi dupliciter: vel quod designetur ordo durationis, et sic secundum eum falsum est; aut quod designetur ordo naturae, et sic verum est. Unicuique enim est prius secundum naturam illud quod est ei ex se, quam id quod est ei ab alio. Quaelibet autem res praeter Deum habet esse ab alio. Ergo oportet quod secundum naturam suam esset non ens, nisi a Deo esse haberet; sicut etiam dicit Gregorius quod omnia in nihilum deciderent, nisi ea manus omnipotentis contineret: et ita non esse quod ex se habet naturaliter, est prius quam esse quod ab alio habet, etsi non duratione; et per hunc modum conceduntur a philosophis res a Deo creatae et factae.

# 2. Avicenne répond, dans sa métaphysique (tract VI, ch. 1 et 2 et tract. IX, ch. 4), car il dit que toutes choses ont été créées par Dieu et que la création vient du néant, ou de ce qui a l'être après le néant. Mais cela peut être compris de deux manières: ou on désigne l'ordre de la durée, et ainsi c'est faux, ou on désigne l'ordre de la nature et c'est vrai. Car chacun possède selon la nature ce qui est à lui par soi, avant ce qui est à lui d'un autre. N'importe quoi en dehors de Dieu, tient son être d'un autre. Donc il faut qu'il soit non être en nature, à moins qu'il ne l’ait de Dieu, comme dit aussi Grégoire [le Grand] (XVI Moralia ch. 37): tout retournerait dans le néant si cette main du tout puissant ne le maintenait: et ainsi ce non-être qu'il possède de soi naturellement, existe avant l'être qu'il possède d'un autre, même si ce n'est pas dans la durée; et de cette manière les philosophes concèdent que les choses ont été créées et faites par Dieu.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 3. Ad tertium dicendum, quod infinitum actu impossibile est; sed infinitum esse per successionem, non est impossibile. Infiniti autem sic considerati quodlibet acceptum finitum est: transiens autem non potest intelligi nisi ex aliquo determinato ad aliquod determinatum: et ita quodcumque tempus determinatum accipiatur, semper ab illo tempore ad istud est finitum tempus; et ita est devenire ad praesens tempus. Vel potest dici, quod tempus praeteritum est ex parte anteriori infinitum, et ex posteriori finitum; tempus autem futurum e contrario. Unicuique autem ex parte illa qua finitum est, est ponere terminum, et principium vel finem. Unde ex hoc quod infinitum est tempus praeteritum ex parte anteriori, secundum eos sequitur quod non habeat principium, sed finem: et ideo sequitur quod si homo incipiat numerare a die isto, non poterit numerando pervenire ad primum diem; et e contrario sequitur de futuro.

# 3. L'infini en acte est impossible, mais être infini par succession n'est pas impossible. Mais n'importe quel concept de l'infini considéré ainsi est fini. la traversée (de l'infini) ne peut être comprise que d'une chose déterminée vers une autre déterminée et ainsi n'importe quel temps est conçu comme déterminé, toujours de ce temps à cet autre temps qui est fini, et ainsi on parvient au temps présent. Ou on peut dire que le passé est infini de sa partie antérieure, et fini dans sa partie postérieure; mais le temps futur est à l'inverse. A chacune de ses parties par laquelle il est fini, il faut poser un terme et un principe ou une fin. C'est pourquoi du fait que le temps passé est infini dans sa partie antérieure, selon eux il en découle qu'il n'a pas de commencement mais une fin; et c'est pourquoi il en découle que si un homme commence à compter à partir de ce jour, il ne pourra pas parvenir en comptant au premier jour; et il découle du futur, en sens contraire.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 4. Ad quartum dicendum, quod infinito non fit additio secundum suam totalem successionem, qua infinitum est in potentia tantum accipientis; sed alicui finito accepto in actu: et illo nihil prohibet aliquid esse plus vel majus. Et quod haec ratio sit sophistica patet, quia tollit etiam infinitum in additione numerorum, ut si sic dicatur: aliquae species numerorum sunt excedentes denarium, quae non excedunt centenarium: ergo plures species excedunt denarium quam centenarium: et ita cum infinitae excedant centenarium, erit aliquid majus infinito. Patet ergo quod excessus et additio et transitus non est nisi respectu alicujus in actu vel in re existentis, vel actu per intellectum vel imaginationem acceptae. Unde per has rationes sufficienter probatur quod non sit infinitum in actu; nec hoc est necessarium ad aeternitatem mundi. Et istae solutiones accipiuntur ex verbis philosophi.

# 4. On ne fait pas d'addition à l’infini en sa succession complète, par laquelle l'infini est en puissance seulement de celui qui le reçoit; mais pour une chose finie reçue en acte; à cela rien n’empêche quelque être en plus ou plus grand. Et cette raison paraît captieuse, parce qu'elle enlève aussi l'infini dans l'addition des nombres, comme si on disait: les espèces des nombres dépasse la dizaine qui n'excède pas la centaine; et ainsi plus d’espèces dépassent la dizaine que la centaine; et comme ce qui est infini dépasse la centaine, il y aura quelque chose de plus grand que l'infini. Donc il est clair que, enlever, ajouter et dépasser n'est que par rapport à ce qui est reçu en acte ou qui existe en réalité, ou reçu en acte par l'intelligence ou l'imagination. C'est pourquoi il est suffisamment prouvé par ces raison qu’il n’y a pas d’infini en acte; et cela n'est pas nécessaire pour l'éternité du monde. Et ces solutions sont tirées des paroles du philosophe (Physique III, 6, 206 a 15).

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 5. Ad quintum dicendum, quod eumdem effectum praecedere causas infinitas per se, vel essentialiter, est impossibile; sed accidentaliter est possibile; hoc est dictu, aliquem effectum de cujus ratione sit quod procedat a causis infinitis, esse impossibilem; sed causas illas quarum multiplicatio nihil interest ad effectum, accidit effectui esse infinitas. Verbi gratia, ad esse cultelli exiguntur per se aliquae causae moventes, sicut faber, et instrumentum; et haec esse infinita est impossibile, quia ex hoc sequeretur infinita esse simul actu; sed quod cultellus factus a quodam fabro sene, qui multoties instrumenta sua renovavit, sequitur multitudinem successivam instrumentorum, hoc est per accidens; et nihil prohibet esse infinita instrumenta praecedentia istum cultellum, si faber fuisset ab aeterno. Et similiter est in generatione animalis: quia semen patris est causa movens instrumentaliter respectu virtutis solis. Et quia hujusmodi instrumenta, quae sunt causae secundae, generantur et corrumpuntur, accidit quod sunt infinitae: et per istum etiam modum accidit quod dies infiniti praecesserint etiam istum diem: quia substantia solis ab aeterno est secundum eos, et circulatio ejus quaelibet finita. Et hanc rationem ponit Commentator in 8 Physic.

# 5. Il est impossible que le même effet précède des causes infinies en soi, ou essentiellement; mais c'est possible accidentellement; c’est-à-dire, il est impossible qu'un effet de quelque nature qu’il soit, procède de causes infinies; mais il arrive que ces causes dont la multiplication ne sert en rien pour l'effet sont infinies pour lui. Par exemple pour l'être du couteau sont exigées des causes qui se meuvent par soi, comme l'ouvrier et l'instrument, et il est impossible que cela soit infini parce qu’il en découlerait que l'infini est en même temps en acte; mais que du couteau fait par un vieil artisan, qui a réparé de nombreuses fois ses instruments, il découle une multitude successive d’instruments, cela est accidentel; et rien n'empêche que les instruments qui précèdent ce couteau soient infinis, si l'artisan avait été éternel. Et il en est de même dans la génération animale: parce que la semence du père est la cause qui meut de façon instrumentale en rapport au pouvoir du soleil. Et parce que des instruments de ce genre, qui sont des causes secondes, sont engendrés et corrompus, il arrive qu'ils sont infinis; et par ce moyen aussi il arrive que des jours en nombre infini ont précédé aussi ce jour; parce que la substance du soleil est selon eux éternelle, et n’importe quel circuit est fini. C’est le Commentateur qui donne cette raison (Physique VIII texte. 15 et 47).

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 6. Ad sextum dicendum, quod illa objectio inter alias fortior est; sed ad hanc respondet Algazel, in sua Metaph., ubi dividit ens per finitum et infinitum; et concedit infinitas animas esse in actu: et hoc est per accidens, quia animae rationales exutae a corporibus non habent dependentiam ad invicem. Sed Commentator respondet, quod animae non remanent plures post corpus, sed ex omnibus manet una tantum, ut infra patebit; unde nisi haec positio, quam ponit in 3 de anima, primo improbaretur, ratio contra eum non concluderet. Et hanc etiam rationem tangit Rabbi Moyses, ostendens praedictam rationem non esse demonstrationem.

# 6. Cette objection est plus forte parmi les autres; mais Algazel y répond dans sa Métaphysique, là où il divise l'étant en fini et infini; et il concède qu’il y a des âmes infinies en acte: et cela est accidentel, parce que les âmes raisonnables sorties des corps n'ont pas de dépendance entre elles. Mais le Commentateur répond que les âmes ne demeurent pas plusieurs après le corps72, mais de toutes il n'en demeure qu'une seulement comme cela paraîtra plus bas; c'est pourquoi si cette opinion qu'il livre dans le De anima III, n’était pas d'abord condamnée, la raison ne tirerait pas de conclusions contre lui. Et de cette raison Rabbi Moyses en parle (De perplexis Veteris Testamenti ch. 73), montrant que ce n'est pas une démonstration.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 7. Ad septimum dicendum, quod etiam si mundus semper fuisset, non aequaretur Deo in duratione: quia duratio divina, quae est aeternitas, est tota simul; non autem duratio mundi, quae successione temporum variatur. Et hanc ponit Boetius in 5 de consolatione.

# 7. Même si le monde avait toujours existé, il n'égalerait pas Dieu en durée, parce que la durée en Dieu, qui est l'éternité, est toute en même temps, mais non la durée du monde qui varie selon la succession des temps. Et Boèce le dit dans le De Cons. V, prose 6.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 8. Ad octavum dicendum, quod in caelo non est potentia ad esse, sed ad ubi tantum, secundum philosophum: et ideo non potest dici, quod potentia ad esse sit finita vel infinita: sed potentia ad ubi finita est. Nec tamen oportet quod motus localis, cui correspondet haec potentia, sit finitus: quia motus est infinitus duratione ab infinitate virtutis moventis, a qua fluit motus in mobile. Et haec est ratio Commentatoris, in 11 Metaph.: tamen hoc quod dicit, quod non habet potentiam ad esse, intelligendum est, ad acquirendum esse per motum; habet tamen virtutem vel potentiam ad esse, ut dicitur in 1 Cael. et Mund., et haec virtus finita est; sed acquiritur duratio infinita ab agente separato infinito, ut ipsemet dicit.

# 8. Dans le ciel il n'y a pas de puissance à être, mais puissance pour le lieu seulement selon le philosophe et c'est pourquoi on ne peut pas dire que la puissance à être serait finie ou infinie: mais la puissance en ce qui concerne le lieu est finie. Et cependant il ne faut pas que le mouvement local, à quoi correspond cette puissance soit fini, parce que le mouvement est infini en durée par l'infinité d'un pouvoir moteur, d’où le mouvement passe dans le mobile. Et cette raison est du Commentateur au livre XI de la Métaphysique, texte 41: cependant ce qu'il dit, qu’il n'a pas de puissance à être, est à comprendre pour acquérir l'être par mouvement, cependant il a le pouvoir ou la puissance à être, comme il est dit dans Le ciel et monde, 1, et ce pouvoir est fini; mais la durée infinie est acquise par l'agent séparé infini, comme lui-même le dit dans le De substantia orbis ch. 3.

 

D. 1 q. 1 a. 5 ad s. c. 9. Ad nonum dicendum, quod duratio Dei, quae aeternitas ejus est, et natura ipsius sunt una res; et tamen distinguuntur ratione, vel modo significandi: quia natura significat quamdam causalitatem, prout dicitur natura motus principium; duratio autem significat quamdam permanentiam: et ideo si accipiatur praeeminentia naturae divinae et durationis ad creaturam, ut utrumque est res quaedam, invenitur eadem praeeminentia: sicut enim natura divina praecedit creaturam dignitate et causalitate; ita et duratio divina eisdem modis creaturam praecedit. Non tamen oportet, si Deus praecedit mundum per modum naturae, ut significatur cum dicitur, naturaliter praecedit mundum, quod etiam mundum praecedat per modum durationis, ut significatur, cum dicitur, Deus duratione praecedit mundum; cum non sit idem modus significandi naturae et durationis. Et similiter solvuntur multae aliae similes objectiones, ut in 1 libro dictum est.

9. La durée de Dieu, qui est son éternité et sa nature, sont une seule chose, et cependant on les distingue en raison ou par leur manière de signifier; parce que la nature signifie une causalité dans la mesure où on dit que la nature est le principe du mouvement; mais la durée signifie une certaine permanence et ainsi si on acceptait la prééminance de la nature divine et de la durée pour la créature, comme l’une et l’autre sont une certaine réalité, on trouve la même prééminence; car de même que la nature divine précède la création en dignité et en causalité, de même la durée en Dieu précède la créature des mêmes manières. Il ne faut pas cependant que si Dieu précède le monde, comme on le signifie quand on dit que Dieu précède par nature le monde en durée, comme on le signifie on dit que Dieu précède le monde en durée; puisque ce n’est pas la même manière de signifier la nature et la durée. En de la même manière sont résolues beaucoup d’autres objections semblables comme on l’a dit dans le livre I.

 

Article 6: Est-il correct de dire Dieu créa le ciel et la terre 'dans le principe'73, c'est-à-dire "dans le Fils ?"

Objections

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 1. Ad sextum sic proceditur. Videtur quod inconvenienter exponatur: in principio creavit Deus caelum et terram, idest in filio. Pater enim est principium totius divinitatis, ut Augustinus dicit. Ergo per principium appropriate debet intelligi pater.

1. Il semble que "Le Père a créé le ciel et la terre dans le principe" n’est pas exposé convenablement. Car le Père est le principe74, de toute la divinité, comme Augustin le dit (Trin. IV, 30-2975). Donc par principe on doit comprendre par appropriation que c'est le Père.

 

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 2. Praeterea, ut in 1 libro dictum est, ex ipso dicitur propter patrem, in ipso propter spiritum sanctum. Ergo per hoc quod dicitur, in principio, intelligitur spiritus sanctus, et non filius.

2. Comme on l’a dit au livre I: "De lui", est pour le Père, "en lui" pour l'Esprit saint. Donc par le fait qu'on dit "dans le principe on comprend l'Esprit et non le Fils.

 

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 3. Item, videtur quod inconvenienter dicatur, in principio temporis. Quia tempus adjacet motui firmamenti. Sed firmamentum factum est secunda die. Ergo principium temporis fuit post creationem caeli et terrae; et ita non in principio temporis creata sunt.

3. Il semble qu'il y a un inconvénient à dire: "Au principe [commencement] du temps". Parce que le temps est soumis au mouvement du firmament. Mais celui-ci a été fait le second jour. Donc le "commencement" du temps eut lieu après la création du ciel et de la terre et ainsi ils n'ont pas été créés dans le principe du temps.

 

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 4. Praeterea, tempus est unum de quatuor primo creatis. Sed tempus non est creatum in principio temporis, quia tempus sic esset in indivisibili, quod est impossibile. Ergo nec caelum nec terra.

4. Le temps est l'une des quatre choses créées en premier. Mais le temps n'a pas été créé au commencement du temps, parce que le temps serait ainsi dans l’indivisible ce qui est impossible. Donc le ciel et la terre non plus.

 

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 5. Item, videtur quod inconvenienter dicatur: in principio, idest ante omnia. Quia sicut dicitur in libro de causis, prima rerum creatarum est esse, et non est ante ipsum creatum aliud. Sed caelum et terra non sunt suum esse. Ergo ante caelum et terram aliquid creatum est.

5. Il semble qu'il n'est pas convenable de dire: "au commencement" c'est-à-dire "avant tout". Parce que, comme on le dit dans le livre des Causes, proposition 4, la première des choses créées est l'être et avant lui il n'y a rien d'autre de créé. Mais le ciel et la terre ne sont pas leur l'être. Donc quelque chose a été créé avant le ciel let la terre.

 

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 6. Praeterea, Eccli. 18, 1, dicitur: qui vivit in aeternum creavit omnia simul. Ergo caelum et terra non sunt ante omnia creata.

6. On dit en Eccl. 18, 1: « Celui qui vit éternellement a créé tout en même temps ». Donc le ciel et la terre n'ont pas été créés avant tout.

 

D. 1 q. 1 a. 6 arg. 7. Praeterea, caelum et Angelus sunt simul facta, ut infra dicetur. Ergo non ante omnia caelum et terra facta sunt.

7. Le ciel et l'ange ont été créés en même temps, comme on le dira plus bas. Donc le ciel et la terre n’ont pas été faits avant tout.

 

Réponse

D. 1 q. 1 a. 6 co.. Respondeo dicendum, quod triplex expositio posita conveniens est secundum sanctos, per quam multiplex error excluditur.

Les trois expositions choisies conviennent selon les saints, pour exclure beaucoup d’erreurs.

 

Per primam excluditur error Manichaei ponentis plura principia: quia in principio uno effectivo, et non in pluribus, res factae dicuntur.

1. Car la première exclut l'erreur des Manichéens qui pensent qu'il y a plusieurs principes, parce qu'on dit que les choses ont été faites dans un principe unique effectif et non dans plusieurs76.

 

Per secundam excluditur error aeternitatis mundi, in hoc quod mundus principium durationis habere ponitur.

2. Par la seconde, on exclut l'erreur de l'éternité du monde, du fait qu’on pense que le monde a un principe de durée77.

 

Per tertiam excluditur error ponentium visibilia a Deo creata mediante spirituali creatura, in hoc quod ponitur caelum et terra esse primo creata.

3. Par la troisième on exclut l'erreur de ceux qui pensent que ce qui est visible a été créé par l'intermédiaire de la créature spirituelle; par le fait qu’on établit que le ciel et la terre ont été créés en premier78.

 

Solutions

D. 1 q. 1 a. 6 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod ratio principii effectivi appropriatur patri, sed ratio principii exemplaris per modum artis appropriatur filio, qui est sapientia et ars patris.

# 1. La nature du principe effectif est appropriée au Père, mais celle du principe exemplaire par mode d’art est approprié au Fils qui est la sagesse et l'art du Père.

 

D. 1 q. 1 a. 6 ad 2. Ad secundum dicendum, quod esse in, sicut in continente et salvante, appropriatur spiritui sancto propter appropriatum bonitatis; sed esse in per modum quo artificiatum est in arte, et res in sua similitudine, appropriatur filio.

# 2. Être "dans" comme dans un contenant qui opère le salut est approprié à l'Esprit saint à cause de l'appropriation de la bonté; mais être "dans" par la manière où ce qui est fabriqué est dans l'art, et la chose dans la ressemblance est appropriée au Fils.

 

D. 1 q. 1 a. 6 ad 3. Ad tertium dicendum, quod secundum illam opinionem quae ponit omnia simul creata in materia informi, dicuntur res creatae in principio temporis, quod mensurat motum primi mobilis, non sicut in mensurante creationem, sed sicut in adjacente creationi: quia simul fuerunt rerum creatio et temporis principium. Sed secundum aliam opinionem, quae ponit res formatas per temporum successionem, non intelligitur de tempore quod est mensura illius motus, sed de tempore quod est numerus illius vicissitudinis, qua esse mundi succedit ad non esse ejusdem. Vel secundum alios sumitur tempus pro aevo, quod simul cum caelo et terra creatum est.

# 3. Selon cette opinion qui établit que tout a été créé en même temps dans une matière sans forme, on dit que les créatures sont au commencement du temps qui mesure le mouvement du premier mobile, non comme dans ce qui mesure la création, mais comme dans une création adjointe, parce que la création des êtres et le commencement du temps ont eu lieu en même temps. Mais selon une autre opinion qui établit que les choses ont été mises en forme par la succession des temps, on ne les comprend pas du temps qui est la mesure de ce mouvement, ni du temps qui est nombre de ce mouvement, mais du temps qui est le nombre de cette alternative par laquelle l'être du monde succède au non-être. Ou selon d'autres le temps est pris pour l'éviternité qui a été créée en même temps que le ciel et la terre.

 

D. 1 q. 1 a. 6 ad 4. Ad quartum dicendum, quod sicut numerus non numeratur alio numero, ita nec tempus alio tempore mensuratur, nec fieri ejus, cum suum esse totum sit in fieri: unde incipit in principio temporis non sicut in mensurante esse ejus, sed sicut in eo a quo incipit ejus productio, ut animalis a corde, et domus a fundamento, et linea a puncto.

# 4. De même que le nombre n'est pas mesuré par un autre nombre, de même le temps n'est pas mesuré par un autre temps, son devenir non plus, puisque son être est tout entier dans le devenir: c'est pourquoi il commence au "principe" du temps, non comme dans ce qui mesure son être, mais comme en ce par quoi commence sa production; comme l'animal par le cœur, la maison par la fondation et la ligne par le point.

 

D. 1 q. 1 a. 6 ad 5. Ad quintum dicendum, quod loquitur philosophus de ordine naturae prout animal prius homine dicitur, et non de ordine durationis; non enim fuit esse caeli et terrae ante ipsa tempora.

# 5. le philosophe parle de l'ordre de la nature selon qu’on dit que l'animal est avant l'homme et non de l'ordre de la durée; car il n'y a pas eu d'être du ciel et de la terre avant le temps lui-même.

 

D. 1 q. 1 a. 6 ad 6. Ad sextum dicitur, quod intelliguntur secundum unam opinionem omnia simul creata non in speciebus suis, sed in materia informi; sed secundum alios dicuntur omnia creata simul etiam in formis propriis; sed tunc haec ante alia creata dicuntur, non duratione, sed naturae ordine, secundum quod in via generationis est incompletum ante completum. Haec tamen infra magis inquirentur.

# 6. On comprend selon une seule opinion que tout a été créé en même temps non dans les espèces mais dans une matière sans forme; mais selon d'autres, on dit tout a été créé en même temps dans ses formes propres; mais alors on dit que certaines choses sont créées avant les autres, non dans la durée mais dans l'ordre de la nature, selon que dans la voie de la génération, l'incomplet est avant le complet. Cependant on cherchera cela davantage plus loin.

 

D. 1 q. 1 a. 6 ad 7. Ad septimum dicendum, quod per caelum etiam intelligitur angelica natura, quae in caelis habitare dicitur; et per terram intelligitur tota natura generabilium et corruptibilium.

# 7. Par le ciel on comprend la nature angélique qu'on dit habiter dans les cieux et on comprend par la terre toute la nature de ce qui peut être engendré ou corrompu.

 

[1] Ou comment Thomas voit le plan du texte de Pierre Lombard et les conséquences qu’il en tire pour son commentaire.

 

[2] On retrouve ici le thème du théologien.

 

[3] Ces n° entre crochets renvoient au texte de Pierre Lombard. Celui-ci , le seul, renvoie à D. 2.

 

[4] Initium est employé avec les deux sens de principium. Cf. le texte de P. Lombard.

 

[5] Les trois principes cités plus haut.

 

[6] Entraîné par le texte des Sentences, Thomas examine en premier la question des premiers principes. P. Lombard en effet, dès l’abord, parle des deux ou trois principes retenus par Platon et Aristote. Thomas traite donc ce sujet en premier (alors que Bonaventure le traitera dans la seconde partieII Sent. d1a2q1). Mais pour Thomas, (comme pour Bonaventure) Platon et Aristote passent au second plan. Il faut réfuter le manichéisme. Aristote surtout va servir sa démonstration. Et on peut comprendre sa position, d’autant qu’il reconnaîtra en en faisant grief à P. Lombard, que le philosophe n’avait pensé qu’à un seul principe. Aussi lui serait-il difficile de l’attaquer de front. D’autre part le problème est théologique et non philosophique, même si la logique et l’autorité d’Aristote fournissent les arguments nécessaires à la démonstration.

 

[7] Parall.: Ia, qu. 44, a. 2 – CG. III, 15 - Pot. qu. 3, a. 6. Il s'agit du premier principe de création dans l’absolu, parce que, dans un genre ou un ordre, il y en a plusieurs. Voir la réponse de ce premier article.

 

[8] Pour Thomas et ses contemporains, par antonomase, le philosophe (par excellence) c'est Aristote.

 

[9] Le ciel et le monde « Car si l’un des contraires existe par nature, l’autre doit aussi exister par nature, du moins, s’il est vraiment le contraire. » (Trad. Paul Moraux).

 

[10] Texte identique.

 

[11] « …il est évident qu’il y a un premier principe, et que les causes des êtres ne sont pas en nombre infini, d’une part, elles ne forment pas une série verticale infinie et, d’autre part, elles ne se présentent pas en un nombre infini d’espèces. » Le principe, on le sait, est ce à partir de quoi une chose est produite. Principe est un terme plus général que cause. Le rapport des deux mots a causé quelques querelles au XIIIe. Cf. Ia, qu. 33, a. 1, ad 1 - Pot. qu. 10, a.1, ad 8 et 9 – Contra errores graecorum, ch. 1. (à propos des rapports Père – Fils).

 

[12] Éd. Parme casuale.

 

[13] « Si on dit que le contraire de ce qui est constant est nécessaire, car le contraire d’un attribut constant est toujours un attribut moins fréquent que lui: si, par exemple, les hommes sont la plupart du temps méchants, c’est qu’ils sont moins fréquemment bons ». (Trad. J. Tricot).

 

[14] En Pot.,qu. 3, a. 6, l’objecteur précise: « Donc le mal ne vient pas d’une cause par accident. »

 

[15] Éd. Parme: multa.

 

[16] « Puis donc qu’il y a quatre causes, il appartient au physicien de les connaître toutes…il les raménera à elles toutes: la matière, la forme, le moteur, la cause finale. Il est vrai que trois d’entre elles se réduisent à une en beaucoup de cas; car l’essence et la cause finale ne font qu’un… » (Trad. H. Carteron).

 

[17] Impossibilité d’une série de causes infinie.

 

[18] Cette démonstration est reprise en Pot. qu. 3, a. 6, où elle est considérée comme une troisième erreur, attribuée à Pythagore: l’imparfait ou le nocif sont considérés comme absolument mauvais et ne tirent pas leur origine de la cause du bien.

 

[19] « Que selon la notion, l’acte soit antérieur, cela est évident; c’est parce qu’il peut s’actualiser que ce qui est puissant, au sens premier, est puissant ». Il s’agit de la participation.

 

[20] « Le mouvement et le repos se réalisent alternativement; le mouvement quand l’Amitié fait l’un à partir du multiple, ou la Haine, le multiple à partir de l’un et le repos dans les temps intermédiaire. » (Trad. H. Carteron).

 

[21] « Il dit en effet que la plupart des choses humaines vont deux par deux. » (Trad. J. Tricot).

 

[22] Anaxagore « qui prétend en effet que toutes choses étaient ensemble et un repos en un temps infini et que c’est l’Intelligence qui a imprimé le mouvement et opéré le discernement. » (Phys. VIII, 1, 250 b 23) (Trad. H. Carteron).

 

[23] Dans le Phédon, le Timée et — Parménide.

 

[24] Les idées éternelles. Cf. P. Lombard . Trois principes chez Platon.

 

[25] «Car le mal va jusqu’à se détruire lui-même, et quand il est complet, il devient intolérable. » Cf. Thomas n° 808.

 

[26] La première personne se trouve employée plusieurs fois ici, mais ensuite dans les autres œuvres, elle devient rare ou même elle disparaît.

 

[27] Corps qui résulte de la combinaison de plusieurs substances distinctes, (Léo Elders, La philosophie de la nature de st Thomas, p. 188). Cf. De Gen et Corrupt. I, 10, 327 a 30.

 

[28] Qu. 1, a. 2 Ce qu’on constate ici c’est que Thomas mêle plusieurs sujets qui seront soigneusement distinguées dans le de Potentia,et par conséquent approfondis.:. Le possible et le changement (obj. sol. 1-2) (Pot. Qu. 3, a. 2), la nature de la création et la relation Dieu creatures (obj./sol.4,5,6) (Pot., qu. 3, a. 4 et qu. 7 et 8), le problème du temps. La démonstration se fait principalement ici par la participation (Pot. qu. 3, a. 6) alors que cette démonstration se fera par l’acte pur (Pot. Qu. 3, a. 1).

 

[29] Parall.: Ia, qu. 45, a. 2 – CG. II, 16 - Pot. qu. 3, a. 1 – Compendium n° 69 – Opus XXXVII, de quatuor oppositis,c. 4 – Phys. VIII, lectio 2.

 

[30] Le texte de P. Lombard. En Pot. Thomas donne comme référence une glose de Bède; en Ia,qu. 45, a. 1, il parle tout simplement de glose, attribuée par le traducteur (Éd. du Cerf) à P. Lombard. L’autorité scripturaire de Macc. 7, 28, n’est pas évoquée.

 

[31] « …il n’y a ni mouvement de mouvement, ni génération de génération, ni en général changement de changement. »

 

[32] Les agents naturels sont composés de matière et de forme et seule la forme est en acte. Donc l’agent créé n’est pas tout entier en acte. Seul Dieu l’est, en tant qu’acte pur. D’autre part, l’acte de l’agent naturel est limité à un genre ou à une espèce. Donc il ne produit pas l’être, mais il agit sur un substrat par changement ou mouvement. Cette démontsration est celle qui prime en Pot. qu. 3, a. 1, où elle est développée. Elle est l’essentiel de sa réponse. Ici, elle est ramenée à un sed contra. Cette démonstration convient beaucoup plus pour la possibilité de la création ex nihilo.

 

[33] Thomas ne reprendra cette assertion qu'en Pot. qu. 3, a. 5, c in fine.

 

[34] Thomas montre la création par la participation de ce qui est imparfait à ce qui est parfait. Suivant Aristote: « …la chose qui parmi les autres, possède éminemment une nature est toujours celle dont les autres tiennent en commun cette nature. ». (Métaphysique, II, 993 b 24-26). Thomas sait que raisonnement est lié à Platon. (v. g. Super Ioan. Lectura n°5 Marietti), qui dit qu’il est nécessaire de placer l’unité avant la multitude. Pour lui les êtres sont participation aux idées. C’est le raisonnement qu’on trouve en Pot. 3, 5 c. contre Avicenne. Elle permet à Thomas de démontrer la création, mais aussi que tout est créé par Dieu et tout entier. En Ia, qu. 44, a. 1 c., il présente deux arguments inverses: Si on trouve quelque chose par participation en quelque chose, il faut que ce soit causé par celui à qui cela convient selon l’essence. Ou encore: tout ce qui n’est pas Dieu, n’est pas son être mais participe de l’être. Donc tout est créé. Ici il s'agit du rapport impefection – perfection.

 

[35] La différence ici porte sur le temps. Le néant est avant la créature dans l’ordre du temps. On en arrive alors à concevoir la création comme un changement et en tant que telle, elle n’est plus création, donc indémontrable.

 

[36] Il faut entendre ce qui est fait (ou créé), c'est-à-dire le résultat de l’action de l’agent.

 

[37] Averroès.

 

[38] Qui subit.

 

[39] PARALL: Ia, q. 45, a. 5 — q. 65, a. 3 — q. 90, a. 3 — C. Gent., Il, 20, 21 — IV Sent. d5q1a3, ad 3 — De Verit., q. 5, a. 9 — Qdl., III, qu. 3, a.1 — Compend. Theol., c. 70 — Opusc. XV, De Angeli, c, 10 — Opusc. XXXVII, De quatuor opposit, c. 4.

 

[40] Éd. Parme: fit.

 

[41] Éd. Parme: credidistis.

 

[42] « …la cause première a créé l’être de l’âme par l’intermédiaire de l’Intelligence. »

 

[43] IV Sent. d5q3 : « Dieu peut aussi créer quelque chose par quelqu’un, non par lui en tant qu’auteur, mais en tant que ministre, avec lequel et en qui il opère, de même qu’il opère en nous dans nos bonnes oeuvres, et nous et pas lui seulement, pas nous seulement mais lui avec nous et en nous ». Thomas l’admet du bout des lèvres. « Opinions vraies à un certain point de vue » Ce qui ne l’empêche pas démontrer que ce n’est pas possible. Conclusion de Thomas en Pot. qu. 3, a. 4: « Il est clair que la création ne peut convenir qu’au premier agent, car la cause seconde n’agit que sous l’influence de la cause première et ainsi toute action de la cause seconde présuppose une cause efficiente. » Le refus est net, mais l’argumentation faible. Elle ne va pas au-delà de ce que disait P. Lombard. En Ia,qu. 45, a. 5, c., l’argumentation est plus ferme. « La cause seconde instrumentable ne participe à l’action de la cause supérieure, que dans la mesure où, par un effet qui lui est propre, elle agit par manière de disposition pour produire l’effet de l’agent principal. » Et il avait donné au préalable un argument fort: « Il faut ramener les effets universel à des causes tout à fait universelles et premières. »

 

[44] La hiérarchie céleste, IV, 4, col. 182.

 

[45] Platon, Le Timée, Avicenne, Métaphysique, IX, 4, le Livre des Causes, prop. 3, 9 et 16.

 

[46] Voir note ci-dessus.

 

[47] De causis, proposition 4 texte n°37: « La première des créatures c'est l'être et avant lui, il n'y a rien de créé. »

 

[48] Thomas distingue deux sortes de perfections naturelles: les premières sont obligatoires (elles appartiennent à la nature). Les perfections secondes ne le sont pas. Elles n’appartiennent qu’à certains. Soit la nature et les dons. Cette réponse semble ambiguë.

 

[49] Parall.: Ia, qu. 105, a. 5 — CG. III, 67 — Pot. 3, 7— Compendium c. 135.

 

Le sujet sera repris en Pot. qu. 3, a. 7 sous le titre plus explicite: « Dieu opère-t-il dans toute opération de nature ? » et en Ia, qu. 104, a. 5: « Dieu opère-t-il dans tout ce qui opère ? » Il s’agit du concours divin.

 

[50] Il s’agirait des Musulmans, « comme Maïmonide le raconte » Pot.qu. 3, a. 7. Cf. Averroès, Métaphysique IX, comment. 7, XII, comment 18.

 

[51] C’est l’opinion du De causis et d’Avicenne, qui pour soutenir les opérations des choses nient que Dieu crée tout sans intermédiaire; mais ils disent qu’il est la cause en première création, sans intermédiaire, de l’lntelligence première. (Cf. Ia, qu. 1, a. 3, c).

 

[52] n° 2: « Lorsque la cause universelle seconde ôte sa puissance à une chose, la cause première universelle ne la lui retire pas. ».

 

[53] Col. 163.

 

[54] « Principe d’Anaxagore:…ils (les contraires) préexistaient les uns dans les autres » (Physique, I, 4, 187 a 32). Ils y étaient à l’état latent.

 

[55] parall.: Ia, qu. 46, a.1 et a. 2 — CG II, 31 sq. — Pot. qu. 3, a. 17 - Quodl III, 14, 2 — Compendium. 98 — Phys. VIII 1, 2 — I De cælo et mundo, I, l. 6, 29 —Métaphysique XII, lect. 5..

 

[56] Substance du ciel obj. 1 à 4 – temps, obj. 5à 7 – mouvement obj. 8-9 –agent ou moteur obj. 11 à 14. C’est un des rares cas où Thomas annonce le plan dans les objections.

 

[57] Les chiffres entre crochets indique les propositions du syllogisme.

 

[58] Averroès.

 

[59] Pot. qu. 3, a. 17, obj. 19.

 

[60] Thomas, lectio 2, n° 978.

 

[61] Thomas, lectio 7, n° 57.

 

[62] Du syllogisme.

 

[63] « Si donc tout mû est nécessairement mû par quelque chose, ou bien mû par autre chose ou bien non et si ce n'est pas une chose mue, il faut qu’il y ait une premier mobile qui ne soit pas mû par autre chose. »

 

[64] Thomas, lectio 17, n° 580.

 

[65] Art. 1.

 

[66] C'est-à-dire vient après lui.

 

[67] Thomas n° 299.

 

[68] Empédocle a pensé que les premiers contraires étaient aussi les premières causes efficientes (agentes) à savoir l’amitié et le litige (Cf. Métaphysique (I, 4, 985 ), il y établit d'abord le bien et le mal comme principes. Pot. 3, 6, c..

 

[69] La forme qui est le terme de la génération n’apparaissait pas avant la génération complète. Donc si elle y était, elle était cachée, et il s’ensuivrait ainsi un état latent d'une chose dans une autre, ce que professait Anaxagore et que rejette Aristote (Physique. I, 4, 186 b 22 - 187 a 32) (Pot. qu. 3, a. 8, obj. 9.

 

[70] Quand il reprend le problème dans le Somme théologique, Thomas consacre un article à démontrer que le commencement du monde est un article de foi. Ia, qu. 46, a. 2.

 

[71] Cf. Ia, qu. 14, a. 8 — I Sent. d3a1 – Verit.qu. 2, a. 14.

 

[72] Le problème de l’unité de l’intellect qui a fait couler beaucoup d’encre. Cf. L’unité de l’intellect contre les Averroïstes.

 

[73] In principio: 1. dans le Fils (obj. 1-2); 2. au commencement du temps (principium temporis): (obj. 3-4), 3. Avant toute chose (ante omnia), ( obj. 5-6) (Cf. G. Émery p. 491). Bonaventure traite le problème à l'inverse les sens: 1.avant tout, 2. le temps, 3. dans le Fils.

 

[74] Il faut toujours de souvenir dans cet article que principium signifie principe et commencement. Aucun mot français apparemment ne permet de jongler clairement sur ces deux sens.

 

[75] « Sous le nom de principe est désigné le Fils qui est principe, non pas du Père, mais d’abord et surtout de la créature spirituelle créée par lui… » La Genèse au sens littéral, I, VI, 12 (BA p. 99)

 

[76] Cf. a. 1, ci-dessus.

 

[77] Cf. a. 5.

 

[78] Cf. a. 3 et 4.

 

 

Question 2: La fin de la création

a. 1 Convient-il à Dieu d’agir en vue d’une fin ?
a. 2 Les créatures sont-elles pour la bonté de Dieu ?
a. 3 Tout a-t-il été fait pour l’homme ?
a. 4 L’âme raisonnable doit-elle être unie à un corps ?
a. 5 L’âme humaine aurait-elle dû être unie à un tel corps ?

Prologue

Division de la seconde partie du texte

Determinato [Dicto, éd. Parme] exitu rerum a primo principio, hic prosequitur ordinem earum in ultimum finem; et dividitur in partes tres: in prima ostendit finem ultimum creaturarum: in secunda ex fine ostendit creaturarum diversitatem, ibi: et quia non valet ejus beatitudinis particeps existere aliquis nisi per intelligentiam (...) fecit Deus rationalem creaturam: in tertia, ex distinctione concludit tractandi ordinem, ibi: ex praemissis apparet, rationalem creaturam in angelicam et humanam fuisse distinctam

Ayant défini la sortie des choses à partir du premier principe, on traite de leur rapport à la fin ultime et cela est divisé en trois parties. 1. Dans la première, il montre la fin ultime des créatures1. 2. Dans la seconde, à partir de la fin, il montre la diversité des créatures, « Et parce que personne ne peut participer à sa béatitude, sinon par l’intelligence.… Dieu a fait la créature rationnelle. » [5]. Dans la troisième, il conclut l'ordre de traiter par une distinction:« De ce qui a été dit, il apparaît que la créature rationnelle a été distinguée en créature angélique et humaine » [11].

Secunda dividitur in tres: in prima ostendit ordinem spiritualis naturae in finem; in secunda ordinem corporalis, ibi: et sicut factus est homo propter Deum (...) ita mundus factus est propter hominem; in tertia ordinem conjuncti ex utroque, ibi: solet etiam quaeri, cum majoris dignitatis esse videretur anima si absque corpore permansisset, cur unita sit corpori.

La seconde est divisée en trois: Dans la première il montre l’ordination de la nature spirituelle à sa fin. Dans la seconde l’ordination de la nature corporelle: « De même que l’homme a été fait pour Dieu, de même le monde a été fait pour l’homme ».[9] Dans la troisième [il cherche] l’ordre de la conjonction des deux: « On a coutume de chercher, puisque l’âme semble être d’une plus grande dignité si elle demeurait sans corps, pourquoi elle serait unie à un corps.[12] »

Circa primum duo facit: primo ex fine concludit spiritualis naturae institutionem; secundo concludit ordinem ipsius in finem, ibi: ideoque si quaeratur, quare creatus sit homo vel Angelus, brevi sermone responderi potest: propter bonitatem ejus.

Pour la première partie, il traite deux sujets: 1. De sa fin il conclut à l'institution de la nature spirituelle, 2. Il conclut à la relation de lui-même à sa fin: « Si on cherche pourquoi l'homme ou l'ange ont été créés, on peut répondre brièvement: à cause de sa bonté. » [6]

Et circa hoc tria facit: primo assignat finem ex parte agentis; secundo ex parte operis, ibi: et si quaeratur, ad quid creata sit rationalis creatura, respondetur, ad laudandum Deum; tertio conjungit utrumque, ibi: cum ergo quaeritur quare vel ad quid facta sit rationalis creatura, brevissime responderi potest: propter Dei bonitatem et suam utilitatem. Circa hoc duo facit: primo ostendit finem corporalis creaturae; secundo excludit quamdam dubitationem, ibi: de homine quoque in Scriptura interdum reperitur quod factus sit propter reparationem angelicae ruinae.

Et à ce sujet il traite trois questions: 1. D'abord il assigne un fin du côté de l'agent. 2. Du côté de l'œuvre: « Et si on cherche pourquoi la créature raisonnable a été créée, on répondra très brièvement: Pour louer Dieu. » [9] 3. Il joint l’une et l’autre: « Donc, comme on cherche pourquoi ou en vue de quoi la créature raisonnable a été faite, on peut répondre très brièvement: à cause de sa bonté et de son utilité » [8]. A ce propos il traite deux questions:1) Il montre la fin de la créature corporelle. 2) Il exclut un doute: « Au sujet de l'homme, on trouve parfois dans l'Écriture qu'il a été fait pour réparer la ruine des anges. » [10].

Hic quinque quaeruntur: 1 utrum Deo conveniat agere propter finem; 2 utrum finis omnium sit Dei bonitas; 3 utrum omnia sint propter hominem facta; 4 propter quid homo ex anima et corpore constitutus sit; 5 utrum tali corpori anima ejus uniri debuerit.

Il y a cinq recherches: 1. Convient-il à Dieu d’agir en vue d’une fin ? 2. La bonté de Dieu est-elle la fin de tout ? 3. Tout a-t-il été fait pour l’homme ? 4. Pourquoi l’homme est-il constitué d’une âme et d’un corps ? 5. Son âme devait-elle être unie à un tel corps ?

 

 

Article 1: Convient-il à Dieu d'agir en vue d'une fin ?

Objections2

D. 1 q. 2 a. 1 arg. 1 Ad primum sic proceditur. Videtur quod Deo non competit agere propter finem. Finis enim est terminus motus: unde in his quae carent motu, sicut in mathematicis, non est finis neque bonum, ut in 3 Metaph. dicitur. Sed Deus non producit res per motum, ut prius dictum est. Ergo sibi non competit propter finem agere.

1. Il semble qu'il ne convient pas à Dieu d'agir en vue d'une fin, car celle-ci est le terme du mouvement; c'est pourquoi pour ce qui est dépourvu de mouvement, comme dans les mathématiques, il n'y a pas de fin, ni de bien, comme il est dit en Métaphysique. (III, 4, 996 a 29). Mais Dieu ne produit rien par mouvement, comme on l'a dit plus haut. Donc il ne lui convient pas d'agir en vue d'une fin.

D. 1 q. 2 a. 1 arg. 2. Praeterea, finis est perfectio agentis: unde sicut materia appetit formam, ita agens finem. Sed Deo non competit ab aliquo perfici, cum sit primum movens, et perfectio summa. Ergo non agit propter finem.

2. La fin est la perfection de l'agent; c'est pourquoi comme la matière désire la forme, l'agent désire sa fin. Mais il ne convient pas à Dieu d'être achevé par quelque chose puisqu'il est le premier moteur, et la perfection suprême. Donc il n'agit pas en vue d'une fin.

D. 1 q. 2 a. 1 arg. 3. Praeterea, unicuique agenti propter finem, melius est suum opus esse quam non esse: quia per illud finem consequitur, ut patet inducendo in singulis. Sed non melius, immo indifferens est Deo utrum creaturae sint vel non sint; quia bonorum nostrorum non eget. Ergo non agit propter finem.

3. Pour tout agent qui agit en vue d'une fin, il est meilleur que son œuvre existe plutôt que de ne pas exister, parce que, par elle, il parvient à sa fin, comme c'est clair en l’induisant dans les choses particulières. Mais ce n'est pas meilleur, mais indifférent pour Dieu si les créatures existent ou n'existent pas, parce qu'il n'a pas besoin de nos biens. Donc il n'agit pas en vue d'une fin.

D. 1 q. 2 a. 1 arg. 4. Praeterea, actio ejus est ultimus finis rerum, quia est sua substantia. Sed finis ultimi non est aliquis alius finis. Ergo videtur quod actio ejus non sit propter finem.

4. Son action est l'utime fin des choses, parce qu'elle est sa substance. Mais de fin ultime il n'y en a pas d'autre. Donc il semble que son action n'est pas en vue de la fin.

En sens contraire

D. 1 q. 2 a. 1 s. c. 1. Sed contra, omne agens quod non agit propter finem aliquem, opus ejus est vanum. Sed Dei opera non sunt hujusmodi: unde in Psalm. 88, 48, dicitur: numquid enim vane constituisti omnes filios hominum? Ergo agit propter finem.

1. De tout agent qui n'agit pas en vue d'une fin, l’œuvre est vaine3. Mais les œuvres de Dieu ne sont pas de ce genre. C'est pourquoi dans le Psaume 88, 48; il est dit: « Car est-ce en vain que tu as établi tous les fils des hommes? » Donc il agit en vue d'une fin.

D. 1 q. 2 a. 1 s. c. 2. Praeterea, secundum philosophum, omne agens per intellectum, agit propter finem. Sed Deus est hujusmodi, cum sua scientia sit causa rerum. Ergo et cetera.

2. Selon le philosophe (Métaphysique II, 2, 994 b 14), tout agent qui agit par l'esprit agit en vue d'une fin. Mais Dieu est tel, puisque sa science est la cause des choses. Donc, etc..

Réponse

D. 1 q. 2 a. 1 co. Respondeo dicendum, quod agere aliquid propter finem est dupliciter: vel propter finem operis, vel propter finem operantis. Finis operis est hoc ad quod opus ordinatum est ab agente, et hoc dicitur ratio operis; finis autem operantis est quem principaliter operans intendit: unde finis operis potest esse in alio; sed finis operantis semper est in ipso; sicut patet in aedificatore, qui lapides congregat ad componendum eos, quod ista compositio, in qua consistit forma domus, est finis operis; sed utilitas quae provenit ex hoc operanti, est finis ex parte agentis.

L’action en vue d'une fin est double. Ou en vue de la fin de l'œuvre, ou de celui qui opère. La fin de l'œuvre est ce à quoi l'œuvre est ordonnée par l'agent. Et on l'appelle la raison de l'œuvre; mais la fin de l'opérateur est ce que l'opérateur atteint principalement: c'est pourquoi la fin de l'œuvre peut être dans un autre, mais la fin de l’opèrateur est toujours en lui4, comme on le voit dans celui qui construit la maison qui accumule des pierres pour les assembler, parce que cette disposition en quoi consiste la forme de la maison est la fin de l'œuvre; mais l'utilité qu'en tire cet opérateur est la fin du côté de l'agent.

Cum autem omne opus divinum in finem quemdam ordinatum sit, constat quod ex parte operis Deus propter finem agit. Sed quia finis operis semper reducitur in finem operantis, ideo oportet quod etiam ex parte operantis, finis actionis ejus consideretur, qui est bonum ipsius in ipso. Sciendum est ergo, quod agere hoc modo, est dupliciter: vel propter desiderium finis; vel propter amorem finis: desiderium enim est rei non habitae; sed amor est rei quae habetur, ut Augustinus dicit; et ideo omni creaturae convenit agere propter desiderium finis, quia unicuique creaturae acquiritur bonum ab alio quod ex se non habet; sed Deo competit agere propter amorem finis, cujus bonitati nihil addi potest. No §

Mais comme toute œuvre divine est ordonnée à une fin, il est clair que du côté de l'œuvre, Dieu agit pour une fin. Mais parce que la fin de l'œuvre est toujours ramenée à la fin de l'opérateur, il faut aussi du côté de l'opérateur, considérer la fin de son action, qui est son bien en lui-même. Donc il faut savoir qu'agir de cette manière est double: ou à cause du désir de la fin, ou de l'amour de la fin; car le désir est pour ce qu'on n'a pas, mais l'amour est de ce qu'on a, comme Augustin le dit, et c'est pourquoi il convient à toute créature d'agir pour le désir de la fin, parce qu'est acquis d'un autre pour chaque créature un bien qu’il n'a pas de lui-même, mais il convient à Dieu d'agir à cause de l'amour de la fin: à sa bonté rien ne peut être ajouté.

Ipse enim bonitatem suam perfecte amat, et ex hoc vult quod bonitas sua multiplicetur per modum qui possibilis est, ex sui scilicet similitudine, ex quo provenit utilitas creaturae, inquantum similitudinem divinae bonitatis recipit: et ideo dicitur in littera, quod Deus fecit creaturam propter bonitatem suam, considerando finem operantis; et propter utilitatem creaturae, considerando finem operis; et propter hoc etiam dicit Augustinus, quod inquantum Deus est bonus, sumus: et Dionysius dicit, quod divinus amor non dimisit eum sine germine esse.

Car lui-même aime parfaitement sa bonté et il veut qu’elle se multiplie d’une manière qui est possible, par exemple par sa ressemblance, d’où provient l'utilité de la créature, en tant qu'elle reçoit la ressemblance de la bonté divine; et c'est pourquoi il est dit dans la lettre [4], que Dieu a fait la créature à cause de sa bonté, en considérant la fin de l'opérateur et à cause de l'utilité de la créature en considérant la fin de l'œuvre, et c'est pour cela qu'Augustin dit aussi que nous existons en tant que Dieu est bon, et Denys dit que l'amour divin ne laisse pas [Dieu] sans descendance.

 

Solutions

D. 1 q. 2 a. 1 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod secundum Avicennam, sicut est duplex agens, quoddam quod agit per motum, sicut naturale; et quoddam quod agit sine motu, dando esse; ita duplex est bonum: quoddam acquisitum per motum, et hoc est tantum in rebus naturalibus; et quoddam acquisitum sine motu in recipiendo influentiam agentis sine motu, et tale est bonum etiam in rebus immobilibus.

# 1. Selon Avicenne (Métaphysique, traité 4, 1), de même qu’il y a deux sortes d’agents: l'un agit par mouvement, comme l'agent naturel, et l'autre agit sans mouvement, en donnant l'être; de même il y a deux sortes de bien: l'un acquis par mouvement et cela existe seulement dans les choses naturelles et l'autre acquis sans mouvement, en recevant l'influence de l'agent sans mouvement et tel est le bien même dans les êtres immobiles.

D. 1 q. 2 a. 1 ad 2. Ad secundum dicendum, quod illud quod agit propter desiderium finis, habet finem extra se, quo perficitur. Hoc autem non convenit Deo qui agit propter amorem finis, quia ipsemet est sibi finis a se habitus et amatus: et ideo dicimus, quod divina voluntas non est perfecta quodam alio, sed seipsa, quia ipsa voluntas est bonitas.

# 2. Ce qui agit à cause du désir de la fin a une fin hors de lui, où elle s’accomplit. Mais cela ne convient pas à Dieu qui agit par amour de la fin, parce qu’il est sa fin à lui-même, possédée et aimée par lui, et c’est pourquoi nous disons que la volonté divine n’est pas accomplie par un autre, mais par elle-même, parce que sa volonté même est la bonté.

D. 1 q. 2 a. 1 ad 3. Ad tertium dicendum, quod omne id quod agit propter desiderium finis, per actionem suam ordinatur ad consecutionem desiderati. Unde oportet quod apud eum differat an sit vel non sit suum opus. Non autem apud eum qui agit propter finis amorem, quia non agit ad acquirendum aliquod bonum.

# 3. Tout ce qui agit par désir de la fin est ordonné par son action à acquérir ce qu'il désire. C’est pourquoi il faut qu'en lui ce soit différent s'il est ou s'il n'est pas son œuvre. Ce n'est pas chez celui qui agit à cause de l'amour de la fin, parce qu'il n'agit pas pour acquérir un bien.

D. 1 q. 2 a. 1 ad 4. Ad quartum dicendum, quod actio divina est essentia ejus; et ex hac parte non quaeritur finis ejus, sed ex parte illa qua effectum creaturae communicat.

# 4. L'action divine est son essence et de ce côté il ne recherche pas sa fin, mais du côté où il communique son effet à la créature.

 

 


Article 2: Les créatures sont-elles pour la bonté de Dieu ?

D. 1 q. 2 a. 2 arg. 1. Ad secundum sic proceditur. Videtur quod creaturae non sint propter Dei bonitatem.

Il semble que les créatures ne sont pas pour la bonté de Dieu5.

Objections6

Sicut enim in 1 Cael. et Mund. dicitur, nihil movetur naturaliter propter illud quod consequi non potest. Sed nulla res potest consequi divinam bonitatem: quia ipsa non recipitur ut perfectio alicujus creaturae, vel forma. Ergo res non sunt ordinatae naturaliter in ipsam.

1. Car, comme il est dit dans Le ciel et le monde (I, textes 32 et 58), rien ne se meut naturellement pour ce qui ne peut pas être atteint. Mais rien ne peut obtenir la bonté de Dieu, parce qu'elle n'est pas reçue comme la perfection d'une créature ou comme forme. Donc les choses ne lui sont pas ordonnées naturellement.

D. 1 q. 2 a. 2 arg. 2. Praeterea, ut in 2 Cael. et Mund. dicitur, omnis res est propter suam operationem, et res sempiterna vel incorporalis, est propter sempiternalitatem sui esse. Sed esse rei et operatio non est extra ipsam. Ergo videtur quod non sint propter Dei bonitatem, quae est a rebus separata et impermixta.

2. Comme il est dit dans Le Ciel et le monde, (II, 2, 286 a 9), toute chose est pour son opération et ce qui est éternel ou incorporel est pour l’éternité de son être. Mais l'être d'une chose et son opération ne sont pas hors d'elle. Donc il semble qu’elles n’existent pas pour la bonté de Dieu, qui est séparée des choses et non mêlée.

D. 1 q. 2 a. 2 arg. 3. Praeterea, omnis res producitur ab agente propinquius fini, quantumcumque potest. Sed quanto aliquid est melius et diuturnius, magis ad divinam bonitatem accedit. Ergo Deus fecit unumquodque quantumcumque melius potuit, et ab aeterno, si facere potuit: quae cum falsa sint, videtur quod bonitas Dei creaturarum finis non sit.

3. Toute chose est produite par l'agent, au plus proche de sa fin, autant qu'il le peut. Mais plus une chose est bonne et durable, plus elle accède à la bonté divine. Donc Dieu a fait chaque chose au mieux qu'il a pu, et éternellement s'il a pu le faire: comme cela est faux, il semble que la bonté de Dieu n'est pas la fin des créatures.

D. 1 q. 2 a. 2 arg. 4. Praeterea, divina bonitas est sua beatitudo. Sed beatitudinis ejus non est capax nisi intellectualis creatura, ut in littera dicitur. Ergo non omnis creaturae finis est divina bonitas.

4. La bonté de Dieu est sa béatitude. Mais n’est capable de son bonheur que la créature intellectuelle, comme il est dit dans La lettre [8]. Donc la divine bonté n’est pas la fin de toute créature.

En sens contraire

D. 1 q. 2 a. 2 s. c. 1. Sed contra, hoc propter quod res fit, est finis ejus. Sed, sicut dicitur Proverb. 16, 4, universa propter semetipsum operatus est dominus. Ergo videtur quod ipse sit finis omnium.

1. Ce en vue de quoi une chose est faite est sa fin. Mais comme il est dit dans les Proverbes, 16, 4: « Le Seigneur a fait tout pour lui-même. » Donc il semble qu’il est la fin de tout.

D. 1 q. 2 a. 2 s. c. 2. Praeterea, bonum habet rationem finis, ut in 3 Metaph. dicitur. Ergo et summum bonum habet in Deo rationem finis ultimi. Sed divina bonitas est summa bonitas. Ergo ipsa est ultimus rerum finis.

2. La bien a raison de fin, comme il est dit en Métaphysique, III, 2, 996 a 22. Donc le bien suprême a en Dieu raison de fin ultime. Mais la bonté divine est la bonté suprême. Donc elle est la fin ultime des choses.

Réponse

D. 1 q. 2 a. 2 co.. Respondeo dicendum, quod finis et agens proportionantur ad invicem, sicut materia et forma. Unde secundum differentiam agentis est differentia finis. Est autem duplex agens.

Quoddam quod suscipienti suum effectum est proportionatum; unde formam ejusdem speciei vel rationis in effectum inducit, sicut in omnibus agentibus univocis, ut ignis generat ignem, et domus quae est in anima artificis, causat domum quae est in materia.

La fin et l’agent sont proportionnés entre eux, comme la matière et la forme. C’est pourquoi la différence de la fin dépend de celle de l’agent. Mais il y a deux sortes d’agents.

1. L’un qui est proportionné à celui qui reçoit son effet; c’est pourquoi il induit la forme d’une même espèce ou même nature dans l’effet, comme dans tous les agents univoques: ainsi le feu engendre le feu et la maison qui est dans l’esprit7 du bâtisseur cause la maison qui est dans la matière.

Quoddam vero agens non est proportionatum recipienti suum effectum. Unde effectus non consequitur speciem agentis, sed aliquam similitudinem ejus quantum potest, sicut est in omnibus agentibus aequivoce, ut sol calefacere dicitur.

2. L’autre agent est sans proportion avec celui qui reçoit son effet. C’est pourquoi celui-ci ne découle pas de l’espèce de l’agent, mais une ressemblance avec lui autant qu’il le peut, comme dans tous les agents de manière équivoque: comme on dit que la soleil chauffe.

Ita etiam est duplex finis. Quidam proportionatus ei quod est ad finem; et talis finis acquiritur ut perfectio in eo quod ad finem est, sicut sanitas per operationem medicinae.

Ainsi il y a aussi une double fin. L'une proportionnée à ce qui est pour sa fin, et telle fin est acquise comme perfection en ce qui est pour la fin, comme la santé par l’opération de la médecine.

Est etiam quidam finis improportionabiliter excedens illud quod est ad finem: et hic non acquiritur ut perfectio inhaerens ei quod est ad finem, sed aliqua similitudo ejus; et talis finis est divina bonitas in infinitum creaturas excedens; et ideo non acquiritur in creatura secundum se, ita ut sit forma ejus; sed aliqua similitudo ejus quae est in participatione alicujus bonitatis; et ideo omnis appetitus naturae vel voluntatis tendit in assimilationem divinae bonitatis, et in ipsammet tenderet, si esset possibilis haberi ut perfectio essentialis, quae est forma rei.

L'autre fin qui dépasse sans proportion ce qui est pour la fin, et elle n’est pas acquise comme une perfection dans ce qui est pour la fin, mais comme sa ressemblance, et une telle fin est la bonté divine qui dépasse à l’infini les créatures, et c’est pourquoi elle n’est pas acquise dans la créatures en soi, de sorte à être sa forme; mais comme sa ressemblance qui est dans la participation d’une certaine bonté, et c’est pourquoi tout appétit de la nature ou de la volonté tend à ressembler à la bonté divine, et elle y tendrait en elle-même si c’était possible qu’elle la possède comme perfection essentielle, qui est la forme de la chose.

Sed tamen ipsamet divina bonitas potest acquiri a creatura rationali ut perfectio quae est objectum operationis, inquantum rationalis creatura possibilis est ad videndum et amandum Deum. Et ideo singulari modo Deus est finis in quem tendit creatura rationalis praeter modum communem quo tendit in ipsum omnis creatura, inquantum scilicet omnis creatura desiderat aliquod bonum, quod est similitudo quaedam divinae bonitatis. Et ex hoc patet quod in omni bono summum bonum desideratur.

Mais cependant la bonté divine elle-même peut être acquise par la créature raisonnable comme la perfection qui est l’objet de son opération en tant que la créature rationnelle a la possibilité de voir et d’aimer Dieu. Et c’est pourquoi d’une manière particulière Dieu est la fin à laquelle tend la créature raisonnable au-delà de la manière commune dans laquelle toute créature tend à lui, en tant qu’évidemment tout créature désire le bien, qui est la ressemblance de la bonté divine. Et cela montre que la bien suprême est désiré en tout bien.

Solutions

D. 1 q. 2 a. 2 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod quamvis res non acquirat divinam bonitatem, tamen acquirit aliquam similitudinem ejus; et ex hoc dicitur finis.

# 1. Bien qu'une chose n’acquiert pas la bonté divine, cependant elle en acquiert une certaine ressemblance et c’est pour cela qu’on l’appelle la fin.

D. 1 q. 2 a. 2 ad 2. Ad secundum dicendum, quod ipsa operatio est ultima perfectio in qua res existit: habitus enim et potentia imperfectionem dicunt: et ideo idem est rei esse propter suam operationem et propter divinam bonitatem, ad quam maxime accedit secundum quod maxime est in actu perfecto. Similiter etiam ipsa sempiternitas essendi est quaedam assimilatio divinae bonitatis; et propter hoc perpetuitas specierum vocatur a philosophis divinum esse.

# 2. L’opération même est la perfection ultime en laquelle la chose existe; car la possession et la puissance révèlent leur l’imperfection; et c’est pourquoi c’est la même chose d’être pour son opération ou pour la bonté divine, à laquelle elle arrive principalement selon qu’elle est tout à fait dans un acte parfait. De la même manière aussi, l’éternité d’être est une certaine assimilation de la bonté divine, et c’est pour cela que la perpétuité des espèce est appelée par les philosophes un être divin.

D. 1 q. 2 a. 2 ad 3. Ad tertium dicendum, quod finis non est causa rei, nisi secundum quod est in voluntate agentis; et ideo ipsa bonitas divina secundum modum et ordinem quo est ab eo volita est finis rerum. Et ideo tunc unaquaeque res maxime ad suum finem accedit, quando imitatur divinam voluntatem, secundum quod de ipsa re dispositum est a Deo.

# 3. La fin n’est cause d'une chose qu'en tant qu’elle est dans la volonté de l’agent; et c’est pourquoi la bonté divine elle-même, selon son mode et son ordre par lequel elle est ce qu'il veut est la fin des choses. Et c’est pourquoi alors chaque chose arrive tout à fait à sa fin, quand elle imite la volonté divine, selon ce que Dieu a disposé pour elle.

D. 1 q. 2 a. 2 ad 4. Ad quartum dicendum, quod cum bonitas Dei sit finis rerum, ad ipsam res diversimode se habent. Ipse enim Deus habet eam perfecte secundum suum esse; unde summe bonus est; et etiam secundum suam operationem, qua perfecte eam cognoscit et amat: unde beatus est, quia beatitudo est operatio perfecta, secundum philosophum. Creatura autem intellectualis non attingit ad eam secundum suum esse ut ipsa sit summum bonum, sed secundum operationem intelligendo et amando eam; unde particeps est beatitudinis et non tantum bonitatis divinae. Sed creatura irrationalis accedit ad eam secundum aliquam assimilationem, quamvis non pertingat neque secundum operationem neque secundum esse; unde est particeps bonitatis, sed non beatitudinis.

# 4. Comme la bonté de Dieu est la fin des choses, elles se comportent vis-à-vis d’elle de différentes manières. Car Dieu lui-même la possède parfaitement selon son être; c’est pourquoi il est suprêmement bon; et aussi selon son opération par laquelle il la connaît parfaitement et l’aime; c’est pourquoi il est bienheureux, parce que la béatitude est une opération parfaite, selon le philosophe (Éthique, VII,13, et IX, 10 et X, 8). Mais la créature intellectuelle ne l’atteint pas selon son être pour être son bien suprême, mais selon son opération en la comprenant et en l’aimant; c’est pourquoi elle participe à la béatitude et non seulement à la bonté divine. Mais la créature sans raison accède à elle selon une certaine ressemblance, quoiqu’elle n’y arrive pas ni selon son opération ni selon l’être; c’est pourquoi elle participe de la bonté, mais pas de la béatitude.

 


Article 3: Tout a-t-il été fait pour l’homme ?

Objections

D. 1 q. 2 a. 3 arg. 1. Ad tertium sic proceditur. Videtur quod non omnia sint facta propter hominem.

Il semble que tout n’a pas été fait pour l’homme.

Finis enim est intentus ab agente. Sed humana natura non potest esse intenta a Deo: quia nullius intentio est ad hoc quod est vilius se. Ergo videtur quod Deus non fecit omnia propter hominem.

1. Car l’agent recherche la fin. MaisDieu ne peut pas rechercher la nature humaine; parce que personne ne recherche ce qui est plus vil que lui. Donc il semble que Dieu n’a pas tout fait pour l’homme.

D. 1 q. 2 a. 3 arg. 2. Praeterea, sicut universale agens non est nisi primum agens, ita universalis finis non videtur esse nisi finis ultimus. Sed homo non est finis ultimus creaturae, sed divina bonitas, ut dictum est. Ergo non est finis omnium creaturarum.

2. De même que d’agent universel n’est que le premier agent, de même la fin universelle ne semble être que la fin ultime. Mais l’homme n’est pas la fin ultime de la créature, mais c’est la divine bonté qui l’est, comme on l’a dit (article précédant). Donc il n’est pas la fin de toutes les créatures.

D. 1 q. 2 a. 3 arg. 3. Praeterea, non est sapientis artificis facere multa magna instrumenta propter aliquod parvum. Sed humana natura est quasi quoddam minimum in universo. Ergo videtur ridiculum quod totum universum propter hominem factum sit.

3. Il ne convient pas à un sage artisan de faire de nombreux et grands instruments pour quelque chose de petit. Mais la nature humaine est pour ainsi dire quelque chose de très petit dans l’univers. Donc il semble ridicule que tout l’univers ait été fait pour l’homme.

D. 1 q. 2 a. 3 arg. 4. Praeterea, illud quod non juvat ad id propter quod fit, est superfluum et inane. Sed multa sunt in universo quae sunt homini nociva, ut serpentes, spinae et hujusmodi: multa sunt etiam ex quibus nullum juvamentum habet, sicut aliqui pisces in profundo maris existentes. Ergo cum nihil sit vanum in operibus Dei, videtur quod non omnia propter hominem facta sint.

4. Ce qui n’apporte pas d’aide à ce pour quoi il est fait est superflu et vain. Mais il y a beaucoup de choses dans l’univers qui sont nocives pour l’homme, comme les serpents, les épines, etc.; il y en a beaucoup par lesquelles il ne reçoit nulle aide; comme certains poissons qui existent dans les profondeurs de la mer. Donc comme rien n’est vain dans les œuvres de Dieu, il semble que tout n’a pas été fait pour l’homme.

En sens contraire

D. 1 q. 2 a. 3 s. c. 1. Sed contra est quod dicitur in 2 Phys., quod sumus et nos quodammodo finis omnium.

1. Il est dit en Physique, II, 2, 194 a 358 que nous sommes nous aussi d’une certaine manière la fin de tout.

D. 1 q. 2 a. 3 s. c. 2. Praeterea, ordo universi est finis totius creaturae. Sed in homine est quaedam similitudo ordinis universi; unde et minor mundus dicitur: quia omnes naturae quasi in homine confluunt. Ergo videtur quod ipse sit quodammodo finis omnium.

2. L’ordre universel est la fin de toute la créature. Mais il y a dans l’homme une certaine ressemblance de l’ordre de l’univers; aussi on l’appelle un microcosme: parce que toutes les natures se rassemblent pour ainsi dire en lui. Donc il semble qu’il est lui-même la fin de tout.

Réponse

D. 1 q. 2 a. 3 co.. Respondeo dicendum, quod finis alicujus rei dicitur dupliciter: vel in quem tendit naturaliter, vel ex eo quod ad ipsum sicut ad finem ordinari dicitur, ut utilitatem aliquam consequatur secundum intentionem et ordinem agentis. Utroque autem modo homo finis creaturarum dicitur: et primus quidem ex parte operis, sed secundus ex parte agentis. Differenter tamen homo dicitur finis, et divina bonitas: quia ex parte agentis divina bonitas est finis rerum, sicut ultimum intentum ab agente: sed natura humana non est intenta a Deo quasi movens voluntatem ejus, sed sicut ad cujus utilitatem est ordinatus effectus ejus. Ipse enim duplicem ordinem in universo instituit; principalem scilicet, et secundarium. Principalis est secundum quod res ordinantur in ipsum; et secundarius est secundum quod una juvat aliam in perveniendo ad similitudinem divinam; unde dicitur in 12 Metaph., quod ordo partium universi ad invicem est propter illum ordinem qui est in bonum ultimum, et sic dicitur esse propter aliud omne illud ex quo provenit ei utilitas.

Il faut dire qu’on parle de la fin d’une chose de deux manières: ou bien ce à quoi elle tend naturellement, ou bien par ce qu’on dit comme ordonné à elle comme à une fin, pour en tirer une utilité selon l’intention et l’ordre de l’agent. De l’une et l’autre manière, l’homme est appelé la fin des créatures et le premier du côté de l’œuvre, mais le second du côté de l’agent. Cependant c’est différemment que l’homme et la bonté divine sont des fins: parce que du côté de l’agent la bonté divine est la fin des choses, comme l’ultime fin recherchée par l’agent; mais Dieu ne recherche pas la nature humaine comme ce qui meut sa volonté, mais comme l'utilité à laquelle son effet est ordonné. Car lui-même a institué un ordre double dans l’univers. À savoir le principal et le secondaire. Le principal est que les choses sont ordonnées à lui et le secondaire est selon que l’une aide l’autre à parvenir à la ressemblance divine; c’est pourquoi il est dit en Métaphysique, (XII, 10, 1075 a 15), que l’ordre des parties de l’univers entre elles est pour cet ordre qui est dans le bien ultime, et ainsi on dit que tout ce dont lui vient ce qui est utile est pour autre chose.

Sed hoc contingit dupliciter; aut ita quod illud ex quo provenit alicui utilitas, non habeat participationem divinae bonitatis nisi secundum ordinem ejus ad hoc cui est utile, sicut sunt partes ad totum, et accidentia ad subjectum, quae non habent esse absolutum, sed solum in altero: et talia non essent nec fierent, nisi aliud esset, cui ex eis provenit utilitas.

Mais cela arrive de deux manières: ou bien de sorte que ce d’où lui provient l’utilité n’a participation à la bonté divine, que selon l’ordre de ce à quoi il est utile, comme le sont les parties au tout, et les accidents pour le substrat, qui n’ont pas d’être absolu, mais seulement dans un autre; et ils ne seraient pas tels, et ils ne le deviendraient pas si un autre n’existait pas, d'où leur provient ce qui leur est utile.

Sed quaedam sunt quae habent participationem divinae bonitatis absolutam, ex qua provenit aliqua utilitas alicui rei: et talia essent etiam si illud cui provenit ex eis utilitas non foret: et per hunc modum dicitur, quod Angeli et omnes creaturae propter hominem a Deo factae sunt; et sic etiam homo factus est propter reparationem ruinae angelicae: quia haec utilitas consecuta est et a Deo praevisa et ordinata. Similiter ex parte operis ipsae creaturae tendunt in divinam bonitatem sicut in illud cui per se assimilari intendunt. Sed quia optimo assimilatur aliquid per hoc quod simile fit meliori se, ideo omnis creatura corporalis tendit in assimilationem creaturae intellectualis quantum potest, quae altiori modo divinam bonitatem consequitur, et propter hoc etiam forma humana, scilicet anima rationalis, dicitur esse finis ultimus intentus a natura inferiori, ut in 2 de anima dicitur.

Mais il y en a certains qui ont la participation absolue de la bonté divine, d’où leur provient une utilité à une chose; et ils seraient tels aussi si ce à quoi ils font parvenir ce qui est utile n’avaient pas existé; et de cette manière, on dit que les anges et toutes les créatures ont été faits par Dieu pour l’homme; et ainsi aussi l’homme a été fait pour réparer la perte des ange9; parce que cette utilité a été atteinte, prévue et ordonnée par Dieu. De la même manière, du côté de l’œuvre, les créatures elles-mêmes tendent à la bonté divine, comme en ce à quoi elles s’appliquent à ressembler par soi. Mais parce que quelque chose ressemble au meilleur du fait qu’il devient semblable à meilleur que lui, toute créature corporelle tend à ressembler, autant qu’elle le peut, à la créature intellectuelle, qui acquiert la bonté divine d’une manière plus élevée. Et pour cela on dit que la forme humaine aussi, à savoir l’âme raisonnable, est la fin ultime recherchée par la nature inférieure, comme on le dit dans L’âme, II, texte 37.

Solutions

D. 1 q. 2 a. 3 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod homo non hoc modo dicitur esse finis sicut intentum ab agente: quia haec est ratio finis ultimi et principalis: sed sicut ad quod ordinatum est opus agentis aliquo modo, ut dictum est.

# 1. On ne dit pas de cette manière que l’homme est la fin, comme ce qui est recherché par l’agent, parce c’est la raison de la fin ultime et principale; mais comme ce à quoi est ordonnée l’œuvre de l’agent d’une certaine manière, comme on l’a dit.

D. 1 q. 2 a. 3 ad 2. Ad secundum dicendum, quod homo non est finis omnis creaturae sicut ultimo intentum ab omni creatura, sed sicut illud cui provenit utilitas ex omni creatura: et hoc contingit propter communicationem ejus cum omni creatura, ut dicit Gregorius, ubi supra.

# 2. L’homme n’est pas la fin de toute créature, comme recherché par elles en dernier, mais comme ce à quoi provient l’utilité par toute créature; et cela arrive pour sa communication avec toute créature, comme le dit Grégoire, ci-dessus.

D. 1 q. 2 a. 3 ad 3. Ad tertium dicendum, quod omnis creatura corporalis, quantumcumque sit magna quantitate, est tamen inferior homine ratione intellectus. Unde non est inconveniens, si omnis creatura talis etiam in assimilationem ejus tendit, inquantum per hoc summae bonitati assimilatur. Sed Angeli sunt nobiliores homine secundum conditionem naturae; unde non sunt propter hominem praedicto modo, sed solum sicut ex quibus provenit homini utilitas; sicut si diceretur regem esse constitutum propter aliquem rusticum, cui provenit utilitas pacis propter leges regis.

# 3. Toute créature corporelle, aussi nombreuse qu’elle soit, est cependant inférieure à l’homme en raison de son esprit. C’est pourquoi il n’est pas inconvenant si toute créature de cette sorte tend aussi à sa ressemblance, en tant qu’il ressemble par cela à la bonté suprême. Mais les anges sont plus nobles que l’homme selon la condition de leur nature; c’est pourquoi ils ne sont pas pour l’homme de la manière dont on a parlé, mais seulement comme ceux d'où provient ce qui est utile pour l’homme; comme si on disait que le roi a été établi pour un paysan, à qui la paix est utile en raison des lois du roi.

D. 1 q. 2 a. 3 ad 4. Ad quartum dicendum, quod hujusmodi non fuerunt a principio homini nociva; sed postea per peccatum nociva sibi facta sunt; ex quibus tamen aliqua utilitas sibi provenit, dum per hoc humilior fit, et in talibus etiam visibilibus gloriam et sapientiam Dei considerat. Et sic etiam in utilitatem cedunt ea quae in usum operis ejus non veniunt, dum de eis aliquam cognitionem habet vel in universali vel in particulari. Tamen auctoritas philosophi in 5 Physic., in contrarium inducta, intelligitur de rebus artificialibus.

# 4. De telles choses n’ont pas été au commencement nocives pour l’homme, mais par la suite elles le sont devenues par le péché; elles ont cependant une certaine utilité, puisque l'homme en devient plus humble, et, il considère la sagesse et la gloire et de Dieu dans de telles visions. Et ainsi devient utile ce dont il ne se sert pas pour ses œuvres, puisqu'il en tire connaissance soit dans l’universel soit dans le particulier. Cependant l’autorité du philosophe (Physique V, 6, 230 a 29) induite en sens contraire est comprise des choses artificielles.

 

 


Article 4: L’âme raisonnable doit-elle est unie à un corps ?

D. 1 q. 2 a. 4 arg. 1. Ad quartum sic proceditur. Videtur quod anima rationalis corpori uniri non debuit

Il semble que l’âme raisonnable n’aurait pas due être unie à un corps

Objections10

. Ea enim quae sunt ad finem, determinantur secundum rationem finis. Sed anima rationalis est propter divinam beatitudinem et bonitatem. Ergo cum per corpus impediatur a participatione divinae beatitudinis, quia per operationes corporales impeditur anima a contemplatione spiritualium, videtur quod corpori uniri non debuit.

1. Car ce qui est pour une fin est déterminé par la nature de cette fin. Mais l’âme rationnelle est pour la béatitude et la bonté divine. Donc, comme elle est empêchée par le corps de participer à la bonté divine, parce qu’elle est empêchée par les opérations corporelles dans sa contemplation du spirituel, il semble qu’elle n’aurait pas dû être unie à un corps.

D. 1 q. 2 a. 4 arg. 2. Praeterea, illud quod habet per se esse subsistens, non unitur alteri nisi accidentaliter; quia quod advenit post esse completum, est accidens. Sed anima est quiddam in esse suo subsistens; alias post corpus remanere non posset. Ergo non est unibilis, ut ex ea et corpore fiat unum essentialiter.

2. Ce qui a par soi un être subsistant, n’est uni à un autre qu’accidentellement, parce que ce qui advient après l’être complet est un accident. Mais l’âme est quelque chose qui subsiste en son être [propre]; autrement elle ne pourrait pas demeurer après le corps. Donc elle ne peut pas être unie, pour devenir une essentiellement avec le corps.

D. 1 q. 2 a. 4 arg. 3. Praeterea, ea quae maxime distant, non uniuntur nisi minima conjunctione. Sed anima et corpus maxime distant, ut in littera dicitur. Ergo cum conjunctio formae ad materiam sit secundum maximam unionem, videtur quod anima non sit corpori unibilis, sicut forma materiae.

3. Ce qui très éloigné, n’est uni que par un lien très petit. Mais l’âme et le corps sont très éloignés l’un de l’autre, comme on le dit dans la Lettre11. Donc comme le lien de la forme avec la matière est selon une union très forte, il semble que l’âme ne puisse pas être unie au corps, comme la forme à la matière.

D. 1 q. 2 a. 4 arg. 4. Praeterea, potentiae animae fluunt ab essentia ejus. Sed principiatum non potest esse simplicius principio a quo fluit. Cum ergo quaedam potentia animae nullius corporis actus sit, ut intellectus et voluntas; videtur quod nec essentia animae rationalis.

4. Les puissances de l’âme découlent de son essence. Mais ce qui dépend du principe ne peut pas être plus simple que le principe d’où il vient. Donc, comme certaine puissance de l’âme n’est l’acte d’aucun corps, comme l’esprit et la volonté, il semble que l’essence de l’âme raisonnable ne le soit pas non plus.

En sens contraire

D. 1 q. 2 a. 4 s. c. 1. Sed contra, divinae bonitatis est omnes gradus creaturarum universi complere. Sed quaedam creaturae sunt pure corporales, quaedam pure intellectuales. Ergo ad completionem universi oportet esse creaturam ex corporali et intellectuali natura compositam.

1. Il est de la bonté divine de compléter tous les degrés des créatures dans l’univers. Mais certaines créatures sont purement corporelles, d’autres purement intellectuelles. Donc pour compléter l’univers, il faut qu’il y ait une créature composée d’une nature corporelle et intellectuelle.

D. 1 q. 2 a. 4 s. c. 2. Praeterea, intellectus possibilis, secundum philosophum, est sicut tabula in qua nihil est scriptum. Sed non potest perfici ut scribatur aliquid in eo nisi per species in sensibus receptas. Ergo oportet quod uniatur corpori organico sensibili.

2. L’intellect possible, selon le philosophe (L’âme, III, 4, 430 a 4) est comme un tableau sur lequel il n’y a rien d’écrit. Mais il n’est pas possible que quelque chose parvienne à être écrit en lui sinon par les formes (species) reçues des sens. Donc il faut qu’elle soit unie à un corps doué d’organes sensibles.

Réponse

D. 1 q. 2 a. 4 co. Respondeo dicendum, quod causa finalis ipsius conjunctionis animae et corporis assignatur in littera a Magistro sufficienter. Finis enim potest sumi vel ex parte agentis, vel ex parte ipsius operis.

La cause finale de cette union de l’âme et du corps est exposée suffisamment dans la Lettre, par le Maître12. Car on peut considérer la fin du côté de l’agent, ou de celui de l’œuvre même.

Ex parte agentis, scilicet Dei, finis est bonitas ejus, secundum quod cadit in voluntate ipsius volentis bonitatem suam in res diffundere: et haec est prima ratio quam Magister assignat.

a. Du côté de l’agent, à savoir de Dieu, la fin est sa bonté, selon qu’elle tombe dans la volonté de celui qui veut que sa bonté se diffuse dans les choses; et c’est la première raison qu’expose le Maître.

Ex parte autem operis, finis intentus est pertingere in assimilationem divinae beatitudinis. Hoc autem est secundum esse ejus, prout ipsa conjunctio animae et corporis est quaedam similitudo divinae beatitudinis, qua conjungitur spiritus Deo: et haec est secunda ratio quam assignat.

b. Du côté de l’œuvre, la fin recherchée est de parvenir à la ressemblance de la béatitude divine. Mais elle dépend de son être, dans la mesure où l’union de l’âme et du corps est une ressemblance de la béatitude divine, par laquelle l’esprit est uni à Dieu; et c’est la deuxième raison qu’il expose.

Et etiam secundum operationem, prout scilicet anima per operationes quas in corpore exercet, ad divinam beatitudinem accedit merendo: et haec est tertia ratio.

c. Et aussi selon l’opération, dans la mesure où l’âme par les opérations qu’elle exerce dans le corps, arrive à mériter la béatitude divine, et c’est la troisième raison13.

Solutions

D. 1 q. 2 a. 4 ad 1 Ad primum ergo dicendum, quod si anima non esset corpori unibilis, tunc esset alterius naturae; unde secundum hanc naturam quam habet, non potest melius ad divinam bonitatem accedere quam per hoc quod unitur corpori.

# 1. Si l’âme ne pouvait pas être unie à un corps, elle serait alors d’une autre nature; c’est pourquoi selon cette nature qu’elle possède, elle ne peut pas mieux accéder à la bonté divine que le fait d'être unie à un corps.

D. 1 q. 2 a. 4 ad 2. Ad secundum dicendum, quod quidquid advenit rei subsistenti ita quod ex ipsius adventu novum esse constituatur, oportet accidentaliter advenire, quia unius rei non potest esse nisi unum esse essentiale; unde aliud esse superveniens erit accidentale. Sed corpus adveniens animae trahitur in consortium illius esse a quo anima subsistere potest, quamvis aliae formae non possunt subsistere in illo esse, sicut potest anima.

# 2. Tout ce qui arrive à ce qui subsiste, de sorte que soit constitué un être nouveau par son arrivée, doit arriver accidentellement, parce que d’une chose unique il ne peut exister qu’un être essentiel unique; c’est pourquoi l’autre être qui arrive en plus sera accidentel. Mais le corps qui advient à l’âme est tiré en accord avec cet être par lequel l’âme peut subsister, quoique les autres formes ne puissent y subsister, comme le peut l’âme.

D. 1 q. 2 a. 4 ad 3. Ad tertium dicendum, quod propter hanc objectionem Plato posuit, ut Gregorius Nyssenus narrat, quod anima est in corpore sicut motor in mobili, ut nauta in navi, et non sicut forma in materia; unde dicebat, quod homo non est aliquid ex anima et corpore, sed quod homo est anima utens corpore; et propter hoc etiam quidam quaesierunt quaedam media inter animam et corpus, ut spiritum corporalem, animam vegetabilem et sensibilem, et lucem, quibus mediantibus anima rationalis corpori uniretur; quae omnia absurda sunt secundum philosophiam, et improbata a philosopho in 8 Metaph.

# 3. Pour cette objection, Platon a pensé, comme Grégoire de Nysse le raconte (Homélie sur l’âme, II, col. 235), que l’âme est dans le corps comme le moteur dans un mobile, comme le marin dans son navire, et non comme une forme dans la matière; c’est pourquoi il disait que l’homme n’est pas constitué d’un corps et d’une âme, mais que l’homme est une âme qui se sert d’un corps, et à cause cela aussi certains ont cherché un intermédiaire entre l’âme et le corps, comme l'esprit corporel, l'âme végétative et sensitive, et la lumière; par ces intermédiaires l’âme rationnelle serait unie au corps,. Tout cela est absurde selon la philosophie et condamné par le philosophe (Métaphysique, VIII, 6, 1045 a 20 - 1045 b 7 ss.).

Et ideo dicimus quod essentia animae rationalis immediate unitur corpori sicut forma materiae, et figura cerae, ut in 2 de anima dicitur. Sciendum ergo, quod convenientia potest attendi dupliciter: aut secundum proprietates naturae; et sic anima et corpus multum distant: aut secundum proportionem potentiae ad actum; et sic anima et corpus maxime conveniunt. Et ista convenientia exigitur ad hoc ut aliquid uniatur alteri immediate ut forma; alias nec accidens subjecto nec aliqua forma materiae uniretur; cum accidens et subjectum etiam sint in diversis generibus, et materia sit potentia, et forma sit actus.

Et c'est pourquoi nous disons que l’essence de l’âme raisonnable est unie sans intermédiaire au corps comme la forme à la matière et la figure à la cire, comme il est dit dans L’âme, II, texte 7. Donc il faut savoir que la convenance peut être atteinte de deux manières: ou selon les propriétés de la nature, et ainsi l’âme et le corps sont très loin l’un de l’autre, ou selon la proportion de la puissance à l'acte et ainsi l’âme et le corps s'accordent tout à fait. Et cette convenance est exigée pour qu’une chose soit unie à une autre sans intermédiaire comme une forme; autrement l’accident ne serait pas uni au substrat, ni la forme à la matière; puisque l’accident et le substrat aussi sont dans des genres différents et que la matière est puissance et la forme est acte.

D. 1 q. 2 a. 4 ad 4. Ad quartum dicendum, quod in formis est quidam gradus nobilitatis; et quanto aliqua forma est nobilior, tanto plus materiae praedominatur; unde forma terrae est magis materialis quam forma aeris vel ignis. Inter autem omnes formas anima rationalis nobilior est, unde maxime praedominatur materiae. Omne autem quod unitur alteri ut vincens et dominans super illud habet effectum non solum secundum conjunctionem sui ad alterum, sed etiam per se absolute, inquantum non dependet ad illud cui unitur; sicut patet in igne candelae, cujus lumen extenditur ultra ascensionem vaporis, et calefactionem. Unde quaedam vires ab anima provenire possunt quae sunt corporis actus, et quaedam sunt ab organis corporalibus absolutae; quamvis enim essentia animae corpori uniatur ut forma, non tamen sicut forma materialis non habens esse absolute in quo subsistere possit.

# 4. Dans les formes il y a une degré de noblesse, et plus une forme est noble, plus elle domine la matière; c'est pourquoi la forme de la terre est plus matérielle que la forme de l’air ou du feu. Mais parmi toutes les formes l’âme rationnelle est plus noble, c'est pourquoi elle domine absolument la matière. Mais tout ce qui est uni à une autre chose, comme vainqueur ou dominant sur lui a un effet non seulement selon son lien avec l’autre, mais aussi dans l’absolu par soi, en tant qu’il ne dépend pas de ce à quoi il est uni; comme on le voit dans le feu de la chandelle, dont la lumière s’étend au-delà de l’ascension de la vapeur et du réchauffement. C'est pourquoi certaines forces peuvent provenir de l’âme qui sont les actes du corps et certaines sont séparées des organes corporels; quoique en effet l’essence de l’âme soit unie à un corps comme forme, non cependant comme forme matérielle qui n’a pas l’être absolument en quoi elle pourrait subsister.

 

 


Article 5: L’âme humaine aurait-elle dû être unie à un tel corps ?

D. 1 q. 2 a. 5 arg. 1 Ad quintum sic proceditur. Videtur quod tali corpori uniri non debuit.

Il semble que l’âme n’aurait pas dû être unie à un tel corps.

Objections14

Cum enim forma proportionetur materiae, nobilissimae formae debetur nobilissimum corpus. Ergo videtur quod corpori caelesti debeat uniri anima, quae est nobilissima formarum.

Texte qui semble incomplet

1. En effet, comme la forme est proportionnée à la matière, le corps le plus noble est dû à la forme la plus noble. Mais le corps céleste est le plus noble des corps. Donc il semble que l’âme, qui est la plus noble des formes. Aurait dû être unie à un corps de sa nature.

D. 1 q. 2 a. 5 arg. 2. Praeterea, simplici formae magis proportionatur corpus simplex quam compositum. Sed anima est simplicissima formarum. Ergo non debet uniri composito, sed simplici.

2. Le corps simple est plus proportionné à une forme simple que le corps composé. Mais l’âme est la plus simple des formes. Donc elle ne doit pas être unie à ce qui composé, mais à ce qui est simple.

D. 1 q. 2 a. 5 arg. 3. Praeterea, corpus organicum est magis difforme quam corpus homogeneum. Sed anima est simplicissimus motor. Ergo corpus cui unitur sicut mobili, debet esse homogeneum et non organicum.

3. Le corps organique a moins de forme que le corps homogène. Mais l’âme est un moteur très simple. Donc le corps auquel elle est unie comme à un mobile doit être homogène et non organique.

D. 1 q. 2 a. 5 arg. 4. Praeterea, quanto corpus est subtilius, tanto magis accedit ad nobilitatem formae et continentis. Sed ignis est subtilissimum corpus; unde in 2 de generatione dicitur, quod habet plus de specie. Ergo videtur quod ad minus secundum praedominium ignis debeat esse in corpore animato; cujus contrarium ostendit motus gravis quem habet; unumquodque enim movetur motu praedominantis in ipso, ut in 1 de caelo et mundo dicitur.

4. Plus un corps est subtil, plus il parvient à la noblesse de la forme et du contenant. Mais le feu est un corps très subtil, c'est pourquoi il est dit (La génération, II, 8, 335 a 18) qu’il a plus de forme (species). Donc il semble qu’au moins selon sa prédomination, il doit être dans un corps animé, dont le mouvement lourd qu’il a montre le contraire; car tout est mû par un mouvement qui prédomine en lui, comme il est dit dans La ciel et le monde, I, 2, 269 a 1.

En sens contraire

D. 1 q. 2 a. 5 s. c. 1 Sed contra est quod dicitur Genes. 2, 7: formavit Deus hominem de limo terrae. Et hoc etiam ad sensum videmus.

# 1. Il est dit en Gn. 2, 7: « Dieu forma l’homme du limon de la terre. » Et nous en avons conscience.

Réponse

D. 1 q. 2 a. 5 co. Respondeo dicendum, quod oportuit talem formam, scilicet animam rationalem, corpori bene complexionato uniri: cujus rationem assignat Avicenna dicens, quod oportet ordinem perfectibilium esse secundum ordinem perfectionum.

Il a fallu qu’une telle forme, c'est-à-dire l’âme raisonnable, soit unie à un corps parfaitement bien constitué. Avicenne en donne la raison dans De intelligentiis, X, 2, disant qu’il faut que l’ordre des perfectibles soit selon l’ordre des perfections.

Inter omnes autem perfectiones illa est nobilissima quae movet caelum, cui inter omnes alias perfectiones maxime anima rationalis assimilatur: et ideo corpus oportet quod sit simillimum caelo. De nobilitate autem corporis caelestis est, quod non habet contrarium; unde quanto plus corpus separatur a contrarietate, similius caelo efficitur.

Mais parmi toutes les perfections, la plus noble est celle qui met le ciel en mouvement, à quoi, parmi toutes les autres perfections ressemble le plus l’âme raisonnable; c'est pourquoi il faut que le corps soit très semblable au ciel. Mais il est de la noblesse du corps céleste qu’il n’ait pas de contraire; c'est pourquoi plus un corps est séparé de ce qui pourrait lui être contraire plus il devient semblable au ciel.

Hoc autem non potest esse in generabilibus et corruptibilibus hoc modo quod a contrariis omnimode absolvantur, scilicet calido et frigido, per hoc quod conveniunt ad medium, quia medium neutrum extremorum est actu; et ideo illud corpus quod venit ad maximam aequalitatem mixtionis, est simillimum caelo; et tale corpus debet esse corpus humanum; et inde est quod dicitur 2 de anima quod homo habet meliorem tactum ceteris animalibus; et quanto est melioris tactus, tanto est melioris intellectus, quia subtilitas tactus sequitur aequalitatem complexionis. Instrumentum enim tactus debet esse in potentia respectu suorum sensibilium sicut medium et non per privationem [privatio Éd. Parme], sicut pupilla est potentia album et nigrum, ut in eodem libro dicitur.

Mais cela ne peut pas exister dans ce qui peut être engendré et corrompu, de manière à être sauvé de toute manière des contraires, à savoir le chaud et le froid, mais parce qu’ils en viennent à l’intermédiaire, parce qu’aucun intermédiaire des extrêmes n’est en acte; et c'est pourquoi ce corps qui vient à la plus grande égalité de mixtion15 est très semblable au ciel, et un tel corps doit être le corps humains, et de là vient qu’il est dit dans L’âme II, (19, 421 a 18) que l’homme a un meilleur toucher que les autres animaux, et plus il est d’un contact meilleur, plus il est d’un esprit meilleur, parce que la subtilité du toucher suit l’égalité de la complexion. Car l’organe du toucher doit être en puissance par rapport à ce qui est sensible pour lui, comme intermédiaire, et non par privation, comme la pupille est blanche ou noire en puissance, comme il est dit dans le même livre (II).

Solutions

D. 1 q. 2 a. 5 ad 1. Ad primum ergo dicendum, quod corpus caeleste est nobilius quam corpus humanum, et perfectio sua est nobilior quam anima humana. Sed, sicut dicit Commentator, in Lib. 1 de substantia orbis, corpus caeleste non est generabile neque corruptibile sicut corpus humanum; et ideo non indiget perfectione terminante ipsum sensificando et vegetando, sed qua moveat ipsum in loco: et quaecumque sit virtus illa, sive Deus sive Angelus, est superior in natura quam anima humana, quae est motor corporis humani; et corporeitas caeli quam corporeitas corporis humani.

# 1. Le corps céleste est plus noble que le corps humain, et sa perfection est plus noble que l’âme humaine. Mais, comme le dit le Commentateur, au livre I de La substance du monde, II, le corps céleste ne peut être ni engendré ni corrompu comme le corps humain; et c'est pourquoi il n’a pas besoin de perfection qui l’achève en le douant de sentiments et de vie végétative, mais de ce par quoi il le meut dans l’espace: et quelque que soit ce pouvoir, que ce soit Dieu ou un ange, il est supérieur en nature à l’âme humaine qui est le moteur du corps humain, et la corporéité du ciel [est supérieure] à la corporéité du corps humain.

D. 1 q. 2 a. 5 ad 2. Ad secundum dicendum, quod corpora simplicia maxime removentur a similitudine caeli, inquantum in eorum natura est habere contrarium cum intentione, et ideo corpori tali anima rationalis uniri non debuit.

# 2. Les corps simples sont surtout mis en mouvement à la ressemblance du ciel, en tant que dans leur nature il doit y avoir un contraire avec tension et c'est pourquoi l’âme n’a pu dû être unie à un tel corps.

D. 1 q. 2 a. 5 ad 3. Ad tertium dicendum, quod anima rationalis quamvis sit simplex in essentia, tamen est multiplex in potentiis et operationibus: et ideo oportet quod corpus suum multa habeat organa ad diversas operationes apta; et propter hoc natura dedit homini manus, quibus plurimas operationes facere potest; et propter hoc etiam quanto anima est minus nobilis, requirit minorem diversitatem in organis, sicut patet in plantis et in animalibus annulosis.

# 3.Quoique l’âme rationnelle soit simple en son essence, elle est cependant multiple en ses puissance et ses opérations; et c'est pourquoi il faut que son corps ait de nombreux organes aptes à ses diverses opérations. Et à cause de cela la nature a donné à l’homme des mains, par lesquelles il peut accomplir de nombreuses opérations; et à cause de cela aussi moins l’âme est noble, moins elle requiert de diversité dans ses organes, comme on le voit dans les plantes et les annelés.

D. 1 q. 2 a. 5 ad 4. Ad quartum dicendum, quod elementa quanto plus habent de specie et de qualitatibus activis, tanto plus habent de virtute agendi: unde non posset fieri adaequatio, nisi de elemento magis materiali esset plus secundum quantitatem vel materiam. Ideo oportet corpus humanum secundum quantitatem habere plus de terrestri, quamvis non secundum qualitatem, quia in corpore vivo dominatur calidum: unde in libris de anima dicitur, quod nihil est sensitivum sine calore, et quod calor ignis est instrumentum animae. Et quia gravitas et levitas, quae sunt principia motus localis, consequuntur quantitatem materiae, ideo motus gravis apparet in corpore humano.

# 4. Plus les éléments ont de spécificité et de qualités actives, plus ils ont le pouvoir d’agir: c’est pourquoi on ne peut pas faire l’adéquation à moins que pour l’élément plus matériel il y ait plus en quantité ou en matière. C'est pourquoi il faut que le corps humain selon la quantité ait plus de [matière] terrestre, quoique ce ne soit pas en qualité, parce que dans le corps vivant le chaud domine; c'est pourquoi dans le livre de l’Âme, il est dit que rien n’est sensible sans chaleur et la chaleur du feu est l’instrument de l’âme. Et parce que la lourdeur et la légèreté qui sont les principe du mouvement local, atteignent la quantité de la matière, ainsi le mouvement gravitationnel apparaît dans le corps humain.

Exposition du texte

D. 1 q. 2 a. 5 expos. Plato namque tria initia existimavit. Sciendum, quod in hoc Plato erravit, quia posuit formas exemplares per se subsistentes extra intellectum divinum, et neque ipsas neque materiam a Deo esse habere.

Aristoteles vero duo principia dixit. Videtur imperfecte tangere positionem ejus: quia ipse ponit tria principia, in 1 Phys., materiam, formam, et privationem.

« Platon, en effet a pensé qu’il y avait trois principes. [1] » Il faut savoir qu’en cela il s’est trompé, parce qu’il a pensé qu’il y avait des formes exemplaires subsistant par soi, hors de l’esprit divin et que ni elles ni la matière ne tenait l’être de Dieu.

« Aristote a parlé de deux principes [2] » Il semble ne pas traiter parfaitement cette position; parce que lui-même a pensé qu’il y avait trois principe en Physique, I, 9: la matière, la forme et la privation

Praeterea, ipse ponit non solum causam effectivam exemplarem, quae intelligitur per principium operatorium, sed etiam causam finalem. Praeterea, secundum ipsum, forma et agens et finis incidunt in idem, ut in 2 Phys. dicit; et ita videtur tantum duo principia posuisse. Ad quod dicendum, quod Aristoteles non erravit in ponendo plura principia: quia posuit esse omnium tantum a primo principio dependere; et ita relinquitur unum esse primum principium.

En outre, il établit non seulement la cause effective exemplaire, qui est comprise par le principes de ce qui opère, mais aussi la cause finale16. En plus, selon lui, la forme, l’agent et la fin aboutisse au même, comme il le dit en Physique II; et ainsi il semble qu’il a pensé qu’il y avait seulement deux principes. A cela il faut dire qu’Aristote ne s’est pas trompé en pensant qu’il y avait plus de principes parce qu’il a pensé que l’être de toutes choses dépend seulement d’un premier principe, et ainsi il demeure que le premier principe est unique17.

Erravit autem in positione aeternitatis mundi. Ad primum ergo dicendum, quod privatio ab eo non ponitur per se principium, sed per accidens; nec in esse rei, sed in fieri tantum. Ad aliud dicendum, quod secundum ipsum, primum principium agens et ultimus finis reducuntur in idem numero, ut patet in 12 Metaph.: ubi ponit quod primum principium movens movet ut desideratum ab omnibus.

Mais il s’est trompé dans son opinion sur l’éternité du monde. En premier donc, il faut dire que la privation n’est pas pensée par lui comme principe par soi, mais par accident; ni dans l’être de la chose mais dans son devenir seulement. D’autre part, il faut dire que selon lui, le premier principe agent et la fin dernière sont ramenés à l’identique en nombre, comme on le voit en Métaphysique XII, 7, 1072 b: où il y pense que le premier principe moteur meut en tant qu’il est désiré par tous.

Forma autem quae est pars rei non ponitur ab eo in idem numero incidere cum agente, sed in idem specie vel similitudine: ex quo sequitur quod sit unum principium primum extra rem, quod est agens et exemplar et finis; et duo quae sunt partes rei, scilicet forma et materia, quae ab illo primo principio producuntur. Intelligendo amaret. Hic ponit quatuor, quae se secundum ordinem habent. Intellectus enim secundum apprehensionem boni gignit amorem, amor autem unit amato, et quodammodo illud suum esse facit possidendo. Et ex hac conjunctione sequitur delectatio quae perficit rationem fruitionis. Cetera ex praedictis manifesta sunt.

Mais la forme qui est une partie de la chose n’est pas pensée comme tombant dans l’identique en nombre, en espèce ou en ressemblance: il en découle qu’il y a un seul principe premier hors la chose qui est l’agent, l'exemplaire et la fin; et les parties de la chose sont deux, à savoir la forme et la matière, qui sont produites par ce premier principe. « Il aimerait en comprenant [5 ter] » ici il place quatre choses qui se comportent dans l’ordre; car l’intellect selon l’appréhension du bien engendre l’amour, mais l’amour unit à l’aimé, et d’une certaine manière il en fait son être en le possédant. Et de cette union découle la délectation qui atteint la nature de la fruition. Les autres choses ont été montrés par ce qui a été dit.